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Emmanuel
Maurel est député européen depuis mai 2014. Il est
membre du
groupe S&D (Alliance progressiste des socialistes et démocrates)
et siège au sein de la Commission commerce international (INTA) du
Parlement européen. L'entretien ci-dessous traitera de quatre
questions principales : le Traité transatlantique (TAFTA),
l'accord de libre-échange avec le Canada (CETA), le TISA (accord de
libre-échange concernant le domaine des services), et le statut
d'économie de marché qui sera probablement accordé à la Chine fin
2016. Cet entretien sera publié en deux parties. La première partie
ci-dessous traite du TAFTA.
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Commençons
par un sujet qui inquiète et mobilise de plus en plus de monde :
le TAFTA. On croyait en avoir fini avec le risque de voir se mettre
en place des juridictions arbitrales privées, l'un des éléments
les plus controversés des négociations transatlantiques. Or Le
Monde affirme avoir eu accès à des documents prouvant que la France est à l'avant-garde de la promotion de ces tribunaux. Pourtant, le
gouvernement français n'a de cesse de dire publiquement qu'ils ne
sont « ni
utiles, ni nécessaires ».
Y a-t-il un double discours de la France sur ce point ?
Non,
ce n'est pas le cas. Il est vrai que dans le cadre du TAFTA - mais
également du CETA, l'accord de libre-échange avec la Canada qui
doit être ratifié par le Parlement européen avant la fin de
l'année - était prévu un système qui s'appelle l'ISDS (Investor-State Dispute Settlement), qui a vocation à régler les
différends entre les entreprises et les États dans le cadre de
juridictions d'arbitrage privées. Il faut savoir que de tels
mécanismes existent depuis les années 1950, et dans tous les
accords de libre-échange. Aujourd'hui, il existe environ 3000 ISDS
dans le monde, et la France en a signé plusieurs centaines.
Ces
structures ont été mises en place au début car lorsqu'on passait
des accords avec des pays en voie de développement, on craignait
beaucoup - surtout les investisseurs - les effets de l'insécurité
juridique qui y régnait. Les changements politiques intempestifs
pouvaient rendre l'environnement économique très instable.
Mais
cela n'est plus adapté, pour deux raisons. D'abord parce que la mise
en œuvre du droit commercial a globalement progressé partout.
Ensuite et surtout parce qu'existent désormais des multinationales
avec des forces de frappe considérables, qui se sont servi de ces
ISDS pour attaquer les États et demander des sommes folles à la
moindre évolution des politiques publiques. L'exemple le plus connu
et le plus caricatural est celui de Philip Morris attaquant l'Australie ou l'Uruguay parce que les autorités de ces pays avaient
décidé de passer au paquet neutre pour l'Australie (ce qui
obligeait le cigarettier à retirer son logo de ses paquets), ou
d’accompagner les messages sanitaires d’avertissements illustrés
sur les paquets pour l'Uruguay...
En
somme, avec ce système d'ISDS, un État qui veut mettre en place une
législation, y compris pour des raisons de santé publique comme
dans votre exemple, peut être attaqué en justice....
Oui.
Avec ce type d'outils, une entreprise installée dans un État suite
à un traité de libre-échange et qui s'estime lésée par un
changement de la législation peut attaquer l’État en question et
demander réparation. Il existe ainsi de nombreux arbitres
internationaux privés - le plus souvent des avocats d'affaire
rémunérés à prix d'or - mis en place par des traités de
libre-échange, et qui rendent leurs jugements partout dans le monde.
Ce
qui a changé dans la période récente, c'est que les
multinationales se sont mises à réclamer des sommes considérables,
suite à des décisions parfaitement démocratiques. Par exemple,
lorsque des gouvernements de gauche, en Amérique de Sud, décident
de nationaliser l'exploitation des hydrocarbures, de grandes
compagnies pétrolières conduisent des offensives très dures,
arguant qu'on les privait à la fois de profits immédiats et de
profits à venir.
Or
quand on négocie le TAFTA avec les États-Unis, on sait très bien
quels interlocuteurs on a en face. Ce sont toutes les plus grandes
entreprises mondiales, avec des batteries d'avocats excessivement
procéduriers, et un rapport à la justice privée très spécifique.
Et
ces entreprises pourraient très bien attaquer la France si une loi,
une politique publique, venait à leur déplaire ?
C'est
bien sûr une possibilité. C'est pourquoi le Secrétaire d’État
au commerce extérieur Matthias Fekl, après une très forte
mobilisation de l'opinion publique, des ONG et des parlementaires
européens, a convenu que la perspective d'un ISDS était
inacceptable. En plus c'est inutile : les États-Unis sont quand même
un État moderne, avec une justice commerciale qui fonctionne ! On
travaille donc désormais à imaginer un nouveau mécanisme de
règlement des conflits, qui offre la possibilité d'un appel, et des
juges qui soient plus impartiaux.
Qu'en
est-il de la révélation du Monde,
alors ?
Ce
n'en est pas vraiment une. De nombreux traités de libre-échange ont
été signés dans les années 1990, notamment avec les pays d'Europe
centrale et orientale qui n'étaient pas encore dans l'Union. À
présent que ces pays ont intégré le marché intérieur européen,
la Commission s’est engagée dans une démarche d’abrogation des
accords bilatéraux intra-européens qui contiennent des ISDS. Les
États-membres ont été appelés à se prononcer, mais rien n’est
encore décidé.
Ce
que Le
Monde a
révélé, c'est ce qu'on appelle un « non-papier ». Il
s'agit d'une sorte de brouillon émis par des technos. Lorsqu'ils
commencent à discuter, ils couchent sur un document toutes les
hypothèses envisageables, mais ce n'est absolument pas décisionnel.
Il serait faux de considérer qu'il s'agit là de la position
officielle de la France, et que le gouvernement tient sur cette
affaire d'ISDS un double discours.
On
entend de plus en plus souvent parler du TAFTA dans les médias alors
que ce n'était pas le cas au début. Le sujet intéresse. Pour
autant, cet accord a-t-il vraiment des chances d'être conclu ? Par
ailleurs, qui des américains ou des européens le souhaite le plus ?
On prête aux États-Unis un goût prononcé pour le libéralisme
économique, mais en l’occurrence, on dirait que c'est surtout
l'Europe qui souhaite l'accord.
Le
TAFTA est plutôt une idée européenne en effet, en tout cas au
départ. C'est la Commission Barroso qui a ouvert ce débat, en
partant du constat d'une croissance faible et d'un niveau de chômage
élevé, et parce que les économistes de la Commission sont
incapables
d'imaginer autre chose que de la dérégulation pour y remédier. Ils
ont donc recherché quel était le grand marché qui pourrait tirer
la croissance européenne, et dont le modèle serait proche du nôtre.
La Commission s'est naturellement tournée vers les États-Unis,
d'autant que José Manuel Barroso est lui-même un atlantiste éperdu.
Le
problème dans cette histoire, c'est qu'il y a très peu de barrières
douanières entre les États-Unis et l'Europe. Le TAFTA est en
quelque sorte un traité de libre-échange « nouvelle
génération ». La vraie question n'y est plus celle de
l'abaissement des tarifs douaniers mais celle de l'harmonisation des
normes.
Le
TAFTA est donc une idée européenne. Et les États-Unis, qu'on-t-ils
à gagner dans l'affaire ?
C'est
très simple. L'idée les a enthousiasmés car Obama tente de mettre
en place une stratégie « en pinces » dirigée contre la Chine.
L'émergence
rapide de la Chine, la perspective qu'elle puisse un jour imposer ses
normes commerciales partout inquiète légitimement les États-Unis.
Ils cherchent à la prendre en tenailles. Pour ce faire, ils ont
d'abord signé le traité transpacifique (TPP : Trans-Pacific
Partnership) avec une douzaine de pays. Dans un second temps, ils
espèrent signer le traité transatlantique avec l'Europe. La grande
idée géopolitique d'Obama, c'est de coincer ainsi la Chine entre
deux entités commerciales puissantes.
L'accord
transpacifique est donc signé depuis le mois de février …
Il
est signé mais pas encore ratifié, pour la bonne raison qu'Obama ne
dispose pas de la majorité nécessaire au Sénat. Les sénateurs du
Midwest, et plus généralement ceux des États américains
producteurs de viande bovine, considèrent que l'accord est
insuffisant, et offre trop peu de possibilités d'exportation de
viande.
Par
ailleurs, les candidats à la présidentielle américaine, que ce
soit Trump, Sanders ou
même Clinton, émettent de forts doutes sur le bien-fondé de cet
accord.... Bref, l'administration Obama rencontre des difficultés
avec le TPP
qui était pourtant sa priorité, bien plus que le TAFTA.
Lequel
n'est donc pas prêt de voir le jour, donc.
On
est en certes au 13ème round de
négociations, mais il est vrai que ça n'avance guère. Cela tient
au contenu du projet d'accord. Il contient d'une part des
perspectives d'harmonisation des normes techniques (uniformisation
des prises électriques, des pare-chocs de voitures, etc), qui
peuvent tout à fait se justifier et
qui
permettraient de lever certains obstacles à l'échange.
Mais
il contient aussi des points bloquants. Certaines questions posent
problème, parce qu'elles sont existentielles pour les États-Unis,
et relèvent en même temps des « intérêts offensifs »
de l'Europe. Je pense notamment à la question des marchés publics
américains.
Contrairement
à ce que l'on entend souvent, les États-Unis ne sont pas un pays
plus libéral ou libre-échangiste que les autres. Ils sont avant
tout pragmatiques. Dans ce cadre, leurs marchés publics demeurent
très peu ouverts comparés aux marchés publics européens, qui le
sont à 95 %.
Quand des appels d'offre ont lieu, que ce soit au niveau fédéral ou
au niveau des États fédérés, une grosse portion est réservée
aux entreprises locales en vertu du Buy American Act. C'est
un vieux texte (1933) mais il est encore en vigueur. Or « l'intérêt
offensif » de l'Europe, dans ce cadre, c'est que les
entreprises européennes puissent avoir accès aux grands marchés
publics américains. Ça, les Américains s'y refusent.
Ils
sont donc très protectionnistes !
Ils
sont soucieux de leurs intérêts, et se donnent les moyens de les
faire prévaloir. L'Europe, c'est précisément
le contraire. Exemple assez significatif du fonctionnement de l'Union
européenne aujourd'hui : l'affaire des panneaux
photovoltaïques. Au début des années 2000, les Européens
commencent à mettre en place une industrie photovoltaïque, qui
marche très bien. L’Europe représente 70% des nouvelles
installations photovoltaïques en 2011 et encore 59% en 2012. Puis
arrivent les Chinois, qui inondent le marché avec des panneaux à
très bas coûts. Les Européens tergiversent, lancent une enquête
pour savoir s'il convient ou pas d’appliquer des mesures
antidumping. L'affaire prend dix-huit mois. A la fin, c'est bien
simple : il n'y a plus de photovoltaïque européen. Toute cette
industrie a coulé.
Aux
État-Unis, une chose pareille n'est pas concevable. Quand on y
soupçonne une situation de concurrence déloyale, les enquêtes
durent deux mois. Au terme de la procédure et si le dumping est
avéré, la mise en place de taxes est immédiate. Des taxes
douanières qui peuvent croître brutalement de 200, 250, parfois
300 %.
Vous
dites que les États-Unis sont pragmatiques. L'Union européenne,
elle, est donc engluée dans l'idéologie ?
Ce
n'est pas nouveau. Le libre-échange poussé à l'extrême est dans
l'ADN de la construction européenne. Et nos industries en ont
énormément souffert. Un débat a lieu en ce moment au sein de l'UE
sur la modernisation de nos instruments de défense commerciale, et
sur la question de savoir si l'on ne pourrait pas durcir nos
mécanismes antidumping. Mais un certain nombre d’État membres,
tels la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas, dont l'économie est
historiquement très extravertie, y rechignent vivement.
Revenons
au TAFTA, et à ces négociations qui avancent peu. Vous avez évoqué
la question des marchés publics américains comme point bloquant
majeur. Quels sont les autres ?
L'autre
point d'achoppement relève des « intérêts défensifs »
de l'UE. Il s'agit de la question des indications géographiques. En
Europe, nous avons beaucoup de produits d’appellation d'origine
contrôlée ou protégée. Pour nous, un produit est lié à un
territoire et à un savoir-faire particulier : la feta, le
parmesan, le roquefort ne peuvent pas être produits partout. Au
États-Unis, cette logique est inexistante. On y fabrique du brie
dans le Wisconsin et du parmesan dans le Midwest sans aucun problème.
Or si l'on accepte d'entrer dans leur logique, cela représente un
danger considérable pour certaines de nos productions.
Enfin,
parmi les points bloquants figure la question de l'harmonisation des
normes, notamment alimentaires et sanitaires. Les Européens ont
beaucoup à craindre de l'harmonisation des premières avec celles
des États-Unis. On sait par exemple que les Américains nourrissent
tout leur bétail au OGM, lavent leurs poulets au chlore etc. Mais il
existe aussi des réticentes dans l'autre sens. Par exemple, les
États-Unis demandent aux Européens d'être moins laxistes sur la
fabrication des cosmétiques, qu'ils considèrent pour leur part
comme des produits pharmaceutiques et qu'ils surveillent de très
près.
Au
final, on ne peut être certain que le TAFTA aboutira. Si tout se
déroulait normalement, la ratification n'interviendrait pas, de
toute façon, avant 2019 ou 2020. Les rounds de
négociation sont très longs car des sujets d'une très grande
diversité et technicité sont abordés. Une fois un éventuel
pré-accord conclu, la phase de relecture juridique puis de
traduction durera au moins un an. Viendra ensuite la phase de
ratification par l'Union européenne et par les États-membres.
Les
États seront donc consultés ? Les Parlements nationaux
voteront ?
Oui
car le TAFTA est en principe conçu pour être un accord mixte, qui
devra faire l'objet d'une double ratification. Ce n'est pas le cas de
tous les accords, et les traités sont sur ce point quelque peu
ambigus. Le Traité sur le fonctionnement de l'Union (TFUE) indique
que c'est au Parlement européen de ratifier les accords de
libre-échange. C'est d'ailleurs un progrès considérable introduit
par le traité de Lisbonne. Le Parlement a désormais le droit de vie
ou de mort sur ce type d'accords. Avant, c'est le Conseil qui les
validait à la suite de débats a
minima.
Le
traité précise ensuite que certains domaines peuvent être de la
compétence exclusive de l'Union, cependant que d'autres relèvent
d'une compétence partagée avec les États. Dans le second cas, le
niveau de ratification est double. Ce sera très vraisemblablement le
cas pour le TAFTA.
[ Seconde partie de l'entretien à paraître. To be continued.....]
De 2004 à 2016, comment les peuples ont-ils évolué concernant l'Union européenne ?
RépondreSupprimerRéponse :
Dans tous les pays européens, les personnes favorables à l'Union européenne sont de moins en moins nombreuses !
Ce que montre le graphique ci-dessous, c'est la mort inéluctable de l'Union européenne.
Entre les peuples et l'Union européenne, le divorce est consommé.
En 2004, en France, 69 % des personnes interrogées avaient une opinion favorable de l'Union européenne. En 2016, ils ne sont plus que 38 % !
En 2004, en Allemagne, 58 % avaient une opinion favorable de l'Union européenne. En 2016, ils ne sont plus que 50 %.
En 2004, au Royaume-Uni, 54 % avaient une opinion favorable de l'Union européenne. En 2016, ils ne sont plus que 44 %.
En Italie, les opinions favorables à l'Union européenne sont passées de 78 % à 58 %.
En Espagne, les opinions favorables à l'Union européenne sont passées de 80 % à 47 %.
En Pologne, les opinions favorables à l'Union européenne sont passées de 83 % à 72 %.
En Grèce, les opinions favorables à l'Union européenne sont passées de 37 % à 27 %.
http://www.pewglobal.org/files/2016/06/PM_2016.06.07_brexit-00.png
La déception sur l'évolution ultra libérale de l'Union européenne est flagrante... Une preuve supplémentaire de l'absence de prise ne compte des aspirations des peuples et donc d'une insuffisante démocratie des organes de gouvernance de l'Union Européenne.
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