[Article initialement publié sur Figarovox]
Le «bon flic» et le «méchant flic» : voilà à quel jeu de rôle semblent s'adonner deux de ces institutions européennes qu'Antoine Vauchez nomme «les indépendantes1 ».
La Banque centrale européenne endosse l'habit du « mauvais flic », et c'est bien sûr la Grèce qu'elle met dans son viseur. Il est plus simple en effet de s'acharner toujours sur le même: ça fait moins de mécontents. Depuis l'arrivée au pouvoir de Syriza et d'Alexis Tsipras, la BCE accable donc Athènes avec constance et détermination, utilisant pour ce faire tous les moyens de pression imaginables.
Dans
un premier temps, on se souvient que l'institution de Francfort avait
brutalement décidé de ne plus accepter les titres de dette hellène comme collatéraux.
Autrement dit, les banques grecques ne pouvaient plus se refinancer
auprès de la BCE en lui laissant des obligations du pays en
contrepartie. Certes, cette possibilité relevait jusque-là d'une
exception puisqu'en principe, la Banque centrale européenne
n'accepte comme collatéraux que les actifs « bien notés »
(de AAA à BBB-), ce qui n'est pas le cas des actifs grecs. Mais
cette dérogation tenait tant que la Grèce demeurait « sous
programme » et acceptait les incursions de la Troïka sur son
sol.
Or
dans la nuit du 4 février, Francfort a levé la dérogation sans
crier gare. Pour quelle raison ? Parce que la Banque s'est cache
à peine : elle fait de la politique. Et elle n'hésite pas,
dans ce cadre, à instaurer des rapports de force. Ici, il s'agissait
rien moins que de contraindre le gouvernement grec « à trouver
un accord avec ses partenaires » (ou, en français ordinaire,
« à capituler en rase campagne face à ses créanciers »
).
Accord
il y eut donc le 20 février, comprenant des concessions non
négligeables de la part de Syriza. Ce qui aurait dû suffire. Et
qui ne suffit pas ! A ce stade, la BCE refuse de rouvrir aux
banques grecques la possibilité de se refinancer auprès d'elle, au
motif que les conditions ne sont pas encore réunies. Mario Draghi
tient à s'assurer que la Grèce mettra effectivement en œuvre les
réformes qu'il juge opportunes. Bref, Athènes a concédé mais ne
s'est pas aplatie. Il est donc trop tôt pour lui tendre la main.
On
ne la lui tend donc pas. On ne lui lance même pas une bouée de
sauvetage. Non seulement, donc, on étrangle les banques grecques,
mais on asphyxie aussi l’État. Celui-ci n'a plus la possibilité
de se financer sur les marchés depuis la crise de 2010. Tout juste
peut-il émettre des bons à très court terme appelés T-Bills,
grâce auxquels Alexis Tsipras envisageait de financer a minima
les dépenses de l’État jusqu'à ce qu'un accord pérenne soit
trouvé sur la question de la dette. C'est pourquoi il avait demandé
que le plafond pour l’émission de ces T-Bills soit relevé de 15 à
25 milliards d'euros. Évidemment, il enregistre un refus.
Ce
n'est pas tout. La Banque centrale européenne, qui avait pourtant
accepté de le faire pour l'Irlande en février 2013, refuse toute
restructuration de la portion de dette hellène qu'elle détient.
Surtout, elle ne se décide pas à reverser au pays le montant des
intérêts qu'elle a perçus sur cette dette. Contrairement à d'autres créanciers,
l'institution est en effet supposée ne faire aucun bénéfice sur
les prêts qu'elle octroie à Athènes. Elle l'a accepté lors du
défaut grec de 2012. Il était convenu que la BCE n'encaisserait
aucune perte lors dudit défaut, en échange de quoi elle
restituerait le montant des intérêts perçus. Une somme due, donc.
Qui s'élèverait à 1,9 milliards d'euros, et qu'Athènes réclame depuis plusieurs semaines
en vain.
Enfin,
on fait beaucoup de cas du « pragmatisme » de Mario
Draghi. On
loue la souplesse dont il se montre capable lorsqu'il entreprend,
au prix d'une interprétation contestable des traités européens, de
financer les États-membres.
Pourtant, ce pragmatisme est à géométrie variable. Lorsqu'il
est question de la Grèce,
l'audacieux banquier se souvient brutalement que « la
BCE est une institution fondée sur la règle », ainsi qu'il
l'a exprimé à Nicosie le 5 mars.
C'est
donc de cela, d'un mélange d'adaptabilité
et
de
rigorisme
dont chaque ingrédient est dosé à la tête du client, dont la BCE
vient récemment de faire preuve en lançant une opération inédite
en zone euro de Quantitative
easing (QE),
pour un montant prévisionnel de plus
de 1000 milliards
.
Malheureusement
pour la Grèce, pays qui en a pourtant le plus besoin, elle
ne
pourra bénéficier de l'opération. La Banque centrale européenne
ne rachètera pas ses obligations car les pays sous « aide »
financière (Grèce, Portugal, Chypre) ne sont pas éligibles au
programme. Ainsi
va la logique européenne : quand on est trop malade, on cesse
d'avoir accès aux soins.
Il
est un pays, en revanche, qui en bénéficiera pleinement.
Ce
pays, c'est la France, qui réalise un « super combo » en
se voyant couvrir de bienfaits à la fois par la BCE
et par la Commission européenne.
Par
la Banque
centrale européenne,
donc, dans le cadre du Quantitative
easing.
En
effet, les rachats de dette souveraine seront
réalisés
au
prorata
de la part du capital de la BCE détenue par chaque État-membre.
Sur cette opération, le trio gagnant se compose donc l'Allemagne
(non,
ceci
n'est pas une blague)
de la France et de l'Italie. Encore une mesure frappée
du sceau de la justice, à n'en pas douter !
En
tout cas, on
voit qu'avec
notre pays, Mario
Draghi
sait
se transformer
en
« bon
flic ».
Mais la palme du « gentil flic » revient incontestablement à la Commission européenne. Car celle-ci, après de longues et ennuyeuses tergiversations, a définitivement entériné cette semaine le délai de deux années supplémentaires offert à Paris pour revenir sous la barre des 3 % de déficit public. Non sans assortir cet élan de bienveillance d'une petite bordée d'injures, dont celles de Pierre Moscovici pour lequel « les réformes en France sont insuffisantes » . Par chance, dans nos contrées, on est peu susceptible.
Mais la palme du « gentil flic » revient incontestablement à la Commission européenne. Car celle-ci, après de longues et ennuyeuses tergiversations, a définitivement entériné cette semaine le délai de deux années supplémentaires offert à Paris pour revenir sous la barre des 3 % de déficit public. Non sans assortir cet élan de bienveillance d'une petite bordée d'injures, dont celles de Pierre Moscovici pour lequel « les réformes en France sont insuffisantes » . Par chance, dans nos contrées, on est peu susceptible.
On
n'a pas tellement intérêt à l'être, d'ailleurs, dès lors que
l'on accepte de se laisser acheter. Car
il ne faut pas s'y
méprendre. Ce n'est pas un complet hasard si « les
indépendantes » se partagent la tâche et
si
la Banque centrale maltraite la Grèce (un pays gouverné à gauche)
cependant que la Commission cajole la France (un autre
pays gouverné à gauche). Cela s'appelle « diviser pour mieux
régner ». En agissant ainsi, on s'assure que Paris ne se
rangera pas
aux côtés de l'Europe du Sud, et restera coûte que coûte arrimée à l'Allemagne.
Dans
cette Europe à deux vitesses où il est admis que les vainqueurs
châtient les vaincus, la France, toute honte bue, accepte donc
d'être
stipendiée pour demeurer dans le camp des bourreaux.
Mais, c'est le grand amour entre Flamby et Junkie, des bisous qu'ils se font...
RépondreSupprimer"La France, toute honte bue, accepte donc d'être stipendiée pour demeurer dans le camp des bourreaux."
RépondreSupprimerC'est exactement cela.
Être avec ceux qui donnent les coups est nettement moins douloureux qu'être avec celle qui les reçoit.
J'ai honte.
Soixante ans de "construction européenne" pour en arriver là !?...
Ah, elles ont bon dos, les "valeurs européennes" !...
La Grèce est notre pharmakos, quelle tragique ironie !... Mais la magie sacrificielle ne fonctionne plus, le sacrifice de la Grèce ne servira à rien.
J'ai honte
A force de tirer sur la corde elle va casser ... Le gouvernement Grecs aura essayé toutes sortes de négociations, toutes sortes de compromis. Il y aura un point de non retour. Et les vainqueurs un jour seront les vaincus...
RépondreSupprimerPourtant Alexis Tsipras a une solution pour mieux se faire entendre : bloquer les prochaines échéances de ses créanciers.
RépondreSupprimerBref ne pas payer !
Le 16 (demain) puis le 20 mars prochain, le gouvernement Grec doit honorer deux remboursements d'échéances à destination du FMI. Après la première échéance du 13 mars déjà versée, ce sont 1,5 milliards d'€ que le FMI doit recevoir de la Grèce au total sur ces trois échéances de mars 2015 (13, 16 et 20 mars).
Sur le mois de mars, l'ensemble des créanciers grecs doit recevoir plus de 6 milliards d'€.
Allez un peu de courage ! Arrêtons le bluff !!!
La Grèce est en faillite.
RépondreSupprimerA la fin du mois de mars, la Grèce ne pourra pas payer les retraites et les salaires des fonctionnaires.
Comme la Grèce est hyper-endettée, elle va donc … emprunter encore plus.
La Grèce va encore rajouter de la dette publique par-dessus les montagnes de dette publique qui l'écrasent déjà.
Et donc elle pourra payer les retraites et les salaires des fonctionnaires à la fin du mois de mars.
Et fin avril ?
Fin avril, ce sera pareil.
A la fin du mois d'avril, la Grèce ne pourra pas payer les retraites et les salaires des fonctionnaires.
Comme la Grèce est hyper-endettée, elle va donc … emprunter encore plus.
La Grèce va encore rajouter de la dette publique par-dessus les montagnes de dette publique qui l'écrasent déjà.
Et fin mai ?
Fin mai, ce sera pareil.
Et fin juin ?
Fin juin, ce sera pareil.
C'est ça qui est magnifique, avec le tonneau des Danaïdes : on a beau verser de l'eau dans le tonneau, l'eau retombe par terre sous le tonneau, et le tonneau n'est JAMAIS rempli.
Dimanche 15 mars 2015 :
Athènes craint d'être à court d'argent à la fin du mois.
Le premier ministre grec Alexis Tsipras redoute que la Grèce ne se retrouve à court d'argent à la fin du mois, affirme le journal allemand Frankfurter "Allgemeine Zeitung" dimanche. Les émoluments et retraites des fonctionnaires pourraient ne pas être versés intégralement à la fin mars.
http://www.romandie.com/news/Athenes-craint-detre-a-court-dargent-a-la-fin-du-mois_RP/574996.rom
Nous devrions aider la Grèce mais nous ne le faisons pas. Au contraire nous l'etranglons.
RépondreSupprimerNous protégeons, autant que faire se peut, l'euro, les banques allemandes, les banques françaises, et quelques autres... en sacrifiant la Grèce.
C'est absurde et honteux.