lundi 9 mai 2016

L'euro et Schengen : des phénomènes en miroir





Un économiste italien, Alberto Bagnai – par ailleurs auteur d'un ouvrage sur l'euro - a récemment publié sur son blog une analyse en miroir de Maastricht et de Schengen résumée en un tableau assez clair. Ce tableau résume bien les intentions qui ont présidé aux deux projets, mais également le discours rhétorique qui les a entourés, ce qu'ils sont aujourd’hui et la succession des événements qui a permis de mettre à jour leurs dysfonctionnements.

Pour Bagnaï, dans l'un et l'autre cas, il faut distinguer plusieurs niveaux :

- le niveau des raisons véritables : celles-ci n'ont jamais été énoncées clairement - ou pas intégralement - car elles étaient jugées inaptes à recevoir l'assentiment du public. D'où la nécessité d'élaborer une rhétorique plus affriolante,
- le niveau rhétorique, donc, qui correspond aux mécanismes de persuasion utilisés pour recueillir l'assentiment de l'opinion. En somme, c'est le storytelling qui a permis de vendre le projet aux citoyens,
- le niveau des moyens mis en œuvre pour parvenir à atteindre les « raisons véritables »,
- le niveau de l'asymétrie entre les parties-prenantes. Toutes ne supportent pas les mêmes charges, toutes ne bénéficient pas équitablement des bienfaits promis par le storytelling.
- certaines seront même surtout victimes des méfaits qu'on n'avait pas anticipés, ou qu'on s'était gardé d'annoncer. Les effets réels générés soit par Maastricht (autrement dit par la création de l'euro) soit par Schengen sont aujourd'hui connus.
- ils ont été révélés par des chocs externes, essentiellement la crise américaine de 2008 et ses prolongements en Europe pour l'euro, et la crise de migrants pour Schengen. On connaît désormais les dysfonctionnements intrinsèques aux deux espaces : eurozone et espace Schengen.

Je me permets de reproduire ce tableau éloquent : 




MAASTRICHT
SCHENGEN
Objectif véritable
Intégration du marché du capital Intégration du marché du travail
Moyens utilisés
Union monétaire – création de l'euro Abolition des frontières internes
Storytelling
Fin des dévaluations compétitives entre partenaires  Promotion de « la liberté », notamment celle de circuler
Effet réel
Sous-évaluation de la monnaie du plus fort ( = euro trop faible pour l'Allemagne) Le plus fort attire à lui le travail
(= migrations de travail intrazone)
Problème posé
Qui contrôle la valeur de la monnaie ? Qui contrôle les frontières extérieures de l'espace ?
Asymétrie
Monnaie surévaluée pour les plus faibles (Grèce, Espagne, Italie, France). La frontière la plus difficile à contrôlée est celle du Sud (Grèce, Italie).
Dysfonctionnement
Déséquilibres dans les flux commerciaux intra-zone (excédents allemands / déficits grecs) Déséquilibres dans les flux migratoires au sein de l'espace.
Révélateur du dysfonctionnement
Choc externe : crise américaine des subprimes Choc externe : crise des migrants, guerre syrienne.



Au final, l'analyse en miroir de Bagnai permet de s'apercevoir - c'est très visuel, avec le tableau - du caractère déséquilibré des deux grandes réalisations européennes. 

Toutes deux comportaient des malfaçons originelles qui ont été masquées par une rhétorique moralisatrice et pseudo-généreuse (la liberté d'aller et venir, les échanges, l'enrichissement équitable de tous), et qui, pour une large par via des chocs exogènes, sont en train d'être révélées en même temps. 



5 commentaires:

  1. Lire et relire:"l'utilité de l'inutile" de Nuccio Ordine aux Belles Lettres ou chez Pluriel (Fayard poche). Je le considère comme le plus grand philosophe de notre époque. Joma

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  2. La frontière la plus difficile à contrôlée est celle du Sud (Grèce, Italie).
    La frontière la plus difficile à contrôler est celle du Sud (Grèce, Italie).

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  3. c'est un peu simpliste. Pour juger des résultats il faut du temps compte tenu des déséquilibre des pays. Il faut plusieurs générations pour intégrer les allemands de l'Est alors pour toute l’Europe . . . Le fond du problème c'est la main-mise sur les richesses des pays, qu'ils soient riches ou pauvre, par les lobbys de type VVV (Vivendi, Vinci, Véolia). Ces groupes soudoient les députés et les technocrates pour qu'ils votent des subventions qu'ils sont les seuls à pouvoir capter à cause de cahiers des charges d'une extrême complexité. Ce sont des milliards d'euros qui disparaissent en échange de très peu de services. La conséquence est que les PME PMI sont écrasées sous l'impôt et ne recoivent presque rien en retour.Tout l'argent des pays va aux lobbys. Pour l'élargissement de l'Europe j'avais écrit la crise ? quelle crise ? C'était à propos de la mondialisation et j'écrivais il y a 30 ans déjà : " Il s'agit de rééquilibrages perpétuels". La notion de crise est fausse.Lorsqu'on cite les subprime, c'est un phénomène d’escroquerie banquière et on en revient aux lobbys et à leur toute puissance du fait de la corruption des politiques. Maastrich et Shengen n'ont rien à voir dans le fond du problème. C'est même plutôt un apport d'oxygène pour les PME-PMI qui auparavant n'avaient pas accès aux marchés internationaux. Par contre depuis ces ouvertures ceux qui se croyaient installés dans des prés-carrés ne le sont plus. Pour eux c'est la crise . . . du rééquilibrage. Plus le surcroît de taxes qui les empêche de se reprendre, de se restructurer, de se relancer. CQFD.

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  4. Je suis inquiet. Que vous trouviez ce tableau "éloquent" ! C'est du niveau d'un élève de troisième...

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  5. Merci bcp, c'est très "structurant" intellectuellement. Très parlant.

    Juste une petite coquille: "à contrôler" et pas "à contrôlée"

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