mardi 10 février 2015

Du traité constitutionnel à Syriza : l'Europe contre les peuples

 
 
Reprise d'un texte publié le 2 févier sur Figarovox
 
 
L'Union européenne est décidément une étrange construction. Il est impératif d'être une démocratie pour y entrer. C'est même l'unique critère. Les élargissements hâtifs et désordonnés aux PECO (pays d'Europe centrale et orientale) opérés en 2004 et 2007 en furent une illustration. En revanche, une fois admis dans le club, requérir à son profit le respect des règles élémentaires de la démocratie est jugé avec sévérité, et donne le plus souvent lieu à des procès en «populisme».
 
Les menues imperfections antidémocratiques de l'édifice communautaire sont connues de tous les observateurs sincères. En revanche, jamais jusque-là un dirigeant européen n'avait eu le culot de les reconnaître. Jean-Claude Junker vient de s'en charger, sous le coup de la forte émotion qui s'est emparé des tous les défenseurs de l'Union lisbonno-mastrichienne après la large victoire de Syriza en Grèce le 25 janvier.

Certains ont eu de la fièvre et des suées. D'autres se sont mis à dire sans précaution tout ce qu'ils avaient vraiment dans la tête, à l'instar du président de la Commission européenne. Ce dernier est entré directement à la première place du «Top10» des propos les plus invraisemblables proférés la semaine dernière avec cette sortie: «dire que tout va changer parce qu'il y a un nouveau gouvernement à Athènes, c'est prendre ses désirs pour des réalités (…) Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens».
 
Pas de choix démocratique contre les traités européens…: pour un aveu, il est de taille! C'est d'ailleurs un authentique progrès pour un Jean-Claude Juncker dont on peut penser qu'il est en phase de rémission. Tous les psys le disent: pour expurger une névrose, il faut ver-ba-li-ser. Il serait donc très encourageant que le Luxembourgeois poursuive cette opération vérité. Et qu'il pousse l'audace jusqu'à concéder ceci: il n'y a pas vraiment de choix démocratique non plus pour les traités européens.
 
Cette réalité, encore faudrait-t-il que Junker accepte de la regarder en face. Peut-être peut-on l'y aider? Rappelons-lui dès à présent quelques faits saillants ayant pris place dans un passé récent.
 
Au début des années 2000, l'Union européenne veut se doter du traité de Nice. L'Irlande, en vertu de ses institutions, doit convoquer ses électeurs aux urnes pour une ratification référendaire. Le référendum a lieu en juin 2001 et... 54% des votants irlandais rejettent le texte. On laisse alors passer un peu de temps Les peuples, c'est connu, sont oublieux. Un an et demi plus tard, le corps électoral irlandais est à nouveau mobilisé et, cette fois, il vote en faveur du traité de Nice. Du coup, puisque l'entourloupe a réussi une fois, pourquoi ne pas en abuser? Ce sera chose faite avec le traité de Lisbonne. En 2008, les Irlandais sont appelés à se prononcer sur celui-ci et répondent par la négative à 53% Un vote qui sera «corrigé» l'année d'après par un re-vote, afin que le «oui» l'emporte enfin.


Au Pays-Bas, on est moins téméraire. On ne sollicite pas deux fois les mal-votants car c'est dangereux: le peuple étant stupide, il arrive qu'il persiste dans la déviance. Là, quand les citoyens votent de travers, on recourt donc à leurs «représentants», qui acceptent de se transformer de bonne grâce en censeurs de leurs propres mandants. Ainsi, à la question «Êtes-vous pour ou contre l'approbation par les Pays-Bas du traité établissant une constitution pour l'Europe?», les Néerlandais avait répondu «contre» à plus de 61% en 2005. Trois ans plus tard, leur Parlement votait sans moufter le même texte, rebaptisé pour faire bien «traité de Lisbonne».
 
En France, nous eûmes la chance d'avoir les mêmes gros malins, pour nous écrire le même scénario. Ainsi, alors que le référendum sur le projet de traité constitutionnel organisé en mai 2005 avait placé le «non» à plus de 54 %, le Parlement adopta Lisbonne dans la joie et la bonne humeur dès 2008. Pour l'occasion, les parlementaires du Parti socialiste apportèrent un soutien touchant à leurs collègues de l'UMP, puisque 142 d'entre eux décidèrent de s'abstenir. N'écoutant que leur enthousiasme, trente environ allèrent jusqu'à voter pour. Un coup de pouce bien sympathique, qui permit à Nicolas Sarkozy d'obtenir la majorité des trois cinquièmes au Congrès dont il avait besoin pour nous glisser le traité. Après ça, il se trouve encore de braves ingénus pour s'étonner, des larmes plein les yeux, des scores mirobolants du Front national....
 
Bref, comme le dit Jean-Claude Junker, il n'y a pas de choix démocratique possible contre les traités européens déjà ratifiés. Mais, on vient de le voir, il n'y a pas non plus de choix qui permette qu'un traité européen ne soit pas ratifié. Or... s'il n'y a pas de choix possible quant à des textes de valeur quasi-constitutionnelle qui encadrent, dans de très nombreux domaines, la conduite des politiques nationales, peut-on nous dire ce qu'il reste, exactement, de la démocratie?

 
 

5 commentaires:

  1. Rien.

    Il ne reste rien de la démocratie.

    A lire : Lionel Jospin avoue que "la nouvelle aristocratie" exerce le pouvoir en France, page 162, dans son livre Le monde tel que je le vois.

    A propos de la nouvelle aristocratie européiste :

    Mardi 10 février 2015 :

    Le ministre allemand des Finances met en garde Athènes.

    Le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble a dit mardi que si la Grèce ne voulait pas d'un nouveau programme, alors tout était fini.

    Le ministre a ajouté que l'Eurogroupe voulait entendre mercredi de la part d'Athènes quelque chose qui l'engage.

    Il a par ailleurs démenti les informations selon lesquelles la Grèce serait parvenue à un accord avec la Commission européenne et a dit que l'Eurogroupe, soit l'ensemble des ministres des Finances de la zone euro, ne négocierait pas de nouveau programme pour la Grèce mercredi lors de sa réunion.

    http://bourse.lesechos.fr/infos-conseils-boursiers/actus-des-marches/infos-marches/le-ministre-allemand-des-finances-met-en-garde-athenes-1030668.php

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  2. euh, le principe d'une démocratie n'est pas exactement

    26 etats sont d'accords
    1 état n'est pas d''accord (à 53%)

    le traité n'est pas ratifié... désolé mais quand on fait partie d'un groupe on adhère aux valeurs du groupe meme quand elles ne rencontrent pas vos besoins personnels. Votre post est ou un amalgame volontaire ou coomporte un oubli de taille. Vous vous insurgez sur le fait qu'on ne respecte pas le vote démocratique d'UN état,, un débat démoicratique demande l'avis de l'ensemble des citoyens européens. Ce en quoi la position de Juncker est parfaitement justifiée par ailleurs, aucun systéme ne peut fonctionner si n'importe qui peut faire un référendum ultra partiel et tout bloquer. L'Europe a assez de mal a obtenir l'asssenttiment de l'ensemble des gouvernments (démocratiquement élus pour rappel), si en sus cette déccision est contestable par le peuple, rien ne peut avancer.

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    1. @Anonyme,
      [26 etats sont d'accords
      1 état n'est pas d''accord (à 53%)]
      ==> Cela s'appelle la souveraineté, mon bon monsieur!
      Tout traité ne peut être ratifié que si l'ensemble des parties est d'accord: c'est le droit international qui est ainsi fait!
      Et puis, avancer pour aller où? Vous réfléchissez comme si l'UE était DEJA une nation, or c'est une association d'états SOUVERAINS!
      C'est en ce sens que la proposition de Juncker est particulièrement absurde (par définition, les traités n'existent que grâce aux états...), mais surtout, viscéralement ANTIDEMOCRATIQUE (car contraire à la souveraineté nationale...)

      CVT

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  3. Je suis toujours très étonné de constater que les plus savants commentaires s'engouffrent systématiquement dans le thème de la dette, c'est à dire celui de la financiarisation de l'économie et de la spéculation, domaine inaudible pour la plupart des lecteurs ce qui me semble normal vue l'absence de transparence de ce cloaque (comme tout cloaque d'ailleurs!).
    Mais pourquoi ne pas poser simplement les faits et les interpréter à l'aune du seul "Politique"? Les grecs nous avaient bien enseigné que "Polis" c'est la Cité, non?
    Voyons : ceux qui tordent le coup aux nations européennes ce sont des individus cooptés, dont la légitimité dans l'action publique reste au fond à démontrer. Leur autorité vient de "compétences" que nul, en dehors de l' appartenance à ce monde clos et hermétique, ne peut contester, critiquer ou dénoncer comme erronées, rétrogrades voire stupides.
    Donc ce monde de "privilégiés-donnant-des-avis-sur-tout, le progrès, le bonheur, les défauts des autres, bref, c'est un microcosme sourd et muet au reste de la Cité.
    En face, subissant les assauts orchestrés de ces esthètes en leçons de bonnes conduites, des peuples qui régulièrement se rendent aux urnes pour élire des représentants dont le pouvoir ne cesse de s'effiler lentement et parfois volontairement, mais à qui le premier cercle (celui des privilégiés) fait croire que la participation électorale est fondamentale. Fin du Politique vrai face à l'Economique obscur?
    J'ai souvent ressenti cette "fin du Politique" comme le retour à la soumission du corps électoral à un ordre seigneurial hiérarchisé. Que signifie de nos jours l'expression "démocratie représentative" ou "participative"? Que peut le "citoyen" médusé face à l'Economique organisé et diffusé régulièrement par un système dont "les chiens de garde" (suivez les contenus des premières heures de la matinée sur France Inter) concourent vers le même but : la pensée unique!
    L'apathie n'est pas un état; elle est un processus qui débute avec le consensus mou. Nous y sommes!
    Et même s'il est en retrait de mes convictions fortes, on peut lire sur cette Europe de la Troïka le dernier pensum de Guillaume Duval : Marre de cette Europe là? Moi aussi. (chez Textuel)

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  4. Cela fait du bien de lire ces lignes alors que les médias officiels nous la jouent dans la version "1984" de George Orwell. Merci.

    DemOs

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