Par Albert Camus (hé hé....)
On nous dit « en somme , qu’est ce que vous voulez ? ». Cette question est bonne parce qu’elle est directe. Il faut y répondre directement. Naturellement, cela ne peut se faire en un ou deux articles. Mais , en y revenant de temps en temps, on doit y apporter de la clarté.
Nous
l’avons dit plusieurs fois, nous désirons la conciliation de la
justice avec la liberté. Il parait que ce n’est pas assez clair.
Nous appellerons donc justice un état social ou chaque individu
reçoit toutes ses chances au départ, et ou la majorité d’un pays
n’est pas maintenue dans une
condition indigne par une minorité de privilégiés. Et nous
appellerons liberté un climat politique ou la personne humaine est
respectée dans ce qu’elle est comme dans ce qu’elle exprime.
Tout
cela est assez élémentaire,
mais la difficulté réside dans l’équilibre de ces deux
définitions. Les expériences intéressantes que nous offre
l’Histoire le
montrent bien. Elles nous donnent à choisir entre le triomphe de la
justice ou celui de la liberté. Seules, les démocraties scandinaves
sont au plus près
de la conciliation nécessaire. Mais leur exemple n’est pas tout à
fait probant en raison de leur isolement relatif et du cadre limité
où s’opèrent
leurs expériences.
Notre
idée est qu’il faut faire régner la justice sur le plan de
l’économie et garantir la liberté sur le plan de la politique.
Puisque nous en
sommes aux affirmations élémentaires, nous dirons donc que nous
désirons pour la France une économie collectiviste et une
politique libérale.
Sans
l’économie collectiviste qui retire à l’argent son privilège
pour le rendre au travail , une politique de liberté est une
duperie. Mais sans la garantie constitutionnelle de la liberté
politique, l’économie collectiviste risque d’absorber toute
l’initiative et toute l’expression individuelles.
C’est
dans cet équilibre constant et serré que résident non pas le
bonheur humain, qui est une autre affaire, mais les conditions
nécessaires et suffisantes pour que chaque homme puisse être le
seul responsable de son bonheur et de son destin. Il s’agit
simplement de ne pas ajouter aux misères profondes de notre
condition une injustice qui soit purement humaine.
En somme, et nous nous excusons de répéter ce que nous avons dit, nous vouons réaliser une vraie démocratie populaire. Nous pensons que toute politique qui se sépare de la classe ouvrière est vaine et que la France sera demain ce que sera sa classe ouvrière.
En somme, et nous nous excusons de répéter ce que nous avons dit, nous vouons réaliser une vraie démocratie populaire. Nous pensons que toute politique qui se sépare de la classe ouvrière est vaine et que la France sera demain ce que sera sa classe ouvrière.
Voila
pourquoi nous voulons obtenir immédiatement
la mise en œuvre d’une
Constitution où
la liberté recevra ses garanties et d’une économie où
le travail recevra ses droits, qui sont les premiers. Il n’est pas
possible d’entrer dans le détail. Nous le ferons chaque fois
qu’il sera nécessaire. Pour qui sait nous lire d’ailleurs, nous
le faisons déjà sur beaucoup de points précis.
Il
reste a dire un mot sur la méthode. Nous croyons que l'équilibre
difficile que
nous poursuivons ne peut se réaliser sans une honnêteté
intellectuelle et morale de tous les instants qui, seule, peut
fournir la clairvoyance nécessaire. Nous ne croyons pas au réalisme
politique. Le
mensonge bien intentionné est ce qui sépare les hommes, les rejette
à la plus vaine solitude. Nous croyons au contraire que les hommes
ne sont pas seuls et qu’en face d’une condition ennemie, leur
solidarité est totale. Est juste et libre tout ce qui sert cette
solidarité et renforce
cette communion, tout ce qui par conséquent
touche à la sincérité.
Voila
pourquoi nous pensons que la révolution politique ne peut se passer
d’une révolution morale qui la double et lui donne sa vraie
dimension . On
comprendra peut être alors le ton que nous essayons de donner à ce
journal. Il en est même
temps celui de l’objectivité, de la libre critique et de
l’énergie.
Si l’on faisait seulement l’effort de le comprendre et de l’admettre, nous avons la faiblesse de croire que pour beaucoup des Français commencerait une grande espérance.
Albert Camus dans Combat, le 1er octobre 1944
Si l’on faisait seulement l’effort de le comprendre et de l’admettre, nous avons la faiblesse de croire que pour beaucoup des Français commencerait une grande espérance.
Albert Camus dans Combat, le 1er octobre 1944
Magnifiquement écrit. La lucidité à l'école du doute, l'alliance des contraires pour une dialectique "collectiviste". Seul petit bémol à ce parler frais, la politique devant être libérale. Non, c'est une adolescence le libéralisme politique. La politique doit être d'essence commune, solidaire et horizontale, c'est pas libéral ça.
RépondreSupprimerAlain L.
Bravo pour cette pépite partagée. On voit ici que le "combat" n'est pas terminé. Je suis d'accord avec Alain L. la politique doit être horizontale, c'est pourquoi je milite pour une assemblée constituante tirée au sort parmi l'ensemble de la population... mais en revanche, je pense que l'acception de Camus concernant la politique libérale est différente de celle que nous avons aujourd'hui... et pour cause, le néo-libéralisme n'existait pas encore dans le vocabulaire commun. Je pense que ce n'est point trahir la pensée de Camus que d'imaginer que sa politique libérale est proche de l'iségoria grecque : égalité de temps de parole pour tous les citoyens... tous ! Et cette libéralité au sens de générosité ne pourra s'épanouir que dans les agoras locales et des institutions régionales et nationales où lepeuple ne sera plus représenté mais effectivement tiré au sort pour s'exprimer mais aussi gouverner... j'invite encore et toujours à lire david Van Reybrouck "contre les élections" sous entendu pour le tirage au sort, Dominique Rousseau "radicaliser la démocratie", Francis Dupuy-Déri "démocratie:histoire politique d'un mot", Manin "Principes du gouvernement représentatif". Bonne journée
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