Après le « non » au référendum néerlandais du 6 avril, qui avait rendu « triste » le très émotif président de la Commission Jean-Claude Juncker, les chroniqueurs du GEE (Grand effondrement européen) font aujourd'hui la part belle à un autre référendum, celui à venir en Grande-Bretagne. En effet, le risque du Brexit est a priori le plus immédiat d'entre ceux qui pèsent sur l'Union. Toutefois, un rapide tour d'horizon a tôt fait de montrer qu'il est loin d'être le seul. Au point où l'on en est, on ne se demande plus si l'UE – et en son sein la zone euro – survivra à tout cela. On se demande simplement de quelle plaie elle périra, et quand.
Le
risque du Brexit
La
« campagne Brexit » a officiellement débuté vendredi 15
avril, avec la désignation, par la commission électorale
britannique des deux camps en présence. Ainsi, The In Campaign,
emmené par un authentique homme du peuple en la personne de
Lord Stuart Rose, ancien PDG de Marks &
Spencer, sera opposée jusqu'au 23 juin à Vote
Leave, regroupant le camp des partisans de la sortie.
En
France, certains se donnent beaucoup du mal pour tenter de peser sur
le scrutin. Le ministre Emmanuel Macron, par exemple, a récemment
expliqué que si la Grande-Bretagne quittait l'UE, elle serait « tuée » - rien que ça - dans les négociations commerciales mondiales . En mars dernier, le
même avait déjà prévenu les Anglais qu'en cas de Brexit, la
France ne retiendrait à plus à Calais les migrants désireux de
traverser la Manche. Bien sûr, il s'était abstenu de préciser que
les modalités de contrôle de la frontière franco-britannique sont
actuellement régies par l'accord bilatéral du Touquet (février
2003), d'ailleurs très désavantageux pour la France, mais qui n'a
pas grand chose à voir avec l'appartenance de l'un et l'autre pays à
l'Union européenne.
Il
faudra encore un peu de patience pour savoir si les rodomontades
hexagonales - et peut-être aussi celles de Barack Obama.... - sont
parvenues à impressionner les électeurs d'Albion. Si les sondages
indiquent plutôt, à ce stade, une avance des partisans du maintien,
le résultat pourrait toutefois être serré.
On
l'avait oubliée : revoilà la crise grecque
Mais
le Brexit n'est évidemment pas le seul risque auquel soit confrontée
l'Union européenne. Avec une économie effondrée, une dette
insoutenable, l'omniprésence d'une ex-Troïka exigeant des réformes
sans cesse plus dures et confrontée à des flux migratoires inédits,
il était évident que la Grèce referait parler d'elle.
C'est
le cas, alors que se profile une nouvelle échéance pour le pays.
Celui-ci devra rembourser plus de 3 milliards d'euros d'emprunts (450
millions au FMI et 2,3 milliards à la BCE) entre le 13 et le 20
juillet. Ce remboursement ne sera possible que grâce au versement
d'une fraction du plan d'aide de 86 milliards voté à l'été 2015,
pour l'obtention duquel Alexis Tsipras a tout de même consenti à
oublier le programme sur lequel Syriza s'était fait élire, et à
s’asseoir sur le résultat d'un référendum. Actuellement, le pays
surnage encore sans déblocage d'argent frais. Mais c'est avant tout,
comme expliqué ici,
parce que le gouvernement accable les Grecs d'impôts.
En
juillet, cela ne suffira plus. C'est pourquoi il est urgent que les
créanciers de la Grèce procèdent au versement d'une partie de
l'aide promise, d'autant que ces 86 milliards sont presque
exclusivement destinés à rembourser les prêteurs, certainement pas
à adoucir les vie des gens. Problème : si Tsipras a consenti à
signer le « troisième mémorandum » sous le joug duquel
vit actuellement le pays, c'était pour obtenir la restructuration
d'une dette - 180 % du PIB - dont tout le monde sait qu'elle ne
sera jamais payée. De cette restructuration, l'Allemagne ne veut à
aucun prix. Le FMI, lui, en veut bien, mais à condition de réformes
d'une dureté impitoyable : poursuite du rabotage des retraites
(alors que le minimum retraite a déjà été abaissé de 18 %
en un an), de la hausse des impôts, augmentation du montant des
excédents budgétaires à dégager, etc.
Entre
une dette incommensurable, des demandes de réformes
invraisemblables, des « partenaires » divisés mais
intraitables, on pourrait rapidement en revenir à une situation
proche de celle du printemps 2015, avec des blocages épars et un
pays sans cesse au bord de la faillite. Le tout sur fond de rumeurs d'exfiltration possible d'Alexis Tsipras, d'organisation éventuelle d'élections anticipées, en somme, de
turbulences politiques.
La
crise des migrants, toujours en fond de tableau
Ce
serait d'autant plus grave que la Grèce fait face à un défi
migratoire d'une ampleur inédite. Elle abrite un nombre record de
personnes bloquées sur son territoire depuis que la « route
des Balkans » a été fermée. Ces migrants sont plus de 11 000
à s'entasser dans le camp d'Idomeni, où les heurts et les tensions
s'accumulent. Le 10 avril, par exemple, 250 d'entre eux ont été
blessés par des tirs de gaz lacrymogènes de la police macédonienne,
alors qu'ils tentaient de franchir la frontière.
De
telles tensions dans ce coin fragile d'Europe du Sud ne sont
certainement pas une bonne nouvelle pour l'UE, quand bien même elle
tente de mettre un mouchoir dessus. Comme l'explique ici le spécialiste Amaël Cattaruzza, « les Balkans sont un
thermomètre de l'Europe (…) ils révèlent les faiblesses de
l'Union européenne ». Dans un ouvrage de
référence, l'historien Olivier Delorme, rappelle quant à lui que
c'est précisément dans cette région que se prépara le Premier
conflit mondial, avec, en guise de prolégomènes, les deux guerres
balkaniques de 1912 et 1913. Dans La Grèce et les Balkans
(Gallimard 2013, tome II p. 780) il va jusqu'à qualifier la Grande
Guerre de « troisième guerre balkanique ».
Le
problème des banques italiennes
En
tant que pays méditerranéen, l'Italie prend elle aussi plus que sa
part dans la gestion de la crise migratoire. Il semble d'ailleurs que
le nombre des arrivées y augmente depuis que l'accord UE-Turquie du
18 mars dernier rend plus difficile l'entrée dans Schengen via la
Grèce.
L'Autriche,
déjà à l'origine de la décision de fermer la route des Balkans,
envisage de transformer l'essai et de faire de l'Italie un nouveau
piège à migrants. En effet, elle a annoncé sa volonté de
renforcer les contrôles à la frontière entre les deux pays, et il
est même question de la construction d'une clôture « symbolique »
au niveau du col du Brenner, une idée que ne renierait sans doute
pas le parti de la liberté d'Autriche (FPÖ).
Pour le
coup, celui-ci est
arrivé très largement en tête du premier tour de l'élection
présidentielle de ce dimanche avec plus de 35 % des suffrages,
en
éliminant au
passage la droite et la gauche traditionnelles.
Mais
ce n'est pas le seul défi auquel l'Italie ait à faire face, loin
de là. Ses banques, on le
sait, sont dans un état d'extrême fragilité, qui
inquiète la planète finance.
On se souvient de leur
plongée vertigineuse en bourse (-40%) au tout début de l'année
2016, cependant qu'elles
ploient
sous 200
milliards d'euros de créances douteuses. Du coup, entre autres
tentatives de colmatage, le gouvernement italien a annoncé la
semaine dernière la
création d'un fonds spécial
pour soutenir les banques
transalpines. D'un fonds
doté de... 5 milliards d'euros, soit
moins de 3 % du total des prêts non performants. Apparemment
amusé, le site spécialisé
en finances Zero Hedge qualifie l'initiative
de « blague de la semaine » .
Toutefois,
même si elles sont loin d'être sorties de l'auberge, le zoom sur
les banques italiennes ne doit pas faire oublier combien vont mal
certaines banques allemandes ( notamment la première d'entre elles,
la Deutsche Bank), les banques grecques (évidemment), ou à
négliger cette information : l'Autriche (tiens, tiens...)
vient tout juste d'inaugurer le premier bail in européen
(sauvetage d'une banque à partir de l'argent des actionnaires et des
déposants, sans usage d'argent public) d'une banque en faillite,
Hypo Alpe Adria.
L'Espagne,
toujours sans gouvernement
Quant
à l'Espagne, si la situation économique y reste
difficile avec
un
taux
de chômage à
21%,
le
second plus haut de l'Union européenne,
c'est
surtout à une crise politique qu'elle
est
actuellement confrontée.
Le
pays se trouve sans gouvernement depuis quatre
mois.
En
effet, les
élections générales du 20 décembre 2015 y
ont
fait voler
en éclat un
bipartisme
très installé qui opposait traditionnellement le Parti populaire
(PP) aux socialistes du PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol).
Elles
ont introduit
brutalement dans le jeu Ciudadanos (C's),
un
parti de droite libérale « espagnoliste »,
et Podemos, le parti de gauche anti-austéritaire.
Depuis
lors, le blocage est total. Aucune coalition ne parvient à se
former. On
a bien cru, l'espace d'un moment, qu'un ménage à trois se
révélerait possible, que le socialiste Pedro
Sanchez
réussirait à unir la carpe et le lapin, et
à former autour de lui un gouvernement allant de C's à Podemos. Les
militants de ce dernier en ont décidé autrement. Alors que Pablo
Iglesias a
fait le choix de les consulter
pour
qu'ils adoubent ou repoussent
le
« pacte
Rivera-Sanchez »,
c'est
à dire l'accord de
gouvernement
signé
entre le patron du PSOE et celui de Ciudadanos, les
militants
l'ont très massivement rejeté.
Le
18 avril, plus
88 %
d'entre
eux disaient « non »
à
ce pacte
économiquement
très orthodoxe.
Désormais,
le pays s'achemine vers une dissolution du Parlement le 2 mai, puis
vers
la tenue d'élections anticipées le 26 juin. L’Espagne
demeurera-t-elle ingouvernable après
cela ?
Impossible à prévoir. La seule chose que l'on saura à
cette date,
puisque les Anglais auront voté trois jours avant, c'est si la
Grande-Bretagne poursuit la croisière infernale ou si elle quitte
enfin le bord.
Les
relations tendues de l'Allemagne et de la BCE
Ce
panorama d'apocalypse ne serait toutefois pas complet si l'Allemagne
n'était pas là pour jeter quelques hectolitres d'huile dans la
fournaise. Aussi
le ministre des finances Wolfgang Schäuble
a-t-il
jugé le moment opportun pour critiquer la politique actuelle, certes très accommodante, de la Banque centrale européenne (taux
nuls voire négatifs, quantitative
easing
étendu au rachat d'obligations de certaines entreprises),
et pour lui
attribuer les succès obtenus en
mars par
l'Alternative
pour l'Allemagne (AfD) lors des scrutins régionaux du Bade-Wurtemberg, de Rhénanie-Palatinat et de Saxe-Anhalt.
Que
l'AfD
ait, suite à des bisbilles internes et à un changement de leader,
mis en sourdine sa
rhétorique
anti-euro pour se consacrer exclusivement à la question migratoire,
n'y change rien. Que la BCE n'ait plus que peu de marge de manœuvre,
qu'elle
soit obligée d'agir ainsi pour éviter
que
les économies du Sud de la zone euro ne soient emportées par un
tourbillon déflationniste, non plus. Les largesses monétaires ne
sont pas du goût des Allemands, et ne l'ont jamais été.
Quant
à la
monnaie unique et aux
modalités de sa gestion par une Banque centrale fédérale,
elles ne
peuvent
pas convenir à tout le monde. Du
coup, elles
finissent
par ne plus convenir à personne. En juin 1992, des économistes
allemands l'annonçaient déjà dans un « Manifeste des 60
contre Maastricht ». Ils
y
écrivaient :
« l'introduction
précipitée d'une union monétaire va soumette l'Europe à des
tensions économiques intenses qui, à bref délai, peuvent conduire
vers l'épreuve d'un déchirement. L'union monétaire pourrait
menacer par là l'objectif d'intégration ».
Nous
y sommes.
Et nous y sommes à un point tel que l'on ne se demande plus si l'Union européenne – et en son sein la zone euro – survivra à tout cela. On se demande simplement de quelle plaie elle périra, et on se demande quand.
Article initialement paru dans le Figarovox.
Et nous y sommes à un point tel que l'on ne se demande plus si l'Union européenne – et en son sein la zone euro – survivra à tout cela. On se demande simplement de quelle plaie elle périra, et on se demande quand.
Article initialement paru dans le Figarovox.
Il faudrait sacrifier une idole, l'euro, pour sauver l'autre, l'Europe. Ils n'oseront pas.
RépondreSupprimerPublication lucide, bien qu'elle soit difficile à avaler pour un Européen qui rêvait d'une sortie de l'Euro... Denis a en effet raison, la sortie de l'Euro aurait pu sauver l'Europe mais nous n'avions pas le droit de l'évoquer... le bébé va partir avec l'eau du bain , je le crains
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