jeudi 29 janvier 2015

Victoire de Syriza : vers l'auto-destruction de la zone euro ?

 
 
Article publié le 26 janvier 2015 dans le Figarovox
 
 
«Ce n'est pas la fin. Ce n'est même pas le commencement de la fin. Mais c'est peut-être la fin du commencement». Cette phrase de Churchill pourrait presque s'appliquer à l'Union européenne telle qu'issue des traités de Maastricht et Lisbonne tant une succession d'événements récents semble la placer à la croisée des chemins.
 
En Grèce, avec 36,5 % des suffrages et une possible majorité absolue au Parlement, la victoire de Syriza est sans appel. On a tout entendu au sujet de ce parti. Qu'il était trop ceci, pas assez cela et que, dans un cas comme dans l'autre, il avait tort. Un jour il était dangereusement radical et c'était terrible car il allait ruiner l'Europe. Le lendemain, il n'était finalement que le tenant d'une sociale-démocratie pâlichonne dont la victoire n'aurait pour conséquence que de décevoir les naïfs. Alexis Tsipras a mis beaucoup d'eau dans son vin nous dit-on. Nul n'ignore qu'il désire demeurer dans l'euro. Et puis, même s'il sortait, quelle importance? Aucune contagion n'est plus à craindre. Qu'on se rassure: il n'y a plus de «risque systémique» lié à un éventuel «Grexit».
 
Évidemment, personne ne sait ce qui se passe vraiment dans la tête de Tsipras. Ni les angoissés d'un retour putatif du bolchevisme, ni ceux qui tiennent pour se rassurer un discours conjuratoire, ni même les enthousiastes et autres syrizophiles. Mais ce n'est peut-être pas l'essentiel.
 
Ce qui importe en revanche, c'est le contexte dans lequel prend place cette accession au pouvoir de la «gauche de la gauche» grecque. Un contexte où l'on voit s'affermir, d'une part, la détermination contestataire d'une Europe du Sud éreintée par des années de crise. Mais un contexte, aussi, dans lequel l'Allemagne, qui domine l'Union d'une tête et lui imposait jusque-là ses recettes austéritaires, connaît quelques sérieux revers.
 
En Europe méditerranéenne, la fatigue est patente et l'on ne peut qu'être surpris par la patience, la résignation même, dont ont fait preuve jusque-là des populations passablement malmenées. A cet égard, la victoire de Syriza marque une étape. Elle signe un changement d'attitude du peuple grec, décidé à ne plus s'en laisser compter et à passer à autre chose. Une détermination d'autant plus saillante que les Grecs ont su résister aux tentatives d'intimidation, y compris celles d'une Allemagne au sommet de son arrogance, qui leur promettait une sortie contrainte de l'euro s'ils «votaient mal» . Quelques soient les difficultés auxquelles se heurtera le nouveau gouvernement grec dans ses négociations avec l'Union européenne, il bénéficera d'une puissante légitimité démocratique pour les affronter. C'est bien là la nouveauté.
 
Une autre nouveauté réside dans la capacité d'entraînement que cette élection pourrait avoir. La Grèce n'est peut-être plus un «risque systémique» du point de vue économique. Du point de vue politique, c'est autre chose. On le sait, Pablo Iglesias, chef de file du parti de gauche espagnol Podemos, était à Athènes pour soutenir Syriza le 22 janvier. «D'abord nous prenons Athènes, ensuite nous prenons Madrid», s'était alors amusé Tsipras. De fait, Podemos a le vent en poupe en Espagne, où les sondages le créditent d'excellents scores. Or l'année 2015 sera également celles des législatives espagnoles.....
 
Ce n'est pas tout. Cette poussée anti-austéritaire au Sud de l'Europe prend place au cœur d'une tectonique des plaques plus ample. Au rang des événements significatifs, l'on trouve ainsi les récentes déconvenues infligées à la très rigoriste Allemagne par la Banque centrale européenne. Par l'un des ces hasards chargés de sens dont l'histoire a le secret, le scrutin grec livre ses résultats au moment précis où Mario Draghi, aux termes d'un bras de fer avec une Allemagne qui a résisté jusqu'au bout, lance une vaste opération de rachat des dettes souveraines, un «quatitative easing» (QE) via lequel plus de 1100 milliards d'euros seront injectés dans l'économie européenne.
Cette opération, mais plus encore les modalités de sa mise en œuvre, sont à considérer avec d'autant plus d'attention qu'ils sont porteurs d'un paradoxe. Et ce paradoxe plaide dans le sens d'une évolution des rapports de force au sein de l'eurozone. Pour faire bref, l'Allemagne a simultanément perdu et gagné. Mais ce que Berlin gagne, c'est l'ensemble de l'eurozone qui le perd.
 
Certes, Anglela Merkel et la Bundesbank ont dû s'incliner face à la détermination de Draghi de tenter une ultime action pour éloigner le spectre la déflation. Certes, notre voisin germain a dû, de très mauvaise grâce (Jens Weidmann, président de la Bundesbank et membre du conseil des gouverneurs de la BCE, a d'ailleurs voté contre) mettre un mouchoir sur son hostilité de principe à toute création monétaire. Mais si l'Allemagne a cédé, c'est parce qu'elle a arraché un compromis.
 
Or ce compromis porte les germes d'une autodestruction de la zone euro. De fait, celle-ci est ébréchée puisque les choses se présentent ainsi: les risques liés au rachat des titres de dette ne seront pris en charge par la BCE qu'à hauteur de 20 %. Les 80 % restant seront eux assumés... par les banques centrales nationales. Une sorte de «dé-mutualisation» du risque dont l'économiste Jacques Sapir n'hésite pas à souligner qu'elle «vient d'ouvrir la porte à une renationalisation de la politique monétaire par les pays membres de la zone euro».
 
Telle est la conjonction des événements récents. Une zone monétaire qui se lézarde à bas bruit. Une Allemagne soumise au supplice de concessions en totale contradiction avec sa tradition d'orthodoxie monétaire, et à laquelle le prix à payer pour la survie de l'euro doit commencer à paraître bien lourd. Une large victoire de la «gauche de la gauche» en Grèce, qui en appelle peut-être d'autres.
 
Quelque chose est en train de frémir au cœur de cette Europe comptable sous imperium allemand. Ce n'est sans doute pas la fin, ni même le commencement de la fin. Mais la démocratie est peut-être en train de reprendre ses droits, et la technique sèche, désincarnée, absurde, de lui céder le pas.
 

7 commentaires:

  1. Ce n'est peut être pas tant du drachme grec dont il faut avoir peur demain mais du mark allemand.

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    1. l'euro est déjà un mark allemand. 1 euro = 2 mark ou 2 marks = 1 euro bref rien à voir avec les chiffres compliqués de notre 6,55957 frs ou dans d'autres pays

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    2. Quand l"Allemagne reprendra son Mark il se réévaluera rapidement de 25% alors que les autres monnaies se dévalueront d'autant voire plus ce qui, en réduisant les excédents commerciaux que l'Allemagne réalise sur ses partenaires, contribuera à améliorer leur compétitivité à l'intérieur et à l'extérieur de la zone euro.

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  2. Juncker dit « non » à la Grèce et menace la France.

    « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens », affirme notamment le président de la Commission européenne.

    http://www.politis.fr/Juncker-dit-non-a-la-Grece-et,29890.html

    La construction européenne est anti-sociale.
    La construction européenne est anti-populaire.
    La construction européenne est anti-démocratique.
    Elle doit être détruite.

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  3. Ce qu'on peut se demander, dès à présent, c'est ce que deviendra la Grèce après l'échec prévisible de Syriza : Aube Dorée pour sortir de l' UE et de l' euro ?

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  4. Denis Monod-Broca31 janvier 2015 à 12:09

    La Grèce, pharmakos de la zone euro.

    La Grèce s'en sortira-t-elle ? Elle a tous les membres de la zone euro contre elle. Ils sont trop contents de s'unir contre elle, oubliant ainsi pour un moment leurs multiples différents. Elle est, à leurs yeux, ils le disent et le redisent, corrompue, archaïque, fraudeuse, dépensière, irresponsable, incapable de tenir ses engagements... En un mot, elle n'a que ce qu'elle mérite. On apprend même et que Syriza a fait alliance, oh horreur !, avec des souverainistes et que, comble du comble !, la Grèce prend le parti de la Russie contre l'Europe... Il ne lui sera fait aucune fleur. Avec des mesures d'austérité en guise de pierres c'est à un lynchage en règle qu'elle est soumise depuis cinq ans et les coups vont continuer à tomber. Et plus drus sans doute, puisqu'elle a le front de se révolter. Va-t-elle résister ? Rien n'est moins sûr. La zone euro a son bouc émissaire, son pharmakos, elle ne le lâchera pas. À moins d'un éclair de lucidité et de courage, à moins qu'elle comprenne enfin que l'intégrité d'un peuple a plus de prix que la survie d'une monnaie. À moins de se saborder elle-même pour que vive la Grèce. On peut rêver...

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  5. Si Syriza échoue ses négociations et ne sort pas de l'Euro, le risque de coup d'état de l'armée dirigée par Kammenos n'est pas improbable.

    Syriza n'a pas contesté les sanctions contre la Russie, il s'est plaint de n'avoir pas été consulté :
    http://yanisvaroufakis.eu/2015/01/29/a-question-of-respect-or-lack-thereof/

    Si la Grèce sort et que ça se passe mal, peu d'autres pays voudront suivre cette piste et l'Allemagne finira par lâcher du lest pour éviter que le détricotage continue dans l'Euro. Si la sortie grecque améliore la situation de la Grèce, alors l'Allemagne sera contrainte de lâcher encore plus concessions pour éviter la débandade.

    Peu de chances de voir une explosion rapide de l'Euro, le pétrole est bon marché, le QE de la BCE dévalue l'Euro, baisse les taux obligataires pays et facilite les emprunts privés.

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