« C’est désormais le FN qui dicte l’ordre du jour politique et médiatique » entend-on déplorer de manière récurrente, qu’on laisse traîner ses oreilles à droite, ou qu’on les tende à gauche.
Ce constat est partiel. Car en réalité, le FN ne dicte l’ordre du jour que des égarements politiques et des erreurs médiatiques. En aucun cas il n’est parvenu à imposer un débat pourtant souhaitable sur l’abandon de l’électorat populaire par la gauche libérale-libertaire, sur celui de l’idée de Nation par la droite mainstream, sur l’orientation de la politique européenne de la France, et en particulier sur l’Euro. Personne, en réalité, ne cherche à comprendre les véritables raisons de la croissance ininterrompue de Marine Le Pen dans les sondages. Tout au plus essaie-t-on maladroitement de l’endiguer en tentant de lui chaparder ses thématiques fétiches. Ce qui autorise à formuler deux postulats : premièrement, le rôle d’exhausteur de mal-être et d’aiguillon d’un Front National qui « donnerait les mauvaises réponses » tout en « posant les bonnes questions » est largement contestable. Deuxièmement, nos gouvernants ont définitivement croqué le fruit de la lucidité à éclipse et du déni du réel.
Il est une question, cependant, qui, pour être devenue une antienne frontiste de premier choix, semble avoir trouvé des relais déterminés au sein de l’actuelle majorité : la question de la laïcité, dont Marine Le Pen se fait désormais le chantre le plus virulent. Peu importe qu’il s’agisse, pour le coup, d’une mauvaise question. Peu importe qu’elle ait été réglée en 1905, et que les derniers ajustements nécessaires aient été brillamment actés par la loi du 15 mars 2004 portant interdiction des signes religieux ostentatoires au sein de l’école publique. Bref, peu importe que ce sujet n’en soit plus un, puisqu’il s’agit, en réalité de débattre de l’Islam.
« Faux ! » a pourtant répondu le président de la République, dont le Figaro du mercredi 2 mars révélait « Nicolas Sarkozy a répété qu’il souhaitait un débat sur la laïcité, mais pas un débat centré sur l’Islam qui stigmatiserait les musulmans ». Et le quotidien d’ajouter « le chef de l'État est revenu sur trois sujets qu’il juge cruciaux : pas de prières dans la rue, la mixité à la piscine, et pas de repas halal dans les cantines scolaires ».
Étrange façon d’écarter tout idée de polémique sur l’Islam que de poser le problème en ces termes. Ici, seule l’absence d’une brève saillie burqa-phobique permet encore de douter que la réflexion confiée au sémillant Jean-François Copé soit autre chose que la version 2.0 du funeste débat sur l’identité nationale. Après la « laïcité positive » et la « laïcité réactive », voici venu le temps de la « laïcité sélective », celle qui ne s’applique qu’aux consommateurs de nourriture halal et aux thuriféraires de la ségrégation dans les gymnases.
Étrange façon également de déclarer sa flamme au beau principe de laïcité que de le confondre systématiquement avec des questions d’ordre public. On nous avait déjà fait le coup avec la mission d’information parlementaire sur le voile intégral, où le concept de laïcité était dégainé à tout bout de champ pour justifier l’interdiction port de la burqa dans la rue, quand ce n’était pas l’égalité homme-femme devenue brutalement le cheval de bataille des néo-féministes les plus inattendus.
Or contrairement à ce que l’on souhaite nous faire croire, la laïcité ne se réduit pas à une opposition public / privé, qui ne serait de surcroît applicable qu’aux seuls musulmans. Ce qui se passe dans la rue, dans les commerces, dans les transports en commun, n’a pas plus à voir avec l’exigence laïque que ce qui se passe dans l’espace feutré du domicile privé. En effet, comme le l’exprime de manière lumineuse Catherine Kintzler, « il est nécessaire dissocier l’espace de constitution du droit et des libertés, c'est-à-dire le domaine de l’autorité publique, d’avec celui de leur exercice : espace ouvert au public et espace privé de l’intimité) ». Autrement dit, la laïcité ne s’applique pas dans la rue, qui est au contraire le lieu de la plus grande tolérance possible. Elle ne s’applique pas dans « l’espace public », ce concept labile qui conduit à toutes les confusions. Elle s’applique dans « les lieux où s’exerce l’autorité de l'État » : dans les administrations, au sein de l’école publique. Ce qui se passe dans « l’espace civil » ouvert au public, qu’il s’agisse de déambulations en niqab ou de prières sur le trottoir, relève du maintien de l’ordre, et fait appel au bon sens bien plus qu’à quelques grands principes qu’à force de brandir en arborant une mine grave, on finit inévitablement par vider de leur sens.
Le président de République a bel et bien décidé de lancer un débat sur l’Islam, il n’en faut point douter. Étrange façon de faire écho au vent de liberté qui souffle chez nos voisins d’outre-Méditerranée, et qui nous donne à voir le combat de peuples arabes avides de liberté, bien loin de l’image d’Épinal du barbu enturbanné.
Étrange débat à contre-emploi, qui pose quelques jalons supplémentaires dans la voie d’une Étrange défaite.
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