mercredi 13 juillet 2016

Au Parlement européen, une domination allemande sans partage.








« Non à l'Europe allemande !». Cette courte phrase fit un temps office de formule magique Outre-Rhin. Elle fut tour à tour utilisée par le ministre des finances Wolfgang Schäuble, par l'ancien président de la République fédérale Richard von Weizsäcker ou par le sociologue Ulrich Beck, qui en fit le titre d'un petit ouvrage

Hélas, force est de constater que cela n'a rien conjuré. L'Europe est très allemande. Elle l'est devenue progressivement à la faveur de plusieurs événements  : la réunification d'une part, la création de l'euro d'autre part, car cette monnaie favorise l'économie allemande au détriment des autres. L'élargissement à l'Est enfin, qui a intégré les PECO (pays d'Europe centrale et orientale) à l'Union européenne, PECO dont Berlin est ainsi parvenu à faire la base arrière de sa puissante industrie. 

On a beaucoup dit qu'avec le Brexit, l'Allemagne perdait un allié libéral en Europe, et se retrouvait contre son gré en tête à tête avec des pays d'Europe latine tels la France ou l'Italie. A la vérité, il est probable que le départ britannique renforce encore le pays d'Angela Merkel, ne serait-ce que parce qu'il accroît sa centralité. Comme l'explique ici Alain Trannoy, directeur d’études à l’EHESS : « Cette Europe-là (…), celle qui surgit avec la sortie de la Grande-Bretagne (…) déplace ipso facto le centre de gravité de l’Union européenne vers l’Est et renforce encore la main de l’Allemagne : en plus de son poids démographique et économique, elle gagne encore en centralité. A l’élargissement à l’Est, succède le rétrécissement à l’Ouest ». 

Au demeurant, la répartition des postes au sein de l'Europe institutionnelle témoigne de la domination de ce pays. Par exemple, le président de la Banque européenne d'investissement (BEI) et le directeur général du Mécanisme européen (MES) sont tous deux allemands. Ailleurs, ce sont des représentants de la zone d'influence immédiate de l'Allemagne qui ont été imposés par Angela Merkel: le polonais germanophone Donald Tusk à la présidence du Conseil et le luxembourgeois Jean-Claude Juncker (dont le charismatique chef de cabinet, Martin Selmayr, est allemand) à la tête de la Commission. Toutefois et comme expliqué ici, ce dernier voit aujourd'hui sa présence à ce poste remise en cause, cependant que sa manière de remplir ses fonctions déplaît finalement à Berlin. 

Un focus sur la manière dont fonctionne l'une des institutions de l'UE, le Parlement européen, permet de faire saillir la prééminence germanique. Ce n'est pas le moindre des paradoxes, alors que l'Assemblée de Strasbourg est présentée comme un haut lieu de la démocratisation de l'Union, et qu'elle est supposée représenter les peuples européens dans leur ensemble.

***

Depuis que le Parlement européen (PE) est élu au suffrage universel (1979), il a connu quatre Présidents allemands (mais aussi, il est vrai, trois Français et trois Espagnols). Surtout, et c'est une première,  Martin Schulz a été réélu Président en 2014 après avoir occupé le poste de 2012 à 2014. Il s'est donc succédé à lui même, chose qui ne s'était jamais produite. Selon toute vraisemblance, il ne compte d'ailleurs pas en rester là.

Ses fonctions ne l'empêchent nullement de rester présent et très influent au sein du groupe Socialistes et Démocrates (S&D) qu'il a présidé, et que préside actuellement l'Italien Gianni Pittella. Schulz est réputé peser de tout son poids sur les votes cruciaux comme, par exemple, lors de la nomination de Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission. Cela a également été le cas lors du vote sur la résolution Lange sur le TAFTA, pour celui sur la commission Luxleaks (la tentative de mise sur pied d'une commission d'enquête a d'ailleurs été mise en échec), ou pour celui sur les Panama Papers. Concernant cette dernière affaire, une commission d'enquête a bien vu le jour. Le nom du Président de cette commission vient d'ailleurs d'être connu. Il s'agit de Werner Langen, un eurodéputé... allemand.

Martin Schulz peut par ailleurs compter sur plusieurs soutiens parmi les administratifs employés par son ancien groupe parlementaire. Par exemple, le Secrétaire général adjoint pour les affaires administratives et organisationnelles, Michael Hoppe, se trouve être l'ancien Secrétaire général de la délégation du SPD allemand. La directrice du personnel du groupe, Ute Muller, est en position de jouer un rôle essentiel dans le recrutement de personnel administratif au profit du S&D.

Quant aux autres groupes de l'Assemblée européenne, le plus important d'entre eux, le PPE, est présidé par l'Allemand Manfred Weber. Le Secrétaire général du groupe, Martin Kamp, est l'un de ses compatriotes. Le groupe de la GUE (Gauche unitaire européenne) est présidé par Gabriele Zimmer (Die Linke). Enfin,  Rebecca Harms co-préside le groupe des Verts. La France ne dispose quant à elle que d'une seule co-présidence de groupe, celle occupée par Marine le Pen pour ENL (Europe des nations et des libertés). 

Ajoutons que l'Allemagne occupe à elle seule cinq présidences de commissions (Affaires étrangères, Commerce international, Contrôle budgétaire, Emploi et affaires sociales, Transport) dont certaines des plus importantes. A titre de comparaison, la France n'en occupe que deux (Budget et Pêche).  L'Allemagne dispose de 28 coordinateurs de commission alors que la France n'en compte que 8. Ces eurodéputés ont un rôle important car ils font office de porte-parole de leur groupe au sein des commissions, mais surtout parce qu'ils contribuent à répartir le travail entre leurs pairs. 

Le tableau ci-dessous, qui présente la répartition des postes à responsabilité par nationalité au sein du PE, est sans appel :


Source : Fondation Robert Schuman


Pour finir, il faut noter que la prédominance allemande au sein des entités politiques du PE (groupes, commissions) est relayée au sein de l'administration de cette même assemblée. Par exemple, le Secrétaire général du Parlement n'est autre que Klaus Welle, ancien Secrétaire général du PPE, et qui fut en son temps un homme de confiance d'Helmut Kohl. Welle entretient avec Martin Schulz des relations complexes et semble craindre de perdre son poste au profit d'un proche de Schulz, comme expliqué dans ce long portrait paru sur Politico.eu.

Très bien informé des Games of Thrones qui se jouent au sein des institutions communautaires, ce même site explique que la politisation de l'administration du Parlement européen s'est considérablement accrue sous Martin Schulz, qui multiplie les nominations de proches. « Le Président du Parlement européen a lancé un plan de réaffectation de plusieurs membres de son propre cabinet au sommet de la hiérarchie administrative de l'Assemblée », raconte Politico. De fait, le poste de Directeur général du personnel du PE - un poste clé puisqu'il donne la main sur toutes les procédures de recrutement au sein de l'Assemblée - est désormais occupé par Herwin Kaiser l'ancien adjoint au Chef de cabinet de Schultz. Quant au chef de Cabinet lui-même, Markus Winkler, il vient d'être retenu pour occuper le poste de Secrétaire général adjoint du Parlement, en remplacement de l'Italienne Francesca Ratti, conformément à ce qu'avaient annoncé le Telegraph britannique ou le site italien spécialisé sur les questions européennes Eunews.

***

La domination allemande au sein du Parlement européen semble désormais sans partage.  Mais elle n'est qu'une déclinaison, à l'échelle de l'une des institutions européenne, de la domination allemande sur l'Europe dans son ensemble. Il ne reste décidément pas grand chose du « couple franco-allemand », une expression qui doit faire sourire outre-Rhin, si toutefois il arrive qu'elle y soit prononcée. 

Et ce n'est pas fini : « le retrait (…) des Britanniques de l'Union européenne, comme par un effet de miroir grandissant, magnifie le décalage qui existe désormais entre la France et l'Allemagne. En l'absence de Londres, Berlin paraît toujours plus grande et Paris toujours plus petite », explique ici un spécialiste de l'Ifri. Heureusement qu'il reste à la France ses victoires au football. Convenons toutefois que c'est peu de choses.



8 commentaires:

  1. «cette monnaie favorise l'économie allemande au détriment des autres»

    Affirmation péremptoire, classique par les temps qui courent.

    Problème, les taux de croissance en 2015 ne racontent pas la même histoire :

    Irlande - 7,8%
    Malte - 6,3%
    Luxembourg - 4,8%
    Suède -4,1%
    Roumanie - 3,8%
    Pologne et Slovaquie - 3,6%
    Espagne -3,2%
    Bulgarie - 3%
    Hongrie et Slovénie -2,9%
    Lettonie - 2,7%
    Royaume-Uni - 2,3%
    Pays-Bas - 2%

    Allemagne - 1,7%

    Croatie, Chypre et Lituanie - 1,6%
    Portugal - 1,5%
    Belgique - 1,4%
    France - 1,2%
    Estonie - 1,1%
    Autriche - 0,9%
    Italie - 0,8%
    Finlande - 0,5%

    Grèce - recul de 0,2% (SEUL pays de la zone en récession)

    Si les autres affirmations de l'article sont du même acabit... :-(


    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. On ne peut pas tout dire dans un article, qui n'est pas une thèse de doctorat. Or ce texte n'est pas un article sur l'euro, vous l'aurez noté.

      Quant à la fiabilité des informations relatives au Parlement européen, vous n'avez qu'à cliquer sur les liens contenus dans le texte. Ils renvoient eux-mêmes à diverses sources. Ils sont là pour ça : pour permettre à qui le désire de vérifier ce qu'il souhaite vérifier.

      Quant à la liste de taux de croissance que vous m'adressez.... vous savez ce qu'on dit ? "Les chiffres sont aux analystes ce que les lampadaires sont aux ivrognes : un appui plus qu'un éclairage".

      Bien à vous.

      Supprimer
    2. Au passage : Suède, Roumanie, Pologne, Bulgarie, Hongrie, Royaume-Uni, Croatie ne font pas partie de la zone euro.

      Supprimer
  2. Donnez moi le choix entre une grande chambre comfortable dans une prison et un lopin de terre où je suis libre de construire ma yourte et faire pousser mes légumes ? Guess what ? Je choisis le second ! Ils sont cons ces pauvres ils ne savent pas ce qui est bon pour eux. Et bien si je sais ce que je veux : je veux sortir, à tout le moins de l'Euro, pourquoi pas de l'Europe. Avoir mon propre lopin de terre, ne m'empêche nullement de "monte" au marché le week-end. A bon entendeur, salut !

    RépondreSupprimer
  3. J'ai lu votre ouvrage madame Delaume et suis depuis très longtemps pour votre blo. Je tenais à VOUS DIRE MERCI POUR TOUS SES renseignements précieux.

    Etant un inconditionnel de pierre bardot, michel, guilluy...je me demandais quand allez vous faire un papier sur la directive européenne adoptée récemment concernant la réglementation des travailleurs détachés. Nous ne serions plus dans le cadre des affaires Laval et Ruffert ...

    Benjamin Prince

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour,

      J'envisage depuis un moment de faire quelque chose sur les travailleurs détachés, mais je n'ai hélas pas encore trouvé le temps. Je pensais éventuellement à une ITW de quelqu'un qui connait bien le sujet.
      J'essaie de la faire à la rentrée !

      Bien à vous

      Supprimer
  4. si les français sont peu présents aux postes de responsabilité c'est aussi qu'ils sont peu présents en général au PE. Je n'ai pas de chiffre récents mais il y a quelques années la France détenait le record d’abstentionnisme

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le moindre salarié du privé est viré quand il se comporte avec autant de je m'en foutisme que les politiciens francais qui sont des parasites.

      Supprimer