Le Front National a réalisé un score de 19,18%, là où il présentait des candidats au premier tour des élections cantonales. Ce score, plus qu’honorable semble accréditer l’idée qu’une « vague bleue Marine » est bel et bien en train de déferler sur le pays. Quant au parti de l’héritière le Pen, qu’il soit désormais le premier de France selon une récente paire de sondages parue dans Le Parisien, ou simplement le troisième, il semble en tout cas durablement inscrit dans le paysage politique français. Sa banalisation, fruit du travail de dédiabolisation mené par Marine le Pen, paraît en voie d’être acquise. Quant à la tradition du « front républicain » et autre « cordon sanitaire », les déclarations post-scrutin des caciques de la droite lui ont mis du plomb dans l’aile.
Il est possible que nous assistions aujourd’hui à un phénomène d’accoutumance au Front national. La classification de ce parti à l’extrême droite est de plus en plus souvent disqualifiée. Pour certains observateurs en effet, Marine le Pen ne fait que réhabiliter le « discours gaulliste traditionnel » abandonné par la droite mainstream. Pour d’autres, le FN est résolument « passé à gauche », avec un discours anti-élites, anti-mondialisation, anti-Euro, que ne renierait pas la gauche radicale. Sans être dupe de la supercherie, Laurent Bouvet observe : « l’évolution qu’elle (Marine le Pen) poursuit, c’est celle qu’elle a elle-même entreprise il y a quelques années en faisant bouger le discours économique et social de son parti vers…la gauche ! ». Pour d’autres enfin, c’est la notion d’extrême droite elle-même qui est périmée. Daoud Boughezala considère par exemple que « l’extrême droite n’existe pas ». Inventé par les thuriféraires du buonisme, elle demeure pour lui « un objet politique non identifié voué aux gémonies éternelles (qui) répond à un besoin moral. Celui de se draper dans sa vertu antifasciste plutôt que de se frotter au réel ». Et de lister les lignes de fractures qui, traversant la droite radicale, induiraient selon lui qu’elle ne soit qu'un mirage.
Mais, des lignes de fractures, il y en a aussi à droite. Et à gauche. Les tensions tous azimuts qui parcourent la putative « gauche unie » comme elle traversèrent jadis « l’union de la gauche » doivent-elle nous amener à conclure que la gauche n’existe pas ? Ou simplement qu’il existe une « gauche plurielle » ? Et pourquoi pas, dans ce cas, une extrême droite plurielle ? Et puisqu’il exista une « deuxième gauche », pourquoi ne pas admettre que nous sommes aujourd’hui face à une « deuxième extrême droite » ?
C’est ce qui semble en effet se produire avec l’émergence d’une droite radicale ayant rompu avec les oripeaux du post-fascisme. En Italie, Berlusconi fut à un moment trait d’union entre ses alliés néofasciste du MSI et ceux, séparatistes et xénophobes de la Ligue du Nord, jusqu’à ce que les premiers ne se dissolvent dans la respectabilité, sous l’impulsion de Gianfranco Fini. En France, au sein même du Front national cohabitent désormais les tenants ombrageux d’une extrême droite traditionnelle et austère à la Gollnish et ceux d’une droite radicale jeune, moderne et dynamique, qui s’autodésignent plus volontiers comme « marinistes » que comme militants frontistes.
Cette extrême droite festive et sexy dispose désormais de figures de prou dans toute l’Europe. On pense par exemple à Oskar Freysinger, le séduisant chevelu au look de guitariste folk de l’UDC Suisse. Mais comment ne pas évoquer également le néerlandais Geert Wilders, semblant tout droit sorti d’un spot publicitaire pour le Coca zéro ou la « fraîcheur de vivre », incarnation par excellence de ce que Gaël Brustier et jean-Philippe Huelin ont appelé « l’hédonisme sécuritaire ». En France, tonique et décontractée, Marine Le Pen arbore un côté pin-up, qui émoustille volontiers les plumitifs vulgaires de la « gauche réenchantée ».
Outre sa plastique fashion, cette dextre new look revendique désormais sans complexe les acquis de la modernité en matière de moeurs, bien loin de la défense des valeurs familiales d’une part, ou du culte des « hommes forts » d’autre part. Si Pim Fortuyn avant lui revendiquait son homosexualité, Wilders défend la cause des homosexuels. Marine Le Pen, affiche un féminisme assumé, et refuse désormais toute mise en cause de la loi Weil autorisant l’avortement. C’est d’ailleurs l’hyper-conservatisme sociétal et le caractère liberticide supposés intrinsèques à l’Islam que cette dernière prétend pourfendre en se faisait héraut d’une laïcité unilatérale, qui, essentiellement applicable aux musulmans, semble n’être que le cache-sexe d’un occidentalisme militant.
Au-delà de leurs points communs, ces jeunes extrêmes droites présentent toutefois bien des différences, évidemment liées aux spécificités des Etats dans lesquelles elles évoluent, et à l’histoire propre des différentes formations politiques dont elles sont issues. Celles-ci peuvent être d’authentiques créations ex-nihilo, comme le PVV de Wilders, ou de très vieux partis d’extrême droite en plein renouveau. Leurs propositions sont par ailleurs fort variées, notamment sur le plan économique, et vont de l’appropriation des valeurs de la gauche à l’ultralibéralisme habituel au sein de cette famille politique. Faut-il pour autant bannir la notion d’extrême droite, et lui préférer à l’instar de Jean-Yves Camus, celle de droite « radicale, xénophobe, et populiste » ou de « mouvance hybride » ? Peut-être. Mais s’il est vrai que « nommer, c’est déjà ordonner », le simple fait de chercher une terminologie qui permette de regrouper ces droites sans les réduire témoigne d’un souci de les « classer » dans une seule et même catégorie qui soit appréhendable en tant que telle.
Quelles sont donc les grandes constantes qui, traversant l’extrême droite « plurielle », conduisent à différer l’abandon du concept d’extrême droite en dépit de son apparente caducité ? Gageons qu’il en existe au moins trois.
La première caractéristique semble être la capacité à mêler une doxa « antisystème » à une défense méticuleuse d’un certain ordre établi, ou comme le disent Brustier et Huelin, l’aptitude à articuler contestation et conservation. En France, le Front national amorce une mue propre à le faire apparaître comme le parti insoumis par excellence, passablement aidé par la complicité coupable de la droite de gouvernement de la gauche d’accompagnement, dont l’alliance objective et contre-nature est désignée par Marine Le Pen par le sigle « UMPS ». Ainsi, alors que le FN de Le Pen père se caractérisait plutôt par un libéralisme cru et par l’hostilité au « fiscalisme », la fille opte plus volontiers pour une dénonciation de la mondialisation, de l’Europe dérégulée, du marché. Car, s’il pouvait être iconoclaste dans les années 1980, de vilipender l’Etat providence, il est bien plus audacieux, aujourd’hui que l’idéologie libérale est effectivement devenue dominante, de le défendre. Cependant que le débat public s’est globalement droitisé, le FN demeure une formation contestataire en faisant sienne des thématiques « de gauche », alors qu'il le fut jadis en développant un programme économique « de droite ».
La seconde tendance lourde est la focalisation sur les problématiques d’identité, et la capacité à se poser comme rempart non seulement contre les invasions barbares façon Camp des saints, mais également contre « l’américanisation du monde » ou contre « l’uniformisation européaniste ». Cette antienne identitaire semble structurelle, en dépit d’une adaptation très nette du discours, passé d’un racialisme éculé à un rejet de l’étranger d’ordre plus culturel et religieux. L’islamophobie en effet, semble la chose la mieux partagée au sein des droites radicales européennes, accentuant d’ailleurs le caractère antisystème des partis qui s’en réclament. Contre la bien-pensance et le politiquement correct, ils s’ingénient à apparaître comme les seuls à oser aborder sans tabou les problématiques de l’immigration et de « l’identité nationale ».
La troisième tendance est l’aptitude à manier en tous sens la thématique du bouc émissaire, y compris pour s’auto-désigner comme tel. Que n’a-t-on vu Marine le Pen récriminer contre l’ostracisme que lui feraient prétendument subir les médias, alors même qu’elle couvre régulièrement les « Unes » ! Que ne l’a-t-on entendu vitupérer contre « l’acharnement » dont elle serait victime ! Mais le bouc émissaire, c’est avant tout la solution hyper simple à des problèmes réellement compliqués. Désigner un bouc émissaire sur lequel iront se focaliser toutes les peurs, tel est le subterfuge favori des droites extrêmes, que ce bouc émissaire soit constitué des « élites », ou bien évidement des « immigrés » et autres « étrangers ».
Dimanche se tiendra le second tour des élections cantonales. Le Front national, qui a fait un bon score au premier tour, dispose probablement d’une réserve de voix parmi les abstentionnistes. Peut-être est-il temps, entre deux considérations sur l’opportunité ou non d’un front républicain et quelques « no pasaràn » surexcités, de s’interroger sur les véritables raisons qui font que son discours, pourtant si caractéristique, s’impose avec une telle aisance. Il ne suffit pas de dresser des listes de crypto-lepénistes d’une part, et de traiter les électeurs de « gros cons » d’autre part. Arrêtons les anathèmes et chiche, proposons mieux !
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Pas d'accoutumance au FN, elle à toujours était là, dans les têtes, dans les corps au moindre accroc de démocratie, de tout temps, de toute époque, l'essence même de la violence gratuite, les humains ont la mémoire court et stupide! plus de bla-bla , avec cette apologie du désastre
RépondreSupprimerCher JDLL, pardonne-moi, mais, sur cette analyse, je te trouve un peu rapide. L'article nous invite à "considérer” le menu politique, que nous propose Marine Le Pen, présidente actuelle du FN. Si, par erreur de jugement en effet, l'opinion pense que ce parti suggère une posture gaulliste, soumettons à cette même opinion une proposition politique à la fois différente et supérieure. L'apparence du Front serait gaulliste, sa réalité est d'extrême-droite. L'opinion française est à ce point désemparée, qu'elle entend un discours de pure régression. Si nous ne voulons pas que MLP s'installe durablement dans le paysage, nous devons trouver autre chose que les parades et autres masques effarouchés des vierges républicaines. Il nous faut redevenir désirables, percutants, audibles.
RépondreSupprimerOui Patrick, mais j'ai du mal à trouver des solutions où des excuses au pire, j'suis pas trop diplomate, je le reconnaît, malheureusement qui peut entendre ou considérer cela, j'ai du mal à comprendre pourquoi toujours et toujours les individus lâche leur venins des que les choses vont mal, et qui peut encore entendre les alternatives ? Quand des individus prône toujours la violence et la violence comme idéaux, faute à nos politiques surement, voilà, et milles excuse à Coralie Delaume pour le commentaire rapide et simpliste, j'suis juste un minuscule ouvrier qui essayer de ne pas me noyer dans la stupidité humaine, amitié à vous deux, jean
RépondreSupprimerMême si il y a un malaise de société, le chômage, la crise, les inégalités, la corruption des élites gouvernante et je ne s'est quoi encore, on ne vote pas une idéologie qui prône la haine de l'autre, le tout pour moi, et le renferment sur soi,et la violence, c'est quand assez effrayant de voir que des gens se lâche pour des idées qui vont les clouer eux même sur le banc des accusées, ou alors il n'y à rien dans les têtes, le vide, le creux, la crise à bon-dos, je voit juste des individus complètement dans le néant et à la stupidité incommensurable et où la culture est totalement absente, et je parle tout pays confondu, toute couleur de peau confondu, la bêtise et le fascisme n'est pas l'apanage du français, bref, on est toujours dans le néandertal, rien ne change, malheureusement, face à c'est gens-là, face à ces idiots!
RépondreSupprimerSinon, oui Patrick, tu à raison, belle analyse de la part de Coralie Delaume, doit être journaliste pour disséquer et approfondir ainsi!
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