Par Jean-Claude Werrebrouck
Quel
que soit le résultat du référendum britannique
du 23 juin les conséquences seront considérables. Elles
le seront d'autant plus en cas de Brexit bien sûr. Mais elles seront
lourdes aussi en cas de maintien du Royaume-Uni dans l'UE, ne
serait-ce que parce que la question de l'appartenance à l'UE aura
été clairement questionnée pour la toute première fois.
L'hypothèse
du maintien dans l’UE
Ce
scénario n’est pas celui de la continuité car il marque le succès
d’une stratégie de blocage de l’intégration vers toujours plus
d’Europe.
Les
britanniques en utilisant pour la première fois dans l’histoire un
article du
Traité sur le Fonctionnement de l'UE (TFUE)
conçu pour ne jamais être utilisé (l'article
50 évoquant les conditions d’un départ) obtiendront
un
régime d’exception. Il n’est pas douteux que cette stratégie
deviendra un chemin banal pour les pays qui, sans vouloir déserter,
chercheraient à améliorer leur position dans l’édifice. L’UE
européenne ne sera plus alors
un
bouc émissaire seulement
désigné par
les gouvernements nationaux. Elle sera, via la possibilité même
qu'elle offre de la quitter et l'effroi que cela suscite chez les
autres pays membres, concrètement
utilisée.
Et
les forces de dislocation concurrenceront
sans cesse davantage
celles d’une intégration
toujours
croissante.
L'hypothèse
du « Leave ».
Nous
n'aborderons
pas ici les résultats souvent négatifs proposés par la multitude
des modèles qui se sont intéressés à la question. Calculer, comme
le font la plupart, la prétendue diminution de PIB à partir de ce
qu’on appelle une « augmentation des coûts
du commerce international » -
lui-même
induit par un éloignement du marché unique -
n’a guère de sens. L’effet potentiel
du
Brexit ne
figure
pas dans le registre
du calculable.
En
effet, n’est
en
aucun cas calculable,
le « solde » entre un PIB éventuellement
plus faible et une « démocratie plus grande » car
affranchie des
métarègles de l’UE.
Bien
évidemment des conséquences économiques émergeraient rapidement,
mais, pour autant, elles seraient maîtrisables. En effet on peut
compter sur un courant spéculatif vigoureux, portant sur la vente
d’actifs britanniques défavorables à la tenue de la livre. La
balance courante structurellement déficitaire est jusqu’ici
couverte par des achats d’actifs britanniques. La
réorientation spéculative du flux de capitaux entraînerait une
forte chute de la livre, d’où probablement une forte hausse des
taux, et une augmentation de l’épargne. Pourtant, cela ne serait
pas forcément catastrophique et l’effet récessif attendu serait
partiellement compensé par une amélioration de la compétitivité
impulsée par la baisse du taux de change. Reste la question des taux
sur une dette publique importante, question qui, elle non plus, n’est
pas insoluble. Quoiqu'il en soit, il est impossible de déterminer le
résultat économique global d’un tel événement tant il dépasse
le domaine du quantifiable. En ces domaines, les modèles économétriques ne sont absolument pas sérieux.
A
moyen terme, la place de Londres ne serait pas réellement menacée.
Les difficultés que rencontrerait toute place se voulant concurrente
sont colossales tant Londres a accumulé d'atouts: accumulation de
compétences techniques en tous domaines sur un même lieu, qualité
des infrastructures, liberté des rémunérations, adossement
« naturel » sur des paradis fiscaux, etc…. La place de
Paris malgré ses compétences humaines ne saurait rivaliser avec
celle de Londres de l’après Brexit.
Toujours
à moyen terme, la renégociation des accords avec l’Union
européenne
est parfaitement envisageable. Relevant
d'un processus se déployant
dans la durée (deux années selon l’article 50 du
Traité),
la
sortie
n’empêchera pas le maintien des contrats ou des normes, et
permettra le maintien de toute une
batterie
d'activités
tant il est vrai que l’esprit libre-échangiste
sera maintenu [1].
On
voit mal la France punissant la grande Bretagne en imposant des
clauses restrictives sur les importations en provenance
d’outre-Manche, au prétexte qu’il faut faire peur… au Front
National. Et ce d’autant que l’excèdent français sur la
Grande-Bretagne est important ( 8,4 milliards d’euros pour 2015) et
présente un caractère d’exception puisque la France est
déficitaire au regard de la plupart des grands pays partenaires.
Ainsi, il ne sera pas dans l’intérêt de la France de gêner en
quoi que ce soit l’épanouissement des intérêts britanniques
jusqu’ici garantis par les textes existants.De même, on voit mal
l’Allemagne punissant la Grande-Bretagne alors qu’elle exporte
massivement ( 89 milliards d’euros en 2015) vers pays. Au
contraire, tout sera fait pour ne pas gêner un client si important.
On
peut donc supposer que
le ton sera celui de la bienveillante dans les négociations de
sortie. Et
l’on se dirigera peut-être vers une
intégration
à l’Espace Economique Européen (EEE) voire à
l’AELE (Association Européenne de Libre Echange). A
défaut,
l’issue sera celle d’accords classiques de
libre-échange,
en raison du fait que l'EEE
et l'AELE
maintiennent
la liberté de circulation du travail, que la Grande-Bretagne
cherche justement
à maîtriser.
Du
point de vue Britannique,
la sortie correspondrait mieux à sa vocation libre-échangiste
avec la possibilité de conclure des accords bilatéraux avec
n’importe quel pays, ce qui n’est pas vrai aujourd’hui. Cela
correspondrait aussi bien
mieux
à la
réalité de
l'économie du pays puisque
plus de 50% de son commerce extérieur
se réalise avec des pays étrangers à l’UE. La Grande-Bretagne
retrouverait tout simplement
sa vocation mondiale. Précisons enfin que cette dernière solution
est probablement
la
plus avantageuse pour
Londres en
raison des énormes contributions financières correspondants à
l’appartenance à l’EEE ou L’AELE.
Les
conséquences
politiques
Si
le tabou de l'usage
de l’article
50 est levé et qu’au surplus il aboutit à une sortie, il est
clair que les forces de dislocation deviendront
plus
dangereuses. Pour
leur répondre, les
forces politiques intégratives seront déployées au
maximum de leur potentiel [2].
La première de
ces forces est
bien sûr la
motivation du
personnel politico-administratif qui a fait carrière et trouve des
débouchés rentables
au
sein de l'énormes
pyramide institutionnelle qu'est
l’UE. Elle sera très
combative.
Pourtant,
elle
sera aura
sans doute du mal à définir la meilleure
stratégie d’influence auprès des décideurs politiques nationaux.
Pour
éviter la désintégration -
et
donc pour
se maintenir au sein
de
la pyramide institutionnelle européenne –
faut-il
préconiser
davantage
de fédéralisme ? A
l'inverse,
faut-il
lâcher du lest, se contenter de ce que l'on a déjà et renoncer à
toute course à l’approfondissement ?
Les
choses ne seront
donc pas
simples car il faudra
compter, à l’intérieur de chaque Etat, avec la montée des partis
non-européistes
voire sécessionnistes. Ainsi,
la montée du populisme en Hollande freinera les ardeurs
intégratrices du président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem.
La montée de l’AfD en Allemagne rendra prudent le gouvernement
correspondant. La montée du Front National agira de la même façon
pour la France. On pourrait multiplier les exemples.
Surtout
il faudra compter avec l’éternel problème de l’euro, cette
monnaie dont on commence à avouer - avec 20 années de retard -
qu’elle est « incomplète » …et probablement frappée
d’incomplétude irrémissible, ce qui n’est pas encore clairement
assumé.
On
sait que la suppression des taux de change est la condition
fondamentale de l’existence d’une monnaie unique entre nations
différentes. A l’intérieur d’une nation, les déséquilibres
régionaux ne posent guère de problème et des transferts existent -
politiquement, ils
sont parfaitement
acceptés
à l’intérieur d’un espace national - entre régions
excédentaires et régions déficitaires. La région déficitaire ne
dévalue pas une monnaie nationale pour restaurer l’équilibre,
mais
bénéficie
de la solidarité des régions riches de la même nation. Tel n’est
pas le cas entre nations différentes où aucun espace de solidarité
politiquement
acceptable
n’existe. Concrètement le bon fonctionnement de
l’euro supposerait
des transferts entre nation... des transferts qui
seraient vécus comme illégitimes et scandaleux.
Il n’existe pas d’espace de solidarité entre l’Allemagne et la
Grèce. D’où les dysfonctionnements
colossaux
au sein de l'eurozone.
En cas de Brexit, les
schémas d’intégration renforcée prennent-ils en compte cet
élément d’hétérogénéité qui rend
irréaliste tout union de transferts ? Clairement, le réponse est
non.
Tous
les projets de renforcement de l'UE actuellement sur la table - près
d’une dizaine - butent sur la question des transferts financiers.
Certains militent pour un pouvoir revivifié, matérialisé par un
authentique Parlement de la zone euro. D'autres plaident pour un
gouvernement économique avec un budget important, une convergence
fiscale et sociale, parfois même avec une assurance chômage
centralisée, des dépenses d’infrastructures appuyées un
véritable budget de la zone euro. Mais quelle que soit la solution
retenue, il est évident que les dépenses correspondantes seraient
de fait payés par les Allemands. Dès lors, on peut supposer que
jamais l’Allemagne n’acceptera un Parlement authentique, capable
de voter des recettes et des dépenses, un Parlement au sein duquel
pour des raisons de simple arithmétique démographique, elle serait
minoritaire.
***
On
peut raisonnablement penser que s'il
a lieu,
le Brexit accélérera la mise à nu de l’existence d’un nœud
gordien. La
Grande-Bretagne
sortie
de l'UE,
il ne
demeure
que deux
pays importants : l’Allemagne et la France, de quoi imaginer
l’instauration d’un rapport de forces nouveau. Mais
alors soit l'Allemagne, aiguillonnée par la France, accepte la mise
en place de règles nouvelles inculant des transferts massifs, soit
la zone euro disparaît.
Quoiqu'il
en soit, la simple tenue du référendum britannique éloigne un
tabou. Elle permet de poser des questions jusqu’ici interdites.
Elle fera naître des questions chez les peuples, et peut-être un
désir accru de liberté. Ce désir, les appareils
politico-administratifs nationaux et communautaires tenteront de le
contenir en démasquant encore un peu plus, à leur corps défendant,
le nœud gordien de l’euro.
Ce
qui contribuera à accélérer la décomposition de l’UE telle
qu’historiquement constituée....
[1] Et
cette bienveillance demeurera
en
dépit de
la colère et
des rodomontades de
certains comme celle par exemple de l’eurodéputée Sylvie Goulard.
Celle-ci
vient
d’écrire une charge contre le Premier
ministre Britannique, Goodbye
Europe
(Flammarion),
dont voici un
court extrait qui donne le ton : « Un premier ministre
britannique récalcitrant en difficulté avec son propre camp, dicte
ses conditions et voilà que 27 dirigeants et toutes les institutions
européennes cautionnent un discours de dénigrement et cèdent au
chantage. C’est extravagant ».
[2] Il
faut en effet bien voir
que ce serait historiquement le premier référendum sur
l’Europe organisé dans un grand pays, qui serait
suivi de conséquences réelles.
D’autres référendums ont
eu lieu,
notamment celui du 29 mai 2005 en France, mais ils ont toujours
terminé leur parcours dans les oubliettes. Ce ne serait pas le cas
d’un Brexit.
[ On peut retrouver Jean-Claude Werrebrouck sur son blog ]
C'est quand même bien " c'est dans l'air " du 17 juin !
RépondreSupprimerL’Europe a une apparence, celle d’un Etat fédéral en construction, et elle a une réalité, celle d’un trop commode fétiche, dont on attend tout, auquel on reproche tout.
RépondreSupprimerCommission, Parlement, Cour de Justice, Banque Centrale, hymne, drapeau… : les apparences d’un Etat y sont mais seulement les apparences. L’Union Européenne n’est pas un Etat. Elle ne le sera sans doute jamais. L’occasion est passée. Faute d’un peuple, faute d’une nation, on ne peut que faire semblant, que faire comme si. On ne s’en prive pas.
Le fétiche, lui, est bien réel. Il est de toutes les discussions, de tous les programmes. On attend tout de lui : puissance, protection, paix, prospérité, et tant d’autres bienfaits. Et quand ça va mal, tout est de sa faute, on l’accuse de tout et de son contraire. Il est un bouc-émissaire idéal, tout-puissant, toujours à disposition.
Remain or Leave ? A quoi penseront les électeurs au moment de voter ? A l’apparence ou à la réalité ? On vante le pragmatisme des Britanniques. Ils se pourraient qu’ils votent à la fois contre l’apparence de l’Europe, même si elle n’est qu’apparence, tant elle est contraire à l’idée qu’ils se font de leur propre souveraineté, et contre la réalité de l’Europe, ce fétiche objet d’une foi irrationnelle, si contraire à la manière empirique qu’ils ont de voir le monde, et de défendre leurs intérêts...
Si le brexit ne passe j'ai bien peur que les bureaucrates européens
RépondreSupprimerTente de se venger un peu sur les brittaniques et beaucoup sur les peuples et les pays qui ont des velléités de résistance