vendredi 23 novembre 2012

Compétitivité : ils vont nous faire le coup de l’Espagne !

 


« Ils » nous ont copieusement rebattu les oreilles avec le « modèle allemand », supposé mille fois meilleur que le français, car tout est toujours meilleur que le modèle français, étriqué, rabougri et archaïque – forcément archaïque.
 
Le « modèle allemand », on en a eu partout et tout le temps, de midi à minuit et de la cave au grenier. Ah ! La bonne vieille modération salariale germanique, permise par cette si « raisonnable » discipline rhénane dont les salariés français devraient prendre de la graine, eux qui sont « cramponné à leurs avantages acquis », comme disent des « spécialistes » désintéressés, qui ne défendent jamais, pour ce qui les concerne, aucun avantage !
 
Jusque là, le modèle espagnol, lui, faisait plutôt figure de repoussoir. Pendant la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy - n’osant tout de même pas exhumer la menace des chars russes sur les Champs-Élysées - prédisait même, la miné dégoûtée, un « scénario à l’espagnole » si la gauche l’emportait.
 
Pourtant, depuis quelques semaines, par un de ces extraordinaires retournements de situation dont on croyait seuls capables l’UMP déliquescente et les films de James Bond, on sent advenir le moment où « ils » vont nous faire le coup de l’Espagne.
 
Les médias ont tranquillement préparé le terrain, notamment avant l'ouverture du sommet européen des 22 et 23 novembre sur le budget de l'Union, sommet qui vient d'ailleurs d'échouer pour cause « d'égoïsmes nationaux », comme il convient de les nommer sottement. Avant le sommet, donc, on nous annonçait cette incroyable nouvelle : « l'Espagne a intégré le club des pays les plus riches de la zone euro ».
 
Et oui : alors qu’ils sont aux prises avec une crise effroyable, alors même que Mariano Rajoy se tâte tant est plus pour savoir s’il va solliciter auprès de ses partenaires un plan de sauvetage du pays, les malheureux ibères risquent fort de devenir prochainement « contributeurs nets » au budget de l’Europe. C'est-à-dire d’avoir à cotiser plus qu’ils ne recevront d’aides. Quel honneur ! Une belle victoire remportée sur la Roumanie !
 
Mais ce qui fait le plus gloser, par ces temps très marqués par la thématique de la compétitivité, ce sont les performances de l’industrie espagnole, dont on nous chante les louanges de manière un peu trop récurrente pour que ça ne finisse pas devenir suspect. « L’Espagne défie la France », nous dit-on. Elle gagne des point à l’export, son déficit commercial se réduit, et nos propres entreprises délocalisent chez elles, comme Renault, qui s’apprête à y créer 1 300 nouveaux emplois.
 
Certes, mais à quel prix ? Natixis répond ainsi : « L’Espagne commence à regagner de la compétitivité, à la fois par le freinage des salaires et par les gains de productivité, ce qui redresse aussi fortement la profitabilité des entreprises ».
 
Surtout par le « freinage » - la baisse, c'était too much ? - des salaires, si l'on en croit les chiffres : - 9,8 % pour les coûts salariaux unitaires dans l’industrie entre 2008 et 2012 contre + 5,3 % dans la « France archaïque et irréformable ». Ne fait-ce pas rêver ? Si l’on y ajoute la baisse des salaires dans le secteur public, on peut même envisager que nos voisins finissent un jour par payer pour bosser. Ce qui serait une victoire substantielle sur Grèce et sur la Slovénie !
 
La prochaine étape consistera à emboîter le pas au Point, organe de presse toujours en pointe lorsqu'il s'agit du progrès social, et à nous répéter sans cesse que la France (archaïque, crispée, moisie : rayez la mention inutile) est plombée par le « boulet du coût du travail ».
 
Et peu importe que le gouvernement ait déjà décidé d'alléger celui-ci en via un crédit d'impôt de 20 milliards pour les entreprises, dans la foulée du rapport Gallois. Dans cette Europe pleine de joie et de bonté, on n'en fait jamais assez pour se débarrasser du « boulet ». Ni pour s'aligner sans cesse vers le bas. Mettons-nous donc au niveau de l'Espagne rapidement, puis un jour peut-être, si on est ambitieux, rattrapons la Bulgarie.
 
Lire et relire:
François Lenglet m'a fait un choc...de compétitivité  CLICK
La "Une" du Point et ses très grosses ficelles  CLACK
L'Europe, du baratin de Monnet au baragouin sur la monnaie  CLOCK
 
 

7 commentaires:

  1. Tout à fait d'accord avec vous, je pense que nous ne sommes qu'au début des discours qui vont nous matraquer que si les espagnols ont fait des efforts, pourquoi les français s'en dispenseraient-ils ? Je pense que les dirigeants n'hésiteront pas à jouer avec le thème de l'équité vers le bas, mais au niveau européen cette fois, alors que jusque là il était réservé aux débats franco-français accompagnant les réformes touchant les fonctionnaires. Si d'autres salariés ont accepté des conditions beaucoup plus dures, par équité et pour notre survie à tous, il est normal que les "nantis" en face de même. C'est Frédéric Lordon qui a expliqué ça très bien, je mets un extrait d'un de ses textes :

    "L’art de « l’équité par le bas » consiste à trouver un point faible. Par exemple, les salariés du privé. Plus vulnérables, moins syndiqués, ils sont tout désignés pour recevoir en premier le choc des régressions. Une fois le coin enfoncé, il n’y a plus qu’à attendre. Car on peut compter sur le matraquage idéologique par médias interposés pour rendre obsédante l’idée de « l’écart » et, une fois les esprits « attendris » – comme on dit de la viande trop dure -, imposer comme seule solution possible l’égalisation dans la déveine. De toutes les escroqueries intellectuelles du libéralisme économique, la plus accomplie est probablement celle qui aura consisté en la captation réussie du thème de l’égalité pour en faire le motif de l’arasement général des conquêtes. Et l’on peut compter sur cette lecture libérale particulièrement vicieuse de l’égalité pour démanteler le CDI sous prétexte qu’il en est de plus en plus qui sont au CDD, pour supprimer complètement le repos dominical puisque certains travaillent déjà le dimanche, ou, pourquoi pas, pour déplafonner sans restriction le temps de travail au motif que l’on compte déjà beaucoup de surmenés."

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. D'accord avec Nico et, par extension, avec Lordon.
      La belle arnaque que voilà.

      Supprimer
  2. L escroc n est pas celui que l on croit. Nous faire croire que nous sommes dans un système libéral ou un État impotent ponctionne sur le dos des entreprises et des salaries plus de 56 voire 58% en 2013 de la richesse nationale, relève de malhonnêteté.
    Notre problème de compétitivité, de dette et autre n est du qu à l État Providence qui fait que nous tendons plus vers le communisme dans l absolu que vers le libéralisme.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. L'état fourni l'équivalent de 56% du PIB en services. Les sommes prélevées ne s'évadent pas dans la nature. Si vous supprimez ces services, ils seront alors facturés par le privé, ce qui coutera plus cher toutes choses égales par ailleurs.

      Supprimer
    2. Vous êtes d'une naïveté confondante si vous pensez que l'Etat redistribue 56% de la richesse qu'il ponctionne en Services.
      D'une, il y a une perte considérable liée à des surcoûts évidents de fonctionnement. C'est un peu comme l'histoire des assoc caritative qui recoivent 100 et redistribue 25, le reste étant pour assurer le fonctionnement de l'assoc.
      De deux, il y a pléthore de services qui ne sont rendus qu'à quelques individus et pas à la collectivité
      De trois, on peut se poser la question de la pertinence de certains services
      Pour finir, penser qu'un même service rendu par le Privé couterait forcément plus cher à la collectivité relève du pur fantasme.

      Supprimer
  3. Ou, pour résumer ce que dit Lordon, prenons exemple sur les chinois et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes; regressons vers le 19ème siècle, 12 heures de travail par jour, plus de sécu, les enfants à la mine dès l'âge de 8 ans, plus de sevices publics, privatisations totales.
    Votons pour les banquiers, virons l'Etat.

    RépondreSupprimer