Par Lenny Benbara
Horreur
et damnation, le « souverainisme » qui hante l’Europe a
encore frappé ! Alors que le Brexit menace outre-Manche et que
les élections générales espagnoles s’apprêtent à consacrer
Unidos Podemos comme deuxième force parlementaire du pays, voilà
maintenant que le Mouvement cinq étoiles (M5S) s’empare de deux grandes
villes italiennes : Rome et Turin. Sur fond de participation en
net recul - à peine plus de 50% - dans un pays où l’on vote
traditionnellement beaucoup, notamment aux municipales, nous
assistons à un véritable désaveu pour la classe politique
italienne. Les résultats dans les villes moyennes sont peu ou prou à
l’image de ce qu’ils sont dans les grandes villes, le Parti
Démocrate recule substantiellement, le M5S progresse fortement, le
centre droit stagne, et la Ligue du Nord de Matteo Salvini continue à
s’implanter dans le Nord du pays, parfois aidée du parti
d’extrême-droite Fratelli d’Italia.
Le M5S candidat au pouvoir national
S’il
y a bien un fait à retenir de ce scrutin, c’est que le M5S s’est
imposé comme premier mouvement d’opposition et est devenu un
sérieux candidat au pouvoir. L’éclatante victoire de Virginia
Raggi - 65% des voix à Rome, rien que ça - et la prise de Turin par
une autre jeune femme - Chiara Appendino, 32 ans seulement - mettent
clairement le M5S en ordre de marche pour les élections générales
italiennes de 2018. Sur les 20 ballotages dans lesquels le M5S était
présents, celui-ci en a remporté 19 alors qu’il s’agit
d’élections qui lui sont structurellement défavorables.
Jusqu’ici, le mouvement fondé par Beppe Grillo en 2009 était
surtout un phénomène national mais avait du mal à s’implanter
localement.
Il y a
là un avertissement net pour Matteo Renzi. Contrairement au Front
National en France, le M5S est clairement un parti de second tour,
montrant par là sa capacité à unifier les opposants au PD. Cela,
alors que la nouvelle loi électorale prévoit un second tour si
aucun parti ne réunit au moins 40% des voix au premier tour des
prochaines élections parlementaires. Tout porte à croire que nous
assisterons donc à un second tour entre le PD de Renzi et le M5S
lors des prochaines élections de 2018. Dans cette configuration, les derniers sondages indiquent que le M5S battrait le PD assez nettement (51,8% - 48,2%).
Les « grillistes » sont donc devenus de sérieux candidats à la prise du
pouvoir et viennent de renforcer leur statut grâce à ce second tour
des élections municipales. Cette situation nouvelle est aujourd’hui
vue comme une menace par l’ensemble des élites européennes et des
« partis de gouvernements » traditionnels des grands pays.
Vous avez dit « extrême-droite populiste » ?
La
classe politique française et les grands médias ont l’habitude de
présenter le M5S comme un mouvement « populiste »,
entendant par là démagogue. Certains observateurs qualifient même le mouvement comme
étant d’extrême-droite. Si on peut légitimement qualifier le M5S de populiste, ce n’est
certainement pas dans le sens de démagogue. Il s’agit plutôt d’un
mouvement qui met au centre de son discours le référent populaire
et qui se veut une émanation largement horizontale des aspirations
citoyennes. Le M5S n’est pas du tout structuré comme un parti
traditionnel. Il n’y a ni congrès, ni strates intermédiaires, ni
élections internes. Le mouvement s’organise par la démocratie
numérique et des éléments de démocratie directe. Cela correspond
à des pratiques proches de ce qu’était le Podemos espagnol des premières
heures avant son tournant centralisateur. On a là, en réalité, la
forme politique la plus aboutie des mouvements « citoyennistes »
qui rejettent les strates intermédiaires et valorisent le rapport
direct entre les citoyens et la démocratie. Nous sommes loin, de ce
point de vue, de la tradition très verticale des partis
d’extrême-droite.
La
sociologie du M5S semble, elle, très éloignée de l’électorat
traditionnel de l’extrême-droite. D’après une enquête de l’Istituto Cattaneo (La Stampa, 2012), une
large majorité de la base sociale du mouvement viendrait de la
gauche et du centre-gauche. Son électorat est majoritairement
urbain, et issu des classes populaires et des classes moyennes
déclassées comme le montrent les élections municipales d’hier.
On est loin, encore une fois, de la sociologie traditionnelle des
partis d’extrême-droite, largement rurale et périurbaine comme
dans le cas du FN et du FPÖ autrichien.
De même,
le programme économique du mouvement semble plus social démocrate
que d’extrême-droite quand on sait que Stiglitz, Greenwald,
Fitoussi ou Mauro Gallegati ont participé à son élaboration.
Renégociation de la dette publique, revenu citoyen, suppression des
stock options, nationalisation des télécommunications, rejet des
politiques d’austérité, interdiction de posséder plus de 10%
d’un journal, valorisation de l’économie sociale et solidaire y figurent, soit une série de mesures que l’on verrait plus du côté de la gauche
radicale qu’ailleurs. Pour autant, d’autres éléments indiquent
qu’il s’agirait plutôt d’un mouvement de droite. Critique de
la gabegie budgétaire, rejet des impôts, rejet des politiciens,
valorisation de la petite propriété artisanale et discours
anti-immigration traduisent des relents de ce qu’on qualifierait en
France de poujadisme.
Il faut
néanmoins comprendre que la classe politique italienne est
globalement corrompue dans l’esprit de l’italien ordinaire. Il faut imaginer qu’on ait en France une affaire Cahuzac tous les trois
mois depuis 50 ans pour se faire une idée de
l’image que les italiens ont des politiciens, et des conséquences
inévitables sur le consentement à l’impôt d’une population
soumise à une austérité fiscale très rude. Cela tient aussi à un
fait plus profond : l’unité nationale italienne, qui s’est
faite par le haut [1] reste relative, notamment entre le Nord et le Sud. Le peuple italien
ne se représente pas de la même manière qu’en France la
nécessaire solidarité nationale. Ces deux phénomènes
s’autorenforcent. Tant que la situation économique du pays était
correcte, cet état de fait était plus ou moins tolérée par la
population. Mais après 15 ans de décrochage depuis l’entrée dans
l’euro et cinq années de récession à la suite de la crise de
2008, cela est devenu inacceptable. Le M5S ne fait que traduire cette
demande sociale pour une régénération de la vie politique
italienne et une amélioration de la transparence de l’action de
l’État. Ici, ce n’est pas à Podemos qu'on peut comparer le
mouvement mais plutôt à un autre parti espagnol, Ciudadanos.
Quant à
l’immigration, il ne faut pas oublier que l’Italie est l'une des
principales portes d’entrée de l’Union européenne depuis de
nombreuses années et que le pays a été en première ligne avec la
Grèce depuis le début de la crise des réfugiés. Cela, alors que
le pays ne bénéficie par des moyens nécessaires pour accueillir
correctement les populations, est soumis à l’austérité, et a vu
son taux de chômage grimper en flèche. L’absence de solidarité
européenne envers la Grèce et l’Italie est dans ce cadre scandaleuse. Elle est pour une part responsable de la montée de sentiments xénophobes parmi les populations. D’un
autre côté, le M5S défend ardemment les droits des LGBT. Son identité politique est donc très complexe. Quant à l'Italie, elle a bien une extrême-droite, mais celle-ci s'incarne dans la Ligue du Nord dont les positions sont très proches de celles du FN, et par Fratelli d'Italia, parti d'extrême-droite très traditionnel.
Chronique d'un décrochage économique
Le
double problème de l’Union Européenne et de l’euro est en
réalité le principal moteur de l’émergence du M5S qui demande un
référendum sur la sortie de l’euro. De l’autre côté des Alpes, le débat sur la sortie de l’euro est devenu central et la
population est aujourd’hui majoritairement favorable au retour à la lire. Les Italiens n’ont pas du tout le même rapport fétiche à l’euro
que les français qui ont porté le projet, ou que les Espagnols qui
voient dans l’intégration européenne l’assurance d’être
arrimés à la démocratie. Sans
parler des Grecs qui ont longtemps vu l’adhésion à l'euro comme l’assurance de
faire définitivement partie de la « civilisation occidentale ».
De même,
la question de l’hégémonie allemande dans l’UE et de ses
conséquences néfastes est régulièrement posée en Italie, parfois
même par Matteo Renzi. Le sentiment de déclin et de perte de
souveraineté est profondément enraciné dans le débat politique
italien, alors que le déclin économique s’accroît.
Quelques
indicateurs suffisent à résumer la situation économique italienne
depuis l’entrée dans l’euro. L’investissement par habitant est à seulement 72% [2] de ce qu’il était en 1999. Le taux de croissance annuel moyen du
PIB par habitant sur la période 1999-2015 est de -0,2% (1,3% pour
l’Allemagne et 0,7% pour la France) soit moins que la Grèce (0,2%)
et le pays a perdu 26% de compétitivité en indice cumulée (écarts
d’inflation et de productivité) vis à vis de l’Allemagne depuis
1999. L’Italie est le seul pays qui s’appauvrit structurellement
depuis son entrée dans l’euro. La chute de
l’investissement va avoir des conséquences dramatiques sur
l’évolution future de la productivité dans le pays.
Les
politiques de Matteo Renzi n’y changeront rien. Les réformes
structurelles tant vantées par la Commission européenne appliquées
en Italie n’ont fait qu’empirer la situation et précariser un
peu plus une population qui vit dans la peur constante du
déclassement. Les emplois créés par le Job’s Act italien qu’on
nous vante comme modèle pour la Loi Travail sont en réalité des
emplois précaires, faiblement qualifiés et subventionnés par
l’État qui, paradoxalement, risquent d’avoir des effets
catastrophiques dans le futur. En effet, la subvention d’emplois
non qualifiés agit comme une incitation à substituer du travail au capital et donc à retarder ou à annuler les investissements
productifs qui font s’accroître la productivité du travail. La
politique de Renzi ne peut donc régler les problèmes de
compétitivité et de productivité de l’Italie.
Quant à la question de la dette publique italienne, elle est loin d'être réglée. La croissance n’est pas suffisante pour la faire reculer alors
qu’elle atteint aujourd’hui 133% du PIB. On peut évoquer aussi les montagnes de créances pourries dans les banques italiennes (environ
300 milliards d’actifs pourris) qui mettent le secteur bancaire
sous pression, le rendent incapable de financer correctement
l’économie et risquent de le faire voler en éclat au moindre choc
exogène de grande ampleur. Ce cocktail explosif fait de l’Italie
un candidat de choix à la sortie de l’euro, ce que le M5S a bien
compris et ce qui lui permet de rassembler largement autour de lui au
second tour.
Et après ?
L’euphorie
pro-Renzi qui a fait suite aux élections européennes de 2014 relève
aujourd’hui d’un lointain passé. Le gouvernement présente à
l’automne prochain un projet de réforme constitutionnel sur lequel
il a engagé sa responsabilité alors que le scrutin de ce dimanche
vient fragiliser un peu plus sa position. Il n’est donc pas
impossible que des élections anticipées soient convoquées et que
le M5S en sorte victorieux avec Luigi di Maio comme nouveau premier
ministre. Il devra néanmoins faire ses preuves dans la gestion de
Rome et de Turin car il est évident qu’il sera attendu au
tournant.
La situation italienne semble aujourd’hui traduire le
mûrissement de contradictions qui s’aiguisent d’années en
années. Le vote grilliste ne peut pas être regardé comme un simple
vote de protestation. Son enracinement et sa progression régulière
en font un réel vote d’adhésion. Rien
n’indique, donc, que la situation politique pourrait se retourner.
Il va falloir compter avec les militants cinq étoiles dans un futur
proche. A l’heure où la crise de l’UE qui s’approfondit chaque jour, l’arrivée au pouvoir
d’un gouvernement eurosceptique dans la troisième économie de la
zone euro pourrait bien donner le coup de grâce à l'Union supranationale.
[1] On conseille ici l’analyse de
Gramsci sur le processus de Risorgimento et le visionnage du grand film de Visconti, Le
Guépard.
[2] Source : Base de données du FMI. Idem pour les
autres données.
La révolte d'un pays qui coule, c'est un beau titre, ça, et si vrai malheureusement...
RépondreSupprimerComment faire ?
La France aussi coule.
Et ce ne sont pas les manifestations syndicales pour toujours plus d'illusoires protections qui nous sauveront.
Et si, comme en Allemagne, nous manifestions en faveur de l'immigration, en faveur d'un meilleur accueil, plus généreux, des immigrés, en faveur de leur intégration pleine et entière ?
Ne serait-ce un sursaut salutaire ?
C'est mal connaître l'extrême-droite.
RépondreSupprimerLe M5S correspond parfaitement à ce que l'extrême-droite fait de plus sérieux.
Exit le folklore, reste la démocratie directe, issue de l'idéologie libérale pure, celle des lobbies les plus influents au monde, libertariens.
On retrouve naturellement le rejet de l'islam en latence.
Mais surtout l’éclatement de l'Etat, seul dernier rempart au libéralisme intégral.
Le mouvement pour la démocratie directe, décentralisateur et royaume des maffias puissances d'argent, fait son lit dans ce créneau où l'Etat ne peut plus imposer son autorité, celle de l'intérêt général contre les intérêts particuliers, qui prennent naturellement assises sur la démocratie directe.
RépondreSupprimerConnaissant bien l'Italie, ses mouvements politiques depuis 1945 et le M5S depuis 5 ans, je rejoins tout à fait Oriane BORJA dans l'analyse qu'elle fait de M5S.
C'est en effet le "meilleur allié" du Libéralisme intégral (en fait libéralisme économique libertarien n'ayant pas grand chose à voir avec le libéralisme proprement dit), opérateur en fait de la destruction définitive de la "souveraineté nationale" !
Ce qui rend l'introduction de l'article quelque peu surréaliste...
"contrairement au Front national" qui n'est pas un parti de second tour ? Quelle baffe vous allez prendre...
RépondreSupprimerComme à l'accoutumée analyse intelligente et pertinente. Malgré des sujets déprimants c'est un plaisir de vous lire !
RépondreSupprimerCertains commentaires s'ils sont étonnants sont malgré tout éclairants en ce qu'ils montrent pourquoi en Italie des Beppe Grillo ont et continueront à avoir du succès (et le FN en France) !
C. Monge
Mercredi 22 juin 2016, vers 19 heures 26 :
RépondreSupprimerA la veille du référendum, deux sondages donnent le Brexit en tête.
Alors que les Britanniques sont appelés à voter pour ou contre la sortie de l'Union européenne, deux sondages donnent le camp du non à l'UE en tête.
Deux nouveaux sondages donnaient mercredi le camp d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne légèrement en tête des intentions de vote, à la veille du référendum historique sur cette question.
Selon Opinium, qui a interrogé 3.011 Britanniques sur internet, 45% étaient pour une sortie, 44% pour un maintien dans l'UE, mais 9% étaient toujours indécis et 2% préféraient ne pas se prononcer.
Selon TNS, qui a sondé 2.320 personnes, 43% étaient pour une sortie de l'UE, 41% étaient pour rester, et 16% étaient encore indécis.
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/a-la-veille-du-referendum-deux-sondages-donnent-le-brexit-en-tete_1805175.html
@ Oriane Borja
RépondreSupprimerLe M5S d'extrême-droite ? Je ne voyais pas ça comme ça. Il faut se méfier des catégories et des étiquettes mais il est vrai que la dénonciation de l'Etat fait le jeu du libéralisme pur et dur.
Victoire !
RépondreSupprimer« Vive la nation ! »
C'était le cri du peuple français lors de la Révolution française !
C'est le cri de tous les peuples qui luttent pour leur indépendance nationale !
En ce jour historique, le peuple britannique a choisi l'indépendance nationale !
Le dessin qui résume tout :
https://pbs.twimg.com/media/CkuDYFcUkAEhW1H.jpg
C'est le retour de l'Histoire !
C'est le retour des nations !
C'est le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, tel qu'il a été inventé par la Révolution française !
Maintenant, c'est au tour du peuple français de choisir !
Maintenant, c'est au tour du peuple allemand de choisir !
Maintenant, c'est au tour du peuple italien de choisir !
Il faut redonner la parole aux peuples !
Il faut consulter les 27 peuples européens en organisant 27 référendums :
« Voulez-vous rester dans l'Union européenne, ou voulez-vous en sortir ? »
Nous voulons choisir, nous aussi !
Nous voulons disposer de nous-mêmes, nous aussi !
Nous voulons un référendum !
BA, jacobin.