jeudi 17 mars 2016

Extrême droite : la fin de l'exception allemande





Certains disaient l'Allemagne immunisée pour toujours. Son histoire le lui avait appris: l'extrême-droite, c'est dangereux. Conscientisés, responsables et vigilants, les Allemands demeureraient à jamais hermétiques à toute tentation «populiste». D'autant, il faut bien le dire, que le «modèle allemand» surpasse de loin tous les autres. Notamment le modèle français, qui allie incurie économique, légèreté budgétaire et tendance funeste à «faire le jeu» du Front national. «Vive l'Allemagne!» piaffait en 2013 Alain Minc. Il expliquait, dans un essai éponyme, que notre voisin germain était désormais «le pays le plus démocratique et le plus sain d'Europe». C'était visionnaire. La preuve, c'était encore vrai en 2014, et encore un peu en 2015. Et début 2016, qu'en est-il?

Début 2016, dans l'Allemagne de «l'après Cologne» et après les scrutins régionaux qui se sont tenus dimanche dans trois Länder (Bade-Wurtemberg, Rhénanie-Palatinat, Saxe-Anhalt), on peut désormais constater que l'exception allemande n'en est plus une. D'une part, la très large domination des deux grands partis européistes (CDU et SPD) qui constituent l'actuelle coalition au pouvoir à Berlin, est entamée, tout comme ont pu être battus en brèche le bipartisme français (avec la montée du Front national), l'espagnol (avec l'entrée en scène des partis alternatifs Ciudadanos et Podemos), et quelques autres.

D'autre part, le pays a bel et bien, désormais, son parti de «droite radicale», le parti AfD (Alternative pour l'Allemagne). Car c'est lui le grand vainqueur des élections de ce week-end, cependant que les formations de la Große Koalition, le parti socialiste SPD d'une part, la CDU d'Angela Merkel d'autre part, ont subi de cuisants revers. Contrairement à ce qu'elle espérait, la CDU a échoué à conquérir la Rhénanie-Palatinat et à reconquérir l'un de ses bastions historiques, le Bade-Wurtemberg, déjà perdu en 2011. Le SPD quant à lui, a conquis un Land (Rhénanie-Palatinat) mais fait des scores dérisoires dans les deux autres (respectivement 13% et 10%).

L'AfD, elle, fait des scores à deux chiffres partout: respectivement 12%, 15% et jusqu'à 24% en Saxe-Anhalt. C'est une prouesse pour un parti vieux d'à peine trois ans - il a été fondé en février 2013. Ça l'est d'autant plus que ce parti était encore miné, il y a peu, par des dissensions internes entre deux tendances rivales, une aile «libérale» en pointe sur les questions économiques et plaidant pour la sortie de l'euro, et une aile plus «conservatrice», essentiellement anti-immigration. Aujourd'hui, il semble que la seconde l'ait clairement emporté, avec le remplacement, à la tête du parti, de l'économiste Bernd Lucke par Frauke Petry. Celle-ci avait fait du bruit dans le Landerneau au mois de janvier en suggérant que, pour lutter contre l'afflux de migrants à la frontière germano-autrichienne, les policiers allemands pourraient éventuellement.... tirer sur les réfugiés.

Plein d'espoir, certains commentateurs avaient alors émis l'hypothèse que Petry ne se relèverait pas d'une telle bourde. Et que le parti en pâtirait par ricochet. La dirigeante de l'AfD est d'ailleurs présentée parfois comme un boulet au pied de sa formation en raison de la volatilité de ses convictions. Dans un long article sur l'AfD paru dans le Spiegel Online, elle est décrite comme particulièrement instable: «Petry est une habituée des revirements politiques. En tant que jeune femme d'affaires, elle était en faveur des quotas de femmes, elle est maintenant opposée à l'idée. Chimiste de formation, elle a pu fonder sa propre entreprise grâce aux subventions de l'État, même si elle dit à présent que l'État doit se tenir à distance du monde des affaires. Mère de quatre enfants, Petry a d'abord cherché à faire de la défense de la famille la base de sa carrière politique. Elle affirmait que les mères allemandes devaient avoir beaucoup d'enfants. Mais depuis qu'elle a quitté son mari pour son camarade de parti Marcus Pretzell , la politique familiale est devenu un sujet tabou pour elle».

Les sautes d'humeur idéologiques de la leader et ses dérapages verbaux peuvent-ils suffire à détourner les électeurs d'Alternative pour l'Allemagne? Le triple scrutin de dimanche témoigne qu'il n'en est rien. Mais celui du dimanche 6 mars permettait déjà de s'en douter. Lors d'élections communales dans l'État régional de Hesse, en effet, le parti était devenu la troisième force politique du Land - le second, même, dans certaines communes - obtenant 13% au total et 10% à Francfort.
A Francfort... la ville où siège la Banque centrale européenne. Peut-être n'y a-t-il pas, dans ces succès de la droite radicale allemande, que la question migratoire et le rejet du parti pris par Angela Merkel - qui a d'ailleurs changé d'avis depuis comme en témoigne l'accord UE-Turquie du 7 mars dont elle est l'une des principales instigatrices - d'ouvrir sans limite les portes de l'Allemagne aux réfugiés provenant de pays en guerre. Il est possible que la question économique ait également joué un rôle. La question de la politique conduite par la BCE notamment.

On sait l'opinion allemande très attachée à la stabilité monétaire et très hostile à l'usage de la planche à billets. Or la semaine dernière, la BCE a frappé un grand coup pour tenter, une fois de plus, de faire repartir une économie européenne atone. Elle a abaissé simultanément ses trois taux directeurs, faisant même descendre le principal d'entre eux à zéro, et annoncé qu'elle augmenterait en avril le montant de son Quantitative easing. L'affaire a provoqué un tollé dans la presse allemande. Le Handelsblatt a fait figurer sur sa Une une image représentant Mario Draghi en train d'allumer un cigare avec un billet de 100 € en flammes. D'autres ont renchéri en parlant d'un «choc» et d'une «dépossession des épargnants».

Bref, de quoi mettre l'électeur allemand attaché à son épargne dans un état de stress maximal. Car comme l'explique ici l'économiste Alexandre Mirlicourtois «l'Allemagne, pays vieillissant vit aujourd'hui les vicissitudes d'un créancier dans un environnement de rendements en berne et de prix d'actifs de plus en plus instables. Le pays, qui n'a de cesse de provisionner pour ses retraites, voit sa rente de plus en plus menacée». Et sa croissance fléchir avec la panne du commerce mondial qui nuit à ses exportations.

Évidemment, les choses sont pires à l'Est. On est en train de s'apercevoir, au fur et à mesure qu'historiens et économistes recommencent à s'intéresser au sujet, que la réunification allemande, présentée comme un coup de maître d'Helmut Kohl et un processus indolore voire joyeux, a peut-être fait plus ne dégâts qu'on ne l'avait cru. Dans un livre novateur et audacieux intitulé Le second Anschluss - l'annexion de la RDA (éditions Delga, 2015), l'économiste italien Vladimiro Giacche démontre l'ampleur de la secousse subie par les Allemands de l'Est à l'époque. Une secousse qui explique sans doute pour une part l'angoisse identitaire profonde qui travaille aujourd'hui les habitants de ce «Mezzogiorno du centre de l'Europe». Si elle semble désormais abonnée aux bons scores un peu partout, l'AfD est tout de même devenue dimanche la seconde force politique de Saxe-Anhalt, un Land de l'Est. Quand à la ville de Dresde, elle est la fois le bastion du mouvement anti-islam Pegida , et la ville natale de Frauke Petry. Un tel hasard peut-il vraiment en être un ?

Et l'Allemagne, Monsieur Minc, est-elle encore, sera-t-elle demain et restera-t-elle toujours «le pays le plus démocratique et le plus sain d'Europe» ?


Cet article est initialement paru dans le Figarovox

1 commentaire:

  1. Bjr, Vous avez écrit "ne" au lieu de "de" dans la phrase suivante de votre dernier paragraphe : "a peut-être fait plus ne dégâts qu'on ne l'avait cru.". Cdlt. Et merci pour votre blog.

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