lundi 12 mars 2012

François Duprat : itinéraire d'un néo-fasciste au coeur du Front



« Pourquoi François Duprat ? » : c’est la question qu’on serait tenté de poser à Nicolas Lebourg et à Joseph Beauregard. Après avoir  consacré à ce leader d’extrême droite un documentaire remarqué, ils lui vouent à présent une biographie dense et rythmée, la toute première sur Duprat.

C’est que, pour les deux auteurs, Duprat n’est autre que « l’homme qui inventa le Front national » et qui, par sa très forte emprise idéologique sur le jeune parti, en fut de fait le numéro deux, avant d’être assassiné dans des circonstances troubles en 1978.

Découvrir Duprat, c’est donc s’offrir l’occasion de comprendre ce que fut l’influence de la pensée « national-révolutionnaire » dans les premières années d’existence du FN, et ce qu’elle demeure. On découvre notamment que le « sinistrisme », très présent dans le discours frontiste aujourd’hui, n’est pas nouveau à l’extrême-droite. L’usage d’un champ lexical semblant marqué à gauche était une habitude chez Duprat, l’intellectuel néo-fasciste n’hésitant pas à conspuer « le capitalisme » et à glorifier « le Peuple », dans des termes que ses biographes nous aident à décrypter.

De même, on découvre comment Duprat structura le discours du Front national, imposant à un Jean-Marie Le Pen dubitatif, un usage tactique du racisme, savamment combiné avec les peurs économiques de l’époque. Il inventa notamment la formule bien connue « un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop ».

Mais, outre qu’il éclaire sur l’héritage doctrinal du FN, François Duprat est également une fresque historique, presque un roman, parfois. Le lecteur s’y trouve transporté au cœur des années 1960-70, de cette vie politique violente et romantique qui voyait s’affronter, barres de fer à la main, les « gauchistes » et les « fascistes », et où « l’intellectuel engagé» n’hésitait pas à faire le coup de main sitôt que l’occasion de présentait.

Au fil de cette biographie, on croisera quantité de personnages énigmatiques, jonglant avec l’action directe, l’écriture sous pseudonyme, et la collaboration avec les services de renseignement. Outre Duprat, en rencontre ainsi quelques figures connues, jeunes chiens fous désormais assagis, tels Alain Madelin ou Gérard Longuet, ou intellectuels prolifiques de la droite radicale, comme Dominique Venner.

On se remémore également ces groupuscules qui ne cessèrent d’être dissous pour mieux renaître de leurs cendres : Jeune Nation, le Parti nationaliste, Occident, Ordre Nouveau. Jusqu’à ce que François Duprat - qui fut de chacun d’eux - décide de troquer les bagarres de rue contre l’action politique, envisage la prise du pouvoir par les urnes, et se convertisse à la « tactique légaliste » comme « pièce de la stratégie révolutionnaire ».

Duprat fut ainsi moteur dans la création du FN, ce parti qui a longtemps étonné par sa faculté à agréger des frères ennemis (monarchistes, catholiques traditionnalistes, néofascistes), et dont on prend conscience des contradictions qu’il porte depuis ses origines.

Entre « nationaux » et « nationalistes », entre bourgeois réactionnaires et étudiants révolutionnaires, des compromis furent à trouver, et d’irréfragables inimitiés à surmonter. Mais Duprat était habile à concilier l’inconciliable. Ainsi, du discours sur l’immigration, on apprend que l’idéologue « ajuste son argumentaire (…) à chaque composante de l’extrême droite : aux nationalistes européens, l’argument de la préservation de la race ; aux nationalistes-révolutionnaires, l’inclinaison sociale ; aux nationaux-populistes, l’argumentaire anticommuniste ».

François Duprat, enfin, est une recherche méticuleuse et patiente : quatre années d’étude, un nombre record d’entretiens et de rencontres, en font un travail solide et précis. Surtout, chose trop rare quand il s’agit de l’extrême-droite, ce livre ne cède jamais à la facilité du jugement moral. Tout en lui donnant les clés, il laisse au lecteur l’entière responsabilité de se forger une opinion. Lebourg et Beauregard le précisent d’ailleurs d’emblée : « n’en déplaise aux extrémistes de droite, Duprat n’est pas un martyr de la liberté mais un fasciste et un antisémite convaincu. N’en déplaise aux extrémistes de gauche et antifascistes, Duprat n’est pas la Bête immonde, mais un homme qui aimait passionnément les livres et les sucreries ».

Puis d’ajouter : «  l’homme qui se dessine n’est ni un diable, ni un saint ». Sans doute mérite-t-il, ne serait-ce que pour cela, d’être (re)découvert.

Lire et consulter :
Nicolas Lebourg - Joseph Beauregard, François Duprat, Denoël impacts, 2012
Blog collectif  : Fragments sur les Temps Présents - Marges politiques et Radicalités sociales

Lire et relire sur l'arène nue:
Pierre André Taguieff revisite le polulisme   CLICK
Recension de "Le Bloc" de Jérôme Leroy   CLACK
L'extrême droite n'existe plus ?   CLOCK
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5 commentaires:

  1. " un homme qui aimait passionnément les livres et les sucreries ».
    Voilà qui nous rassure.


    Reste à espèrer que Marine soit au régime et inculte.

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    1. Duprat n’est pas la Bête immonde, mais un homme qui aimait passionnément les livres et les sucreries ».

      Oui, Hitler aimait beaucoup les chiens ( et les livres, aussi...et peut-être, la chocroute) . En quoi le fait d'avoir certains traits humains empêche-t-il d'être un monstre? C'est d'ailleurs sans doute le message sub-liminal de l'article qui n'apparait "objectif" que pour mieux nuire à son sujet.

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  2. c'était quand même il y à près de 40 ans...


    La plupart des cadres du FN étaient à peine nés

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    1. c'est souvent ça avec les livres écrits par des historiens, non ?

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    2. Oui mais ce que je voulais dire c'est que ce personnage a eu une grande influence sur la pensé de l'extrême droite en France c'est indéniable, pour autant elle est finie, du moins au Front National. Après pour des groupuscules semi terroriste à la Oeuvre Française, ou les imbécilités de partis comme troisième voie eux je dis pas.

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