samedi 18 juin 2016

Référendum britannique : quelles conséquences pour l'Europe ?






Par Jean-Claude Werrebrouck



Quel que soit le résultat du référendum britannique du 23 juin les conséquences seront considérables. Elles le seront d'autant plus en cas de Brexit bien sûr. Mais elles seront lourdes aussi en cas de maintien du Royaume-Uni dans l'UE, ne serait-ce que parce que la question de l'appartenance à l'UE aura été clairement questionnée pour la toute première fois.


L'hypothèse du maintien dans l’UE

Ce scénario n’est pas celui de la continuité car il marque le succès d’une stratégie de blocage de l’intégration vers toujours plus d’Europe.

Les britanniques en utilisant pour la première fois dans l’histoire un article du Traité sur le Fonctionnement de l'UE (TFUE) conçu pour ne jamais être utilisé (l'article 50 évoquant les conditions d’un départ) obtiendront un régime d’exception. Il n’est pas douteux que cette stratégie deviendra un chemin banal pour les pays qui, sans vouloir déserter, chercheraient à améliorer leur position dans l’édifice. L’UE européenne ne sera plus alors un bouc émissaire seulement désigné par les gouvernements nationaux. Elle sera, via la possibilité même qu'elle offre de la quitter et l'effroi que cela suscite chez les autres pays membres, concrètement utilisée. Et les forces de dislocation concurrenceront sans cesse davantage celles d’une intégration toujours croissante.

L'hypothèse du « Leave ».

Nous n'aborderons pas ici les résultats souvent négatifs proposés par la multitude des modèles qui se sont intéressés à la question. Calculer, comme le font la plupart, la prétendue diminution de PIB à partir de ce qu’on appelle une « augmentation des coûts du commerce international » - lui-même induit par un éloignement du marché unique - n’a guère de sens. L’effet potentiel du Brexit ne figure pas dans le registre du calculable. En effet, n’est en aucun cas calculable, le « solde » entre un PIB éventuellement plus faible et une  « démocratie plus grande » car affranchie des métarègles de l’UE.

Bien évidemment des conséquences économiques émergeraient rapidement, mais, pour autant, elles seraient maîtrisables. En effet on peut compter sur un courant spéculatif vigoureux, portant sur la vente d’actifs britanniques défavorables à la tenue de la livre. La balance courante structurellement déficitaire est jusqu’ici couverte par des achats d’actifs britanniques.  La réorientation spéculative du flux de capitaux entraînerait une forte chute de la livre, d’où probablement une forte hausse des taux, et une augmentation de l’épargne. Pourtant, cela ne serait pas forcément catastrophique et l’effet récessif attendu serait partiellement compensé par une amélioration de la compétitivité impulsée par la baisse du taux de change. Reste la question des taux sur une dette publique importante, question qui, elle non plus, n’est pas insoluble. Quoiqu'il en soit, il est impossible de déterminer le résultat économique global d’un tel événement tant il dépasse le domaine du quantifiable. En ces domaines, les modèles économétriques ne sont absolument pas sérieux.

A moyen terme, la place de Londres ne serait pas réellement menacée. Les difficultés que rencontrerait toute place se voulant concurrente sont colossales tant Londres a accumulé d'atouts: accumulation de compétences techniques en tous domaines sur un même lieu, qualité des infrastructures, liberté des rémunérations, adossement « naturel » sur des paradis fiscaux, etc…. La place de Paris malgré ses compétences humaines ne saurait rivaliser avec celle de Londres de l’après Brexit.

Toujours à moyen terme, la renégociation des accords avec l’Union européenne est parfaitement envisageable. Relevant d'un processus se déployant dans la durée (deux années selon l’article 50 du Traité), la sortie n’empêchera pas le maintien des contrats ou des normes, et permettra le maintien de toute une batterie d'activités tant il est vrai que l’esprit libre-échangiste sera maintenu [1].

On voit mal la France punissant la grande Bretagne en imposant des clauses restrictives sur les importations en provenance d’outre-Manche, au prétexte qu’il faut faire peur… au Front National. Et ce d’autant que l’excèdent français sur la Grande-Bretagne est important ( 8,4 milliards d’euros pour 2015) et présente un caractère d’exception puisque la France est déficitaire au regard de la plupart des grands pays partenaires. Ainsi, il ne sera pas dans l’intérêt de la France de gêner en quoi que ce soit l’épanouissement des intérêts britanniques jusqu’ici garantis par les textes existants.De même, on voit mal l’Allemagne punissant la Grande-Bretagne alors qu’elle exporte massivement ( 89 milliards d’euros en 2015) vers pays. Au contraire, tout sera fait pour ne pas gêner un client si important.

On peut donc supposer que le ton sera celui de la bienveillante dans les négociations de sortie. Et l’on se dirigera peut-être vers une intégration à l’Espace Economique Européen (EEE) voire à l’AELE (Association Européenne de Libre Echange). A défaut, l’issue sera celle d’accords classiques de libre-échange, en raison du fait que l'EEE et l'AELE maintiennent la liberté de circulation du travail, que la Grande-Bretagne cherche justement à maîtriser.

Du point de vue Britannique, la sortie correspondrait mieux à sa vocation libre-échangiste avec la possibilité de conclure des accords bilatéraux avec n’importe quel pays, ce qui n’est pas vrai aujourd’hui. Cela correspondrait aussi bien mieux à la réalité de l'économie du pays puisque plus de 50% de son commerce extérieur se réalise avec des pays étrangers à l’UE. La Grande-Bretagne retrouverait tout simplement sa vocation mondiale. Précisons enfin que cette dernière solution est probablement la plus avantageuse pour Londres en raison des énormes contributions financières correspondants à l’appartenance à l’EEE ou L’AELE.

Les conséquences politiques

Si le tabou de l'usage de l’article 50 est levé et qu’au surplus il aboutit à une sortie, il est clair que les forces de dislocation deviendront plus dangereuses. Pour leur répondre, les forces politiques intégratives seront déployées au maximum de leur potentiel [2]. La première de ces forces est bien sûr la motivation du personnel politico-administratif qui a fait carrière et trouve des débouchés rentables au sein de l'énormes pyramide institutionnelle qu'est l’UE. Elle sera très combative. Pourtant, elle sera aura sans doute du mal à définir la meilleure stratégie d’influence auprès des décideurs politiques nationaux. Pour éviter la désintégration - et donc pour se maintenir au sein de la pyramide institutionnelle européenne – faut-il préconiser davantage de fédéralisme ? A l'inverse, faut-il lâcher du lest, se contenter de ce que l'on a déjà et renoncer à toute course à l’approfondissement ?
Les choses ne seront donc pas simples car il faudra compter, à l’intérieur de chaque Etat, avec la montée des partis non-européistes voire sécessionnistes. Ainsi, la montée du populisme en Hollande freinera les ardeurs intégratrices du président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem. La montée de l’AfD en Allemagne rendra prudent le gouvernement correspondant. La montée du Front National agira de la même façon pour la France. On pourrait multiplier les exemples.

Surtout il faudra compter avec l’éternel problème de l’euro, cette monnaie dont on commence à avouer - avec 20 années de retard - qu’elle est « incomplète » …et probablement frappée d’incomplétude irrémissible, ce qui n’est pas encore clairement assumé.

On sait que la suppression des taux de change est la condition fondamentale de l’existence d’une monnaie unique entre nations différentes. A l’intérieur d’une nation, les déséquilibres régionaux ne posent guère de problème et des transferts existent - politiquement, ils sont parfaitement acceptés à l’intérieur d’un espace national -  entre régions excédentaires et régions déficitaires. La région déficitaire ne dévalue pas une monnaie nationale pour restaurer l’équilibre, mais bénéficie de la solidarité des régions riches de la même nation. Tel n’est pas le cas entre nations différentes où aucun espace de solidarité politiquement acceptable n’existe. Concrètement le bon fonctionnement de l’euro supposerait des transferts entre nation... des transferts qui seraient vécus comme illégitimes et scandaleux. Il n’existe pas d’espace de solidarité entre l’Allemagne et la Grèce. D’où les dysfonctionnements colossaux au sein de l'eurozone. En cas de Brexit, les schémas d’intégration renforcée prennent-ils en compte cet élément d’hétérogénéité qui rend irréaliste tout union de transferts ? Clairement, le réponse est non.

Tous les projets de renforcement de l'UE actuellement sur la table - près d’une dizaine - butent sur la question des transferts financiers. Certains militent pour un pouvoir revivifié, matérialisé par un authentique Parlement de la zone euro. D'autres plaident pour un gouvernement économique avec un budget important, une convergence fiscale et sociale, parfois même avec une assurance chômage centralisée, des dépenses d’infrastructures appuyées un véritable budget de la zone euro. Mais quelle que soit la solution retenue, il est évident que les dépenses correspondantes seraient de fait payés par les Allemands. Dès lors, on peut supposer que jamais l’Allemagne n’acceptera un Parlement authentique, capable de voter des recettes et des dépenses, un Parlement au sein duquel pour des raisons de simple arithmétique démographique, elle serait minoritaire.

***

On peut raisonnablement penser que s'il a lieu, le Brexit accélérera la mise à nu de l’existence d’un nœud gordien. La Grande-Bretagne sortie de l'UE, il ne demeure que deux pays importants : l’Allemagne et la France, de quoi imaginer l’instauration d’un rapport de forces nouveau. Mais alors soit l'Allemagne, aiguillonnée par la France, accepte la mise en place de règles nouvelles inculant des transferts massifs, soit la zone euro disparaît.

Quoiqu'il en soit, la simple tenue du référendum britannique éloigne un tabou. Elle permet de poser des questions jusqu’ici interdites. Elle fera naître des questions chez les peuples, et peut-être un désir accru de liberté. Ce désir, les appareils politico-administratifs nationaux et communautaires tenteront de le contenir en démasquant encore un peu plus, à leur corps défendant, le nœud gordien de l’euro.

Ce qui contribuera à accélérer la décomposition de l’UE telle qu’historiquement constituée....


[1] Et cette bienveillance demeurera en dépit de la colère et des rodomontades de certains comme celle par exemple de l’eurodéputée Sylvie Goulard. Celle-ci vient d’écrire une charge contre le Premier ministre Britannique, Goodbye Europe (Flammarion), dont voici un court extrait qui donne le ton : « Un premier ministre britannique récalcitrant en difficulté avec son propre camp, dicte ses conditions et voilà que 27 dirigeants et toutes les institutions européennes cautionnent un discours de dénigrement et cèdent au chantage. C’est extravagant ».

[2] Il faut en effet bien voir que ce serait historiquement le premier référendum sur l’Europe organisé dans un grand pays, qui serait suivi de conséquences réelles. D’autres référendums ont eu lieu, notamment celui du 29 mai 2005 en France, mais ils ont toujours terminé leur parcours dans les oubliettes. Ce ne serait pas le cas d’un Brexit.


[ On peut retrouver Jean-Claude Werrebrouck sur son blog ]



3 commentaires:

  1. C'est quand même bien " c'est dans l'air " du 17 juin !

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  2. Denis Monod-Broca19 juin 2016 à 02:58

    L’Europe a une apparence, celle d’un Etat fédéral en construction, et elle a une réalité, celle d’un trop commode fétiche, dont on attend tout, auquel on reproche tout.

    Commission, Parlement, Cour de Justice, Banque Centrale, hymne, drapeau… : les apparences d’un Etat y sont mais seulement les apparences. L’Union Européenne n’est pas un Etat. Elle ne le sera sans doute jamais. L’occasion est passée. Faute d’un peuple, faute d’une nation, on ne peut que faire semblant, que faire comme si. On ne s’en prive pas.

    Le fétiche, lui, est bien réel. Il est de toutes les discussions, de tous les programmes. On attend tout de lui : puissance, protection, paix, prospérité, et tant d’autres bienfaits. Et quand ça va mal, tout est de sa faute, on l’accuse de tout et de son contraire. Il est un bouc-émissaire idéal, tout-puissant, toujours à disposition.

    Remain or Leave ? A quoi penseront les électeurs au moment de voter ? A l’apparence ou à la réalité ? On vante le pragmatisme des Britanniques. Ils se pourraient qu’ils votent à la fois contre l’apparence de l’Europe, même si elle n’est qu’apparence, tant elle est contraire à l’idée qu’ils se font de leur propre souveraineté, et contre la réalité de l’Europe, ce fétiche objet d’une foi irrationnelle, si contraire à la manière empirique qu’ils ont de voir le monde, et de défendre leurs intérêts...

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  3. Si le brexit ne passe j'ai bien peur que les bureaucrates européens
    Tente de se venger un peu sur les brittaniques et beaucoup sur les peuples et les pays qui ont des velléités de résistance

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