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mercredi 26 août 2015

Euro : que dit « l'autre gauche » ?







Il n'a échappé à personne que sur la question de l'Union européenne - et singulièrement sur celle de l'euro - une « autre gauche » est en train de pointer le museau un peu partout en Europe. Il s'agit souvent, d'ailleurs, d'une ancienne gauche, mais qui fait sa rentrée avec un discours rénové. Il faut dire que le « moment grec » est en train de faire sensiblement bouger les lignes, ainsi que le prédisait avec justesse David Desgouilles dès le mois de juillet. 

Parmi les récents mouvements sur le sujet on peu notamment citer : 

- La tribune de Stefano Fassina, ancien membre du Parti démocrate (PD) italien, ancien vice-ministre dans le gouvernement Letta et provenant donc d'une gauche très modérée. Dans cette tribune consultable sur le blog de Yanis Varoufakis, Fassina constate que « l’euro était une erreur de perspective politique » et que « les corrections nécessaires pour rendre l’euro durable semblent être impossibles pour des raisons culturelles, historiques et politiques ». Il ajoute fort lucidement que « les principes démocratiques s’appliquent à l’intérieur de la seule dimension politique pertinente : l’état-nation ». Et il plaide pour une « désintégration gérée de la monnaie unique », pas moins. 

- Les récentes déclarations de Sahra Wagenknecht, vice-présidente de Die Linke en allemagne. On peut notamment lire ici que pour elle « l’euro ne fonctionne tout simplement pas, il produit au contraire des déséquilibres de plus en plus grands, ce qui apparaît de manière dramatique en Grèce ». Ce n'est pas la première fois qu'on évoque le problème à Die Linke. Oskar Lafontaine l'avait déjà fait en avril 2013. Disons que c'est la première fois qu'on en re-parle. Et cette fois, c'est à l'unisson de ce qu'on entend dans toute la « gauche européenne non-asthénique ».

- La naissance, bien sûr, d'Unité populaire, une scission de Syriza, en Grèce. Son leader, Paganiotis Lafazanis, assume clairement l'idée d'un Grexit. « Le pays ne tolère pas d’autres mesures d’austérité. S’il le faut nous allons procéder à la sortie de la zone euro, ce qui n’est pas un désastre. D’autres pays en Europe sont hors de la zone euro, il ne faut pas avoir peur ou diaboliser ».  Alexis Tsipras n'a bien sûr jamais rien dit de tel. D'ailleurs,Yanis Varoufakis non plus. Ainsi qu'il le redit ici, le « plan B » qu'il avait élaboré en tant que ministre des Finances n'avait pas cet objectif.

Quid de la France ? 

En France comme ailleurs, on tâtonne et on réfléchit. Parmi les bonnes résolutions de rentrée on peut noter celles de Montebourg et celles de Mélenchon. Mais les discours semblent à ce stade assez différents. Tous deux peuvent avoir des mots très durs à l'endroit du fonctionnement de l'eurozone. Mais ils n'en déduisent pas forcément les mêmes choses. Seul l'un, Mélenchon, a clairement évoqué à ce jour l'idée d'un démontage de l'euro. Mais seul Montebourg a formulé, dimanche à Frangy, ce que l'on appelle des « propositions concrètes ». 

De ces « propositions concrètes », on peut dire qu'elles visent essentiellement à « démocratiser la zone euro ».  Pour Montebourg, il s'agit certes de créer le fameux « gouvernement économique » dont tout le monde parle, mais aussi de le faire qui contrôler par un « Parlement de la zone euro ». Ce Parlement nommerait et contrôlerait également le Président de l'eurogroupe. La Banque centrale européenne verrait enfin son mandat évoluer, afin de n'être plus uniquement focalisée sur la lutte contre la seule inflation, mais de s'occuper également de la croissance et du chômage. 

De Mélenchon, on retient surtout cette phrase : « s’il faut choisir entre l’indépendance de la France et l’euro, je choisis l’indépendance. S’il faut choisir entre l’euro et la souveraineté nationale, je choisis la souveraineté nationale ». Des modalités concrètes qu'il prévoit pour mener à bien une éventuelle sortie, on ne sait pour l'heure pas grand chose. En début de semaine, il a toutefois repris sur son blog un article d'Oskar Lafontaire (coucou, le revoilou !) initialement paru dans le journal allemand Die Welt et prônant un retour au au SME. « La gauche doit décider si elle continue de défendre le maintien de l’euro malgré le développement social catastrophique, ou si elle s’engage pour une transformation progressive vers un système monétaire européen flexible. Je plaide quant à moi pour un retour à un Système monétaire européen, prenant en compte les expériences qui ont été faites avec ce système monétaire et améliorant sa construction dans l’intérêt de tous les pays participants (…). En dépit de tensions inévitables, il permettait sans cesse des compromis qui servaient à rétablir l’équilibre entre les différents développements économiques ». En postant ce texte, Mélenchon fait-il sienne la proposition ? On ne sait pas vraiment. Après tout, Varoufakis héberge bien le texte de Fassina sur son site sans y adhérer pleinement. En tout état de cause, l'idée est sur la table. 

Les deux discours s'équivalent-ils ? Certains militants de longue date du démontage de l'euro, sans doute pressés d'en finir, affirment que c'est le cas. Ils prétendent que l'on n'a, dans un cas comme dans l'autre, que des demi-mesures et de la frilosité.  

C'est tout à fait faux. Les deux modus operandi décrits ci-dessus sont assez radicalement différents.   Bien sûr, dans aucun des deux cas on ne rompt avec les autres pays de la zone euro. Toutefois :
- dans un cas, celui de la « démocratisation de la zone euro », on s'achemine vers davantage d'intégration. En effet, dès lors qu'on envisage de doter l'eurozone d'un gouvernement contrôlé par un Parlement, c'est qu'on souhaite aller plus loin dans la transformation de l'Union européenne en quasi-Etat.
- dans l'autre cas, celui de la mise en place d'un nouvel SME, on fait précisément le chemin inverse. Ce n'est certes pas une rupture à la hussarde (pourquoi d'ailleurs fraudait-il nécessairement du fracas ?) mais c'est bien un processus de dés-intégration. Puisqu'il induit un rétablissement des monnaies nationales, le retour au SME s'accompagne d'un regain de souveraineté pour chaque pays membre. La coordination, ensuite, des politiques monétaires nationales au sein du système monétaire relève de la coopération librement consentie entre pays voisins. Elle permet au passage de minorer les risques de dumping monétaire. 

Bref, dans un cas on demeure sur la voie fédérale. On l'approfondit même. Dans l'autre cas, on est au contraire sur celle de la coopération intergouvernementale entre pays souverains.  Ça n'a donc pas grand chose à voir, et il va de soi qu'ici, on a déjà choisi !



12 commentaires:

  1. Pour avoir un SME amélioré, il faudra des règles de fonctionnement et des négociations sur l'évolution des parités interne, qui dit négociations, dit concessions et une instance multilatérale. On ne peut pas faire pas partie d'un club monétaire et croire qu'on peut y faire ce qu'on veut.

    Par ailleurs, le SME fonctionnait assez mal.

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  2. Oui, le choix est là, fondamental, politique au sens le plus noble du terme :
    - Europe fédérale souveraine ou Nations souveraines ?

    Jusqu'à présent l'"Europe" était une association construite et régie par des traités signés par les nations en faisant partie. Désormais, de plus en plus couramment, l'Europe est définie comme "sui generis", c'est-à-dire se créant elle-même. Nous avons quitté le terrain rationnel, institutionnel, conscient, volontaire, en un mot : politique, pour un tout autre terrain, celui de la croyance. Nous croyons, "ils" croient, en l'Europe, en l'Europe en tant que telle, en sa capacité propre à advenir, conforme à leurs rêves, forte, bonne, riche, juste, protectrice, unifiée, souveraine...
    L'euro n'est pas une simple monnaie. Il est un attribut sacré de cette Europe sui generis.

    Les nations présentes sont, d'une certaine façon, des créations sui generis. Elles sont en effet avant tout, dans leur forme actuelle, le résultat des infinis hasards de l'histoire alliés au jeu aveugle des croyances et de la violence. Ce n'est que progressivement que réflexion, raison, volonté y ont pris leur part.

    Est-il raisonnable de rêver pour l'Europe d'une telle naissance ? d'attendre d'un tel retour en arrière, supposé conforme au sens de l'histoire, un pareil miracle ? Evidemment pas ! Ce serait préférer la superstition à la raison.

    Mais comment combattre une aussi solide croyance ? Il n’est pas nécessaire d’espérer être entendu pour crier mais il est à craindre qu'il faille attendre une catastrophe de première grandeur pour que les oreilles et les yeux s'ouvrent...

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    1. Votre Europe fédérale, nous l'avons ! C'est l'Allemagne et ses alliés qui dicte sa loi. Tout le reste n'est que littérature et voeux pieux.

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    2. L'Allemagne prédomine car l'appareil bureaucratique francais énarchique trouve que c'est la bonne excuse pour réformer et libéraliser la France. Voilà pourquoi le gouvernement francais ne joue pas le rôle qu'il devrait jouer face à l'Allemagne.

      Nos "élites" de la technostructure sont tout simplement en accord avec le discours allemand, c'est ça le problème francais.

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    3. Molines Gérard27 août 2015 à 23:05

      Voilà un brin de lucidité en marche. Votre réflexion fleure bon la prise de conscience. Comment la faire partager?

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    4. @ Moulines Gérard

      Comment la faire partager ?
      Comme nous faisons là...
      En exprimant ce que nous sentons et pensons...
      Oui, ça se noie dans un flot infini d'écrits et de paroles, mais ce qui est un peu plus vrai que le reste surnage, je crois...

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  3. Dommage de ne pas parler de cette gauche pour la sortie de l'euro qui existe déjà

    Par exemple avec le PRCF (www.initiative-communiste.fr) qui au coté d'autres organisations communistes a le 30 mai dernier organisée une manifestation nationale pour les 10 ans du NON de 2005 devant l'assemblée nationale.

    PRCF qui fait parti d'un cartel d'organisations communistes européennes pour la sortie de l'UE www.initiative-cwpe.org au coté notamment du parti communiste grec (qui avait alerté sur ce que ferait tsypras..)

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    1. Revenir à des monnaies nationales ne résout pas les problèmes de coordination des économies européennes, et risque fort de mener à une compétition des monnaies sous forme de dévaluations monétaires de la plupart des pays en même temps, l'effet sera identique à des dévaluations internes simultanées de ces. Et cerise sur le gâteau, des types comme Soros se feront un plaisir de spéculer sur ces monnaies.

      La souveraineté par le retour aux monnaies nationales est illusoire si il n'y a pas de coordination des économies européennes, ce qui avait été tenté dans le SME avec des résultats mitigés et déjà des négociations avec l'Allemagne.

      La sortie de l'Euro très cher pour arriver un autre système tout autant bancal et où il faudra de toute façon négocier avec l'Allemagne et autres pays européens. Il serait moins risqué et coûteux d'amender l'Euro actuel.

      Le problème est similaire sur le plan mondial, quand la FED, la BoC, la BoJ, la BCE font des QE simultanés, le résultat laisse à désirer...

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  4. Sinon, il serait temps de remettre Sapir à ses fables :

    "Au total, Monsieur Sapir nous explique que le fédéralisme budgétaire impliquerait que la Grèce reçoivent annuellement (et pendant 10 ans) 14% de son PIB, essentiellement de la part du contribuable allemand. Pour justifier ce fabliau, il faut que la méthodologie emprunte elle même au merveilleux: méconnaissance de la notion de zone monétaire optimale (les transferts budgétaires doivent stabiliser la conjoncture et non pas niveler les structures économiques), simplisme causal (budgets de recherche et développement à l’allemande=productivité allemande?, phobie de l’Euro ( pourquoi démarrer les compteurs en 1999, alors que la productivité industrielle grecque a baissé bien avant l’Euro et non depuis?), conception magique de la politique budgétaire (comment imaginer que les » économies du Sud » deviennent des » économies du Nord » en deux quinquennats sapiriens?)."

    https://ecointerview.wordpress.com/2015/08/16/le-cout-de-leuro-manipulations-et-approximations-22/

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  5. Qu'est ce que la souveraineté populaire, ses échelons ?

    "Toutes ces élections, qui ont été organisées en totalité ou en partie dans un cadre national, n’ont en aucun cas exprimé une quelconque souveraineté populaire pour la bonne raison que l’espace de la souveraineté ne se décrète pas. On ne peut pas définir, en effet, ce qui constitue l’espace de la souveraineté indépendamment des luttes qui permettent aux acteurs sociaux de dégager un espace de liberté. La souveraineté du peuple s’exprime lors de grèves et de manifestations, qui visent à améliorer les conditions de vie, et ces mouvements sociaux peuvent aussi bien se dérouler dans un cadre local (entreprise, municipalité), que national (secteur public et nationalisé) ou international (multinationales). Le cadre national n’est que l’un des espaces d’expression de la souveraineté populaire et, comme le montrent les expériences menées par Podemos à Madrid et à Barcelone, la souveraineté peut prendre la forme d’une «autonomie populaire» dans le cadre de laquelle les citoyens prennent en main leurs propres affaires au niveau local. Il en va de même pour les SEL (systèmes d’échanges locaux) et autres «comités de quartiers», qui voient le jour un peu partout."

    http://www.liberation.fr/politiques/2015/08/30/jacques-sapir-ou-le-piege-du-souverainisme_1372467

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  6. Le XXIe siècle :

    Perte de contrôle, effondrement, krach, chaos, anarchie, dislocation.

    Lisez cet article :

    Le temps des Etats impuissants, de Pékin à Paris, via Riyad.

    http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/021292532861-le-temps-des-etats-impuissants-de-pekin-a-paris-via-riyad-1149542.php

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  7. Très intéressant mais ça veut dire quoi, "ici on a déjà choisi?"

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