jeudi 18 décembre 2014

Michel Sapin nie être un Fraggle Rock, l'aile gauche du PS sceptique.



Le ministre des finances Michel Sapin

En dépit de nombreuses allégations, le ministre des Finances Michel Sapin continue à nier tout lien avec les Fraggle Rock et dénonce une entreprise de déstabilisation. A mots couverts, il invoque l'action de la mafia albanaise dans cette ténébreuse affaire.

L'aile gauche du parti socialiste demeure sceptique. L'un de ses représentants, qui a préféré garder l'anonymat, affirme avoir de nombreux indices témoignant que Sapin est un Fraggle. 

Des indices ? On se demande bien lesquels....


Comment l'Europe devient un nouvel empire allemand....






« Non à l’Europe allemande ! ». Cette courte phrase fit un temps office de formule magique Outre-Rhin, de mantra que psalmodièrent tour à tour, comme pour éloigner le mauvais œil, Wolfgang Schäuble, l’ancien président de la République fédérale Richard von Weizsäcker ou le sociologue Ulrich Beck dans un ouvrage court et vigoureux

Pour éloigner le mauvais œil ou… pour tenter de nier cette évidence : l’Union européenne est en train de se muer quasi-empire allemand. Un empire soft, évidemment. Ou un « empire nonimpérial » selon la formule un jour employée par l’ancienPrésident de la commission européenne José Manuel Barroso. Car les arts marchands ont remplacé l’art martial et le rang hiérarchique ne se conquiert plus par les armes. Il est directement indexé sur les succès – ou les infortunes – économiques.

Or les succès sont germaniques. En dépit des faiblesses qu’on commence à lui reconnaître et qui ne peuvent manquer d’inquiéter (1) (extrême dépendance d’une économie exportatrice aux variations de la demande mondiale, insuffisance des investissements publics qui augurent mal de l’avenir), l’économie allemande, avec l’aide d’un euro taillé tout spécialement selon ses besoins, est devenue si supérieure qu’elle exerce sur ses voisins une authentique fascination. Dès lors, le modèle austéritaire allemand s’impose partout. Et l’on ne jure, pour tenter de faire repartir l’économie européenne, que sur une sorte de « malthusianisme comptable » qui consiste à ambitionner la baisse continue d’à peu près tout (le taux d’endettement, les déficits, les salaires…). Or, si la recette est adaptée à une nation de vieux épargnants soucieuse de consolider ses excédents de maintenir une inflation faible, elle s’avère mortifère pour la plupart des « partenaires » européens de l’Allemagne.

Malgré tout, lesdits « partenaires » persistent dans une rigueur mimétique qui en dit long sur l’ascendant psychologique exercé par Berlin et sur la servilité du reste de l’Europe. Par ailleurs, non contents de singer benoitement le grand voisin, nombre de pays européens consentent également à payer l’impôt habituellement prélevé par les empires sur leurs populations pacifiées. Ils le payent en argent : il n’y a qu’à voir les excédents commerciaux engrangés par Berlin sur ses voisins pour s’en convaincre. Et ils le payent en hommes. Car l’Allemagne, qui s’était déjà spécialisé dans l’usage à son profit de la main d’œuvre à bas coûts des pays de son hinterland d’Europe de l’Est, importe également, désormais, des travailleurs d’Europe du Sud fuyant la crise, qui aident à pallier le déficit démographique germanique.

Il faut dire qu’en bâtissant cet entrelacs d’institutions techniques que constitue l’Union européenne, on a offert à l’Allemagne un redoutable accélérateur de puissance. Au gré des différentes étapes que constituèrent la réunification, la création de la monnaie unique puis la crise de l’eurozone, la République fédérale a lentement étendu son pouvoir sur l’Europe institutionnelle, au cours d’un processus où l’on peine à faire la part des choix volontaires et du simple enchaînement déterministe des causes et des effets.

Quoiqu’il en soit, au terme de ce que Tony Corn, un rien provocateur, appelle un « Anschluss aimable et doux »  les intérêts de l’Union européenne et ceux de l’Allemagne se trouvent désormais superposés. Ce pays domine d’une tête le Parlement européen dont le Président, son directeur de cabinet et le secrétaire général sont allemands. Tout comme le président de la Banque européenne d’investissement (BEI) et le directeur général du Mécanisme européen sont allemands (MES). Ailleurs, ce sont des représentants de la zone d’influence immédiate de l’Allemagne qui ont été imposés par Angela Merkel : le polonais germanophone Donald Tusk à la présidence du Conseil et le luxembourgeois Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne. La France, elle, a dû se contorsionner pour réussir à fourguer Pierre Moscovici à la Commission. Encore est-il flanqué de deux supérieurs hiérarchiques respectivement originaires d’Europe de l’Est (Vladis Dombrovskis, Lettonie) ou du Nord (Jyrki Katainen, Finlande)….

Economie de restrictions tous azimuts qui semble partie pour engendrer une longue et sévère période déflationniste, crise politique profonde liée à l’enserrement des souverainetés nationales dans un écheveau institutionnel sur lequel l’Etat le plus puissant a réalisé une OPA, l’Union européenne s’est muée en véritable trou noir économique et démocratique. Il ne lui reste plus, pour parfaire le tableau, qu’à devenir un trou noir géopolitique.

Ce funeste défi, elle semble en passe de relever en se brouillant avec de larges parties du monde. C’est déjà le cas à l’Est : la gestion erratique des relations avec la Russie contribue déjà à convaincre ce pays, déjà bien installé dans des cénacles tels que l’Organisation de coopération de Shanghai ou l’Apec, que sa vocation est asiatique plus qu’Européenne. Et cela se fera d’autant plus facilement que le dynamisme de l’Asie est autrement plus engageant que la progressive fossilisation de l’Europe. Mais ce pourrait finir par être également le cas à l’Ouest. Car les Etats-Unis, qui ont renoué avec la croissance, ne peuvent manquer de pâtir, à terme de la stagnation européenne. Les Américains ont d’ailleurs été les premiers à s’alarmer, dès 2013, des excédents commerciaux allemands. Ils n’ont de cesse, depuis, de demander à la République fédérale de relancer sa demande intérieure. En vain.

Les responsables politiques français, eux, se montrent sans cesse plus empressés d’avaliser cet état des choses, enfermant l’Hexagone dans le rôle humiliant de « poltron décisif » (Lordon) ou de de « poule mouillée de l’Allemagne » (Steve Ohana). C’est en Allemagne – et non à Bruxelles – qu’on se rend pour défendre les choix économiques français, pour obtenir des indulgences sur le projet de budget français bref, pour faire allégeance. Le très europhile Jean Quatremer s’en désole en ces termes : "en ignorant Bruxelles, Paris reconnait tout simplement que la réalité du pouvoir est désormais à Berlin. Une étrange capitulation qui n'est pas sans risque pou l'avenir de l'Europe". 

Pour l'avenir de l'Europe et... pour celui de la France. Car le jugement de l'Histoire, on l'a parfois vu, peut être assez dur pour les capitulations. 

(1) On pense notamment au livre de l’économiste Marcel Fratzscher, Die Deutschland illusion (Allemagne, l’illusion), paru il y a quelques semaines. 


vendredi 5 décembre 2014

Entretien sur le site Philitt





Voici un entretien réalisé avec le site PHILITT et dont je reproduis ici le début.

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PHILITT : Les instances européennes ont plusieurs fois dénigré la démocratie. Qu’est-ce que cela nous dit de la nature du pouvoir supra-national ?
Coralie Delaume : Au lieu de dire que les instances européennes « dénigrent » la démocratie, sans doute est-il plus juste d’exprimer les choses ainsi : la manière dont est organisée l’Europe institutionnelle est contraire aux principes de la démocratie. Pour plusieurs raisons. La première relève d’une logique enfantine : si « démocratie » signifie « pouvoir du peuple », alors on ne peut avoir une démocratie que si on a un peuple. Ce qui n’est pas du tout le cas en Europe aujourd’hui. Il n’y a pas un peuple européen mais 28…. D’ailleurs, lesdits peuples ont bien conscience du caractère étrange de notre Union européenne. Ils ne se sentent absolument pas représentés par le Parlement de Strasbourg par exemple. Les taux d’abstention relevés lors du dernier scrutin européen en témoignent, plus encore que le bon score des partis dits « eurosceptiques ». Il faut dire que l’Assemblée de Strasbourg est un curieux ersatz. Outre le fait qu’elle ne représente personne, elle ne dispose même pas, à l’inverse des Parlements véritables, de l’initiative des lois européennes.
Il y a ensuite les autres institutions. La Banque centrale européenne, par exemple, est une banque de type fédéral, mais dont la particularité est de n’être adossée à aucun État fédéral. Elle échappe donc à tout contrôle démocratique puisqu’elle n’est pas aux ordres du politique. Son président Mario Draghi conduit de manière autonome la politique monétaire de la zone euro, en fonction d’objectifs qu’il se fixe à lui-même. Pour tout ce qui concerne la monnaie, ce ne sont donc pas des élus qui décident, c’est un banquier…
De la Commission européenne, il est dit dans les traités qu’elle représente « l’intérêt général européen ». Quel est-il ? Si l’on appartient au club des joies simples et que l’on se réfère aux canons de la philosophie rousseauiste, on aura bien du mal à répondre. Car l’intérêt général, en principe, c’est celui d’un peuple. Et c’est la délibération démocratique qui permet de le formuler, cette délibération ayant généralement lieu dans une Assemblée. Non dans une structure technique comme la Commission qui demeure, qu’on le veuille ou non, une grosse administration.  Quand il n’y a ni peuple ni délibération, l’intérêt général, on peut le chercher longtemps !
Quant à la Cour de justice de l’Union, elle s’occupe d’émettre du droit jurisprudentiel, qu’elle invente tranquillement dans son coin, sans que les citoyens la dérangent beaucoup. Puis les États membres doivent appliquer ce droit. Or, quelle est la légitimité de ce droit, qui n’émane pas d’un législateur (d’une Assemblée représentative) mais, là encore, d’une administration supranationale ?
Il y a donc un problème démocratique évident au sein de l’Union européenne. Un très gros problème, même, dont je m’étonne qu’il n’affole pas davantage les responsables politiques nationaux !



La suite ICI....


lundi 6 octobre 2014

Si la Commission européenne retoquait le budget 2015 de la France....






Jadis, il se disait que le consentement à l'impôt était au principe même de la démocratie. De même, en ces temps reculés, alors qu'on circulait encore à cheval, que les princes charmants combattaient encore des dragons et qu'on utilisait le Minitel pour draguer en ligne, beaucoup de gens croyaient que le vote du budget de l’État était l'une des principales prérogatives des représentants de la nation, c'est à dire du Parlement.

Mais ça, comme dirait l'autre, c'était avant.

Maintenant c'est différent. On a modernisé ces vieilles pratiques car elles sentaient la poussière. Elles n'étaient pas très fun, elles n'étaient pas très wizzz, elles n'était pas très « my government is pro-business ». Par chance, l'Union européenne vint, qui nous aida à venir à bout de ces rigidités.

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Le six pack (oh yeah) et le two pack (come on babe) sont une série de textes votés par le Parlement européen en 2011 et 2013 et qui ont largement accru les prérogatives de la Commission européenne en matière budgétaire. En vertu de ces directives et règlements, celle-ci peut désormais poser son regard velouté de jeune biche sur les projets de loi de finances des différents États-membres, avant même que lesdits projets aient été examinés par les Parlements nationaux. Ceci constitue, chacun s'en doute, un grand pas en faveur de « la démocratisation des institutions européennes » et du « rapprochement de l'Union et des citoyens » tant désirés par les Bruxello-militants.

C'est à ce petit jeu intrusif que se livre actuellement la Commission. Et c'est à la faveur de ces pouvoirs flambant neufs qu'elle devrait, apprend-on, demander à la France :
- de corriger son projet de budget,
- à défaut, de payer une amende pouvant aller jusqu'à 4 milliards d'euros,
- et pour finir, pan-pan cucu, un suppo et au dodo.

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Par chance, en termes d'affront, la France a pu bénéficier d'un entraînement préventif taillé sur mesure : elle a d'abord dû supplier pour parvenir à caser un Français – Pierre Moscovici – à un poste économique au sein de l'exécutif européen. Puis elle a dû accepter qu'il soit flanqué de deux supérieurs hiérarchiques1, tous deux conservateurs et respectivement issus des Pays Baltes et d'Europe du Nord. Elle le verra peut-être enfin se faire recaler malgré tout, après qu'il se fût prêté à une audition devant les parlementaires européens jugée peu convaincante par iceux.

Bien sûr, ce ne sont là que vétilles comparé à l'impact qu'aurait une censure du projet de loi de finances, qui constituerait un viol caractérisé des prérogatives du Parlement français. Que ceci soit tacitement accepté par avance et par tout le monde, qu'on ne se rappelle avoir entendu personne protester contre l'adoption des six et two packs n'y change rien. L'humiliation serait totale.

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Surtout, cela constituerait un magnifique « deux poids, deux mesures » dans la manière dont les experts-comptables de Bruxelles mènent leurs expéditions punitives. En effet, la Commission n'est pas censée sanctionner les seuls déficits, mais l'ensemble des déséquilibres macroéconomiques. Dont les excédents excessifs font évidemment partie puisqu'ils contribuent également à déstabiliser l'économie de la zone euro. En principe, il est donc interdit à un pays membre d'afficher un solde de ses comptes extérieurs courants supérieur à 6 % de son PIB pendant plus de trois ans.

Un pays, pourtant, s'affranchit de cette règle dans l’allégresse et dans la longue durée. Il s'agit bien sûr de l'Allemagne, qui détient - devant la Chine - le record du monde en matière de surplus commerciaux et qui devrait afficher un excédent courant de 7,2 % de son PIB cette année. Un chiffre qui alarme beaucoup de monde puisque les États-Unis s'en sont émus dès 2013, suivis du Fonds monétaire international. Même l'austère patron de la Banque centrale allemande, Jens Weidmann, semble avoir plaidé un temps pour en rabotage de la compétitivité allemande relative, puisqu'il proposait en juillet dernier que les salaires soient augmentés de 3 % dans son pays.

La Commission Barroso, quant à elle, envisagea furtivement des sanctions à l'encontre de Berlin. Depuis, on n'a guère de nouvelles, au point qu'on a envie d'oser cet audacieux questionnement : « outé sanctions, outé ? ».

Las, on peut s'autoriser à douter que Jean-Claude Juncker qui doit son poste de président de la Commission à Angela Merkel tout comme il lui doit la possibilité-même d'y avoir été candidat2, se hasarde à exhumer cet épineux dossier. Et l'on s'interroge derechef : outé, impartialité, outé ?


1 Les deux patrons de Pierre Moscovici sont le Finlandais  Jyrki Katainen, désormais vice-président de la Commission chargé de l'emploi et de la croissance, et le Letton Vladis Dombrovskis, vice-président chargé de l'euro et du... dialogue social (si, si....).

2 Angela Merkel a d'abord imposé que Jean-Claude Junker soit le candidat du PPE au poste de Président de la Commission car elle ne voulait en aucun cas de Michel Barnier. Elle a ensuite imposé que Junker soit effectivement nommé, en dépit de l'opposition farouche de la Grande-Bretagne.   


lundi 29 septembre 2014

Répliques, France culture : qu’est ce qu’être européen ?






Ci-dessous, le lien vers le replay de l'émission Répliques de samedi dernier où je débats avec Bernard-Henri Lévy autour du thème "Qu'est-ce qu'être européen ?" :




dimanche 7 septembre 2014

Ce soir ou jamais






J'étais invitée vendredi soir dans Ce soir ou jamais sur le thème " pourquoi avons-nous l'impression de vivre la rentrée la plus catastrophique de la Vème République ? ".

Pour voir le replay, c'est ici : CLICK CLICK.

( Sinon, j'ai un peu mis ce blog en sommeil parce que je manque de temps actuellement - le boulot, ce sot besoin de manger trois fois par jour donc de gagner sa croûte, tout ça - mais je le rouvre dès que je le retrouve la possibilité ! )


jeudi 26 juin 2014

Radio : à quoi ont servi les élections européennes ?



C'était le titre d'une émission (Du grain à moudre) qui avait lieu mardi soir sur France culture, et où nous causâmes un brin. Pour écouter, c'est ici : CLICK CLICK

jeudi 22 mai 2014

Europe, les Etats désunis à la radio






Voici deux émissions de radio où l'on en a causé : 

- Le Grain à moudre du 12 mai sur France Culture, avec Guy Verhofstadt et Guillaume Duval, 

- Là bas si j'y suis du 21 mai avec Aurélien Bernier. 


Bonne écoute....

jeudi 15 mai 2014

Pour sortir de l'européisme à la papa



Ceci est la version longue d'une tribune parue dans Le Figaro du 9 mai.


A la veille des élections européennes, d'aucuns s'affairent à nous expliquer combien le scrutin du sera important. Ils nous expliquent que la nouvelle majorité au Parlement européen conditionnera, pour la première fois, la désignation du président de la Commission, ce qui constituerait une avancée substantielle de la démocratie. C'est prendre ses rêves pour des réalités. Le président de la Commission européenne sera soit Martin Schultz soit Jean-Claude Junker, tous deux représentant le vieil européisme de papa. Entre eux, il faut chercher les différences à la loupe, comme l'a montré le débat télévisé d'un ennui poisseux qui les a « opposés » le 9 avril dernier.

Si l'on surestime l'élection à venir, c'est qu'on surestime également le rôle de l'Assemblée de Strasbourg. Aussi faut-il le rappeler, celle-ci n'a pas l'initiative directe des « lois européennes ». Elle vote certes le budget de l'Union mais celui-ci est dérisoire : à peine 1 % de la richesse de l'UE. Le Parlement européen de peut pas non plus modifier les traités. Bref, il est bien plus une chambre d'enregistrement qu'un organe décisionnel. Son élection au suffrage universel direct sert essentiellement à tenter de légitimer - sans grand succès - un édifice communautaire technocratique et désincarné.

Il ne pouvait en être autrement. Le Parlement européen ne peut-être autre chose qu'un colifichet. Il ne peut être une véritable assemblée représentative puisqu'il n'est pas l'émanation du peuple européen. Et pour cause : un tel peuple n'existe pas. L’Europe en agrège vingt-huit. Le simple fait que les élections européennes se déroulent dans le cadre national des 28 États-membres en témoigne sans ambiguïté. Aussi ne saurait-il y avoir d'authentique démocratie européenne. C'est un pléonasme mais il faut le dire malgré tout : « démocratie » signifie littéralement « pouvoir du peuple ». Or à défaut de peuple communautaire, il ne peut y avoir de démocratie communautaire.

Bousculer l'ordre juridique européen

Voilà pourquoi l'Europe telle qu'elle a été conçue est un trou noir démocratique. Voilà pourquoi la défiance des citoyens ne cesse de grandir et pourquoi il faudra bien, un jour où l'autre, remédier à cette situation.

Il faudra sans doute pour cela revoir l'édifice institutionnel, quitte à modifier en profondeur le droit de l'Union européenne. Bien qu'on prétende souvent le contraire, les traités européens priment de fait sur les Constitutions nationales. La Constitution française, pour ne citer qu'elle, a déjà été modifiée cinq fois depuis 1992 afin d'être rendue eurocompatible. Quant au droit dit « secondaire » (les directives et les règlement), il prime également sur les droits nationaux depuis que la Cour de justice de Luxembourg en a décidé ainsi dans son arrêt Costa contre ENEL de 1964. Une décision jurisprudentielle de la Cour, prise en dehors de tout contrôle démocratique, jamais débattue et jamais contestée depuis.

Ceci ne saurait durer éternellement. L'ordre juridique européen doit être revu de manière à ce que les règles de droit édictées au nom des citoyens par de vrais parlementaires - autrement dit par des parlementaires nationaux – ne puissent être coiffées par des normes supranationales à la légitimité démocratique douteuse. Quitte à l'admettre une foi pour toute : l'Europe ne pouvant devenir à ce stade un État fédéral, elle doit demeurer pour l'heure une organisation internationale, respectueuse de la souveraineté de ses membres.

Faire de deuil de l'euro

Il faudra également se défaire de l'euro. On s'accorde aujourd'hui sur un certain nombre des tares de la monnaie unique, en particulier sur sa surévaluation. Mais si l'euro, à 1,38 dollar, est effectivement très cher pour la France et pour les pays du Sud, il ne l'est pas pour toute la zone. Étant donné la structure de l'économie allemande il ne l'est pas, par exemple, pour la République fédérale. Dès lors se pose le problème suivant : des pays économiquement très divers peuvent-ils avoir en partage une seule et même monnaie ? L'expérience des crises récentes tend à indiquer que la réponse est négative.

Mais on peut aller plus loin. Car le problème de l'euro ne se pose pas qu'en termes économiques. Au delà des agrégats, des ratios et autres arguments techniques, la véritable question est la suivante : est-il raisonnable d'affubler d'une monnaie unique des peuples différents, ayant des modalités de formulation de leur contrat social dissemblables ?

Car la monnaie n'est pas qu'un simple outil. Elle est aussi un élément essentiel de la souveraineté et accompagne l'histoire propre d'un pays. Dès lors, il est sans doute illusoire de vouloir faire cohabiter dans une monnaie unique des pays dont les trajectoires à moyen terme divergent. Il n'est qu'à voir le couple franco-allemand - ou ce qu'il en reste. L’Allemagne, dont la démographie décline, ne peut avoir qu'un objectif de long terme : parvenir à gérer sa population âgée. Pour ce faire, notre voisin a besoin d'engranger aujourd'hui les excédents commerciaux qui paieront les retraites de demain. Elle a également besoin d'une inflation faible qui garantisse la valeur de son épargne. Aussi est-elle attachée à une politique monétaire restrictive. La France, elle, bénéficie d'une démographie plus dynamique, qui rend nécessaire une croissance, des créations d'emplois et une inflation supérieures. Comment une politique monétaire unique conviendrait-elle à ces deux pays ?

Encore l'eurozone ne compte-t-elle pas deux membres mais dix-huit, dont fort peu (sans doute aucun) ne semblent prêts à faire le saut budgétaire fédéral susceptible de la rendre viable.

Parler à nos partenaires

A terme, la zone euro est condamnée. Il serait donc plus raisonnable de la démanteler dès à présent que d'attendre passivement qu'elle n'explose dans le plus grand désordre. Encore faut-il en convaincre nos partenaires. C'est la responsabilité de la France que de s'y employer : en tant que pays charnière entre l'Europe du Nord et celle su Sud, elle est en effet la mieux placée pour dialoguer à la fois avec l'Europe méditerranéenne et avec l'Allemagne.

Sans doute les Allemands seront-ils difficiles à convaincre tant il est vrai qu'un retour aux monnaies nationales entraînerait une réévaluation de la leur, renchérirait leurs exportations et contrarierait leur stratégie mercantiliste, donc leur intérêt à court terme.

A long terme toutefois, la dernière chose dont l'Allemagne ait besoin est d'une Europe qui bascule dans le chaos. Située au centre du continent, elle en serait évidemment victime. Exerçant le leadership économique de fait, sans doute en serait-elle également tenue pour responsable. Aussi ne peut-elle souhaiter qu'une spirale déflationniste létale se s'empare de l'Europe du Sud.

Quand à la mutualisation des dettes souveraines, dont l'Allemagne a toujours assuré ne vouloir à aucun prix, elle a été réalisée à bas bruit au travers du Mécanisme européen de stabilité (MES), que la République fédérale garantit à hauteur de 190 milliards d'euros (et la France à hauteur de 142 milliards tout de même !..). Une nouvelle crise des dettes du Sud coûterait assurément fort cher à tout le monde, y compris à ce contribuable allemand qu'Angela Merkel est pourtant si soucieuse de préserver.

Peut-être y a-t-il donc là, pour la France, matière à argumenter. On a fait trop peu de cas de cette remarque profondément lucide et iconoclaste dela chancelière allemande lors du conseil européen de décembre 2013 : « tôt ou tard, la monnaie explosera, sans la cohésion nécessaire ». Puisqu'elle le sait déjà, pourquoi ne pas en discuter ? 

lundi 5 mai 2014

L’Européisme : une idéologie de substitution pour la droite comme pour la gauche


eurobéât
Ci-dessus, une affiche à la gloire des fameux « eurobéâts »

Cet article est initialement paru sur le site de LaCroix.com

Le débat européen s’ouvre peu à peu et l’on peut désormais se risquer à émettre des doutes quant à la nature – antidémocratique et économiquement inégalitaire – de la construction européenne actuelle sans risquer le discrédit de soi-même et de ses descendants sur quatre ou cinq générations. Pourtant, force est de l’admettre : cette liberté de parole est récente. Longtemps, ce débat a fait l’objet d’un véritable phénomène d’occultation. Quelles en sont les raisons ?
On peut donner plusieurs explications, la principale résidant dans l’étonnante capacité de l’idée européenne à fournir à qui les lui demande les moyens d’une bonne conscience à peu de frais. Bien sûr, à ses débuts, l’Europe apparaît comme une opportunité de rédemption indispensable et l’occasion de sortir définitivement du tunnel guerrier de 1914-1945. Mais aujourd’hui encore, et c’est plus étonnant, sa seule invocation permet d’apparaître à qui en use comme l’heureux dépositaire d’une sorte de supplément d’âme.
C’est très commode pour qui entend camoufler certaines de ses préférences idéologiques. A la droite de l’échiquier politique par exemple, l’Europe a bon dos. Elle permet de dissimuler une prise de distance progressive d’avec la tradition gaulliste, et l’abandon d’une certaine idée de la grandeur et de l’indépendance nationales au profit d’un ralliement aux puissances de l’argent. C’est un secret de polichinelle : les principes économiques d’inspiration néolibérale dominent la construction européenne. Celle-ci est devenue un fer de lance de la « concurrence non faussée » et de la croyance en la réalisation de « l’allocation optimale des ressources » par les marchés de capitaux. Tout le monde le dit désormais, au point que ça semble une antienne. A moins que ce ne soit simplement une réalité ? Quoiqu’il en soit, pour ceux que cela réjouit sans qu’ils l’assument tout à fait, c’est une aubaine que de pouvoir dissimuler leurs préférences sous quelques grands principes et une poignée de mots ronflants. Lorsqu’on est acquis à la « libre circulation des marchandises et des capitaux », quelle chance de pouvoir faire croire qu’on aime en réalité la Paix et la Démocratie – majuscules, toujours majuscules.
A gauche, l’idée d’Europe tient un double rôle. Elle sert à la fois de cache-misère et d’idéologie de substitution. De cache-misère car elle permet, ici aussi, d’escamoter un ralliement sans condition aux préceptes néolibéraux. La gauche actuellement au pouvoir, qui n’a, pour tout projet de société, que la réduction des déficits publics à 3 % du Produit intérieur brut, est trop heureuse de pouvoir imputer à « Bruxelles » son manque sidéral d’ambition. Mais L’Europe lui tient également lieu de Grand Dessein par défaut, cependant que l’expérience soviétique semble avoir disqualifié le socialisme. Exclusivement soucieuse, désormais, de paraître respectable, la gauche s’est crue obligée de jeter le bébé avec l’eau du bain et de tout bannir sans distinction, l’intégralité des thèses marxistes et l’horreur stalinienne, la défense du peuple et le souvenir traumatisant du Goulag.
On nous a rebattu les oreilles avec la thématique de « la fin des idéologies ». C’était une erreur. Les lunettes déformantes de l’idéologie, qui brouillent la vision et altèrent le jugement, sont toujours là. L’européisme est bel et bien une idéologie, qui a pris la place d’autres, tombées en désuétude. Elle en a les caractéristiques et, comme toute religion séculière, elle a ses adeptes. Elle a aussi son clergé, prompt à poursuivre de sa vindicte les blasphémateurs, ceux qui osent mettre en doute la sacralité de l’objet révéré : l’Union européenne.
Mais la communion de la droite et de la gauche dites « de gouvernement » dans l’idolâtrie sans condition de l’UE ne va hélas pas sans poser problème. Elle contribue à accréditer la thèse défendue par le Front national selon laquelle il existe une collusion de « l’UMPS ». Le FN se présente évidemment comme la seule voix divergente, donc la seule alternative possible. A quelques semaines d’élections européennes qui risquent de se solder par un triomphe du parti d’extrême-droite, peut-être serait-il temps de prendre enfin conscience de ce phénomène, ne serait-ce que pour pouvoir y porter remède.
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Afin de poursuivre cette palpitante réflexion, la maison vous propose également du son et des images. Pour en savoir plus, prenez votre élan puis cliquez fort sur le lien joint et découvrez avec émerveillement une vidéo : CLICK.


vendredi 2 mai 2014

Le tabou de l'Europe désunie


Voici un entretien réalisé dans les studios de Xerfi canal, une chaîne de télé web dédiée aux questions économiques qui mérite d'être suivie assidûment.





lundi 28 avril 2014

La « godwinisation » du débat européen




Ce texte a d'abord été publié sur le site du journal La Croix

On assiste, depuis longtemps déjà, à une sorte de « godwinisation » du débat public, notamment du débat européen. Cette « godwinisation » aboutit à ce phénomène presque systématique : on est disqualifié aussitôt que l’on tente de mettre en cause le bien fondé de la construction européenne. Ou même seulement d’en pointer les faiblesses. Exprimer un désaccord, oser formuler un doute équivaudrait, selon certains, à « faire le jeu des extrêmes ».
C’est que l’Europe telle qu’elle s’est construite fait la part belle à deux choses étonnamment complémentaires : la technique d’une part, la morale d’autre part. C’est au nom de la seconde qu’il apparaît indécent de pointer les errements de la première.
Il semble en effet que la politique ait déserté notre continent. Non seulement on est en panne de volontarisme, mais on est même en panne de projet, en panne de dessein collectif, en panne d’idée directrice susceptible de mobiliser le corps social. La construction européenne actuelle est un édifice littéralement post-politique. C’est pour cela que technique et morale y règnent sans partage.
D’abord la technique :
Son omniprésence est évidente dans cette Europe qui est avant tout est une Europe de l’économie et du droit. Le fait que l’euro, monnaie fédérale créée sans qu’existe préalablement un Etat fédéral, soit considéré comme la réussite européenne majeure, en est un signe. On a cherché à fabriquer une Europe instrumentale, en s’imaginant que la mise en commun d’un outil monétaire suffirait à créer du lien, à générer du sentiment d’appartenance. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le résultat est mitigé !
On a également multiplié les institutions à caractère technique, pour ne pas dire technocratique, comme la Commission européenne, la Banque centrale, la Cour de justice de Luxembourg. Certaines, notamment la BCE ont conquis une très grande autonomie. Mario Draghi est un homme puissant. Sa voix a du poids. A l’été 2012, au plus fort de la crise des dettes souveraines, il a suffit qu’il dise qu’il ferait « tout ce qui est nécessaire » pour sauver l’euro pour qu’immédiatement, les marchés soient apaisés. C’est là une prouesse qu’un chef d’Etat ou de gouvernement de l’eurozone aurait été incapable d’accomplir.
Mais la question suivante se pose alors : si le patron de la Banque centrale européenne possède une indéniable légitimité technique, quelle est sa légitimité démocratique ? Est-il élu ? En aucune façon. Devant qui est-il responsable ? On ne sait pas. De quel intérêt général est-il garant ? On l’ignore tout à fait.
Mario Draghi est un technicien, un expert. En dépit du poids considérable que l’institution qu’il dirige et lui-même ont acquis au sein de l’eurozone, il n’est en aucune façon un responsable politique.
 Ensuite la morale :
Evidemment, l’effarante primauté accordée, au sein de notre Europe, à la technocratie, est difficile à admettre et à faire admettre. Elle heurte violemment la conscience démocratique des populations. Ainsi a-t-on trouvé, pour rendre cet état de fait acceptable, un habile stratagème. On a enrobé tout cela dans un discours enjôleur et moralisant.
Et l’on abuse du recours au lyrisme et de l’énoncé de grands principes, évidemment incontestables : l’Europe c’est « l’Union des peuples libres », c’est « le respect de la dignité humaine ». L’Europe c’est « la Paix ». De sorte qu’il devient éminemment suspect de formuler une critique. Qui prendrait le risque, en effet, d’apparaître comme un adversaire de la Paix ? Ou de la dignité humaine ? Ou de l’amitié entre les peuples ?
Voilà donc pourquoi la technique et la morale marchent ensemble. L’une sert à rendre l’autre présentable. Mieux : la morale sert à disqualifier tout adversaire putatif du triomphe de la technique et à décourager, en les faisant apparaître d’avance comme scandaleux, tous ceux qui oseraient questionner certains dogmes.
Hélas, tout ceci n’a finalement qu’une conséquence : l’atrophie du débat, elle-même caractéristique de la mort du politique.

jeudi 17 avril 2014

Europe, les Etats désunis





Radio
Ça causait "Europe, les Etats désunis" lundi dernier dans Les matins de France culture.
Pour réécouter, le podcast se trouve au bout de ce lien : CLICK

Voyage, voyage
On  a aussi traversé La Manche sans même s'en apercevoir. Il semble en effet qu'Ambrose Evans-Pritchard, du Telegraph, ait repéré le bouquin...

Recensions
Et sinon, quelques recensions dans la presse française : La Tribune, FranceTV info, Causeur et sur les blogs de Jacques Sapir, de Laurent Pinsolle, de Bertrand Renouvin et de L'Impertinent (le fameux Impertinent : oui oui)...

Merci beaucoup à tout le monde !



lundi 3 février 2014

L’Europe est-elle plus « à gauche » que ses États membres ?





A l’approche des élections européennes de mai 2014 et de la « déferlante eurosceptique » qu’on nous promet, il semble que l’Europe et ses institutions, soient devenue diablement prudentes. Pour un peu, elle passerait pour moins libérale voire pour plus « à gauche » que les différents États membres.
 
Pas très difficile me direz-vous, puisque nombre desdits États sont gouvernés par des conservateurs. Certainement vous répondrais-je, un peu vexée. Mais ils ne le sont pas tous. En tout cas pas la France, qui est dirigée par des socialistes paraît-il, même s’il faut le dire vite.
 
Quelques éléments témoignent de la prudence de sioux dont font actuellement preuve nos technocrates préférés. C’est qu’ils ont l’instinct de survie, les bougres. Ils le savent pertinemment : plus d’Europe supranationale, plus de technocrates. Il faut leur faut donc éviter que le bazar ne s’autodétruise complètement. Or pour l’éviter, il faut agir. Il faut « faire des trucs  ». Illustration.
 
La politique monétaire et la gestion de la crise de l’euro1
 
Mario Draghi, est un pragmatique, comme on dit pour faire l’éloge d’un homme dont on veut souligner qu’il n’est pas un idéologue, tant il est vrai qu’avoir des idées, c’est mal. Or comme tous les pragmatiques, le banquier central européen est très fort pour« faire des trucs ». Et aussi pour en dire.
 
A l’été 2012, alors que l’eurozone n’allait pas bien tout, Draghi a donc eu des mots très forts. Il s’est dit déterminé à faire « tout ce qui serait nécessaire » pour sauver l’euro. Puis il a lancé un programme qualifié « d’arme atomique » par la presse économique : le programme OMT (opérations monétaires sur titres). Ce programme vise à racheter, en cas d’extrême urgence, des titres de dettes de pays en grande difficulté pour faire baisser rapidement les taux auxquels ils empruntent. Problème : ceci est absolument proscrit par les traités européens. Du coup, le programme OMT n’a jamais été mis en œuvre, sa principale vertu ayant résidé dans l’effet d’annonce produit.
 
Mais au-delà des traités, il y a surtout l’opposition forte d’un État membre. L’Allemagne, en effet, est hermétique à toute souplesse en matière de politique monétaire et n’envisage pas un instant de se montrer « pragmatique ». Horrifiée par la perspective d’une entorse à la droiture monétaire, le patron de sa Bundesbank, Jens Weidmann, a même fait déférer le programme OMT devant le tribunal constitutionnel de Karlsruhe, histoire de voir s’il ne serait pas un tantinet inconstitutionnel, pour la République fédérale, de prendre part à de telles horreurs hétérodoxes. Le jugement de Karlsruhe doit intervenir dans le courant de cette année.
 
Mieux : alors que la relative souplesse et l’adaptabilité de Mario Draghi étaient jusque-là soutenues par le membre allemand du directoire de la BCE Jörg Asmussen, le gouvernement Merkel III a brusquement décidé d’exfiltrer ce dernier de l’institution francfortoise pour le remplacer par une « faucon », Sabine Lautenschläger. Comme l’explique ici Romaric Godin, il s’agit là d’un « choix étrange » sans doute destiné à « montrer les muscles allemands à l’Europe » et à contrer les velléités draghistes de passer outre la lettre des traités.
 
En matière de politique monétaire, un État membre, l’Allemagne, campe donc clairement sur une ligne plus dure que celle prônée par une institution européenne, la BCE.
 
La question du protectionnisme
 
C’est loin d’être le seul domaine. On se souvient par exemple de l’affaire des panneaux solaires chinois. Ce n’est plus la BCE, cette fois, qui est à la manœuvre, mais une autre institution de l’Union : la Commission européenne.
 
Car la Commission elle aussi « fait des trucs ». Et des trucs qu’on n’attend pas forcément de la part d’une structure pour laquelle la concurrence libre et non faussée et la libre circulation des marchandises font office depuis toujours de tables de la loi.
 
Ainsi la Commission entreprend-elle, au printemps 2013, de taxer le matériel photovoltaïque en provenance de l’Empire du milieu, soupçonné de faire l’objet de dumping. Avant qu’un accord ne soit finalement trouvé entre Pékin et Bruxelles en juillet, un nombre significatif de pays dont la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et surtout l’Allemagne, combattent vigoureusement la mesure.
 
Ainsi donc, dès avant que la Commission européenne ne finisse par se déballonner et par céder aux Chinois, de nombreux États défendaient pour leur part une ligne plus libérale, hostile à toute initiative protectionniste.
 
Le grand marché transatlantique
 
Depuis le printemps dernier, discrètement mais sûrement, la Commission européenne négocie avec les États-Unis les modalités d’un vaste traité de libre échange, le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership), dont Jean-Michel Quatrepoint explique fort bien ici tout le mal qu’il convient de penser.
 
Hélas la discrétion ne suffit pas toujours à décourager les curieux et il semble que les opinions publiques européennes se soient malgré tout emparées de la question. Du coup, comme celles-ci se montrent fort rétives, la Commission a décidé de suspendre les pourparlers jusqu’en juin 2014. D’ici là, elle va lancer une « large consultation publique» sur la disposition la plus critiquée du futur accord : la mise en place d’un tribunal arbitral devant lequel les grandes entreprises pourraient poursuivre les États qui auraient l’insigne audace de prendre des mesures – environnementales, sanitaires, sociales – susceptibles de menacer les perspectives de profit privé.
 
Qu’on se rassure. Comme expliqué sur le blog Contre la cour, la discussion euro-américaine est loin d’être totalement gelée. Seules les dispositions relatives au tribunal arbitral sont concernées. La Commission est d’ailleurs formelle : « aucune autre partie des négociations n’est affectée par la consultation publique et les négociations continueront comme prévu »,
 
En outre, on l’aura compris, le gel est très temporaire. Juin 2014 se situe précisément situé après…mai 2014, mois durant lesquelles se tiendront les élections européennes. Il s’agit donc bien sûr, comme en convient Jean Quatremer, « de ne pas donner davantage de grain à moudre aux eurosceptiques ».
 
Toutefois, on ne peut manquer de le noter : si Bruxelles recourt ici à un procédé dilatoire, les États membres n’ont pour leur part jamais songé à ralentir le processus et encore moins à l’arrêter. Pas même lorsque le scandale Prism et la révélation des écoutes américaines pratiquées en Europe leur en offrait l’occasion sur un plateau. Plusieurs pays, dont l’Allemagne et la France, firent semblant de tancer Washington. Mais on en resta là.
 
La régulation bancaire
 
La France et l’Allemagne : parlons-en. Elles sont actuellement vent debout contre le projet de réforme bancaire proposé par Michel Barnier, candidat à la présidence de la Commission européenne mais néanmoins guérillero avide de botter le train au Grand Capital, comme chacun sait.
 
Il faut dire que le commissaire au marché intérieur « fait des trucs » tout à fait scandaleux. Il a récemment présenté un projet comprenant deux volets  : d’une part l'interdiction aux grandes banques européennes de certaines activités spéculatives réalisées pour leur compte propre. D'autre part l'obligation de cantonner dans des filiales spécifiques les activités de marché à haut risque. L’horreur bolchevique, en somme.
 
N'écoutant que leur courage et manifestant leur claire détermination à faire barrage au léninisme, plusieurs pays dont, une nouvelle fois, l'Allemagne et la France, se sont vigoureusement opposés au projet. Il faut dire que ces États ont déjà fait leurs propres réformes bancaires. Mais des réformes « raisonnables » qui évitent soigneusement « d'inquiéter les banques ». Le ministre Pierre Moscovici a donc fait connaître à Michel Barnier toute l'ampleur de son courroux. On en attendait pas moins du socialisme à la française...
 
Et donc ?
 
Comme on le voit, certaines institutions communautaires consentent actuellement à mettre de modestes coups de canif dans l'épais tissu des dogmes européens. Sans doute faut-il y voir le souci de garantir la pérennité d'un édifice qui, si bancal soit-il, demeure leur unique raison d'être. Mais plusieurs États, tranquilles et autosatisfaits, se montrent plus royalistes que le roi. Que faut-il en conclure ?
 
Si l'Europe confisque aux gouvernements nationaux de larges pans de leurs prérogatives, ceux-ci en sont très largement coresponsables. Ils s'appliquent à créer, avec constance et détermination, les conditions de leur impuissance et de leur déprise sur le cours des événements. C'est d'ailleurs singulier. De quel droit se démet-on d'un pouvoir qu'on ne détient que parce qu'on est mandaté par des électeurs pour l'exercer ?
 
Il est temps d'ouvrir un calepin et et de noter tout cela dans un coin. Car il faudra s'en souvenir lorsque le moment viendra de démêler l'écheveau des manquements et des responsabilités.
 
1 La crise de l’euro est derrière nous, tout le monde le dit. Néanmoins, pour les nécessités de la narration, pour la tonicité du discours et pour maintenir le suspense, on fera comme si ce n’était pas vrai du tout.