Frédéric Farah et Thomas Porcher sont économistes. Ils sont
auteurs d'un ouvrage intitulé TAFTA : l’accord du plus fort (éd. Max Milo). Ils ont accepté de faire un point, sur
L'arène nue, de l'état d'avancée des négociations entre l'Union
européenne et les États-Unis sur ce projet de traité, car
celles-ci continuent quoiqu'il n'en soit plus guère question dans
l'actualité. Ils pointent également les principaux dangers
contenus dans ce projet d'accord.
***
On n'entend plus
beaucoup parler du Tafta depuis quelques temps. Pourtant, lorsque les
négociations ont été lancées, le calendrier était très
ambitieux. Il s'agissait de conclure un accord dès 2015 - c'est à
dire cette année. Où en est-on des négociations entre la
Commission européenne et les États-Unis ?
Frédéric Farah :
Les négociations continuent. Un nouveau cycle de négociation est
attendu pour le 20 avril à Washington, il fait suite à celui qui
s'est tenu à Bruxelles en février. Dans le langage du droit
international, il n'y pas encore consolidation des positions, c'est à
dire on n'en est pas à la rédaction des articles, ou des
dispositifs précis. Il y a eu un temps d'arrêt au milieu de l'année
2014, le temps que la Commission Européenne se renouvelle et que les
élections américaines dites des midterms passent. Obama est
désormais en cohabitation, mais rien de bien étonnant dans le
paysage américain. Le calendrier devrait conduire jusqu'à la fin de
2015 voire début 2016. Mais rien ne dit que le processus ne
connaisse une sortie de route. La Commission de Bruxelles a admis le
30 mars que le traité ne sera pas prêt pour 2015.
Le livre |
Thomas Porcher :
Le projet du grand marché transatlantique est en préparation
depuis plus de vingt ans, mais il a subi une nette accélération
depuis 2009. Cette accélération des négociations s’est faite
dans un contexte de bouleversement économique et géopolitique
mondial avec la montée en puissance de la Chine et d’autres pays
émergents. De manière générale, j’ai l’impression que le
rythme des négociations dépend largement du bon vouloir des
américains. Lorsqu’ils tentaient de faire un G2 avec la Chine, le
projet du marché transatlantique était au point mort.
Dans votre livre, vous dénoncez l'opacité des négociations. Pourtant, grâce à l'action de l'Italie pendant qu'elle exerçait la présidence tournante de l'UE, le mandat de négociation de la Commission européenne a été rendu public. N'est-ce pas là un progrès ?
FF : Un
progrès si l'on veut, le contenu avait déjà fuité. Le document officiel n'a rien apporté qu'on ne sache déjà. L'opacité demeure
même si l'Union européenne a décidé de jouer plus franchement
cette carte en mettant à disposition des citoyens certains
documents. Mais d'autres restent bien opaques. Mais à vrai dire la
question n'est que partiellement là. Quand bien même les actes
seraient plus transparents, il faut néanmoins être capable de
comprendre des mandats, saisir des subtilités juridiques se pénétrer
des détails techniques et les comprendre. Il ne sera écrit nul
part, une entente avec les multinationales ou écrit noir sur blanc
qu'il faille en finir avec le droit du travail. Tout est emballé
dans un discours lénifiant censé rassurer les citoyens des bonnes
intentions de chacun. Tout comme la déclaration du 20 mars 2015
entre l'ambassadeur américain Froman et Mme Malmstrom sur les
services publics et leur maintien dans le traité mais avec des
morceaux d’ambiguïté qui valent le détour.
TP : Je suis
d’accord avec Frédéric, j’ajouterai que depuis le début, la
commission a organisé un semblant de transparence notamment en
créant un site accessible dans toutes les langues où figurent de
nombreux documents sur les positions de Bruxelles et le calendrier
des négociations. Mais les informations présentes sur le site
restent très vagues. Elles ne sont guère qu’un assemblage de
discours et d’affirmations, dépourvu de chiffrage et de
réflexions, ayant pour seul but de rassurer le lecteur. Les réponses
aux questions ne font qu’aligner une série de banalités, telles
que « la croissance économique et la productivité accrue
créée par l’accord bénéficieront aux travailleurs de l’Union
et des États-Unis ». Même si il y a eu des efforts, les faits
confirment un manque de transparence. Concrètement, nous ne savons
rien, ou pratiquement rien, sur les négociations.
Autre « progrès »
(en tout cas, ce fut présenté comme tel), la Commission européenne
a lancé une grande consultation relative à la disposition la plus
controversée du futur accord, celle relative aux tribunaux
d'arbitrage. Près de 150 000 réponses ont été collectées, dont
88 % s'opposent à l'introduction de ces tribunaux. Pourquoi
cette disposition suscite-t-elle une telle levée de boucliers ?
FF : Pour
plusieurs raisons. Tout d'abord une levée de boucliers de la part de
la société civile comme on dit ou du moins une partie d'elle. La
crainte la plus commune est celle inhérente à la crainte d'une
justice privée qui s'imposerait et ainsi les multinationales de la
sorte pourraient acquérir un pouvoir exorbitant. La multiplication
du contentieux depuis 2007 a renforcé la crainte. D'autant que les
recours se font sur des domaines sensibles : santé,
alimentation, environnement. Les condamnations spectaculaires d’États
parce qu'ils avaient engagé des campagnes contre les fabricants de
Tabac, ou parce qu'ils étaient revenus sur des permis de forage ont
très vite fait de penser que le citoyen verrait un peu plus la
grande dépossession s'aggraver. Nous entendons par grande
dépossession, le dessaisissement du citoyen de sa capacité à
pouvoir orienter le cours des politiques publiques par un vote. Ainsi
la politique monétaire européenne est soustraite à nos choix, la
politique budgétaire presque tout autant. Désormais notre capacité
à légiférer déjà sous la férule bruxelloise, se trouve
désormais sous la menace de tribunaux qui au nom de la disposition
qui veut que les investisseurs disposent d'un cadre réglementaire
stable, nous soyons contraints de ne pas trop étendre nos règlements
dans un sens qui pourrait être défavorable aux investisseurs.
Et donc... quelles
sont les suites données à cette consultation ? Les tribunaux
vont-ils être abandonnés ?
TP : Dans notre livre, alors même que le résultat de la consultation n’était pas connu, nous avions émis des doutes sur la manière dont allait être traitées les réponses des citoyens. Pour nous, la consultation servait uniquement à recueillir des avis pour justifier que le processus était démocratique mais que rien n’allait changer. D’ailleurs, cette consultation n’avait pas pour but de faire disparaître les tribunaux arbitraux mais juste de recueillir des avis. C’est exactement ce qu’a fait la Commission. Alors que de 88 % des 150 000 participants ont exprimé leur hostilité à ce mécanisme, la commission a affirmé qu’il ne s’agissait pas d’un référendum et que par conséquent, elle n’était pas liée par le résultat. Cet argument a été renforcé par la délégitimation de la consultation elle-même par la Commission, qui explique que seulement 3.000 réponses pouvaient être prises en considération, le reste était considéré hors sujet. Au final, les tribunaux resteront, peu importe ce qu’en pensent les citoyens.
TP : Dans notre livre, alors même que le résultat de la consultation n’était pas connu, nous avions émis des doutes sur la manière dont allait être traitées les réponses des citoyens. Pour nous, la consultation servait uniquement à recueillir des avis pour justifier que le processus était démocratique mais que rien n’allait changer. D’ailleurs, cette consultation n’avait pas pour but de faire disparaître les tribunaux arbitraux mais juste de recueillir des avis. C’est exactement ce qu’a fait la Commission. Alors que de 88 % des 150 000 participants ont exprimé leur hostilité à ce mécanisme, la commission a affirmé qu’il ne s’agissait pas d’un référendum et que par conséquent, elle n’était pas liée par le résultat. Cet argument a été renforcé par la délégitimation de la consultation elle-même par la Commission, qui explique que seulement 3.000 réponses pouvaient être prises en considération, le reste était considéré hors sujet. Au final, les tribunaux resteront, peu importe ce qu’en pensent les citoyens.
Dans un entretien publié ici, Jean-Michel Quatrepoint expliquait que les pays européens avaient
des intérêts divergents dans l'aventure. Pour lui, la
Grande-Bretagne et l'Allemagne avaient de gros avantages à tirer
d'un accord de libre-échange avec les États-Unis, cependant que la
France aurait beaucoup à y perdre. Partagez-vous cette opinion ?
FF : J-M Quatrepoint livre une analyse comme souvent très juste. La France se
verrait exposée à une concurrence particulièrement sévère. La
position de son commerce extérieure recule depuis 2004, elle n'est
plus excédentaire, non pas qu'un néomercantilisme soit souhaitable,
mais elle se situe en matière d'export sur de la gamme
intermédiaire. Il lui reste quelques secteurs dynamiques mais qui
sont fragiles comme l'agroalimentaire par exemple ou encore la
pharmacie, le luxe, l'automobile. A l'heure actuelle avec la montée
des nouvelles puissances, la part des anciennes puissances recule
dans le commerce mondial, mais la question c'est de savoir à quelle
vitesse elles reculent. L’Allemagne recule moins vite que la
France. Elle a effectué des investissements forts aux États-Unis.
Volgswagen au Tennessee comme le souligne Quatrepoint. Ce n'est pas
par hasard que l'étude de Jeronim Capaldo de la Tuft university a
fait de la France la victime toute désignée de ce traité et en
particulier son agriculture.
Dans ce cas, les
réactions différenciées des opinions publiques sont paradoxales.
C'est en Allemagne que les citoyens se mobilisent le plus contre le
traité, alors que l'opinion française semble relativement
indifférente. Comment l'expliquer ?
TP : Il est
vrai que le secteur automobile allemand a plus de chances de sortir
gagnant des négociations que le secteur automobile français mais je
pense que d’autres secteurs en Allemagne risquent d’être
négativement impactés notamment dans le secteur des énergies
renouvelables. De manière générale, sur plusieurs secteurs clés
de l’économie, l’Union européenne a complètement décroché
par rapport aux États-Unis. Par exemple, dans le classement des dix
meilleures entreprises d’électronique grand public ne figure
aucune compagnie européenne contre six américaines. Idem dans
l’informatique ou les services financiers, où les trois premières
places sont tenues par des entreprises américaines. Enfin, le
classement des dix marques les plus puissantes au monde atteste de la
domination des États-Unis avec huit entreprises classées alors
qu’aucune entreprise européenne n’y figure. Je pense qu’il
vaut mieux regarder le problème comme une opposition entre
multinationales et citoyens. Par exemple, sur des sujets comme
l’interdiction de la fracturation hydraulique en France,
l’entreprise française Total a la même position que l’américain
Exxon : le changement ou l’abrogation de la loi. Quand il
s’agit d’augmenter leur profit en rendant les législations moins
contraignantes, les multinationales, qu’elles soient concurrentes,
américaines ou européennes, parlent généralement d’une seule
voix.
Justement, venons-en
aux États-Unis. On les accuse d'être à la manœuvre, de tirer
toutes les ficelles dans cette aventure. Pourtant, vous expliquez
dans votre ouvrage que dans les faits, ils se montrent souvent bien
moins libéraux que l'Union européenne. D'ailleurs, lorsqu'Obama a
voulu recourir à la procédure accélérée pour négocier le TAFTA,
cela lui a été refusé. Et si c'était eux qui, finalement,
faisaient capoter les négociations ?
FF : Les
États-Unis ne sont pas la patrie du libre-échange, ils auront au
bout de la négociation s'ils estiment que les gains sont
intéressants. Barack Obama fait de la diplomatie commerciale pour
ouvrir des marchés pour les entreprises américaines. Mais ne le
fera pas à n'importe quel prix, les États-Unis portent un regard
plutôt négatif sur le grand frère du TAFTA, c'est à dire l'ALENA.
Ils ont perdu des emplois dans cette affaire. Les républicains
plutôt en faveur de ce type d'accord freinent car certains de leurs
électeurs sont inquiets d'éventuelles délocalisations de firmes en
direction des pays d'Europe centrale ou orientale. Sur la question de
la réglementation de la finance, les européens souhaitent mettre
cette question dans le panier des négociations pour contourner les
lois américaines. Voilà un point qui fâche.
Et si c'était eux
qui, finalement, faisaient capoter les négociations ?
TP : Non, je
ne pense pas car les États-Unis ont une véritable diplomatie
commerciale. Le but est clairement de contenir la montée en
puissance de la Chine et de l’Inde en signant deux immenses traités
avec les puissances du Pacifique et de l’Europe. Les États-Unis
ont choisi de commencer par l’Europe car l’établissement de
normes communes entre les États-Unis et l’Europe en feront des
normes mondiales, y compris pour le Pacifique, y compris pour la
Chine. Le marché transatlantique sera ainsi le producteur de normes
mondiales.
Où en sont les
négociations, justement, avec l'Asie dans le cadre de Traité transpacifique, le TTP ?
FF : Elles
peinent à avancer de ce côté-là aussi. Il existe des tensions
commerciales entre le Japon et les États-Unis. Sans compter que la
Chine en novembre 2014 a proposer un contre-traité. Dans l'agenda
américain, la priorité est de ce côté-ci. Ils aimeraient déjà
régler ce traité mais le succès peine à arriver.
TP : Oui,
la priorité des États-Unis est clairement le traité
transatlantique car les multinationales américaines n’ont pas
intérêt à ce que le traité transpacifique soit signé avant. Tout
simplement parce que les pays du Pacifique connaissent généralement
des normes de production et de consommation moins contraignantes que
les normes américaines. Un succès des négociations avec les pays
du Pacifique, par l’instauration de normes moins contraignantes,
aurait amené les grandes entreprises américaines à s’ajuster sur
les normes des pays du Pacifique et à en subir les coûts
d’ajustement. Il faut donc commencer par l’Europe pour ensuite
imposer les normes aux pays du Pacifique.
Venons-en à la
question qui fâche : celle de l'euro. Au bout du compte, le
pire qui puisse se produire n'est-il pas de signer un accord de
libre-échange avec un pays qui dispose de sa pleine souveraineté
monétaire cependant que nous avons perdu la nôtre ?
FF : Oui
c'est la question qui fâche ! L'absence de souveraineté
monétaire est déjà le premier problème. Mais il en est un second
qui est inhérent au premier : les États-Unis utilisent leur
dollar pour faire du protectionnisme furtif. En manipulant le dollar,
ils réalisent des subventions à leurs exportations de manière
déguisée. Ils ont bien compris que dans l'économie actuelle, une
certaine flexibilité de la monnaie s'impose. Alors le taux de change
devient une arme au service de la croissance. Peu importe si le
dollar devient un problème pour ses voisins. Les Européens ayant
tant sacrifié sur l'autel monétaire vont de ce fait aller chercher
la flexibilité perdue sur le marché des changes sur celui du
travail, dont il s'agira d’accroître la flexibilité alors qu'elle
est déjà, dans certains pays, au maximum de ce qu'elle peut être.
Regardez le Job act italien, la loi Macron en France et, avant cela,
les lois Hartz allemandes. Et la liste pourrait être longue !
Les Européens ont choisi la voie de la dévaluation interne, doux
euphémisme pour désigner la plus vaste casse de droits sociaux
depuis la seconde guerre mondiale en Europe.
TP : D’autant
plus que dans le cadre du marché transatlantique, la manipulation du
dollar accompagnée d’une uniformisation des normes donnera un
avantage énorme aux multinationales américaines car, comme le
commerce États-Unis-Europe est un commerce intrabranches, la baisse
du dollar rendra les biens américains moins chers que ceux des
européens. Et comme la majorité des échanges sont intraeuropéens,
les exportations américaines, désormais possibles par
l’uniformisation des normes américaines et européennes, pourront
se substituer à celles de certains pays européens provoquant une
perte de débouchés pour les entreprises de ces pays.
Bonjour Madame, je découvre votre blog après la lecture de votre tribune dans le Figaro, et j'en suis enchanté. Ma question: savez-vous qu'il existe un parti en France qui partage quasiment toutes vos analyses sur la question européenne, et qui a pour seul but de faire sortir la france de l'europe? Ce parti, blacklisté des médias mais pourtant 7ème parti francais en nombre d'adhérents se nomme l'UPR. Peut-être pourriez-vous un jour consacrer un petit billet pour le présenter à vos lecteurs? Merci!
RépondreSupprimerMerci pour vos encouragements. C'est très sympa.
SupprimerEn revanche, l'objet de ce blog n'est pas de promouvoir un parti politique. J'espère que vous comprendrez cela. Coralie
La mobilisation contre les Traités Transatlantiques
RépondreSupprimer*** plus de 1 600 000 signatures en Europe pour l'ICE auto-organisée après le refus de la commission de valider l'ICE initiale *** et ce n'est qu'un début ***
Pour 12 pays le quorum est dépassé : Allemagne, Grande Bretagne, Autriche, Finlande, France, Slovénie, Luxembourg, Pays-Bas, Espagne, Irlande, Belgique et la Suède.
Nous pouvons et nous devons faire beaucoup plus pour faire bouger la Commission européenne
SIGNER et FAIRE SIGNER ---> https://stop-ttip.org/fr/signer/
--- les infos et les liens ---> https://stoptafta.wordpress.com/category/mobilisations/ice/
--- suivre les scores par pays ---> https://stop-ttip.org/ecimap/
Productivité toujours plus de productivité au mépris des personnes et de l'environnement pour une nouvelle régulation où le marché libre et sans entrave devient règle majeure unique.Nous devons nous soumettre à l'idéologie néolibérale (Hayek, Friedman, Von Eucken) et la loi du plus apte devient aussi règle majeure. Il ne faut pas que ce traité soit signé comme tous les autres ALE. Les traités s'apparentent d'ailleurs juridiquement aux contrats et ne sont certainement pas le résultat de l'élaboration démocratique.
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