jeudi 28 avril 2016

Montée des «populismes», Brexit, migrants : par quel bout l'Europe va-t-elle exploser ?





Après le « non » au référendum néerlandais du 6 avril, qui avait rendu « triste » le très émotif président de la Commission Jean-Claude Juncker, les chroniqueurs du GEE (Grand effondrement européen) font aujourd'hui la part belle à un autre référendum, celui à venir en Grande-Bretagne. En effet, le risque du Brexit est a priori le plus immédiat d'entre ceux qui pèsent sur l'Union. Toutefois, un rapide tour d'horizon a tôt fait de montrer qu'il est loin d'être le seul. Au point où l'on en est, on ne se demande plus si l'UE – et en son sein la zone euro – survivra à tout cela. On se demande simplement de quelle plaie elle périra, et quand.

Le risque du Brexit

La « campagne Brexit » a officiellement débuté vendredi 15 avril, avec la désignation, par la commission électorale britannique des deux camps en présence. Ainsi, The In Campaign, emmené par un authentique homme du peuple en la personne de Lord Stuart Rose, ancien PDG de Marks & Spencer, sera opposée jusqu'au 23 juin à Vote Leave, regroupant le camp des partisans de la sortie.

En France, certains se donnent beaucoup du mal pour tenter de peser sur le scrutin. Le ministre Emmanuel Macron, par exemple, a récemment expliqué que si la Grande-Bretagne quittait l'UE, elle serait « tuée » - rien que ça - dans les négociations commerciales mondiales . En mars dernier, le même avait déjà prévenu les Anglais qu'en cas de Brexit, la France ne retiendrait à plus à Calais les migrants désireux de traverser la Manche. Bien sûr, il s'était abstenu de préciser que les modalités de contrôle de la frontière franco-britannique sont actuellement régies par l'accord bilatéral du Touquet (février 2003), d'ailleurs très désavantageux pour la France, mais qui n'a pas grand chose à voir avec l'appartenance de l'un et l'autre pays à l'Union européenne.

Il faudra encore un peu de patience pour savoir si les rodomontades hexagonales - et peut-être aussi celles de Barack Obama.... - sont parvenues à impressionner les électeurs d'Albion. Si les sondages indiquent plutôt, à ce stade, une avance des partisans du maintien, le résultat pourrait toutefois être serré.

On l'avait oubliée : revoilà la crise grecque

Mais le Brexit n'est évidemment pas le seul risque auquel soit confrontée l'Union européenne. Avec une économie effondrée, une dette insoutenable, l'omniprésence d'une ex-Troïka exigeant des réformes sans cesse plus dures et confrontée à des flux migratoires inédits, il était évident que la Grèce referait parler d'elle.

C'est le cas, alors que se profile une nouvelle échéance pour le pays. Celui-ci devra rembourser plus de 3 milliards d'euros d'emprunts (450 millions au FMI et 2,3 milliards à la BCE) entre le 13 et le 20 juillet. Ce remboursement ne sera possible que grâce au versement d'une fraction du plan d'aide de 86 milliards voté à l'été 2015, pour l'obtention duquel Alexis Tsipras a tout de même consenti à oublier le programme sur lequel Syriza s'était fait élire, et à s’asseoir sur le résultat d'un référendum. Actuellement, le pays surnage encore sans déblocage d'argent frais. Mais c'est avant tout, comme expliqué ici, parce que le gouvernement accable les Grecs d'impôts.

En juillet, cela ne suffira plus. C'est pourquoi il est urgent que les créanciers de la Grèce procèdent au versement d'une partie de l'aide promise, d'autant que ces 86 milliards sont presque exclusivement destinés à rembourser les prêteurs, certainement pas à adoucir les vie des gens. Problème : si Tsipras a consenti à signer le « troisième mémorandum » sous le joug duquel vit actuellement le pays, c'était pour obtenir la restructuration d'une dette - 180 % du PIB - dont tout le monde sait qu'elle ne sera jamais payée. De cette restructuration, l'Allemagne ne veut à aucun prix. Le FMI, lui, en veut bien, mais à condition de réformes d'une dureté impitoyable : poursuite du rabotage des retraites (alors que le minimum retraite a déjà été abaissé de 18 % en un an), de la hausse des impôts, augmentation du montant des excédents budgétaires à dégager, etc.

Entre une dette incommensurable, des demandes de réformes invraisemblables, des « partenaires » divisés mais intraitables, on pourrait rapidement en revenir à une situation proche de celle du printemps 2015, avec des blocages épars et un pays sans cesse au bord de la faillite. Le tout sur fond de rumeurs d'exfiltration possible d'Alexis Tsipras, d'organisation éventuelle d'élections anticipées, en somme, de turbulences politiques.

La crise des migrants, toujours en fond de tableau

Ce serait d'autant plus grave que la Grèce fait face à un défi migratoire d'une ampleur inédite. Elle abrite un nombre record de personnes bloquées sur son territoire depuis que la « route des Balkans » a été fermée. Ces migrants sont plus de 11 000 à s'entasser dans le camp d'Idomeni, où les heurts et les tensions s'accumulent. Le 10 avril, par exemple, 250 d'entre eux ont été blessés par des tirs de gaz lacrymogènes de la police macédonienne, alors qu'ils tentaient de franchir la frontière.

De telles tensions dans ce coin fragile d'Europe du Sud ne sont certainement pas une bonne nouvelle pour l'UE, quand bien même elle tente de mettre un mouchoir dessus. Comme l'explique ici le spécialiste Amaël Cattaruzza, « les Balkans sont un thermomètre de l'Europe (…) ils révèlent les faiblesses de l'Union européenne ». Dans un ouvrage de référence, l'historien Olivier Delorme, rappelle quant à lui que c'est précisément dans cette région que se prépara le Premier conflit mondial, avec, en guise de prolégomènes, les deux guerres balkaniques de 1912 et 1913. Dans La Grèce et les Balkans (Gallimard 2013, tome II p. 780) il va jusqu'à qualifier la Grande Guerre de « troisième guerre balkanique ».

Le problème des banques italiennes

En tant que pays méditerranéen, l'Italie prend elle aussi plus que sa part dans la gestion de la crise migratoire. Il semble d'ailleurs que le nombre des arrivées y augmente depuis que l'accord UE-Turquie du 18 mars dernier rend plus difficile l'entrée dans Schengen via la Grèce.

L'Autriche, déjà à l'origine de la décision de fermer la route des Balkans, envisage de transformer l'essai et de faire de l'Italie un nouveau piège à migrants. En effet, elle a annoncé sa volonté de renforcer les contrôles à la frontière entre les deux pays, et il est même question de la construction d'une clôture « symbolique » au niveau du col du Brenner, une idée que ne renierait sans doute pas le parti de la liberté d'Autriche (FPÖ). Pour le coup, celui-ci est arrivé très largement en tête du premier tour de l'élection présidentielle de ce dimanche avec plus de 35 % des suffrages, en éliminant au passage la droite et la gauche traditionnelles.

Mais ce n'est pas le seul défi auquel l'Italie ait à faire face, loin de là. Ses banques, on le sait, sont dans un état d'extrême fragilité, qui inquiète la planète finance. On se souvient de leur plongée vertigineuse en bourse (-40%) au tout début de l'année 2016, cependant qu'elles ploient sous 200 milliards d'euros de créances douteuses. Du coup, entre autres tentatives de colmatage, le gouvernement italien a annoncé la semaine dernière la création d'un fonds spécial pour soutenir les banques transalpines. D'un fonds doté de... 5 milliards d'euros, soit moins de 3 % du total des prêts non performants. Apparemment amusé, le site spécialisé en finances Zero Hedge qualifie l'initiative de « blague de la semaine » .

Toutefois, même si elles sont loin d'être sorties de l'auberge, le zoom sur les banques italiennes ne doit pas faire oublier combien vont mal certaines banques allemandes ( notamment la première d'entre elles, la Deutsche Bank), les banques grecques (évidemment), ou à négliger cette information : l'Autriche (tiens, tiens...) vient tout juste d'inaugurer le premier bail in européen (sauvetage d'une banque à partir de l'argent des actionnaires et des déposants, sans usage d'argent public) d'une banque en faillite, Hypo Alpe Adria.

L'Espagne, toujours sans gouvernement

Quant à l'Espagne, si la situation économique y reste difficile avec un taux de chômage à 21%, le second plus haut de l'Union européenne, c'est surtout à une crise politique qu'elle est actuellement confrontée. Le pays se trouve sans gouvernement depuis quatre mois. En effet, les élections générales du 20 décembre 2015 y ont fait voler en éclat un bipartisme très installé qui opposait traditionnellement le Parti populaire (PP) aux socialistes du PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol). Elles ont introduit brutalement dans le jeu Ciudadanos (C's), un parti de droite libérale « espagnoliste », et Podemos, le parti de gauche anti-austéritaire.

Depuis lors, le blocage est total. Aucune coalition ne parvient à se former. On a bien cru, l'espace d'un moment, qu'un ménage à trois se révélerait possible, que le socialiste Pedro Sanchez réussirait à unir la carpe et le lapin, et à former autour de lui un gouvernement allant de C's à Podemos. Les militants de ce dernier en ont décidé autrement. Alors que Pablo Iglesias a fait le choix de les consulter pour qu'ils adoubent ou repoussent le « pacte Rivera-Sanchez », c'est à dire l'accord de gouvernement signé entre le patron du PSOE et celui de Ciudadanos, les militants l'ont très massivement rejeté. Le 18 avril, plus 88 % d'entre eux disaient « non » à ce pacte économiquement très orthodoxe.

Désormais, le pays s'achemine vers une dissolution du Parlement le 2 mai, puis vers la tenue d'élections anticipées le 26 juin. L’Espagne demeurera-t-elle ingouvernable après cela ? Impossible à prévoir. La seule chose que l'on saura à cette date, puisque les Anglais auront voté trois jours avant, c'est si la Grande-Bretagne poursuit la croisière infernale ou si elle quitte enfin le bord.

Les relations tendues de l'Allemagne et de la BCE

Ce panorama d'apocalypse ne serait toutefois pas complet si l'Allemagne n'était pas là pour jeter quelques hectolitres d'huile dans la fournaise. Aussi le ministre des finances Wolfgang Schäuble a-t-il jugé le moment opportun pour critiquer la politique actuelle, certes très accommodante, de la Banque centrale européenne (taux nuls voire négatifs, quantitative easing étendu au rachat d'obligations de certaines entreprises), et pour lui attribuer les succès obtenus en mars par l'Alternative pour l'Allemagne (AfD) lors des scrutins régionaux du Bade-Wurtemberg, de Rhénanie-Palatinat et de Saxe-Anhalt.

Que l'AfD ait, suite à des bisbilles internes et à un changement de leader, mis en sourdine sa rhétorique anti-euro pour se consacrer exclusivement à la question migratoire, n'y change rien. Que la BCE n'ait plus que peu de marge de manœuvre, qu'elle soit obligée d'agir ainsi pour éviter que les économies du Sud de la zone euro ne soient emportées par un tourbillon déflationniste, non plus. Les largesses monétaires ne sont pas du goût des Allemands, et ne l'ont jamais été.

Quant à la monnaie unique et aux modalités de sa gestion par une Banque centrale fédérale, elles ne peuvent pas convenir à tout le monde. Du coup, elles finissent par ne plus convenir à personne. En juin 1992, des économistes allemands l'annonçaient déjà dans un « Manifeste des 60 contre Maastricht ». Ils y écrivaient : « l'introduction précipitée d'une union monétaire va soumette l'Europe à des tensions économiques intenses qui, à bref délai, peuvent conduire vers l'épreuve d'un déchirement. L'union monétaire pourrait menacer par là l'objectif d'intégration ». Nous y sommes.

Et nous y sommes à un point tel que l'on ne se demande plus si l'Union européenne – et en son sein la zone euro – survivra à tout cela. On se demande simplement de quelle plaie elle périra, et on se demande quand. 


Article initialement paru dans le Figarovox


2 commentaires:

  1. Denis Monod-Broca29 avril 2016 à 01:27

    Il faudrait sacrifier une idole, l'euro, pour sauver l'autre, l'Europe. Ils n'oseront pas.

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  2. Publication lucide, bien qu'elle soit difficile à avaler pour un Européen qui rêvait d'une sortie de l'Euro... Denis a en effet raison, la sortie de l'Euro aurait pu sauver l'Europe mais nous n'avions pas le droit de l'évoquer... le bébé va partir avec l'eau du bain , je le crains

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