jeudi 25 avril 2013

Politique économique : après TINA, est-ce que TINS ?





Après la séquence très sociétalo-centrée consacrée au mariage pour tous, somme nous à l’orée d’un nouveau « changement-c’est-maintenant » ?

A feuilleter la presse du jour, on en a l’impression. D’ailleurs, ce « nouveau départ » semble avoir fait l’objet d’un mot d’ordre au sein du Parti socialiste. Si Claude Bartolone parle, dans Le Monde, d’un « deuxième temps du quinquennat », Stéphane Le Foll évoque dans Les Échos la « phase offensive » du mandat.

En quoi consiste cette nouvelle phase ? Pour le président de l’Assemblée nationale, il s’agit surtout d’« améliorer le pouvoir d'achat sans déséquilibrer les comptes publics ». Le ministre de l’agriculture parle, quant à lui, de « se donner les moyens de relancer la croissance ». Il n’est que temps, et l’on peut se demander pourquoi on n’a pas commencé par là.

Nous voilà donc éclairés sur les objectifs et on y souscrit sans peine. Reste à déterminer quels sont les moyens d’y parvenir. C’est là que ça se gâte…

A la suite de la députée Karine Berger, qui plaidait il y a une semaine pour une mobilisation de l’épargne privée des Français en faveur de l’investissement, Stéphane Le Foll affirme ceci : « la crise oblige la gauche à changer de stratégie. Elle a longtemps pensé que la relance ne passait que par la dépense publique et l’emprunt. Aujourd’hui, c’est l’investissement productif qui permettra de relancer l’activité ». Une bonne vieille politique de l’offre, en somme. Comme le confirme d’ailleurs Bartolone, qui veut quant à lui « se réconcilier avec les entrepreneurs » : ah bon, ils étaient fâchés ?

Mais fâchés de quoi ? N’est-ce pas justement une politique de l’offre que le gouvernement Ayrault mène depuis le début ? N’était-ce pas précisément l’objet du rapport Gallois, et du choc, du pacte, du bidule « de compétitivité » ? Ne s’agissait-il pas déjà, via le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi), de se rabibocher avec les entrepreneurs ? Où se situe donc le second souffle du quinquennat ?

Surtout, à quoi va donc servir cette politique de l’offre et cet encouragement à l’investissement si les patrons n’anticipent pas une embellie de la conjoncture ? Si l’on est libéral – ce que Bartolone et le Foll semblent bien être – il faut être cohérent. L’un des axiomes du libéralisme est de considérer les acteurs économiques comme des êtres rationnels. Il y a donc une contradiction avec le fait de prendre les patrons pour des ânes. Ceux-ci n’investissent pas que parce qu’on est gentil avez eux. Ils le font s’ils y voient un intérêt. Or comme l’écrit Frédéric Lordon, « les entreprises n’étendent leurs capacités de production qu’à condition d’anticiper une demande suffisante. Pour le reste, elles procèdent à des investissements de rationalisation qui augmentent la productivité mais en détruisant l’emploi. On peut les laisser empiler du profit tant qu’elles veulent : pas de demande, pas d’investissement ».

Et pas de bras, pas de chocolat. Mais Stéphane Le Foll s’en fiche, car favoriser la demande, ce serait devenu ringard. Et le ministre d’affirmer sans ciller : « la gauche doit penser le post-keynésianisme ». Il est vrai que le post-marxisme, à défaut d’avoir été pensé, a bel et bien été entériné par la gauche. Au rang des économistes sensés, il ne reste donc plus que Keynes : hâtons-nous de lui faire la peau.

Le problème, c’est que le post-keynésianisme a déjà été expérimenté dans toute l’Europe, et que ça ne marche pas. De nombreuses voix s’élèvent désormais – et pas des plus hétérodoxes – pour expliquer que la politique austéritaire « a atteint ses limites ». Sans parler des institutions - voire le FMI et sa sous-estimation du « multiplicateur budgétaire » - ou des économistes - voire la bourde magistrale de Reinhart et Rogoff - qui promouvaient ladite austérité en s’appuyant sur des calculs…faux.

Et l’on se demandera, non sans une pointe d’anxiété : si Marx est mort, si le libéralisme et l’austérité ont fait leur temps et s’il faut également tuer Keynes, quelle est la solution résiduelle ?

Après nous avoir saturés de TINA (there is no alternative) pendant trois décennies, va-t-on à présent nous expliquer que TINS (there is no solution) ?


7 commentaires:

  1. « voire la bourde magistrale de Reinhart et Rogoff «  … La bourde mon œil !
    Pour le reste , relire Marc Bloch :
    « Mais le fait est là : et nous pouvons maintenant en mesurer les résultats. Mal instruits des ressources infinies d’un peuple resté beaucoup plus sain que des leçons empoisonnées ne les avaient inclinés à le croire, incapables, par dédain comme par routine, d’en appeler à temps à ses réserves profondes, nos chefs ne se sont pas seulement laissé battre. Ils ont estimé très tôt naturel d’être battus. En déposant, avant l’heure, les armes, ils ont assuré le succès d’une faction. «
    Marc Bloch _ L'étrange défaite_ Témoignage écrit en 1940
    Ni tripes, ni intelligence, et bien sur aucune stratégie, sinon celle du renoncement et du chien crevé au fil de l'eau

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  2. Nan mais allô quoi ! Ça fait bien longtemps que Keynes est beaucoup trop à gauche pour les "socialistes" ! Disons… un peu plus de trente ans. Le fait qu'ils aient désindexé les salaires de l'inflation, dès 1982, était déjà un indice. La dérégulation financière express, à partir de 1984, en était un autre. Je ne vous parle pas de la suite…

    Quant à la solution, ils en ont une : "l'Europe". Autrement dit, un marché, mais un marché sans Etat. Car l'Etat n'est pas la solution, il est le problème (en termes plus polis : "L'Etat ne peut pas tout"…). Et puis de toute façon la France est un concept quasi-fasciste, la preuve, les militants du FN aiment à brandir des drapeaux français.

    Que "l'Europe" et les "socialistes" français, à la suite (ou disons plutôt : à la remorque) des Etats-Unis, soit devenue antikeynésienne dans les années 1970 (alors qu'au départ elle était "simplement" anticommuniste), c'est ce que je me tue pour ma part à répéter sur mon blog depuis des années.

    Par ailleurs, il ne suffit plus de relancer la demande. Dans leur ouvrage intitulé La gauche n'a plus droit à l'erreur, qui est à la fois instructif et dégoûtant, Rocard et Larrouturou ont le mérite de noter qu'il y a aujourd'hui de nombreuses "fuites" affectant la relance de la demande globale chère à Keynes. Parmi ces fuites, il y a bien sûr le libre-échange et les écarts entre pays en terme de rapport productivité/salaire, mais aussi et surtout - d'après les auteurs, mais je suis prêt à leur donner raison là-dessus - la hausse très forte de la productivité, qui requiert une hausse massive de la demande globale… ou une baisse du temps de travail, solution préconisée par les deux compères.

    Tout ça pour dire qu'on arrive à un moment où, de toute façon, il est urgent de se demander ce qu'on veut produire, et d'en décider. Produire la même chose ? Produire autre chose en travaillant moins, comme le proposent Rocard et Larrouturou ? Produire plus, mais produire plus de quoi ? Faut-il simplement jouir de cette nouvelle productivité, ou lui trouver par ailleurs un exutoire qui n'ait rien à voir avec la consommation, et tout à voir avec la curiosité scientifique ou la quête artistique ? On peut choisir de renoncer à la croissance (option suggérée par les auteurs précités) ; ou plonger dans la décroissance (écologie profonde) ; mais si l'on choisit la croissance, il est grand temps de lui donner un sens. A moins que l'on tienne absolument à changer de smartphone tous les deux mois et non plus tous les deux ans. Mais en tout état de cause, c'est au peuple d'en décider. Pas à Barroso. Ni au marché. A moins que le peuple décide que les marchés en décideront ; mais j'en doute. Nous avons besoin d'une planification collective de l'économie. Plus que jamais, le socialisme, c'est l'avenir.

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    1. Je ne vois pas en quoi il faudrait "donner un sens" à la croissance. On n'arrive déjà pas à donner un sens à la vie, même les curés qui pourtant essayent depuis des siècles ont du mal à convaincre. J'entends en outre cet exemple de l'iPhone tous les jours. Quoi, ça serait "au peuple" de décider si je peux changer de téléphone ? C'est ça le socialisme ? Voyons... Tu m'as habitué à mieux camarade !

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    2. Keynes n'était pas "de gauche", il était pour un capitalisme "sagement managé". Il n'y a pas besoin de "socialisme" pour avoir une économie planifiée : nous l'avons eu durant les Trente glorieuses, et Dieu merci, les "socialistes" n'étaient pas au pouvoir.
      Pour le reste, il faut en revenir à la philosophie politique classique et poser la question du bien commun.

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  3. La clef de l'alternative se trouve aux frontières donc dans la réduction de la mondialisation. Sans cela la politique contra-cyclique est contre productive et le progrès social devient impossible. Ca fait pas mal de defauts pour une notion qu'on nous a tant vendue.
    D'ailleurs Keynes avait déjà traité de la nocivité de la mondialisation de l’économie. Cette facette indispensable du keynésianisme a été cachée dans les facs et les medias. Quand un neolib vous repond "nous sommes dans une économie mondialisée" a chaque fois que l'on propose une mesure en faveur du facteur travail pourquoi pas leur répondre "alors sortons de la mondialisation" !
    Seul le libre échange et la liberté de circulation des capitaux permet aux neolibs d'exercer leurs chantages d’où leur attachement quasi religieux à ce dogme sans ça ils ne sont plus rien.

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  4. Keynes était contre la mondialisation dans le cadre de l'étalon or, car la guerre des monnaies conduisait à la guerre sociale, au chômage et au vote bolchévik. Mais il était pour la mondialisation pacifique, dans un système monétaire international non compétitif, c'est dans cet objectif qu'a Bretton Woods, il a proposé en 43 le banco/. Et tout ça n'est pas caché dans les facs, il y a bien des profs qui ont lu Keynes, à la différence des prétendus économistes que l'on voit ou entend dans les médias, prétendus, parce que la plupart sont au départ des ingénieurs divers (X, mines, agro, etc.) ou issus des écoles ou facs de gestion, où on ne parle pas de Keynes, ni de beaucoup d'autres d'ailleurs. Et les rares vrais économistes sont des consultants en finance (il faut bien vivre) ou dans des institutions liées à la mondialisation.

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  5. Faut-il tuer Keynes? Certainement pas, mais le monde a changé depuis ses écrits. Une politique de la demande a toujours du sens, mais pas de la consommation à outrance. Une politique de l'offre également, à condition de la diriger, comme le faisaient autrefois les plans, vers les véritables enjeux du futur: transition énergétique, agriculture raisonnée, services à la personne.
    A l'opposé, la destruction des services publics et l'austérité prônée par les dirigeants européens nous conduisent dans le mur.
    Le gouvernement français tente de ménager la chèvre et le chou, de satisfaire aux critères de Maastricht (et de ses successeurs) tout en maintenant peu ou prou le système social debout et de relancer la consommation. Un grand écart qui ne peut fonctionner.

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