« Voici venu le temps des jeunes lions ! » s’était exclamé Arnaud Montebourg un jour de juin 2007, alors qu’il s’envisageait déjà en socialiste « nouvelle formule ».
C’est avec un autre lion, le « vieux lion de Belfort » que le candidat à la primaire socialiste débattait mardi 30 août à l’occasion d’un colloque intitulé : « L’Europe dans la mondialisation : que faire ? ». Loin de l’atmosphère « cimetière des éléphants » qui semble se dégager parfois des symposiums rochelais de la famille socialiste, ce numéro de duettistes correspondait enfin à ce que l’on serait en droit d’attendre de véritables primaires : on y parla politique, et pas seulement stratégie individuelle.
L’un pourtant des protagonistes ne participera pas aux primaires. Il ne souhaite en aucune façon s’engager dans ce processus qui contraindra les vaincus à adouber le vainqueur. Les militants du Mouvement Républicain et Citoyen (MRC) font d’ailleurs circuler une brochure rédigée par le « Ché » : « pourquoi je serai candidat ». Comme en 2007, le sénateur de Belfort se réserve la possibilité « d’y aller ». Sans accepter pour autant de lever le doute, il affirme avoir pour ambition principale de "peser dans le débat".
Le colloque commence par une mise en bouche assurée par l’économiste Jacques Sapir, auteur de La démondialisation, le journaliste économique Jean-Michel Quatrepoint (Mourir pour le yuan), et le président du think tank Terra Nova, que Montebourg finira d’ailleurs par moucher en ces termes « Alain Minc est désormais plus à gauche qu’Olivier Ferrand ».
La présence de ce dernier, toutefois, permit un échange musclé, Ferrand recyclant l’antienne selon laquelle « l’euro nous protège », et les deux économistes lui portant une contradiction sans concession. Ce débat comme il n’y en a que trop rarement, souligne sans simagrées des désaccords profonds entre ce que l’on peut désormais appeler les « deux gauches ». L’une interventionniste et volontariste est souvent nommée « souverainiste ». L’autre, plus libérale que sociale, conserve une foi intacte dans les bienfaits du « doux commerce » et dénonce le « protectionnisme bestial » - rien que ça. On se surprend à se demander si ces deux gauches seront un jour réconciliables, et même à douter de la pertinence du clivage droite-gauche. La véritable ligne de démarcation ne serait-elle pas aujourd’hui entre libéraux-vaguement-sociaux et nationaux-républicains ? La confrontation des « experts » eut le mérite immense de soulever cette question.
Avec les deux vedettes de la soirée, Jean-Pierre Chevènement et Arnaud Montebourg, il fut aussi question de politique. Mais de débat, il n’y en eut guère. Car les deux hommes semblent aujourd’hui d’accord sur bien des choses, et l’on assistait davantage au scellement d’une entente qu’à une confrontation.
Pour le belfortain, la question prioritaire aujourd’hui est celle de la monnaie unique. Invité sur Europe1 lundi 29 août, celui-ci déplorait qu’à La Rochelle, « aucun des candidats n’ait abordé la question centrale » de l’euro. On ne présente d’ailleurs plus les thèses de l’ancien ministre, rendu fort injustement célèbre pour son euroscepticisme supposé.
Pourtant, Chevènement n’est pas de ceux qui réclament une mise à mort immédiate de l’euro. Il en propose au contraire une dévaluation propre à sauver l’eurozone qu’une appréciation excessive face au dollar et au yuan asphyxie. Il se pose également en apôtre de la monétisation des dettes publiques, et salue le récent rachat, par la Banque Centrale Européenne, de titres de dette italienne et espagnole. Pour Chevènement, sauver la monnaie unique est donc le « plan A », dont le retour aux monnaies nationales et la transformation de l’euro en simple monnaie commune signerait un regrettable échec.
Quant à Arnaud Montebourg, il ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme : « un responsable politique peut craindre l’écroulement de l’euro, mais il ne peut pas parier là-dessus (…) je défends une stratégie de monétisation de la dette ». Il semble donc que les secousses estivales générées par la « nervosité des marchés » et par le second plan de sauvetage de la Grèce aient décillé celui dont Daoud Boughezala disait ici même avec raison : « Montebourg ne remet jamais explicitement en cause l’indépendance de la Banque Centrale Européenne. La responsabilité des gouvernements européens coupables d’une surévaluation de l’euro par rapport au dollar et au yuan n’est pas évoquée »
Tâcher de sauver l’euro en contraignant la BCE à intervenir quitte à violer de façon consciente et assumée les traités de Maastricht et de Lisbonne, tel semble être le principal point d’accord auquel ont abouti le jeune et le vieux lion. Auparavant, ils avaient d’ailleurs posé le même diagnostic : l’euro n’est pas une monnaie économique. Elle souffre d’un vice de conception qui a fait diverger gravement les économies de la zone, et la situation est aujourd'hui périlleuse. Toutefois, en tant que monnaie politique et quoiqu’il ne nous protège en rien, l'euro mérite d’être sauvé.
D’autres points de convergences se font jour entre le sénateur et le député. S’il n’est guère surprenant d’entendre Chevènement réaffirmer la nécessité, pour la France, d’une Défense indépendante, il est rassérénant d’écouter Montebourg déplorer « l’abaissement des fonctions régaliennes de l’Etat ».
On comprend, dans ces conditions, que l’aîné assure son cadet de son « estime », et qu’il ajoute : « il fraye les chemins de l’avenir ». On demeure un peu surpris lorsque ledit cadet se paye le luxe d’exhorter l’assemblée à « voter Jean-Pierre Montebourg » au premier tour de la primaire. Voici une héritage arraché de manière bien cavalière des mains de celui qui allait le donner. Pour autant, on aura compris combien les deux leaders entendent désormais faire front commun contre la mondialisation et le système néolibéral. Et l'on ne sera pas surpris, dans les jours qui viennent, d’entendre murmurer « Chevènement soutient Montebourg ».
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