mardi 14 février 2017

Congrès de Podemos : la rébellion matée







Par Christophe Barret
Auteur du livre Podemos, pour une autre Europe (Le Cerf, 2015). 


Ce week-end se tenait en Espagne le congrès de Podemos, un congrès décisif puisqu'il a vu se tenir, dans une formation pourtant peu encline à promouvoir le leadership vertical, une véritable guerre des chefs. Pablo Iglesias et son numéro deux, le jeune et brillant politiste Íñigo Errejón, se sont en effet affrontés. A priori légitimistes, les militants ont reconduit le premier dans ses fonctions de secrétaire général. Christophe Barret, spécialiste de l'Espagne et de Podemos en particulier, revient sur l’événement pour L'arène nue. 

***


Pablo Iglesias l’a donc largement emporté. Il est réélu secrétaire général de Podemos et ses partisans occupent désormais la majorité des sièges, au sein du Conseil citoyen du parti. "Vistalegre II" a été, en fait, le cadre de clarifications qu’il convient d’analyser sans tomber – bien-sûr ! – à la caricature.

Première clarification : le choix de la « verticalité »

À la gauche de la gauche, la notion de « verticalité » fait débat. On l’a évoquée, en France, quand est né le mouvement Nuit Debout. Pablo Iglesias a, de plein gré, accepté cette « verticalité » que beaucoup de fidèles au mouvement des Indignés rejetaient. Il y a donc maintenant un chef unique à Podemos. Une bruyante minorité, celle des anti-capitalistes (soit environ 15 % des militants et sympathisants), reste toutefois vigilante. Et c’est tant mieux.

Le poste de « secrétaire politique », occupé par Íñigo Errejón est voué à disparaître. Il est vrai que l’équivalent d’un tel poste n’existe pas, dans aucun autre parti. Le numéro 1 pourra, il est vrai, continuer à convoquer des congrès à sa guise. Comme il vient de le faire pour « Vistalegre II », qui - il faut l’avouer – ne restera pas dans les annales comme une référence. Les conditions dans lesquelles ce congrès s’est déroulé sont, à certains égards, surprenantes. Nombre de militants se sont plaints du caractère précipité de sa convocation et du peu de temps laissé aux cercles territoriaux et thématiques pour débattre. D’autres n’ont pas compris pourquoi les deux journées du congrès, consacrées à la présentation de motions, étaient organisée presque au terme du processus électoral. Les militants et sympathisants étaient appelés à se prononcer, par voie de vote électronique, depuis déjà plusieurs jours ! Erreur de jeunesse : Ínigo Errejón a cru, à tort, qu’il lui suffirait de s’appuyer sur tous les déçus de la centralisation pour l’emporter. Certains se sont manifestement mobilisés, d’autres ont en fait quitté le bateau. Quoi qu’il en soit, un parti est maintenant en ordre de marche et prêt à assurer travail parlementaire qu’il réclamait.

Seconde clarification : le choix de l’opposition frontale

Pablo Iglesias ébauche une ligne politique originale, d’abord fondée sur l’intransigeance. Désormais, Podemos se développera dans l’optique d’une opposition frontale avec les partis représentatifs de « l’oligarchie ». Íñigo Errejón, au nom d’une même fidélité à la vocation originelle du parti était devenu plutôt favorable à l’alliance avec ces partis traditionnels, afin de ne pas rompre avec un autre principe du populisme de gauche : ne pas apparaître comme trop radical. On touche, là, peut-être aux limites de cette théorie… Les succès de ce qu’il est convenu d’appeler le mouvement « municipaliste », à Madrid notamment - où Podemos gouverne, grâce à une alliance conclue avec le PSOE et d’autres forces de la gauche dite de progrès -, pouvait cependant lui donner raison !

De même, certains sont effrayés par la place que prend désormais une gauche très radicale, au sein du Conseil citoyen. Viennent d’y entrer Manolo Monereo – ancien du PCE et un de ses mentors politiques, avec Jorge Verstrynge et Juan-Carlos Monedero – et Diego Cañamero – ancien dirigeant du Syndicat Andalou des Travailleurs, qui se défini comme « anticapitaliste » et d’« action directe ». Mais la volonté d’en découdre, partagée avec d’autres tendances venues par exemple d’une social-démocratie qui ne se reconnaît plus dans les choix du PSOE, peut ne pas être condamnée a priori.

Aucune nouvelle « purge » ne semble annoncée après des querelles d’appareil qui, il est vrai, pouvaient laisser présager le pire. La veille école communiste n’est donc qu’une tendance parmi d’autres au sein du nouveau Conseil citoyen.

Íñigo Errejón, certes, doit perdre ses fonctions de secrétaire politique et de porte-parole de groupe parlementaire. Mais il a indiqué sa volonté de ne pas quitter Podemos, et Pablo Iglesias, au lendemain du congrès, a jugé sa présence indispensable. Car la position d’Íñigo Errejón peut lui permettre de patienter, d’un strict point de vue personnel. Sa tendance a obtenu 37 % de voix lors de l’élection du nouveau Conseil citoyen. Elle a remporté 23 des 62 sièges qui le composent (NB : la tendance « anti-capitaliste » y fait son entrée, avec deux représentants – dont le député européen Miguel Urbán). Le travail parlementaire, sur lequel Errejón voulait aussi appuyer son action, pourrait donc se développer en parallèle à « la mobilisation de la rue » promue par Pablo Iglesias. De nombreux militant ne voient pas de contradiction entre l’une et l’autre démarche.


Troisième clarification, à venir : la question programmatique.

Christophe Barret, envoyé spécial
de L'arène nue en Espagne
 (hé hé). 
Comme l’explique Chantal Mouffe, le populisme de gauche est tout sauf un programme. Or, l’appareil est maintenant en ordre de marche. Une stratégie politique est définie. Le contenu programmatique, en toute logique, devrait donc maintenant suivre.

La base militante, au cours des deux journées de congrès, a très régulièrement interrompu ples discours pour scander comme une litanie, le mot « unité ». Pablo Iglesias le sait, l’Espagne qui souffre ne doit pas être déçue. Au lendemain du congrès, il a d’ailleurs rappelé à quel point la situation internationale était inquiétante : aux États-Unis, en France et en Grèce. Et il a, au cours d’un entretien télévisé, dénoncé l’action des « oligarchies allemandes ». D’un point de vue d’Européens attentifs à la revendication de la souveraineté, Pablo Iglesias et Íñigo Errejón ont maintenant quelques cartes maîtresses en main pour favoriser l’alternance à l’échelle du continent. « Unité » et « humilité » étaient, très logiquement, au cœur du discours de clôture de « Vistalegre II » prononcé par Pablo Iglesias.

Une rébellion a été matée, à Podemos, qui débouchera peut-être sur le meilleur.


[ Pour poursuivre la réflexion, on pourra également lire ici l'article de Vincent Dain sur Le Vent se Lève.] 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire