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jeudi 30 juin 2016

Brexit : le Parlement européen envoie des cadors pour négocier.



" Ils sont énormes...." 


Face à une situation aussi inédite que le Brexit, qui verra pour la toute première fois un pays membre quitter de l'Union, il était normal que le Parlement européen, haut lieu de la démocratie et de la représentativité communautaire, désigne des hommes neufs pour négocier avec Londres.
L'incertitude, le nécessaire pragmatisme dont il faudra faire preuve pour gérer le départ anglais interdisait en effet que l'on mandate des responsables de ce qu'il faut bien appeler, si l'on est un minimum lucide, le fiasco de l'Europe telle qu'elle est.
C'est pourquoi l'équipe dédiée devrait en principe se composer des eurodéputés suivants :
- Guy Verhofstadt, le président du groupe ALDE (Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe). Pour un Brexit, il fallait bien ça : un fédéraliste. En 2001, l'homme a en effet présidé le Conseil européen de Leaken qui a lui même lancé la Convention sur l'avenir de l'Europe. Laquelle convention a rédigé le projet de Traité constitution européenne (TCE). Bref, l'homme de la situation.
- Elmar Brok. Il était quant à lui président du groupe PPE au sein de la même Convention sur l'avenir de l'Europe. Après le rejet de projet de Constitution par la France et les Pays-Bas en 2005 et alors qu'il fallait rédiger un nouveau traité pour le remplacer, Elmar Brok fut des eurodéputés membres de la CIG (Conférence intergouvernementale) chargée de rédiger ledit nouveau traité. En même temps, c'est un peu normal qu'il ait tout fait, puisqu'il est député européen depuis.... juin 1980. Ce qui ne nous rajeunit pas.
- Roberto Gualtieri, le président de la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen. Comme l'économie et la monnaie sont précisément les choses qui marchent le mieux en Europe, ça tombe plutôt bien.
A noter que les trois eurodéputés, Verhofstadt, Brok et Gualtieri ont l'habitude de travailler ensemble. En effet, il s'agit précisément de l'équipe qui a œuvré à concocter le Pacte budgétaire européen (ou TSCG). Celui qui invite les pays membres de l'UE à inscrire une « régle d'or budgétaire » au frontispice de leurs principes constitutionnels.

Ça s'invente pas, tout ça, quand même. 
On ne change pas une équipe qui perd. 

mercredi 29 juin 2016

« Le Britannique lambda se fiche pas mal de Bruxelles ! » entretien avec Nathanaël Uhl.









Nathanaël est rédacteur en chef adjoint du site Grey Britain, spécialisé dans le suivi de l'actualité britannique. Il revient pour L'arène nue sur le référendum Brexit et sur les motivations des électeurs du Leave. Il évoque également la succession de David Cameron à la tête du parti conservateur, la crise aiguë du Labour, les questions écossaise et nord-iralndaise.  


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Dans un bon texte consultable ici, un professeur américain explique : « Le vote en faveur du Brexit était une triple protestation : contre l'immigration, contre les banquiers de la City de Londres et contre les institutions de l'Union européenne. Dans cet ordre ». Qu'en pensez-vous ? La question migratoire a-t-elle à ce point déterminé le résultat du référendum, et la question de l'intégration européenne aussi peu ? Que nous apprend la carte du vote en faveur du « Leave » ?


Cartographie des résultats du référendum
La cartographie du vote « Leave » montre, de manière assez claire, que ce sont les personnes et les régions qui se sentent le plus fragilisées par les politiques d’austérité menées par les gouvernements britanniques successifs depuis Margaret Thatcher, qui ont voté en faveur du Brexit. Les bataillons du « Leave » se recrutent parmi les moins diplômés, les ouvriers et les employés, les retraités… chez ceux qui ont besoin d’une protection que le welfare state ne leur apporte plus. Cette donnée est, à mon sens, la première à prendre en compte. Les retraités dont le quotidien dépend de la santé des fonds de pension, par nature volatils ; les moins diplômés, mal armés pour affronter l’évolution de l’économie britannique dans l’ère du digital ; les ouvriers qui prennent de plein fouet la mondialisation, à l’instar des sidérurgistes de Port-Talbot au Pays-de-Galles, dont l’avenir est menacé par le dumping chinois… ce sont eux qui ont voté en faveur de la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne.

Ils ont aussi sanctionné un establishment – partis politiques et presse mainstream, institutions financières et, même, syndicats - très majoritairement pro-européen. Cet establishment, au Royaume-Uni comme ailleurs, s’est révélé incapable de répondre aux questions très concrètes que se posent une partie des Britanniques. Si l’on prend l’exemple de la crise de l’acier, il faut se rappeler que le gouvernement de David Cameron s’est opposé à ce que l’Union européenne rehausse ses tarifs douaniers face à la production chinoise. Parce que la Chine allait annoncer trente milliards de livres d’investissement, notamment dans la filière électrique du Royaume-Uni. 

Le rejet de l’immigration a joué un rôle dans le Brexit. A observer la recrudescence des attaques xénophobes qui ont suivi l’annonce des résultats du référendum, on ne peut pas le nier. Chacun pouvait déjà s’en rendre compte lorsque le parti europhobe et « un brin » xénophobe UKIP (United Kingdom Independance Party) est devenu le premier parti du pays lors des élections européennes de 2014. Suite à cela, plutôt que de défendre une vision ouverte de l’immigration, les conservateurs ont commencé à évoquer les mouvements migratoires comme un problème, générateur de distorsion dans la répartition des richesses mais aussi de criminalité en hausse… Et le Labour a fini par embrayer le pas en inscrivant le contrôle de l’immigration dans son programme en vue des élections générales de mai 2015. Mais qualifier le vote en faveur du Brexit de xénophobe ou anti-immigrés me semble refléter le mépris de nos élites pour le peuple. 


La situation politique semble actuellement très chaotique au Royaume-Uni. Les leaders de la campagne Brexit devraient triompher dans les médias mais tendent plutôt à les fuir. Comment expliquer l'attitude d'un Boris Johnson notamment ? 

Il y a deux aspects, à mon sens. Le premier tient à ce que la campagne s’est révélée, des deux côtés, de très bas niveau politique. Les exagérations des uns servant de justification aux outrances des autres. On se souviendra pour seul exemple d’un Boris Johnson comparant l’Union européenne à Hitler et d’un David Cameron affirmant que le chef de Daesh soutiendrait le Brexit. 

Les deux campagnes ont multiplié les promesses. Le camp du « Leave » a, par exemple, affirmé qu’il réduira l’immigration et qu’il consacrera au service national de santé (National Health service, auquel les Britanniques sont extrêmement attachés) les 350 millions de livres sterling que coûterait à la Grande-Bretagne, chaque semaine, l’adhésion à l’Union européenne. Depuis, les principaux ténors du Brexit ont dû admettre que ces promesses ne pourront jamais être tenues. 

De plus, je pense qu’une partie de l’état-major du camp « Leave », notamment parmi les conservateurs, ne pensait pas réellement gagner. Ils ont été pris de court. A titre d’exemple, jeudi 23 juin vers 22h, Nigel Farage, leader de UKIP, très engagé en faveur de la sortie, annonçait que le camp du maintien allait l’emporter sur le fil. Ils doivent désormais se débrouiller avec les responsabilités que leur confie leur victoire.

Pour Boris Johnson, c’est encore différent. Ancien correspond de presse à Bruxelles, d’origine très diverses (il a des ascendants français et russes), né à New York, il avait le profil parfait du défenseur du maintien dans l’Union européenne. Bon nombre d’observateurs considèrent que son choix, tardif, en faveur du Brexit relève de l’opportunisme. Boris Johnson n’a jamais caché son ambition de devenir Premier ministre, ce qui passe par son élection comme leader du parti conservateur. Or, ce parti est toujours, malgré 11 ans de direction par David Cameron, largement eurosceptique. Aujourd’hui, les informations en notre possession laissent à penser que « Bo Jo » est discret parce qu’il mène une nouvelle campagne. David Cameron ayant démissionné, il part à la conquête du parti tory où il aura fort à faire.

____ « une partie de l’état-major du camp « Leave », notamment parmi les conservateurs, ne pensait pas réellement gagner. Ils ont été pris de court ».


Comme vous l'expliquez sur Grey Britain, la situation est également très tendue au sein du parti travailliste. Les élus du Parliamentary Labour party (PLP, le groupe parlementaire) semblent vouloir saisir l'occasion pour se débarrasser d'un Corbyn ayant fait une campagne trop molle en faveur du « Remain ». Les quatre cinquième d'entre eux ont voté hier une motion de défiance contre lui, alors que 10 000 militants et sympathisants ont au contraire manifesté pour le soutenir. Le divorce est-il consommé entre les élus et la base ? 

Le divorce entre la base du Labour party et les membres du Parlement est une réalité de longue date. Il remonte au premier mandat du premier ministre Tony Blair et s’est manifesté, une première fois, par l’élection de Jeremy Corbyn, considéré alors comme un outsider, à la tête du parti travailliste. Une victoire que le Parliamentary Labour party  n’a jamais acceptée. Corbyn n’est pas de leur monde, il refuse les codes de Westminster. Son élection comme leader témoignait, déjà, de la révolte contre l’establishment que j’évoquais tout à l’heure. Un sondage paru ce mardi 28 juin dans le quotidien conservateur The Time, témoigne que Corbyn dispose encore du soutien d’une majorité absolue des adhérents et sympathisants du Labour. Donc, oui, le fracture est ouverte entre le PLP et la base travailliste. Et la crise initiée par l’aile droite des parlementaires ne fait que l’accroître. 

Quant au procès fait à Corbyn sur son manque d’implication dans la campagne, il résiste mal à l’examen des faits. Dans sa circonscription d’Islington-North, le « maintien » enregistre 75% des suffrages avec une participation de 70%. Quand plus de 56% des électeurs conservateurs optent pour le Brexit, alors que Cameron fait campagne pour le maintien, tout juste un électeur travailliste sur trois suit le même chemin. Dès le lendemain des élections locales de mai 2016, Corbyn a multiplié les interventions publiques ou télévisées en faveur du maintien dans l’Union européenne. Certes, il les a assorties d’une exigence de réforme de l’Europe. Mais sa campagne n’a pas été tiède. Elle n’a pas obéi aux standards de la communication politique qui exigent une simplification outrancière des messages. Ça, oui, on peut le lui reprocher. 


Le parti peut-il aller jusqu'à l'explosion ?

C'est sur la table, effectivement. Comme en 1983, quand l’aile droite du parti a scissionné pour former le parti social-démocrate, lequel s’est depuis fondu avec les libéraux pour fonder le parti libéral-démocrate, allié de Cameron entre 2010 et 2015. Cette perspective est crédible mais elle n’est pas, pour autant, la plus probable à l’instant où nous parlons. Ce qui est sûr, c’est qu’en déclenchant la guerre civile chez les travaillistes, les « modérés », comme se baptisent les membres de l’aile droite du Labour, ont suicidé leur propre parti.

____ « en déclenchant la guerre civile chez les travaillistes, les « modérés », comme se baptisent les membres de l’aile droite du Labour, ont suicidé leur propre parti ».


On entend beaucoup dire que l'unité de Royaume-Uni est désormais menacée. L’Écosse vous paraît-elle vraiment déterminée à devenir indépendante ou souhaite-t-elle avant tout peser sur la nature de l'accord qui sera conclu avec l'Union européenne ?

La première ministre écossaise, et leader des nationalistes de gauche écossais du Scottish National Party, a clairement indiqué que sa priorité est de sécuriser les liens entre l’Écosse et l’Union européenne. Elle l’a rappelé devant le parlement écossais mardi 28 juin au matin dans une déclaration solennelle. Nicola Sturgeon fait actuellement le forcing, tout comme le maire de Londres, le travailliste Sadiq Khan, et le ministre en chef de Gibraltar, pour être présente à la table des négociations, quand le futur premier ministre se décidera à activer l’article 50 du Traité de Lisbonne, qui ouvre la voie aux négociations en vue du départ. Elle estime, au vu du précédent du Groenland et des îles Feroë (qui ont obtenu de ne pas être intégrées à l’Union européenne après le « oui » des Danois lors de leur référendum), que l’Écosse n’est pas forcément liée par le Brexit britannique. Ce mercredi 29 juin, la première ministre écossaise se rendait à Bruxelles pour discuter directement avec les membres de la Commission européenne et le président du Parlement européen, dans ce sens.

Lors de sa déclaration devant le Parlement, Nicola Sturgeon a clairement exprimé que, oui, l’idée d’un deuxième référendum sur l’indépendance se situe dans la perspective du maintien de l’Écosse dans l’Union européenne. 

_______ « La carte des résultats lors du référendum européen en Irlande du Nord épouse, de manière quasi parfaite si je peux dire, la séparation confessionnelle (....) cela devrait susciter bien plus d’inquiétude que la question écossaise ».


Carte des résultats du référendum
en Irlande du Nord
Il faut ajouter à cela, pour ce qui concerne le Royaume-Uni et son devenir, un élément particulièrement inquiétant. La carte des résultats lors du référendum européen en Irlande du Nord épouse, de manière quasi parfaite si je peux dire, la séparation confessionnelle. Les catholiques, favorables à une Irlande unique du nord au sud, ont voté pour le maintien dans l’Union européenne ; les protestants, qui défendent le rattachement à la couronne britannique, ont plébiscité le Brexit. Cela devrait susciter bien plus d’inquiétude que la question écossaise.



De toute évidence, David Cameron ne semble pas décidé à activer l'article 50 du Traité et préfère laisser ce soin à son successeur. Du coup, en France, on spécule. Le Monde, par exemple, envisage que le Brexit n'ait finalement pas lieu. Une telle option vous paraît-elle envisageable ? 

Pour l’heure, les éléments en notre possession écartent directement cette possibilité. David Cameron, dans une déclaration lundi 27 juin, a affirmé qu’il n’y aurait pas de second référendum. L’encore leader du parti travailliste et donc de l’opposition, Jeremy Corbyn, fait partie de ceux qui demandent que l’article 50 soit activé, en respect de la démocratie. A contrario, plusieurs membres du parlement, de tous bords, se sont positionnés en s’affranchissant du vote des Britanniques. Cela signifie qu’ils proposent que le parlement vote le maintien dans l’Union européenne. Si cette perspective devait se concrétiser, la crise entre l’establishment et les électeurs deviendrait paroxystique. Je ne pense pas que qui que ce soit de sensé prenne ce risque au final.

Une question reste posée, celle de l’attitude du futur Premier ministre. Boris Johnson, il y a un peu moins d’un an, évoquait une solution à deux étages. Il imaginait un premier référendum qui valide le Brexit, période qui ouvrirait forcément une période de négociations avec l’Union européenne pendant laquelle il se ferait fort d’obtenir de « vraies » concessions de la part de Bruxelles. En effet, il estime que ce qu’a obtenu David Cameron de la part de l’Europe, en début d’année, n’est pas suffisant. A l’issue de la nouvelle négociation, Boris Johnson proposait un nouveau référendum au cours duquel il faudrait, alors, voter pour le maintien. L’ancien maire de Londres est aujourd’hui le favori de la base conservatrice. S’il est élu leader du parti tory en octobre prochain, et donc premier ministre, son scénario pourrait reprendre de la vigueur. D’autant que Johnson n’a jamais été un vrai adepte du « Leave », nous l’avons déjà évoqué.

_____ « Boris Johnson, il y a un peu moins d’un an, évoquait une solution à deux étages. Il imaginait un premier référendum qui valide le Brexit, période qui ouvrirait forcément une période de négociations avec l’Union européenne (…) à l’issue de la nouvelle négociation, Boris Johnson proposait un nouveau référendum au cours duquel il faudrait, alors, voter pour le maintien ».


Hormis Angela Merkel qui temporise, nombre de dirigeants européens pressent le pays de hâter le démarrage effectif de la procédure de sortie, usant parfois de mots assez durs. Comment les Britanniques vivent-ils ces pressions ?

Dans le camp « Leave », les plus conscientisés trouvent dans l’attitude des instances européennes une justification a posteriori de leur vote. Dans le camp du « maintien », l’humeur est encore à l’effarement même si, mardi 28 juin au soir, une dizaine de milliers de personnes se sont rassemblées devant le Parlement de Westminster pour défendre une position d’ouverture dans l’accueil des réfugiés et, plus globalement, l’Europe. 

Le Britannique lambda se fiche pas mal de Bruxelles et des rodomontades de Martin Schultz et encore plus des votes du parlement que ce monsieur dirige ! Un peu comme de ce côté-ci de la Manche, à Manchester ou Sheffield, Bruxelles apparaît bien loin et bien déconnecté des réalités quotidiennes. Celles et ceux qui s’intéressent à la politique sont bien plus intéressés par le sang qui coule au parti travailliste ou par la guerre de succession au parti conservateur. 



mardi 28 juin 2016

Coralie Delaume — What if Germany was the true winner of the Brexit?








Ce texte est la version anglaise d'une interview initialement parue sur le site du Figarovox et gentiment traduit par Catriona Morrison, à destination de ses amis britanniques (merci). 


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FIGAROVOX/INTERVIEW: For essayist Coralie Delaume, the Brexit is yet another revolt against a blind Europe. But the UK, in breaking the myth of an irreversible EU, may remain alone in its courage.

Coralie Delaume is a journalist and essayist. She is author of Europe. Les Etats désunis (Michalon, 2014). Her cronicles are available on her blog here


In the UK, the Brexit has just had a victory. How would you analyse this result? Is it a surprise?

It is clearly a surprise because opinion polls, bookmakers and the City all seemed to predict a "Remain" victory.

Nevertheless, the City is, by nature, short sighted; its aim is not to produce analysis, but maximum capital gain for investors. As for opinion polls, in such subjects they should now be regarded as systematically erroneous. For example, no more than one year ago, Greek opinion poles predicted a clear "yes" victory in Alexis Tsipras' referendum, but the "no" broke through with 61%, despite a terror campaign led by the Greek and European press...

One thing that lessens the surprise is that is that we are actually starting to get used to this. Whichever the country and whatever the question, every recent referendum about Europe has resulted in rejection. The aforementioned Greek referendum in July 2015 aside, there was the Danish referendum in December 2015, in which 53% voted against further integration into the EU... as well as the Dutch people's referendum last April with regard to free exchange between the EU and Ukraine. Only 32% of the population voted, but of those votes, the "no" had a clear win with 61%.

The particularity of the British referendum is that has taken place in one of the strongest EU countries. Also, the question demanded a straight answer. It is the first time a population has had such a blatant opportunity to choose between remaining in the EU or leaving. But this time, those shouting; "this hasn't been well enough explained" could neither claim that voters had not understood the question, nor that the response was off the board because the question too technical, nor that the votes were a mere opportunity to sanction leadership. The British gave a clear reply to a simple question.

In such a dense and explosive Europe, it seems almost surreal. So yes, obviously, also a little surprising.

Is this a "no" to the Schengen agreement, or a "no" to austerity?

It is a multiple "no", as was the "no" of the French referendum on the European constitution in 2005. We now know that, with regard to the question of the EU, divisions do not follow national political divide. In France in 2005, the "no" came from both the right and the left.

There is a simple explanation to this. The EU offers a framework. This framework, along with the meta-laws that result from such a supranational organisation, can be accepted or refused in spite of profound disagreement on how to proceed should the framework be abolished. To want sovereignty is to want full control over the decisions that concern us, but that does not specify how to decide— that is then done under national democratic debate.

What the British do next is their business. For the moment they have done nothing more that step outside the framework, and not all voters have done so for the same reasons. Some, for example, want to reinstate a completely sovereign state, as does Ambrose Evans-Pritchard, who says, in a well-written editorial: " With sadness and tortured by doubts, I will cast my vote as an ordinary citizen for withdrawal from the European Union.

Let there be no illusion about the trauma of Brexit. Anybody who claims that Britain can lightly disengage after 43 years enmeshed in EU affairs is a charlatan or a dreamer (...) Stripped of distractions, it comes down to an elemental choice: whether to restore the full self-government of this nation, or to continue living under a higher supranational regime (...) the Brexit vote is about the supremacy of parliament and nothing else."

Among those who chose to "Leave", some may well have done so for reasons of immigration. It is a question that dominated the campaign even though the UK is not only not part of the Schengen agreement, but has also managed to delegate the surveillance of its borders to France, by way of the Le Touquet Treaty in February 2003.

Others where undoubtedly motivated by a climate of economic insecurity. Along with Boris Johnson, those that lead the "Leave" campaign are plainly liberal conservatives, but we cannot ignore that there were also "Leave" voters among the working class Left. The website Grey Britain, that specialises in British political affairs explains, for example, that one in three Labour voters opted for the Brexit. It then points out that "The industrial districts of Wales have gone against prediction by trusting an exit (...) In Sunderland, centre of the Labour heartland, the Brexit had a 71% landslide. It is proof of how many communities, particularly within the old industrial strongholds, feel marginalised (...). Already, in September 2015, by choosing a leader such as Corbyn, Labour voters sent out a message to other more typical Labour leaders. By saying yes to the Brexit, one in three Labour voters thus renewed that message."

Is this result linked to fact that the UK has a history of not being pro-European?

The country, certainly, has always held a special position within the EU, and as early as 1984 it began opposing its laws. At the Fontainebleau summit, Margaret Thatcher threatened to leave in order to gain "rebates" on the UK's financial contribuations, because she felt that the British quota was set too high with regard to the scantiness of the agricultural grants the nation received. Ever since, the UK has claimed EU specificity on every possible occasion. The nation refused to adopt the Euro, did not enter into the Schengen agreement, obtained an opt-out (waiver) protocol on the charter of fundemental rights and refused to sign the European fiscal compact (officially know as the TSCG, or the Treaty on Stability, Coordination and Governance in the Economic and Monetary Union) that introduced a golden rule within the domain of public finances...

In truth, the UK has managed, as much as possible, to preserve its sovereignty and has acted, above all, in its best interests — which is absolutely normal, and so do nations worldwide, as long as they meet no obstacle in doing so. In the heart of the EU, Germany also proceeds in the same way. The powerful (Federal) Constitutional Court of Karlsruhe watches jealously over the country's best interests. It is within this framework, in 2005, when publicly announcing its position on the ratification of the Lisbon treaty, that Germany notably demanded "the extending and strengthening of Bundestag and Bundesrat rights in the matter of the European Union" (Lisbon Treaty, June 2009).

The difference between the two countries is that British "sovereignty" has always presented itself as defiant of Europeen integration whereas German Sovereignty made a sort of Tender Offer on European institutions. Today, the interests of the EU and those of Germany are intrinsically linked, notably with the existance of the Euro. This currency, being under-valued for Germany economy, allows the country to be super-competitive and to reap huge extra commercial benefits. What's more, it allows almost zero-interest lending. The fragiliity of "peripheral" countries has transformed German debt into a safe-haven, and interest rates for repayments are historically low. This mid-June, the German 10-year interest rate for borrowing even went negative...

But again, why would an EU member-state renounce being listened to when it always gets what it wants? German proponderance owes a lot to the quiet submission of France. In a different way, the special treatement of Britain within the EU was always due to its implicit message that it would be ready to exit if it had to. It is something that Alexis Tsipras's Greece never did, which also explains the dramatic failing of the Syriza party. Within the EU, positions of power between nations have not been eradicated, on the contrary, and as a result, the nations that survive best are those that realise this and meddle through, without expecting any hypothetical "Europeen solidarity", which, even if it sounds good, is yet to happen.

On a wider scale, does the Brexit victory symbolise a people's revolt against Europe?

Against today's Europe, yes, most clearly. Europe today is above all that of the Single European Act of 1986, which freed up financial movement. It is that of the Euro, that created a ferocious hierarchy between lending and indebted countries, and put its member-states into perpetual pursuit of wage moderation. It is the Europe of rivalry between workers. Despite "free movement", named as such to sound good, the Commission nevertheless issued a formal notice to France and Germany, ordering them to stop applying a minimum wage on the employment of foreign lorry drivers, and thus the "European dream" began to seem a nightmare. And above all, today's Europe is the humiliating monopoly of EC laws above national laws that undermines democracy. Furthermore, it could soon become that of the TTIP, the TISA, and other international commercial treaties that are currently being negociated, and that promises little good.

It is against all these things that the people are revolting. They are searching and grappling for a solution, and are trying to expel the older political parties, such has been the scale of grotesque pantomimic alternation between the left and the right practically all over Europe. Thus, in Italy, the Five Star Movement (M5S) recently gained great success in local elections. In Spain, it may be that Unidos Podemos (alliance between Podemos and the United Left) becomes, as from this Sunday (original article published 24/06/16), the nation's first formal opposition party. All these experiences will not necessarily be fruitful — already, in Greece, the Syriza defeat bled the country — but these movements do show a clear thirst for radical change, and a citizen desire to regain a grip on one's own destiny.

What will happen now? What do the European texts state? What are the different stages of disengagement?

It is hard to say because the Brexit is the first exit Europe has experienced. We will probably know a bit more after the summit this 28/29 June. Whatever the situation, we do know that EU membership is not irreversable... at least not for a country that knew how to distance itself from the federal mirage of the Euro.

As for the UK, undoubtably, it has some difficult times ahead. A whirlwind-come-snowball effect is already in motion. And one mustn't forget that Northern Island and Scotland voted "Remain" at 56% and 62% respectively. As for France and the southern Europeen countries, they now find themselves in a Europe that is even more Germanic than it was just last week, which is not necessarily good news for them.



samedi 25 juin 2016

Elections générales: le Brexit peut-il influencer le vote des Espagnols ?










L’événement spectaculaire de la semaine, la victoire du Brexit au Royaume-Uni, ne doit pas faire oublier que se tiennent dimanche 26 juin des élections générales en Espagne... pour la seconde fois en 6 mois. En effet, le pays a échoué à se doter d'un gouvernement à l'issue du scrutin du 20 décembre 2015. Les Espagnols retournent donc aux urnes. Spécialiste de l'Espagne et auteur de Podemos, pour une autre Europe (Cerf, 2015), Chritophe Barret revient pour L'arène nue sur les enjeux du scrutin. 





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Par Christophe Barret 



Mariano Rajoy a été le premier chef de gouvernement a réagir, après l'annonce des résultats du référendum sur le Brexit. Devant les caméras, dans la matinée de ce vendredi 24 juin, il a appelé les Espagnols au calme et à plus de « sérénité ». Il est vrai que le Royaume-Uni est un partenaire particulier, pour nos voisin d'outre-Pyrénées : de très nombreux jeunes actifs s'y sont expatriés ; les entreprises de l'IBEX 35 (le CAC40 ibérique) ont plus à y souffrir que d'autres de l’ajustent des flux financiers avec Londres – selon l'agence de notation Standard & Poor's. Dans la Péninsule, les retraités britanniques font vivre de nombreux service sur la côte méditerranéenne et l'on parle du vieux conflit territorial relatif à Gibraltar… Mais le Premier ministre espagnol sortant s'inquiète-t-il aussi, et surtout, de ce que les électeurs pourraient être, à la manière des Britanniques, de sanctionner leurs élites.


De fait, l'alliance Unidos Podemos conclue entre Podemos et Izquierda Unida (IU) – héritière du vieux Parti Communiste Espagnol (PCE) – est bien l'arme la plus efficace dont les Espagnols disposent pour changer la donne européenne. Et le vote pour le parti de Pablo Iglesias est toujours vu comme subversif. Quand bien même le jeune leader ait fait campagne contre le Brexit, aux côtés de Jeremy Corbyn et des dirigeants du Labour qui lui sont proches. Le communiqué de presse qui a fait suite au Brexit a réaffirmé la volonté de Podemos de changer les institutions européennes de l'intérieur. Il s'agit de « défendre la démocratie, les droits sociaux et la fraternité entre les peuples du continent », face à une Europe « affectée par un énorme déficit démocratique, appliquant aveuglément les politiques d'austérité, tournant le dos à des millions de citoyens condamnés à l'exclusion et à la pauvreté ». L'Espagnol de la rue, toujours europhile, peut se reconnaître dans ce discours.


Mais les derniers sondages indiquent que la plupart des électeurs s'apprête à faire à peu près exactement le même choix qu'il y a six mois. La pasokisation du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol – c'est-à-dire son dépassement par l'alliance Unidos Podemos – qu'ils annoncent n'est qu'une conséquence arithmétique de l'addition des votes de deux partis qui s'étaient présentés séparément lors des précédentes élections législatives. À moins que les résultats du référendum britannique en convainque les électeurs espagnols de s'adresser, eux-aussi par leur vote, à l'Europe toute entière.


De fait, la situation reste très ouverte et trois scenarii peuvent être envisagé. Le premier verrait une grande coalition à l'allemande entre le Parti Populaire (PP) de Mariano Rajoy et le PSOE de Pedro Sánchez. La probabilité de ce scénario est aujourd'hui renforcée par la crainte des élites politiques européennes du pays de voir éclater un nouveau coup de tonnerre européen. En effet, le secrétaire général du parti socialiste espagnol pourrait être tenté d'oublier les mots très durs qu'il a eu à l'encontre du Premier ministre : « soutenir un gouvernent PP serait trahir les électeurs » a-t-il, par exemple, déclaré. 


Deuxième scenario possible : un gouvernement en minorité du PP avec ou sans participation de Ciudadanos (C's), le Podemos de droite. Quand bien-même cette majorité resterait fragile et pourrait nous rapprocher du spectre de troisièmes élections législatives. Il est vrai qu'entre 1918 et 1920, l'Espagne a déjà exploré ce scenario…


L'hypothèse la plus innovante pourrait être une alliance Unidos Podemos – PSOE. Les sondages publiés ces jours derniers montrent qu'à eux deux, ces deux forces pourraient disposer d'une majorité absolue. Mais on sait que la conclusion d'un accord butte encore sur deux écueils. La question du nationalisme catalan est le premier. Le PSOE se refuse d'envisager un référendum régional d'auto-détermination. La Constitution l'interdit. Cependant, les dirigeants de Podemos aiment à rappeler qu'un socialiste de renom, Francisco Camaño l'avait un temps envisagé. 


Le second obstacle tient aux différences existant entre les programmes économiques des deux partenaires potentiels. Qui existent d'ailleurs déjà au sein même d'Unidos Podemos. Sur le plan économique, le PCE, composante principale d'Izquierda Unida, est bien plus radical que le parti d'Iglesias. Il ne propose pas moins que la rupture avec les institutions européennes… et l'abandon de l'euro ! A l'exact opposé, le PSOE,  se refuse quant à lui à assouplir la fameuse règle d'or relative au 3 % de déficits tolérés inscrite dans la Constitution espagnole. Or il s'agit là d'un casus belli pour Podemos.


Même si Pablo Iglesias est récemment allé jusqu'à déclarer que le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero avait été le meilleur Premier ministre de l'histoire de la démocratie, il semble donc bien que quelques des obstacles restent à vaincre pour que soit portée au pouvoir une « gauche plurielle » à l'espagnole. Dans un contexte aussi incertain, le Brexit pourrait au servir d'argument aux uns ou aux autres pour tenter de faire changer la donne en leur faveur.



On peut lire un entretien avec Christophe Barret sur Podemos ICI




lundi 20 juin 2016

Municipales en Italie : la révolte d'un pays qui coule





Par Lenny Benbara

Horreur et damnation, le « souverainisme » qui hante l’Europe a encore frappé ! Alors que le Brexit menace outre-Manche et que les élections générales espagnoles s’apprêtent à consacrer Unidos Podemos comme deuxième force parlementaire du pays, voilà maintenant que le Mouvement cinq étoiles (M5S) s’empare de deux grandes villes italiennes : Rome et Turin. Sur fond de participation en net recul - à peine plus de 50% - dans un pays où l’on vote traditionnellement beaucoup, notamment aux municipales, nous assistons à un véritable désaveu pour la classe politique italienne. Les résultats dans les villes moyennes sont peu ou prou à l’image de ce qu’ils sont dans les grandes villes, le Parti Démocrate recule substantiellement, le M5S progresse fortement, le centre droit stagne, et la Ligue du Nord de Matteo Salvini continue à s’implanter dans le Nord du pays, parfois aidée du parti d’extrême-droite Fratelli d’Italia.

Le M5S candidat au pouvoir national

S’il y a bien un fait à retenir de ce scrutin, c’est que le M5S s’est imposé comme premier mouvement d’opposition et est devenu un sérieux candidat au pouvoir. L’éclatante victoire de Virginia Raggi - 65% des voix à Rome, rien que ça - et la prise de Turin par une autre jeune femme - Chiara Appendino, 32 ans seulement - mettent clairement le M5S en ordre de marche pour les élections générales italiennes de 2018. Sur les 20 ballotages dans lesquels le M5S était présents, celui-ci en a remporté 19 alors qu’il s’agit d’élections qui lui sont structurellement défavorables. Jusqu’ici, le mouvement fondé par Beppe Grillo en 2009 était surtout un phénomène national mais avait du mal à s’implanter localement.
Il y a là un avertissement net pour Matteo Renzi. Contrairement au Front National en France, le M5S est clairement un parti de second tour, montrant par là sa capacité à unifier les opposants au PD. Cela, alors que la nouvelle loi électorale prévoit un second tour si aucun parti ne réunit au moins 40% des voix au premier tour des prochaines élections parlementaires. Tout porte à croire que nous assisterons donc à un second tour entre le PD de Renzi et le M5S lors des prochaines élections de 2018. Dans cette configuration, les derniers sondages indiquent que le M5S battrait le PD assez nettement (51,8% - 48,2%). Les « grillistes » sont donc devenus de sérieux candidats à la prise du pouvoir et viennent de renforcer leur statut grâce à ce second tour des élections municipales. Cette situation nouvelle est aujourd’hui vue comme une menace par l’ensemble des élites européennes et des « partis de gouvernements » traditionnels des grands pays.

Vous avez dit « extrême-droite populiste » ?

La classe politique française et les grands médias ont l’habitude de présenter le M5S comme un mouvement « populiste », entendant par là démagogue. Certains observateurs qualifient même le mouvement comme étant d’extrême-droite. Si on peut légitimement qualifier le M5S de populiste, ce n’est certainement pas dans le sens de démagogue. Il s’agit plutôt d’un mouvement qui met au centre de son discours le référent populaire et qui se veut une émanation largement horizontale des aspirations citoyennes. Le M5S n’est pas du tout structuré comme un parti traditionnel. Il n’y a ni congrès, ni strates intermédiaires, ni élections internes. Le mouvement s’organise par la démocratie numérique et des éléments de démocratie directe. Cela correspond à des pratiques proches de ce qu’était le Podemos espagnol des premières heures avant son tournant centralisateur. On a là, en réalité, la forme politique la plus aboutie des mouvements « citoyennistes » qui rejettent les strates intermédiaires et valorisent le rapport direct entre les citoyens et la démocratie. Nous sommes loin, de ce point de vue, de la tradition très verticale des partis d’extrême-droite.
La sociologie du M5S semble, elle, très éloignée de l’électorat traditionnel de l’extrême-droite. D’après une enquête de l’Istituto Cattaneo (La Stampa, 2012), une large majorité de la base sociale du mouvement viendrait de la gauche et du centre-gauche. Son électorat est majoritairement urbain, et issu des classes populaires et des classes moyennes déclassées comme le montrent les élections municipales d’hier. On est loin, encore une fois, de la sociologie traditionnelle des partis d’extrême-droite, largement rurale et périurbaine comme dans le cas du FN et du FPÖ autrichien.
De même, le programme économique du mouvement semble plus social démocrate que d’extrême-droite quand on sait que Stiglitz, Greenwald, Fitoussi ou Mauro Gallegati ont participé à son élaboration. Renégociation de la dette publique, revenu citoyen, suppression des stock options, nationalisation des télécommunications, rejet des politiques d’austérité, interdiction de posséder plus de 10% d’un journal, valorisation de l’économie sociale et solidaire y figurent, soit une série de mesures que l’on verrait plus du côté de la gauche radicale qu’ailleurs. Pour autant, d’autres éléments indiquent qu’il s’agirait plutôt d’un mouvement de droite. Critique de la gabegie budgétaire, rejet des impôts, rejet des politiciens, valorisation de la petite propriété artisanale et discours anti-immigration traduisent des relents de ce qu’on qualifierait en France de poujadisme.
Il faut néanmoins comprendre que la classe politique italienne est globalement corrompue dans l’esprit de l’italien ordinaire. Il faut imaginer qu’on ait en France une affaire Cahuzac tous les trois mois depuis 50 ans pour se faire une idée de l’image que les italiens ont des politiciens, et des conséquences inévitables sur le consentement à l’impôt d’une population soumise à une austérité fiscale très rude. Cela tient aussi à un fait plus profond : l’unité nationale italienne, qui s’est faite par le haut [1] reste relative, notamment entre le Nord et le Sud. Le peuple italien ne se représente pas de la même manière qu’en France la nécessaire solidarité nationale. Ces deux phénomènes s’autorenforcent. Tant que la situation économique du pays était correcte, cet état de fait était plus ou moins tolérée par la population. Mais après 15 ans de décrochage depuis l’entrée dans l’euro et cinq années de récession à la suite de la crise de 2008, cela est devenu inacceptable. Le M5S ne fait que traduire cette demande sociale pour une régénération de la vie politique italienne et une amélioration de la transparence de l’action de l’État. Ici, ce n’est pas à Podemos qu'on peut comparer le mouvement mais plutôt à un autre parti espagnol, Ciudadanos.
Quant à l’immigration, il ne faut pas oublier que l’Italie est l'une des principales portes d’entrée de l’Union européenne depuis de nombreuses années et que le pays a été en première ligne avec la Grèce depuis le début de la crise des réfugiés. Cela, alors que le pays ne bénéficie par des moyens nécessaires pour accueillir correctement les populations, est soumis à l’austérité, et a vu son taux de chômage grimper en flèche. L’absence de solidarité européenne envers la Grèce et l’Italie est dans ce cadre scandaleuse. Elle est pour une part responsable de la montée de sentiments xénophobes parmi les populations. D’un autre côté, le M5S défend ardemment les droits des LGBT. Son identité politique est donc très complexe. Quant à l'Italie, elle a bien une extrême-droite, mais celle-ci s'incarne dans la Ligue du Nord dont les positions sont très proches de celles du FN, et par Fratelli d'Italia, parti d'extrême-droite très traditionnel. 

Chronique d'un décrochage économique

Le double problème de l’Union Européenne et de l’euro est en réalité le principal moteur de l’émergence du M5S qui demande un référendum sur la sortie de l’euro. De l’autre côté des Alpes, le débat sur la sortie de l’euro est devenu central et la population est aujourd’hui majoritairement favorable au retour à la lire. Les Italiens n’ont pas du tout le même rapport fétiche à l’euro que les français qui ont porté le projet, ou que les Espagnols qui voient dans l’intégration européenne l’assurance d’être arrimés à la démocratie. Sans parler des Grecs qui ont longtemps vu l’adhésion à l'euro comme l’assurance de faire définitivement partie de la « civilisation occidentale ». 
De même, la question de l’hégémonie allemande dans l’UE et de ses conséquences néfastes est régulièrement posée en Italie, parfois même par Matteo Renzi. Le sentiment de déclin et de perte de souveraineté est profondément enraciné dans le débat politique italien, alors que le déclin économique s’accroît.
Quelques indicateurs suffisent à résumer la situation économique italienne depuis l’entrée dans l’euro. L’investissement par habitant est à seulement 72% [2] de ce qu’il était en 1999. Le taux de croissance annuel moyen du PIB par habitant sur la période 1999-2015 est de -0,2% (1,3% pour l’Allemagne et 0,7% pour la France) soit moins que la Grèce (0,2%) et le pays a perdu 26% de compétitivité en indice cumulée (écarts d’inflation et de productivité) vis à vis de l’Allemagne depuis 1999. L’Italie est le seul pays qui s’appauvrit structurellement depuis son entrée dans l’euro. La chute de l’investissement va avoir des conséquences dramatiques sur l’évolution future de la productivité dans le pays. 
Les politiques de Matteo Renzi n’y changeront rien. Les réformes structurelles tant vantées par la Commission européenne appliquées en Italie n’ont fait qu’empirer la situation et précariser un peu plus une population qui vit dans la peur constante du déclassement. Les emplois créés par le Job’s Act italien qu’on nous vante comme modèle pour la Loi Travail sont en réalité des emplois précaires, faiblement qualifiés et subventionnés par l’État qui, paradoxalement, risquent d’avoir des effets catastrophiques dans le futur. En effet, la subvention d’emplois non qualifiés agit comme une incitation à substituer du travail au capital et donc à retarder ou à annuler les investissements productifs qui font s’accroître la productivité du travail. La politique de Renzi ne peut donc régler les problèmes de compétitivité et de productivité de l’Italie.
Quant à la question de la dette publique italienne, elle est loin d'être réglée. La croissance n’est pas suffisante pour la faire reculer alors qu’elle atteint aujourd’hui 133% du PIB. On peut évoquer aussi les montagnes de créances pourries dans les banques italiennes (environ 300 milliards d’actifs pourris) qui mettent le secteur bancaire sous pression, le rendent incapable de financer correctement l’économie et risquent de le faire voler en éclat au moindre choc exogène de grande ampleur. Ce cocktail explosif fait de l’Italie un candidat de choix à la sortie de l’euro, ce que le M5S a bien compris et ce qui lui permet de rassembler largement autour de lui au second tour.

Et après ?

L’euphorie pro-Renzi qui a fait suite aux élections européennes de 2014 relève aujourd’hui d’un lointain passé. Le gouvernement présente à l’automne prochain un projet de réforme constitutionnel sur lequel il a engagé sa responsabilité alors que le scrutin de ce dimanche vient fragiliser un peu plus sa position. Il n’est donc pas impossible que des élections anticipées soient convoquées et que le M5S en sorte victorieux avec Luigi di Maio comme nouveau premier ministre. Il devra néanmoins faire ses preuves dans la gestion de Rome et de Turin car il est évident qu’il sera attendu au tournant. 
La situation italienne semble aujourd’hui traduire le mûrissement de contradictions qui s’aiguisent d’années en années. Le vote grilliste ne peut pas être regardé comme un simple vote de protestation. Son enracinement et sa progression régulière en font un réel vote d’adhésion. Rien n’indique, donc, que la situation politique pourrait se retourner. Il va falloir compter avec les militants cinq étoiles dans un futur proche. A l’heure où la crise de l’UE qui s’approfondit chaque jour, l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement eurosceptique dans la troisième économie de la zone euro pourrait bien donner le coup de grâce à l'Union supranationale. 


[1] On conseille ici l’analyse de Gramsci sur le processus de Risorgimento et le visionnage du grand film de Visconti, Le Guépard.
[2] Source : Base de données du FMI. Idem pour les autres données.



samedi 18 juin 2016

Référendum britannique : quelles conséquences pour l'Europe ?






Par Jean-Claude Werrebrouck



Quel que soit le résultat du référendum britannique du 23 juin les conséquences seront considérables. Elles le seront d'autant plus en cas de Brexit bien sûr. Mais elles seront lourdes aussi en cas de maintien du Royaume-Uni dans l'UE, ne serait-ce que parce que la question de l'appartenance à l'UE aura été clairement questionnée pour la toute première fois.


L'hypothèse du maintien dans l’UE

Ce scénario n’est pas celui de la continuité car il marque le succès d’une stratégie de blocage de l’intégration vers toujours plus d’Europe.

Les britanniques en utilisant pour la première fois dans l’histoire un article du Traité sur le Fonctionnement de l'UE (TFUE) conçu pour ne jamais être utilisé (l'article 50 évoquant les conditions d’un départ) obtiendront un régime d’exception. Il n’est pas douteux que cette stratégie deviendra un chemin banal pour les pays qui, sans vouloir déserter, chercheraient à améliorer leur position dans l’édifice. L’UE européenne ne sera plus alors un bouc émissaire seulement désigné par les gouvernements nationaux. Elle sera, via la possibilité même qu'elle offre de la quitter et l'effroi que cela suscite chez les autres pays membres, concrètement utilisée. Et les forces de dislocation concurrenceront sans cesse davantage celles d’une intégration toujours croissante.

L'hypothèse du « Leave ».

Nous n'aborderons pas ici les résultats souvent négatifs proposés par la multitude des modèles qui se sont intéressés à la question. Calculer, comme le font la plupart, la prétendue diminution de PIB à partir de ce qu’on appelle une « augmentation des coûts du commerce international » - lui-même induit par un éloignement du marché unique - n’a guère de sens. L’effet potentiel du Brexit ne figure pas dans le registre du calculable. En effet, n’est en aucun cas calculable, le « solde » entre un PIB éventuellement plus faible et une  « démocratie plus grande » car affranchie des métarègles de l’UE.

Bien évidemment des conséquences économiques émergeraient rapidement, mais, pour autant, elles seraient maîtrisables. En effet on peut compter sur un courant spéculatif vigoureux, portant sur la vente d’actifs britanniques défavorables à la tenue de la livre. La balance courante structurellement déficitaire est jusqu’ici couverte par des achats d’actifs britanniques.  La réorientation spéculative du flux de capitaux entraînerait une forte chute de la livre, d’où probablement une forte hausse des taux, et une augmentation de l’épargne. Pourtant, cela ne serait pas forcément catastrophique et l’effet récessif attendu serait partiellement compensé par une amélioration de la compétitivité impulsée par la baisse du taux de change. Reste la question des taux sur une dette publique importante, question qui, elle non plus, n’est pas insoluble. Quoiqu'il en soit, il est impossible de déterminer le résultat économique global d’un tel événement tant il dépasse le domaine du quantifiable. En ces domaines, les modèles économétriques ne sont absolument pas sérieux.

A moyen terme, la place de Londres ne serait pas réellement menacée. Les difficultés que rencontrerait toute place se voulant concurrente sont colossales tant Londres a accumulé d'atouts: accumulation de compétences techniques en tous domaines sur un même lieu, qualité des infrastructures, liberté des rémunérations, adossement « naturel » sur des paradis fiscaux, etc…. La place de Paris malgré ses compétences humaines ne saurait rivaliser avec celle de Londres de l’après Brexit.

Toujours à moyen terme, la renégociation des accords avec l’Union européenne est parfaitement envisageable. Relevant d'un processus se déployant dans la durée (deux années selon l’article 50 du Traité), la sortie n’empêchera pas le maintien des contrats ou des normes, et permettra le maintien de toute une batterie d'activités tant il est vrai que l’esprit libre-échangiste sera maintenu [1].

On voit mal la France punissant la grande Bretagne en imposant des clauses restrictives sur les importations en provenance d’outre-Manche, au prétexte qu’il faut faire peur… au Front National. Et ce d’autant que l’excèdent français sur la Grande-Bretagne est important ( 8,4 milliards d’euros pour 2015) et présente un caractère d’exception puisque la France est déficitaire au regard de la plupart des grands pays partenaires. Ainsi, il ne sera pas dans l’intérêt de la France de gêner en quoi que ce soit l’épanouissement des intérêts britanniques jusqu’ici garantis par les textes existants.De même, on voit mal l’Allemagne punissant la Grande-Bretagne alors qu’elle exporte massivement ( 89 milliards d’euros en 2015) vers pays. Au contraire, tout sera fait pour ne pas gêner un client si important.

On peut donc supposer que le ton sera celui de la bienveillante dans les négociations de sortie. Et l’on se dirigera peut-être vers une intégration à l’Espace Economique Européen (EEE) voire à l’AELE (Association Européenne de Libre Echange). A défaut, l’issue sera celle d’accords classiques de libre-échange, en raison du fait que l'EEE et l'AELE maintiennent la liberté de circulation du travail, que la Grande-Bretagne cherche justement à maîtriser.

Du point de vue Britannique, la sortie correspondrait mieux à sa vocation libre-échangiste avec la possibilité de conclure des accords bilatéraux avec n’importe quel pays, ce qui n’est pas vrai aujourd’hui. Cela correspondrait aussi bien mieux à la réalité de l'économie du pays puisque plus de 50% de son commerce extérieur se réalise avec des pays étrangers à l’UE. La Grande-Bretagne retrouverait tout simplement sa vocation mondiale. Précisons enfin que cette dernière solution est probablement la plus avantageuse pour Londres en raison des énormes contributions financières correspondants à l’appartenance à l’EEE ou L’AELE.

Les conséquences politiques

Si le tabou de l'usage de l’article 50 est levé et qu’au surplus il aboutit à une sortie, il est clair que les forces de dislocation deviendront plus dangereuses. Pour leur répondre, les forces politiques intégratives seront déployées au maximum de leur potentiel [2]. La première de ces forces est bien sûr la motivation du personnel politico-administratif qui a fait carrière et trouve des débouchés rentables au sein de l'énormes pyramide institutionnelle qu'est l’UE. Elle sera très combative. Pourtant, elle sera aura sans doute du mal à définir la meilleure stratégie d’influence auprès des décideurs politiques nationaux. Pour éviter la désintégration - et donc pour se maintenir au sein de la pyramide institutionnelle européenne – faut-il préconiser davantage de fédéralisme ? A l'inverse, faut-il lâcher du lest, se contenter de ce que l'on a déjà et renoncer à toute course à l’approfondissement ?
Les choses ne seront donc pas simples car il faudra compter, à l’intérieur de chaque Etat, avec la montée des partis non-européistes voire sécessionnistes. Ainsi, la montée du populisme en Hollande freinera les ardeurs intégratrices du président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem. La montée de l’AfD en Allemagne rendra prudent le gouvernement correspondant. La montée du Front National agira de la même façon pour la France. On pourrait multiplier les exemples.

Surtout il faudra compter avec l’éternel problème de l’euro, cette monnaie dont on commence à avouer - avec 20 années de retard - qu’elle est « incomplète » …et probablement frappée d’incomplétude irrémissible, ce qui n’est pas encore clairement assumé.

On sait que la suppression des taux de change est la condition fondamentale de l’existence d’une monnaie unique entre nations différentes. A l’intérieur d’une nation, les déséquilibres régionaux ne posent guère de problème et des transferts existent - politiquement, ils sont parfaitement acceptés à l’intérieur d’un espace national -  entre régions excédentaires et régions déficitaires. La région déficitaire ne dévalue pas une monnaie nationale pour restaurer l’équilibre, mais bénéficie de la solidarité des régions riches de la même nation. Tel n’est pas le cas entre nations différentes où aucun espace de solidarité politiquement acceptable n’existe. Concrètement le bon fonctionnement de l’euro supposerait des transferts entre nation... des transferts qui seraient vécus comme illégitimes et scandaleux. Il n’existe pas d’espace de solidarité entre l’Allemagne et la Grèce. D’où les dysfonctionnements colossaux au sein de l'eurozone. En cas de Brexit, les schémas d’intégration renforcée prennent-ils en compte cet élément d’hétérogénéité qui rend irréaliste tout union de transferts ? Clairement, le réponse est non.

Tous les projets de renforcement de l'UE actuellement sur la table - près d’une dizaine - butent sur la question des transferts financiers. Certains militent pour un pouvoir revivifié, matérialisé par un authentique Parlement de la zone euro. D'autres plaident pour un gouvernement économique avec un budget important, une convergence fiscale et sociale, parfois même avec une assurance chômage centralisée, des dépenses d’infrastructures appuyées un véritable budget de la zone euro. Mais quelle que soit la solution retenue, il est évident que les dépenses correspondantes seraient de fait payés par les Allemands. Dès lors, on peut supposer que jamais l’Allemagne n’acceptera un Parlement authentique, capable de voter des recettes et des dépenses, un Parlement au sein duquel pour des raisons de simple arithmétique démographique, elle serait minoritaire.

***

On peut raisonnablement penser que s'il a lieu, le Brexit accélérera la mise à nu de l’existence d’un nœud gordien. La Grande-Bretagne sortie de l'UE, il ne demeure que deux pays importants : l’Allemagne et la France, de quoi imaginer l’instauration d’un rapport de forces nouveau. Mais alors soit l'Allemagne, aiguillonnée par la France, accepte la mise en place de règles nouvelles inculant des transferts massifs, soit la zone euro disparaît.

Quoiqu'il en soit, la simple tenue du référendum britannique éloigne un tabou. Elle permet de poser des questions jusqu’ici interdites. Elle fera naître des questions chez les peuples, et peut-être un désir accru de liberté. Ce désir, les appareils politico-administratifs nationaux et communautaires tenteront de le contenir en démasquant encore un peu plus, à leur corps défendant, le nœud gordien de l’euro.

Ce qui contribuera à accélérer la décomposition de l’UE telle qu’historiquement constituée....


[1] Et cette bienveillance demeurera en dépit de la colère et des rodomontades de certains comme celle par exemple de l’eurodéputée Sylvie Goulard. Celle-ci vient d’écrire une charge contre le Premier ministre Britannique, Goodbye Europe (Flammarion), dont voici un court extrait qui donne le ton : « Un premier ministre britannique récalcitrant en difficulté avec son propre camp, dicte ses conditions et voilà que 27 dirigeants et toutes les institutions européennes cautionnent un discours de dénigrement et cèdent au chantage. C’est extravagant ».

[2] Il faut en effet bien voir que ce serait historiquement le premier référendum sur l’Europe organisé dans un grand pays, qui serait suivi de conséquences réelles. D’autres référendums ont eu lieu, notamment celui du 29 mai 2005 en France, mais ils ont toujours terminé leur parcours dans les oubliettes. Ce ne serait pas le cas d’un Brexit.


[ On peut retrouver Jean-Claude Werrebrouck sur son blog ]