mardi 25 septembre 2012

Après le voile et la kippa, Marine Le Pen enlève le bas ?

 
 
 
 
Marine Le Pen est une fille. Est-ce pour cela qu’elle a décidé de mettre sa rentrée 2012 sous le signe du « parler chiffons » ? On pourrait le croire à la lecture de l’entretien qu’elle a accordé au Monde du samedi 22 septembre, en prime time de son université d’été de ce week-end à La Baule. En tout cas, une chose est sûre : la patronne du Front national a une conception toute vestimentaire de la laïcité.
 
« MLP » souhaite en effet tout interdire et partout. Dans la rue, dans les boutiques, dans les transports, le voile islamique serait aussitôt proscrit si elle accédait au pouvoir. Quant aux autres bouts d’étoffe, on leur réserverait le même sort, histoire d’avoir l’air équitable : « il est évident que si l’on supprime le voile, on supprime la kippa dans l’espace public ». Voilà qui a le mérite de sonner égalitaire au moins autant que ça sonne creux : croyantes et croyants de toutes obédiences, dessapez-vous ! Heureusement qu’elle a précisé sur son compte Twitter ne viser en aucune façon « le personnel religieux ». Car on voyait déjà Marine Le Pen faisant mettre les nonnes nues.
 
Si l’on en croit sa chef, le « nouveau Front national », ainsi nommé par le sociologue Sylvain Crépon, devrait donc troquer très prochainement ses porte-flingues contre une poignée de porte-fringues prêts à se livrer sur commande à quelques séances d’épuration vestimentaire. On pourchassera toute trace de foi comme durant les grandes heures de feue l’Union soviétique, et seul l’uniforme de la mécréance sera autorisé : le Diable s’habille en Pravda.
 
Le truc ne manque pas de sel dans la bouche de l’héritière du parti qui fut, à l’époque de papa Jean-Marie, le plus anticommuniste du pays ; et qui servit de refuge à tous les cul-bénis ayant pour habitude de s’user les rotules sur le sol de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, histoire de s’assurer très en amont une place de choix au Paradis.
 
Las, ce que nous propose aujourd’hui Marine Le Pen n’a guère à voir avec la séparation des Églises et de l’État. Ce qu’elle tente de présenter comme une panacée laïque a davantage des airs de despotisme athée. Elle s’en cache à peine, d’ailleurs, affirmant au détour de l’entretien au sujet des « printemps arabes » : « je remarque que dans les pays où il y a eu des dictatures laïques, les populations vivaient incontestablement mieux, avaient plus de libertés individuelles ». Une bonne vieille dictature anticléricale, est-ce cela qu’elle appelle de ses vœux ?

En tout cas, il y a un contresens à définir la laïcité comme le fait de régenter l’intégralité de « l’espace public ». Ça, c’est être laïcard. Au demeurant, l’expression d’« espace public » est un terme bien flou, tant il vrai que tout est plus ou moins « public », hormis votre domicile et le mien. C’est pourquoi Catherine Kintzler préfère distinguer trois types de lieux. Premièrement, « l’espace de l’autorité publique » (autrement dit les administrations d’État, les collectivités locales et l’école). Ensuite, « l’espace civil ouvert au public » (la rue, les commerces…). Enfin, « l’espace privé » (le home sweet home, les pénates, la tanière).
 
Pour la philosophe en effet, le premier de ces trois espaces – celui de l’autorité publique – est également celui de « la constitution du droit et des libertés ». C’est lui qui est strictement neutre. Et cette neutralité est la garantie même de la plus scrupuleuse des tolérances ailleurs. Ainsi, dans « l’espace civil ouvert au public » comme dans l’intimité du lieu privé, on porte à peu près les habits que l’on veut. Là, « les libertés d’expression, d’opinion, etc. peuvent, dans le respect du droit commun, se déployer dans la société civile sous le regard d’autrui ».
 
Pas question, donc, de se laisser imposer une fausse laïcité, autoritaire et psychorigide, qui consisterait à régenter l’accoutrement des braves gens jusque dans la rue, dans les jardins publics et sous les abribus. Cette passion pour l’uniformité, c’était bon pour la Russie de Joseph Staline. Mais le Petit père des peuples est mort depuis longtemps, et ici, c’est la France. Or la France, comme disait l’autre (qui déjà ?) : « tu l’aimes, ou tu la quittes ».
 
Lire une interview de C. Kintzler sur la laïcité ici CLICK
 
 

17 commentaires:

  1. Oui mais non Coralie: la sortie de MLP est salutaire dans ce sens qu'en creux elle nous questionne: avons-nous oui ou non encore quelque chose à défendre dans notre beau pays ?
    Comme la tendance est plutôt à s'asseoir sur à peu près tout, on peut douter en effet de notre attachement à la laïcité.
    Mais alors que nous reste-t-il je vous le demande ?
    Faut tout vous expliquer...

    RépondreSupprimer
  2. Abandonner la laïcité, faire des compromis, nous conduirait, j'ose le dire, à une forme...d'insécurité culturelle.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Mais puisque je vous explique dans ce texte qu'il ne s'agit PAS de laïcité mais plutôt d'autoritarisme débridé !
      S'il s'agissait de laïcité, croyez-moi, je la défendrais bec et ongles. Mais là, ce n'est pas le cas !
      Il faut, pour mieux comprendre, lire également l'interview de Catherine Kintzler que j'ai mis en lien. Sinon, ce soir, je publie une autre interview sur la laïcité. Sujet compliqué, mais une fois qu'on a compris, c'est un bonheur pour l'esprit. Parce que c'est tellement logique, comme invention, en fait.
      Bon : à ce soir alors (pour une nouvelle lecture)...

      Supprimer
  3. Et pour le costard des Mormons, elle compte faire quoi, cette chère Marine ?

    Et pour les Sikhs, qui recouvrent d'un signe ostentatoire, le turban, un autre signe ostentatoire, les cheveux longs ? Elle compte leur interdire le turban, les cheveux longs, et, pour aller jusqu'au bout de sa pensée, la barbe ?

    La barbe, MLP !

    RépondreSupprimer
  4. Très bien l'interview de Catherine Kintzler, que je ne connaissais pas. Je retiens, ici, sa séparation en trois espaces, bien plus pertinente que la traditionnelle séparation espace public/privé, ou plutôt sphère publique/privée, plus fréquemment rencontrée, et plus vicieuse.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah oui, Catherine Kintzler, c'est toujours très clair. Un vrai bonheur pour le cerveau.
      Elle a écrit un petit livre sur ce thème que je vous conseille. (Qu'est-ce que la laïcité).

      Supprimer
  5. L'enjeu n'est-il pas plutôt l'assimilation que la laïcité? Les Français abandonnent la religion tandis que les Français d'origine maghrébine semblent tendre vers l'Islam. Soit, c'est le dernier baroud d'honneur avant de se transformer définitivement en Français, soit, c'est un signe de désassimilation, d'éloignement ou de rejet de la société française majoritaire. La loi de 1905 est une réponse erronée.
    Jard

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La loi de 1905 sépare les Eglises et l'Etat. Je redis - comme c'est dit, je crois, dans le texte - que la sortie de Marine le Pen n'avait rien à voir avec la laïcité.
      Son but était de se payer la "Une" du Monde à la veille de son université d'été.

      Supprimer
  6. Tout ça, c'est pour se cacher derrière son doigt. Ce ne sont pas les Juifs et leur kippa, ni les Sikhs et leur turban, ni les chrétiens et leur croix, ni même les curés avec leur col romain qui posent problème. Ce sont les islamistes dont la tenue vestimentaire est trop souvent le signe d'un refus d'intégration.
    Mettre dans le même sac le foulard et la kippa, c'est assimiler Tariq Ramadan à Popeck.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. vous confondez "islamistes" et "musulmans".

      Mettre les deux dans le même sac, c'est assimiler Tariq Ramadan à Popeck.

      Supprimer
  7. Cet(te) interview (de C. Kintzler) ne me fait ni chaud ni froid.
    J'y vois des circonvolutions intellectuelles improductives. L'Islam y est présent à chacune de vos questions comme de ses réponses.
    Alors pourquoi ne pas reconnaître que c'est avec cette religion que nous avons un problème ?
    Je reste convaincu que la greffe d'une population nouvelle pratiquant une religion totalement étrangère à nos moeurs ne prendra pas, ne peut pas prendre, qu'il s'agit pour eux comme pour nous de la plus parfaite des impostures.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Si cette interview et les "circonvolutions intellectuelles" en général ne vous font ni chaud ni froid, si la nuance et la mesure vous insupportent, si les gens qui refusent de devenir hystérique parce qu'ils n'ont pas envie de ressembler au "rhinocéros" de Ionesco vous filent des boutons...que faites vous sur ce blog ?
      On n'est pas là pour du prêt à penser simpliste, je vous signale...
      Les blogs de la réacosphère son nombreux : allez donc commenter ces derniers.

      Supprimer
    2. Je suis au contraire tout ce qu'il y a de plus mesuré et nuancé.
      Me renvoyer ainsi à la réacosphère est en revanche une marque d'intolérance.
      Prêt à pense simpliste dites-vous ? Je vous renvoie la formule.

      Supprimer
    3. La tolérance, il y a des maisons pour ça.

      Supprimer
    4. @ fredi m

      Je vous cite: "Je reste convaincu que la greffe d'une population nouvelle pratiquant une religion totalement étrangère à nos moeurs ne prendra pas, ne peut pas prendre, qu'il s'agit pour eux comme pour nous de la plus parfaite des impostures."

      C'est une idée assez répandue, mais qui mérite d'être relativisée.

      Comme vous le savez sans doute, l'Europe occidentale a été assez tardivement évangélisée. Pendant ce qu'on appelle l'antiquité tardive, il s'est développé en Europe une polémique anti chrétienne assez virulente qui a plus tard été rattachée à une forme de paganisme.

      Par exemple, en France, jusqu'au début du IV siècle ap JC, il était rare de trouver des églises dans les villes parce que le culte chrétien n'avait pas droit de cité.

      De grands philosophes de cette époque critiquaient vivement les chrétiens en les jugeant inassimilables, tel Celse:

      http://fr.wikipedia.org/wiki/Celse_%28philosophe%29

      Ou encore Porphyre de Tyr

      http://fr.wikipedia.org/wiki/Porphyre_de_Tyr

      Mais en définitive, la greffe chrétienne a pu prendre et Saint Augustin a fait le ménage:

      http://www.assomption.org/Ressources/ItinerairesAugustiniens/IA47/AugustinMaitreSpirituel.htm

      Tout cela pour vous dire qu'une religion qu'on présente aujourd'hui comme la source quasi unique de notre culture a été en son temps considérée comme un corps étranger.

      Il est donc assez piquant de se dire qu'il y a près de, disons, 1600 ou 1700 ans, il y avait dans ce pays qui s'appelait alors la Gaule des gens qui pensaient des chrétiens exactement ce que vous pensez des Musulmans.

      Etanov, niet?

      Supprimer
  8. Maitre Eolas a fait un billet très bien au sujet de la laicité il n'y a pas longtemps :
    http://www.maitre-eolas.fr/post/2012/08/15/Pour-en-finir-avec-la-la%C3%AFcit%C3%A9

    RépondreSupprimer
  9. Bonjour Coralie Delaume.

    Je découvre votre blog depuis Marianne.

    J'ai pris beaucoup de plaisir à la lecture de vos mises au point laïques. Vous avez raison : Catherine Kintzler est un éclair de lucidité.

    Merci à Marianne d'avoir instaurer la censure des commentateurs, cela m'a incité à aller voir ailleurs : que de plaisir d'entendre, non pas d'autres discours de bistrot, mais des voix fortes, intelligentes et argumentées.

    Je reviendrai vous écouter.

    Jean Cohenny

    RépondreSupprimer