jeudi 26 avril 2012

Lionnel Luca : le blaireau de la République.




Pour Lionnel Luca, député UMP et ténor de la Droite populaire, une femme, c’est un peu comme un clébard.

Surtout si elle est la compagne du candidat socialiste. En meeting de soutien à Nicolas Sarkozy mercredi 25, et ainsi que le rapporte Nice Matin, il a vivement moqué « Hollande qui a retrouvé une femme, Valérie Rottweiler. Et c'est pas sympa pour le chien, ça ». L’élu, qui aime la gent canine au point de japper presque aussi bien, parlait évidemment de Valérie Trierweiler.

Une femme, c’est un peu comme un clébard, donc. Il y a d’ailleurs les femmes « lambda » et les femmes « de race ». Tenez, les Arabes par exemple. Celles-ci se décomposent elles-mêmes en deux catégories : les « bonnasses », et les boudins. Jugez plutôt la teneur en hydrogène sulfuré de cette flatulence verbale : « Fadela Amara, ben moi j'ai toujours préféré Rachida Dati, d'abord parce qu'elle est moins moche et parce qu'elle a fait campagne pour le président ». Prout !

Mais Lionnel [pourquoi tant de  "n" ?] Luca ne s’en tient pas là. Il est soucieux de mener à terme son numéro de bretteur « popu », en vertu des responsabilités « qui lui incombent et qui lui décombent », comme auraient dit les Inconnus. Il s’en prend donc à Nathalie Arthaud, « la bave aux lèvres. Je n'aurai pas aimé être élève dans sa classe » : Prout et re-prout !

En fait, Lionnel [quatre consonnes et trois voyelles] Luca n’aurait pas aimé être élève tout court. Et puis, dans le monde enseignant, comme chacun sait, il n’y a que des feignants syndiqués et des bonnes femmes dépressives. D’ailleurs, ces dernières feraient mieux de s’en retourner à leur cuisine, après avoir reçu la taloche de bon fonctionnement susceptible de les dissuader de l’ouvrir trop souvent. C’est vrai quoi, comment voulez-vous que Super Dupont poursuive sa petite carrière de parlementaire bas du front si les gonzesses viennent se mêler de faire de la politique ?

Enfin, les femmes vieillissent. Or si un homme chauve, ventripotent et rotant de la « Kro »  a toujours la possibilité d’aller au bordel, une femme qui prend de l’âge, elle, va à la poubelle. Et de déclarer au sujet d’Eva Joly : « enfin (elle est)  plutôt mûre. Le seul truc à récupérer chez elle, c'est ses lunettes, elles sont modernes ». Proooout !

Je ne sais pas si Lionnel Luca « se gratte les c… à table en écoutant Laurent Gerra », comme il est dit dans une chanson. Où s’il sort tout droit d’un numéro du « Gros dégueulasse » de Reiser.

En revanche, je ne doute pas un seul instant que quelques obsessionnels de la chasse au « politiquement correct », confondant volontiers « irrévérence » et « cuistrerie », auront tôt fait de classer le présent texte dans la catégorie « pleurnicherie crypto-féministe émanant de la gauche angélique ».

Afin de ne pas prêter le flanc à de si glaçantes critiques, je n’accablerai pas davantage Lionnel Luca. Je me bornerai, tout au contraire, à lui offrir cette chanson, qui, décidemment, lui va si bien.

( Prout ?)


(pour chanter en même temps, cliquez ici : CLICK)



mercredi 25 avril 2012

Ecoute de la (gauche) pop', François Hollande !

Par Benjamin Sire

[ Benjamin Sire est musicien, et tient le blog Wuyilu. Il est membre du collectif « Gauche populaire ». Il est aujourd'hui l'invité de l'arène nue ].



Quelques jours après le premier tour de la présidentielle, tout le monde aura noté la première place historique de François Hollande, seul challenger à avoir obtenu cette position face à un président sortant au cours de la Vème République.

Une fois dit cela, il faut regarder ailleurs et s'inquiéter un peu, non seulement d'un second tour pouvant encore échapper au PS, mais surtout, une fois de plus, du sens que revêt le score obtenu par Marine Le Pen et de l'apparition d'une nouvelle sociologie dans son électorat.

Quand plus d'un large tiers des électeurs se prononce en faveur de candidats « radicaux », de gauche comme de droite, quand aucun des deux favoris, largement portés par les médias, ne parvient à susciter de véritable élan (pas plus qu’en 2002), il convient de développer d'autres arguments que ceux qui se bornent à accuser l'UMP d'avoir labouré les terres du Front national pendant cinq ans. Reprocher au parti présidentiel ses errements idéologiques, notamment la stigmatisation de certaines populations, lorsque l’on choisit soi-même d’occulter le sujet, ne fait qu'alimenter le phénomène.

La réalité de ce que l'on appelle le « vote protestataire » n'est pas seulement affaire d'idéologie mais aussi de rapport à une certaine morale. La dénonciation de la « lépénisation des esprits », date déjà de la présidentielle de 1988 et procède d'une culpabilisation fainéante. Quant au sentiment de « coupure entre les élites et les petits » et de « perte identitaire », mieux vaudrait les comprendre au lieu de les brocarder. Il y a là autant le reflet de l'évolution de la construction européenne que du comportement de la classe politique majoritaire et des médias (voire l'explosif referendum sur le traité de Maastricht, puis sur celui sur le traité de Lisbonne, dont le résultat fut confisqué).

Dès 1988, des enquêtes[1] révèlent que, pour les sondés, « le seul but du politique est la domination, celui de  la finance, la possession et celui des médias l'éblouissement de lui-même par lui-même ». Déjà, ces études témoignent que la principale préoccupation du peuple est un fort désir de « protection ». Or, il est évident que dans les faits, si les le pouvoir financier et le pouvoir médiatique ont poursuivi leurs buts jusqu'à l'indécence, le peuple, lui, n'a cessé d'être trahi, tant la notion de protection implique celle de confiance, et cette confiance une forme de respect de la parole donnée.

Hélas, la perte du sens de la parole donnée s'est poursuivie sans relâche depuis le début des années 1990, tant à droite qu'à gauche, favorisant les réflexes du vote « extrémiste ». Celui-ci s’étend aujourd’hui bien au-delà du socle électoral naturel des partis « radicaux » et fédère un nombre croissant de citoyens de bonne volonté,  exaspérés jusqu'au dégoût par l'observation du politique, et chaque jour plus fragilisés par les conséquences de ses actions.

A gauche, sous les coups de boutoir conjugués de Rocard, de Delors et de leurs enfants, on n’a cessé d’escamoter les notions de « peuple », de « République » et de « nation », comme s’il s’agissait de gros mots malodorants. La droite, elle, s'est emparée de ces termes comme de concepts marketing utilisables à de seules fins électorales.

On l'a vu avec la « fracture sociale » de 1995, qui marque la première utilisation des thèses d’Emmanuel Todd à des fins politiques. Mais cette « fracture » est oubliée dès l'élection de Jacques Chirac. A nouveau à gauche, le renoncement de Jospin sur le cas Vilvoorde en 1997 puis l'inclinaison du parti socialiste à privilégier le sociétal par rapport au social, la minorité par rapport au peuple, le désir individuel par rapport au dessein collectif, ont fait bien des dégâts. Par la suite, la campagne diablement populaire - et non populiste - de Nicolas Sarkozy en 2007 réussira brièvement à ramener le Front National à son étiage électoral et idéologique naturel."

Il existe donc bien un « peuple » chaque fois célébré à droite puis chaque fois trahi - et comme jamais depuis 2007 . Mais à gauche, il est chaque fois ignoré. Dès lors, il ne faut pas être surpris qu’il se « venge » en se détournant de cette famille politique qui devrait pourtant être la sienne. Le retour au « peuple » est ainsi la clef et l'enjeu réel du second tour de la présidentielle.

La classe politique l'a bien compris : nous avons vu combien la droite a fait usage du concept de « peuple », s'appuyant notamment sur les travaux du géographe Christophe Guilluy[2]. Pendant ce temps, le PS, récupérait Emmanuel Todd - davantage comme un trophée que comme un outil - et tolérait de se laisser aiguillonner par la Gauche Populaire de Laurent Bouvet[3], Gaël Brustier[4] et d'autres, dont les thèses ont affleuré dans un discours du Bourget, hélas sans suite remarquable.

A l’occasion du premier tour, presque tous les candidats, de Nicolas Sarkozy à François Bayrou, en passant par Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan, Nathalie Arthaud et Philippe Poutou, se sont réclamés du peuple et, par extension, de « l'anti-système ». Pour certains, tel Sarkozy, cet exercice confinait à la schizophrénie, voire à la duplicité. Surtout, cette manœuvre a été pour la première fois éventée avant que de porter ses fruits, sauf pour la candidate du Front national, qui peut se prévaloir de n'avoir jamais été aux responsabilités. Quant au score décevant - bien qu'inespéré en début de campagne - de Jean-Luc Mélenchon il s'explique en partie par son paradoxe personnel d'ancien apparatchik socialiste soudainement reconverti en candidat « populiste ».

Les deux seuls candidats qui se sont le moins réclamés du « peuple » sont à l’évidence François Hollande et Eva Joly. Hollande a néanmoins pris soin de s'inscrire dans un discours de dignité et de rassemblement, dans lequel, la référence à la « République » demeurait omniprésente. Quant à Eva Joly, elle doit sa gifle monumentale à une campagne durant laquelle elle s'est évertuée à expliquer que tout ce qui faisait la France et sa tradition méritait d'être voué aux gémonies, cependant qu’elle délaissait presque complètement le terrain écologiste.

Cette idée de mépris ou d’ignorance du peuple par les « élites » est aujourd'hui fortement inscrite dans le code génétique de l'électeur habitué des campagnes. Dire, comme certains, que « Marine Le Pen est une enfant de Sarkozy », en considérant le seul versant idéologique du Front national, est une excuse facile, même si le discours sarkozyste a encouragé la décomplexion vis-à-vis de Marine Le Pen. Finalement, peu d’électeurs adhèrent à la totalité du marigot idéologique du FN, dans lequel surnagent des thématiques ultra-minoritaires, de celles chères aux catholiques extrémistes à celles héritées du MNR de Bruno Mégret.

En fin de compte, c’est davantage l'immense trahison dont s’est rendu coupable le Président sortant qui a nourri le vote FN. Ainsi, ce n'est certainement pas en insultant, en méprisant ses électeurs, parmi lesquels  figurent - et c'est nouveau - nombre de primo-votants, que l'on accomplira l'œuvre de réconciliation nationale qui s'impose.

Aujourd'hui, puisque les urnes en ont ainsi décidé, la confrontation sera celle de François Hollande et de Nicolas Sarkozy. Il s’agira donc de choisir entre un rassembleur, indiscutablement humaniste, bien qu’aux idées encore incertaines et un cynique, opportuniste jusqu'à la folie. Le choix en faveur du premier s'impose donc comme une évidence.

Toutefois, s'il s'agit dans un premier temps de se débarrasser du plus nuisible des Présidents de la Vème République, il faut garder ceci en mémoire : le quinquennat qui s'annonce pourrait avoir des conséquences plus graves encore que l'actuel si le candidat socialiste ne s'imposait, au-delà du simple discours, une véritable prise en considération d'un peuple dont la défiance n'attend que d'être apprivoisée.

Nous serons plusieurs à le lui rappeler tout au long des dix jours que durera encore la campagne ; quoique nous soyons déjà assurés de glisser dans l'urne un bulletin à son nom, sans l'ombre d'une hésitation.

Écoute de la (gauche) pop’ François Hollande !


[1] Etude de l'agence « Temps Public » 1988
[2] Christophe GUILLUY,  Fractures françaises, François Bourin éditeur, 2010.
[3] Laurent BOUVET, Le sens du peuple, Gallimard 2012.
[4] Gaël BRUSTIER et Jean-Philippe HUELIN, Recherche le peuple désespérément, François Bourin éditeur 2009.
                                    
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mardi 24 avril 2012

Concours « Miss France Noire » : pour en finir avec la beauté d’après-guerre !




Je ne me souviens plus si c’est en lisant un Twitt de Rokhaya Diallo ou un statut Facebook de l’ancien « fara de la Tribu Ka » Kémi Séba que j’ai appris la nouvelle. A moins que ce ne soit en feuilletant Respect Mag, le journal « urbain, social et métissé ». Samedi prochain se tiendra à la salle Wagram de Paris la première élection de « Miss Black France », concours de beauté qui verra s’affronter 18 jeunes femmes rêvant d’obtenir la palme de « plus belle femme noire » du pays.

Vous avez l’impression d’avoir été brutalement transporté dans cette Amérique multiculturaliste qui porte encore en elle « le souvenir brûlant de la ségrégation » ? Vous n’êtes pas loin du compte. Tout comme la délicieuse fête d’Halloween, qui voit une flopée de crétins baguenauder au cœur de nos automnes glacés déguisés en citrouilles, en sorcières ou en Lady Gaga fraichement cocaïnée, l’idée de cette élection communautariste provient en effet du pays de l’oncle Sam. Aux « States », le concours « Miss Black America » existe depuis les années 1960. Or, comme il est devenu traditionnel de transposer sans exception toutes les manifestations du mauvais goût étasunien, il était naturel que cette funeste manifestation vînt s’échouer sur les rives de notre République hantée par « le souvenir brûlant de la colonisation ».

Cette célébration de la « Black beauty » a trouvé rapidement quelques porte-parole de renom. La grande prêtresse des Miss, Geneviève de Fontenay, a apporté un soutien sans ambigüité au concours, espérant que « l’élection de Miss Black France contribue à mettre en avant les canons de beauté contemporains, qui un jour j’espère, remplaceront ceux de la guerre ». Ah, les canons de beauté de la guerre, qui ne cessent de nous ramener aux « heures les plus sombres de notre histoire » et à « la honte inextinguible - et méritée - qui continue de planer sur la France colonialiste » ! En tout état de cause, ceux qui se demandaient ce que Madame de Fontenay avait sous le chapeau ont désormais la réponse : une dépression atmosphérique.

 « Miss Black France » a également reçu les louanges appuyées d’un homme dont c’est le métier : Patrick Lozès, patron de la PME communautaire « Conseil représentatif des associations noires » (CRAN), et ancien-futur-ex candidat à l’élection présidentielle de notre France raciste. Il est vrai que l’élection de Miss France telle que nous la connaissions jusqu’alors est trop « peu représentative de la population française d’aujourd’hui », ce qui est, convenons-en, passablement dégueulasse.

En revanche, nous n’avons connaissance d’aucune réaction du l’officine communautariste et autoproclamée « féministe » La Barbe. De même, nous espérons une déclaration prochaine du collectif Osez Le Féminisme rappelant à juste raison que l’évènement est entaché d’un « sexisme d’un autre âge » puisque, faisant fi de l’incontournable « égalité femme/homme », le concours des Miss ne comporte aucun « Mister ».

Ce samedi 28 avril constituera néanmoins une victoire supplémentaire de la « France diverse » sur la « France moisie », qui, faisant honneur à notre longue tradition méritocratique, verra se confronter une poignée de bécasses décérébrées et dévêtues excipant de leur immense mérite à être à la fois belles et foncées.

Reste à savoir quel degré de « noiritude » sera toléré dans cette joyeuse fiesta : les métisses pourront-elle concourir ? Et les chabines des Antilles ? Existe-t-il des tests de « noireté » pour prouver qu’on est vraiment noir, tout comme il existe des tests salivaires (179 € seulement) pour s’assurer qu’on est vraiment juif ?

Trancher cette épineuse question appartiendra aux membres éminents du jury que seront les rappeurs Passi et Mokobé, l’animatrice de télévision Enora Malagré, et le SPRA (Sans Profession Répertoriée dans les Annales) Vincent McDoom.

Samedi 28, venez nombreux à cet évènement culturel qui fera date, dont l’entrée vous coûtera 30 euros seulement, et dont une partie des bénéfices sera reversée à une bonne œuvre luttant contre une maladie génétique (pas la myopathie : une autre vachement pire).

Et rendez-vous l’an prochain - en tout cas nous l’espérons - pour l’inauguration de « Miss Asiat’ France », « Miss Reubeu France », « Miss France d’origine Gréco-Moldave », « Miss France Rousse et Gauchère », et, pour l’anniversaire de Claude Guéant, l’incontournable « Miss France de Souche » !

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vendredi 20 avril 2012

"Anders Breivik n'a pas surgi d’une boite ! "

Le procès du tueur d'Anders Breivick s'est ouvert lundi dernier en Norvège. Au terme d'une semaine de procédure, Nicolas Lebourg, historien, spécialiste de l'extrême droite et co-auteur d'une récente biographie de François Duprat, répond aux questions de l'arène nue. Pour lui, Breivik ne sort pas du néant. Il est au contraire le produit d'une longue sédimentation idéologique. Explications.




Coralie Delaume. En Norvège, le tueur solitaire Anders Breivick a affirmé lors de son procès s’être inspiré des méthodes d’al-Qaïda. Inversement, des observateurs français ont supposé qu’il avait inspiré l’islamiste Mohamed Merah. Le « loup solitaire » est-il le nouveau profil-type du militant ultra-radical ?

Nicolas Lebourg. D'une part, il y a des transferts de méthodes, qui peuvent devenir identiques, d'autre part il y a des discours, qui peuvent demeurer différents.

D'où vient le « lone wolf » ? Des marges culturelles et sociales. La tactique a été inventée par l’Américain Joseph Tommasi en 1974. Celui-ci a cofondé le National Socialist Liberation Front avec William Pierce, le futur auteur des Turner diaries, la bible néo-nazie qui a inspiré l'attentat d’Oklahoma City en 1995 et, semble-t-il, celui réalisé par Breivik à Oslo. Ils espèrent alors adapter un néo-nazisme mystique avec la contreculture en vogue et opérer une jonction avec les révolutionnaires de gauche.

Tommasi est conscient que l'époque révolutionnaire est close. Il reprend le slogan maoïste « le pouvoir est au bout du fusil » et lui ajoute une formule très vite reprise par l'essentiel de l'extrême droite radicale de son pays : «  l'avenir appartient aux quelques-uns parmi nous prêts à se salir les mains. La terreur politique : c'est la seule chose qu'ils comprennent ». 

Avec le « lone wolf », Tommasi veut transformer la faiblesse des néo-nazis en force. Puisque il n’existe aucun soutien populaire à l’extrême-droite radicale, puisque le gouvernement américain n’est qu’un leurre derrière lequel se tient  le ZOG, (« Zionist Occupation Government » ou « Gouvernement d’Occupation Sioniste »), puisque tout militant d’extrême-droite est peut-être un espion du gouvernement ou un agent sioniste, alors il faut passer à un terrorisme individuel. Cela annule tout risque de fuite ou de trahison.

La méthodologie n’essaime qu’à compter des années 1990, parallèlement à la diffusion des Turner Diaries et au principe de la Leaderless resistance (la résistance sans chef). On retrouve cette dernière dans le discours de Breivik sur l'existence de cellules sœurs. L’invention de la Leaderless Resistance, en 1983, est l’œuvre du suprémaciste blanc américain Louis Bean. Bean dit s’inspirer d’un modèle mis au point par un officier des services US pour parer une éventuelle prise de pouvoir communiste dans les années 60. Pour Bean, la résistance sans chef fonctionne sans structure directionnelle, les cellules fonctionnent indépendamment les uns des autres, sans qu'existe un état-major, donc à l’inverse du système pyramidal des cellules communistes. On avait déjà eu, dans l'extrême droite subversive française, de tels schémas. Mais c'est Al-Qaïda qui va prouver tout le potentiel de cette formule.

On comprend donc le lien Breivik / Merah. Mohamed Merah se revendique d'Al Qaïda sans être, semble-t-il, membre d'une quelconque structure, mais en se reconnaissant et se motivant dans le carburant idéologique qu'elle produit puis en agissant comme « loup solitaire ». Anders Breivik s’inspire d’organisations et de personnes en divers  points de l'Occident, mais il passe un temps long à organiser seul son opération. A son procès, il vient de déclarer que  « la seule façon d'échapper à la surveillance de la police était de rester à l'écart des militants nationalistes ». 

Et puis le « lone wolf » est le mode opératoire de gens désocialisés, fanatisés mais déconstruits - sans tomber dans la psychologie de bazar vous aurez noté que Merah comme Breivik avaient tous deux un père disparu à leurs yeux.

Certes, mais Breivick ne s’est pas toujours tenu à l’écart de tout réseau. Il a été lié au parti populiste norvégien « Parti du progrès ». De ce point de vue, peut-on le considérer comme un représentant de cette nouvelle « extrême-droite » européenne essentiellement islamophobe ?

En partie seulement. Il en représente le point incandescent. Le néo-populisme en Europe défend des conceptions altérophobes au nom de la défense des valeurs libérales. L'islam est dénoncé comme un totalitarisme et assimilé au nazisme, tandis que les islamophobes seraient les « résistants ». Israël est intégré au camp occidental du « choc des civilisations ». L'islamophobie pointe  la « dhimmitude » de l'Europe, c'est-à-dire sa soumission face à son islamisation

Ces derniers thèmes et termes sont redevables du succès du concept d'Eurabia forgé par l'écrivain Bat Ye’Or (soit Gisèle Littmann), une théorie du complot analysant l'histoire contemporaine au prisme d'une mythique alliance conspirationniste au profit de l'islam politique.

Il y a tout cela chez Breivik. Néanmoins, de l'existence de « l'Ennemi total », Brevik tire la conclusion de la « guerre totale » et de la répudiation de l’État démocratique. Ce n'est pas le cas des néo-populismes qui considèrent que si on vote pour eux, ils seront aptes à résoudre les problèmes.

Justement : il devient très hasardeux de réduire une famille politique – même radicale – à un acte isolé…

D'abord, la question n'est pas réductrice à l'extrême droite, très loin s'en faut. La diffusion de la dénonciation d'un « islamo-fascisme » et de « nazislamistes » est le fait, en France, de personnalités extérieures à l'extrême droite, de Bernard-Henri Lévy à Yvan Rioufol en passant par Pierre-André Taguieff, même si aucun historien des fascismes dans le monde ne souscrit à ces schémas.

La question n'est donc pas « pourquoi l'extrême droite est-elle si méchante ? ». La question est la suivante: dans une Europe qui depuis le XVI° siècle avait connu le principe « un prince, une religion », puis avait souscrit à des valeurs libérales mais au sein de cadres unitaires sociaux et nationaux, comment fait-on pour absorber le choc de la planétarisation, d'un monde atomisé où les individus flottent les uns face aux autres ?

L'islamophobie nous parle de quartiers islamisés, de mondes sans repères etc.  La réalité sociale décrite n'a finalement que peu de rapport avec l'islam mais tout à voir avec ce monde post-moderne, en flux et en fragments. L'islamophobie en donne une clef de compréhension. C'est un mythe mobilisateur qui permet de réinventer un « nous » positif face à « eux » démonologisé.

Autour de l’affaire Breivik, on évoque beaucoup la notion de « counterdjihad ». De quoi s’agit-il ?

C'est un concept qui ne recouvre pas, à l’instant présent, une véritable réalité observable.

Dans les milieux radicaux, un camp peut chercher à emprunter au camp d'en face, à user de méthodes qui auraient démontrés leur efficacité : les fascismes empruntent au bolchevisme, par exemple.

Mais avec Breivik on parle de processus typiquement occidentaux : « loup solitaire »,  « résistance sans chef », chevalerie templière... Et puis qui a inventé l'attentat kamikaze ? C'était en Israël mais ce n'étaient pas des islamistes : c'étaient des militants japonais d'extrême gauche...

Bref, les radicaux se nourrissent les uns les autres, notamment en termes de méthodes. Pour autant, l'idée d'un « contre-jihad » n'est pas, à l’heure actuelle, opérationnelle.

Anders Breivick a agi en Norvège, un pays sans doute bien moins sujet à l’immigration que la France, par exemple. Cela vous surprend-il ?

Non. Ce ne sont pas des immigrés qu'il a attaqués mais des sociaux-démocrates au nom de la « dictature » et du « marxisme culturel » que serait  le « multiculturalisme ». Ce qu'il pointe là n'est pas nouveau. Durant l'entre-deux-guerres, les nationalistes allemands pointaient du doigt le « Systemzeit » (le « système »), cette machine à détruire l'âme du Kulturvolk  (« le peuple de culture » : formule d'autoreprésentation du nationalisme allemand en opposition à la culture théorico-rationaliste née de la Révolution Française et sa Déclaration des Droits de l'Homme).

Pour le parti nazi, le « système » allait conjointement avec le « Kulturbolschewismus » (bolchevisme culturel). Son théoricien Alfred Rosenberg y vit l’élément désintégrant l’âme du peuple. Pour Hitler ces agents « désintégrateurs » étaient les Juifs, voulant faire perdre aux Allemands leurs « racines ». Pour Joseph Goebbels, il s’agissait de ceux qu’il considérait eux-mêmes comme des déracinés, des « cosmopolites ».

Après guerre, ces concepts se sont revivifiés et se sont hybridés, via des comportements politiques plus pragmatiques que dogmatiques. L'essentiel de la tâche de l'extrême droite radicale a été de transférer les conceptions nationalistes allemandes sur le référentiel européen. Le « peuple de culture » ( Kulturvolk ) est devenu le « peuple européen », auquel s'appliquerait également le principe du Schicksalsgemeinschaft  (la « communauté de destin »).

En France, à partir de 1968, l'extrême-droite invente un mot nouveau pour le Kulturbolschewismus : elle l’appelle « le mondialisme ». Ce dernier est accusé de vouloir un monde uniformisé, planétarisé et métissé pour permettre la domination de l'oligarchie financière sur des peuples ayant perdu leur identité ethno-culturelle.

Ainsi, tout le discours de Breivik sur l’idée d’une inévitable guerre civile à venir en Europe, est un classique depuis trente ans dans l'extrême droite radicale, où s’est simplement opéré un remplacement : on ne se focalise plus sur « l'ethnique » mais sur le « culturel ».

En somme, il faut bien comprendre qu'Anders Breivik n'a surgi pas d’une boite ! Il est le résultat d'une longue sédimentation de mythes et de discours. Et la réalité factuelle de la présence immigrée est tout à fait secondaire à ce propos.

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jeudi 19 avril 2012

Avec Eva Joly, nous sommes tous des Norvégiennes ménopausées.



Eva Joly, l’a encore montré hier soir lors de son ultime meeting de campagne au Cirque d’hiver : elle ose tout. Elle ose braver le ridicule en imitant, régionalisme oblige, un accent ch’ti approximatif lorsqu’elle tient meeting dans le Nord. Elle ose, elle, l’ancienne juge, dénoncer « l’instrumentalisation » de la présomption d’innocence, et s’affranchir de cette règle intangible de notre droit, pour porter des accusations lourdes à l’encontre de Nicolas Sarkozy. Elle ose arborer des lunettes qui devraient conduire Alain Afflelou directement en prison, sans même qu’on prenne la peine de s’interroger sur sa possible innocence. Surtout, hier soir, elle a osé la saillie la plus incongrue de toute la campagne présidentielle.

On connaît ses actuels démêlés judiciaires avec Marine Le Pen qu’elle a récemment qualifiée d’héritière d’un « père milliardaire par un détournement de succession ». Poursuivie en diffamation par l’héritière susdite, la candidate écologiste devrait être relaxée dans la journée.

Hier soir, l’égérie des Verts s’en prenait à nouveau à la leader frontiste. Cette dernière avait réuni ses partisans mardi soir au Zénith de Paris, et les avait harangués en ces termes : « c’est parce que vous êtes chez vous que vous avez le droit de ne plus vouloir de ces Franco-Algériens comme Mohamed Merah ! ».

Cela vaut évidemment son pesant de « points Godwins », mais la réponse de Joly bat en la matière tous les records : « nous sommes chez nous, nous, les bretons, les corses, les occitans, nous les polaks, les portos, les ritals, et les espingouins, nous les youpins, les nègres, les bougnoules, et nous…les Norvégiennes ménopausées ! » a-t-elle tonitrué.

On fait parfois grimper les sondages avec tout et n’importe quoi, sans nécessairement s’embarrasser de pudeur : les longs mois de campagne qui s’achèvent nous l’on prouvé. Les origines, les amours, les souffrances, le régime alimentaire, les déceptions, les faiblesses : tout semble bon dans le cochon. Mais faire campagne sur la ménopause, de mémoire de citoyen français, on n’avait encore jamais vu ça. Et l’on attend avec hâte qu’un candidat masculin à la présidence de la République ose faire le « coming out » de ses affres prostatiques pour faire pièce à madame Joly.

Coluche aurait peut-être pu rivaliser. On se rappelle que, candidat en 1981, il en appelait lui aussi à « nous les…. ». Nous, « les fainéants, les crasseux, les drogués, les alcooliques, les pédés, les femmes, les parasites, les jeunes, les vieux, les artistes, les taulards, les gouines, les apprentis, les Noirs, les piétons, les Arabes, les Français, les chevelus, les fous, les travestis, les anciens communistes, les abstentionnistes convaincus ». Las, il avait omis « les Norvégiennes ménopausées »…

« Les Norvégiennes ménopausées », grandes oubliées également des chants de la cavalerie d’Afrique : « c'est nous les descendants des régiments d'Afrique, les chasseurs, les spahis, les goumiers… ». Mais on sait combien Eva Joly se défie de la "militarité", notamment du 14 juillet. Chez les écologistes, rappelons-le, « c’est nous les pacifistes, les humanistes, les idéalistes ».

« Les Norvégiennes ménopausées », exclues enfin de la poésie, y compris des poèmes qui s’intitulent de façon presque prémonitoire "Le jugement des juges" : c’est nous, « ceux qu’on enferme dans le froid, sous les serrures solennelles, ceux qu’on a de bure vêtus, ceux qui s’accrochent aux barreaux, ceux qu’on jette la chaîne aux pieds dans les cachots sans soupiraux, ceux qui partent les mains liées, refusés à l’aube nouvelle, ceux qui tombent dans le matin, tout disloqués à leur poteau… ».

En même temps, citer Robert Brasillach en meeting, ça a déjà été testé. Et, si ça fait tout autant gloser que « Les Norvégiennes ménopausées », il n’est pas totalement certain que ce soit bien plus habile….

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mardi 17 avril 2012

« Je pense que Marine Le Pen restera le "troisième homme" du premier tour »

- Entretien avec Sylvain Crépon -


Sylvain Crépon est sociologue, spécialiste de l'extrême-droite
Il vient de publier "Enquête au coeur du nouveau Front national"
( voir une recension ici )


Coralie Delaume. Dans votre ouvrage « Enquête au cœur du nouveau Front national », vous interrogez de nombreux militants et cadres du FN, dont beaucoup viennent de la gauche ou du mégrétisme. Que doit-on penser de ces autres « ralliés » provenant de ce que l’on appelle « le  souverainisme » ?

Sylvain Crépon. Dans votre question vous faites référence à trois types de ralliements qu’il importe de distinguer.

Commençons par les militants issus de la gauche. Leur ralliement tient, selon moi, à des raisons essentiellement sociologiques. Lors de mon enquête à Hénin-Beaumont, j’ai rencontré beaucoup de militants frontistes qui avaient milité un temps au Parti communiste ou au Parti socialiste et qui avaient grandi au sein de familles de gauche. C’est sans doute une des choses qui m’a le plus surpris au cours de mon enquête dans cette zone déshéritée du Pas-de-Calais.

Ce sont pour la plupart des personnes issues de milieux ouvriers. Toutes ont un père ou un grand-père ayant été mineur de fond. Cette filiation avec l’univers de la mine est très importante dans la région. Elle constitue une forme de légitimité politique car elle permet d’avancer que l’on est en phase avec l’histoire économique et sociale locale, que l’on a vécu, ne serait-ce qu’indirectement, les difficultés survenues lors de la fermeture des mines qui ont affecté l’ensemble de la région.

La fermeture des mines et des usines a suscité un désenchantement politique. Aujourd’hui, le capitalisme n’est plus incarné dans un patronat local contre lequel se portaient autrefois les revendications des ouvriers. Il est devenu beaucoup plus abstrait. Les conséquences sont importantes au niveau des luttes sociales. Ainsi, beaucoup d’ouvriers ne croient plus à la  lutte des classes, aux lendemains qui chantent, bref aux valeurs véhiculées jadis par les organisations de gauche. Si vous ajoutez à cela les dérives de certaines mairies de gauche accusées de détournement de fonds publics et abus de bien sociaux, comme ce fut le cas à Hénin-Beaumont, les conséquences sont terribles auprès d’un électorat précarisé qui peut se sentir trahi par des partis censés le défendre.

Dans un tel contexte, le discours du Front national, qui tend à ethniciser la question sociale en proposant des aides pour les seuls Français, rencontre un écho certain auprès de ces perdants de la mondialisation. De ce point de vue, l’augmentation des scores du FN dans la région constitue un symptôme, pour reprendre l’expression de Pascal Perrineau, des mutations économiques, sociales et politiques qu’à connues la France ces trente dernières années.

En ce qui concerne les mégrétistes, leur ralliement tient davantage à des causes politiques. Il ne faut pas oublier que ce sont d’anciens frontistes qui ont choisi de rejoindre Mégret après la scission du  FN en 1999. Mégret voulait faire du Front national un parti susceptible d’établir des alliances avec la droite de gouvernement afin de pouvoir exercer concrètement le pouvoir. Issus du RPR ou de l’UDF, lui et son équipe avaient commencé à organiser le FN dans ce sens. Partisan d’une ligne républicaine, Mégret se démarquait des provocations de Jean-Marie Le Pen qui, en diabolisant et marginalisant le parti, empêchaient sa stratégie d’alliance. En quittant le Front national, Mégret a emmené avec lui plus de la moitié des cadres et militants qui ont manqué cruellement à Le Pen par la suite.

Or lorsqu’à l’automne 2002 Marine Le Pen lance la structure « Générations Le Pen », elle a pour objectif de remédier à la marginalité du FN qui, bien que présent au second tour de la présidentielle quelques mois auparavant, a suscité un élan de rejet sans précédent de la part de l’opinion publique et reconduit Chirac au pouvoir avec un score soviétique. La fille du chef décide dès lors ni plus ni moins de reprendre la stratégie de Mégret. Celle-ci tient en deux mots : « dédiabolisation » et « crédibilité ». Dans cette optique, les anciens mégrétistes revenus dans le giron frontiste lui ont été d’une aide précieuse. Les premiers, Steeve Briois et Bruno Bilde la rejoignent dès 2001. D’autres, à l’instar de Nicolas Bay, la rejoindront vers la fin des années 2000.

Et pour ceux qui se réclament du « souverainisme » ou du « chevènementisme » tels Florian Philippot ou Paul-Marie Coûteaux ?

Ces nouveaux ralliés, P.-M. Coûteaux, F. Philippot mais aussi Gilbert Collard ou l’ancien chevènementiste Bertrand Dutheil de la Rochère participent à cette entreprise de « normalisation ». Outre leur compétence supposée tendant à montrer que le FN est un parti suffisamment armé pour exercer le pouvoir, ils confortent la volonté de la nouvelle présidente de montrer que son parti s’est définitivement détourné du côté sulfureux de Jean-Marie Le Pen, en attirant des personnalités extérieures à la mouvance de l’extrême droite. Bien qu’emblématiques, ces ralliements restent pour autant très limités à ce jour et se comptent sur les doigts d’une main.

Votre enquête vous a permis de constater une « républicanisation » du discours du FN, dont vous pointez les limites. Cette nouvelle doxa vous semble-elle relever simplement de la posture ? Ne peut-on envisager, à l’inverse, qu’une mutation en profondeur soit en cours au Front national ?

C’est une question compliquée. Sur la base de la quarantaine d’entretiens réalisés, lors de mon enquête, auprès de cadres et militants, j’ai pu constater que les valeurs républicaines sont désormais de mise au FN. Plus personne ne se permet de les remettre ouvertement en question. On se doute, bien sûr, que certains cadres historiques ne se reconnaissent que très modérément dans ces valeurs. Mais ils font désormais profil bas. Tout le monde a désormais bien compris que les valeurs républicaines constituent aujourd’hui un élément indépassable pour qui prétend exercer le pouvoir.

Concernant les militants frontistes de base, mon sentiment est que beaucoup sont sincères lorsqu’ils mettent en avant leur attachement aux fondements républicains. Seulement ils ignorent que la pierre angulaire de l’idéologie nationaliste de leur parti s’inscrit en totale contradiction avec ces principes.

Quels sont les aspects du discours frontiste où se révèle le mieux cette contradiction ?

Je pense notamment à la volonté de revenir sur le principe du droit du sol pour lui substituer le droit du sang. Bien que des responsables frontistes de premier plan clament qu’un Noir ou un Musulman puisse être (ou devenir) Français, ils affirment dans le même temps que certaines populations sont « inassimilables » car porteuses d’une culture non seulement incompatible avec notre culture chrétienne et européenne, mais également avec nos principes démocratiques et libéraux. Ainsi certains étrangers, européens pour l’essentiel, seraient compatibles avec nos mœurs et coutumes, tandis que d’autres ne le seraient pas. A ces derniers, il conviendrait donc barrer l’accès à la nationalité française. Louis Aliot prétend même vouloir établir une nationalité à point, sur le modèle du permis de conduire, en évaluant le degré d’assimilation des enfants d’immigrés nés en France.

Ce principe du droit du sang comme fondement exclusif de la nationalité contredit les fondements universalistes de la citoyenneté républicaine établie en deçà de toute appartenance culturelle ou religieuse. De ce point de vue, la « préférence nationale », récemment rebaptisée « priorité nationale », et qui s’appliquerait sur cette base « ethnique » s’avérerait anticonstitutionnelle. Le républicanisme du FN devient de la sorte contradictoire avec les fondements de la République française.

Si les responsables du parti ne peuvent ignorer cette contradiction, beaucoup de militants ne la perçoivent qu’imparfaitement. Les discours récents du gouvernement Sarkozy tendant à mettre à l’index certaines populations, voire à hiérarchiser les civilisations ne peuvent à mon sens que participer à cet effet d’abrasion des valeurs républicaines dans les consciences et donc à légitimer les idées frontistes.

Justement, le Front national, via sa quête de crédibilité, ne risque-t-il pas de se banaliser ? En courant après la « dédiabolisation », ne perd-il pas, paradoxalement, une partie de l’attrait qu’il exerce ?

Marine Le Pen est en train de se rendre compte des limites de sa stratégie de normalisation. Comment peut-on prétendre être un parti « antisystème » tout en s’évertuant à montrer, à travers la dédiabolisation et un discours qui se veut gestionnaire, que le FN serait devenu un parti comme les autres ? La contradiction est trop patente.

C’est sans doute pourquoi le discours de Marine Le Pen est devenu inaudible dans l’opinion ces derniers mois et qu’elle a connu un trou d’air dans les sondages. Elle revient d’ailleurs, dans la dernière ligne droite, vers les fondamentaux de son parti, tel l’immigration ou l’insécurité, tout en clamant haut et fort que le FN est le seul parti véritablement « antisystème » dans le champ politique.

Cela montre qu’en dehors de la logique protestataire qui le cantonne à une éternelle et stérile opposition, il n’est que peu d’espace électoralement fertile pour un parti comme le Front national. A moins de renoncer à sa spécificité idéologique pour pouvoir faire des alliances électorales avec la droite. Mais alors, il risquerait de se faire dévorer par une UMP qui hésite quant à elle de moins en moins à braconner sur ses terres.

Son salut passe peut-être par une représentation à l’Assemblée nationale, via un mode de scrutin proportionnel ? Cela lui offrirait la possibilité de peser véritablement dans les débats à l’échelle nationale et lui permettrait d’attirer, par l’appât de sièges de députés, les personnes compétentes qui lui font cruellement défaut. Pour autant, je doute là encore que cela soit suffisant pour atteindre le but ultime des véritables partis de gouvernement : l’exercice du pouvoir.

Entre la droitisation du discours de Nicolas Sarkozy et une abstention qui se profile relativement forte le 22 avril, à quoi doit-on imputer le relatif échec d’une Marine Le Pen, partie en campagne tambour battant, mais qui désormais, marque le pas ?

Gardons-nous d’abord de tout pronostic hâtif. Je ne serais pas surpris qu’elle fasse un score supérieur à ce que lui prédisent les sondages et je pense que Marine Le Pen restera le « troisième homme » du premier tour de scrutin, même si elle ne rééditera pas l’exploit de son père de figurer au second tour. Un score oscillant entre 15% et 20% ne serait pas, selon moi, un échec.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’il s’agit là de sa première campagne et que son équipe reste relativement peu expérimentée. Bien qu’elle ait péroré à un moment qu’elle serait au second tour face à la gauche, elle sait que sa stratégie se situe sur les moyen et long termes. En dépassant les 15%, voire en parvenant à arracher un siège de député en juin - ce qui est loin d’être utopique - elle gagnera en légitimité et en visibilité.

Tout dépendra par la suite du résultat du second tour. Si jamais Nicolas Sarkozy n’est pas réélu, elle peut alors espérer capter une partie de l’électorat de droite déboussolé par l’arrivée de la gauche au pouvoir. Souvenons-nous que c’est dans ces conditions que le Front national de son père avait émergé électoralement dans les années 1980.

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dimanche 15 avril 2012

Sarkozy à la Concorde : c'était gratiné !


Entre Vincennes et la Concorde, ce dimanche, j’ai fait mon choix. Je me suis rendue sur cette place restée fameuse pour avoir vu la tête du roi de France rouler dans une corbeille, à l’endroit où se dressait jadis un engin de mort, et où un obélisque dardait aujourd’hui son optimisme impuissant vers un ciel triste : l’endroit idéal, me semblait-il, pour assister à une fin de règne.

L’envie n’y étant qu’à moitié, j’arrivais en retard. Pourtant, il ne fut guère difficile d’accéder au lieu de la sauterie présidentielle : les rues adjacentes étaient plus que praticables. Je débouchais facilement sur une « place de la Concorde loin, très loin, des 100 000 personnes annoncées par les organisateurs », comme l’indique ici Laureline Dupont. Et cette image en témoigne : il y avait du monde, mais ce n’était pas bondé. Il fallait vraiment porter le regard jusqu’au pied de l’estrade pour voir cette « marée de drapeaux bleu, blanc, rouge » signalée par Le Point, et qui présente toutes les caractéristiques de la marée descendante.

Une "marée de drapeaux" : on sent monter une vague....

Le public est relativement placide. Et pour cause. Voilà à quoi ressemble « la France qui se redresse, la France qui s'engage, la France qui s'enthousiasme » chère au cœur de Jean-François Copé.



Un « jeune avec Sarkozy » interpelle une journaliste : « vous ne vous occupez que des sondages ! ». C’est vrai qu’ils ne sont pas bons, mais force est d’admettre qu’elle n’y peut pas grand-chose. Une dame à l’allure « respectable » explique à ses amis qu’elle ressent le besoin « d’un ancrage », et combien elle espère le trouver que chez « Sarkozy, un homme courageux qui a mérité cinq ans de plus ». « On est obligé de le garder » confirme une comparse bien mise.

Un "jeune avec Sarkozy"

Le discours et rebattu. Il est fait de bric et de broc. Exit le « modèle allemand » tant vanté hier encore. Aujourd’hui, c’est « la Nation » que célèbre le candidat, et bien d’autres choses encore : un « nouveau modèle de croissance », la « promotion sociale par la formation et par l’instruction », un « protectionnisme économique raisonné », la « révolution numérique », puis, en vrac, veaux, vaches, cochons, Molière, Voltaire, Chateaubriand, Napoléon, de Gaulle, Jean Monnet, Zola, Hugo, et… « les chrétiens d’Orient », dont on ne s’attendait pas – eux non plus sans doute – à ce qu’ils soient de la fête.

On croise malgré tout quelques jeunes : un couple de chouans clownesques de « la Vendée forte » tout de rouge vêtus : peut-être ne leur a-t-on pas dit que Jean-Luc Mélenchon, c’était hier à Marseille ? Une poignée de bretons venus bretonner à la capitale brandissent également leur étendard régionaliste au moment même où leur champion  revendique pour la France « le droit de défendre ses valeurs, sa culture, sa langue ». Sa culture ? Késaco ? Sa langue ? Kénavo !




A la fin de la harangue, qui se conclut par la désormais célèbre exhortation « aidez-moi ! », la Marseillaise est lancée. Puis retentit à son tour la musique de campagne du candidat Sarkozy. La Concorde se vide rapidement : vingt minutes suffisent pour faire place nette. Par chance, comme dans tous les meetings y compris quand ils sont tristes, il y a toujours moyen de grignoter un casse-dalle. Néanmoins, il faut bien l’avouer : cette France forte, elle est gratinée !


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