jeudi 6 octobre 2011

"Chinallemagne" : mourir pour le yuan ou par l'euro ?


Que peuvent avoir en commun deux pays aussi différents que la Chine et l’Allemagne ? Qu’est ce qui peut rapprocher un « émergent » de l’Extrême-Orient, et une vieille Nation industrielle du cœur de l’Europe ? Un géant de plus de 1,3 milliards d’habitants, vendant au monde entier des produits à bas coûts, et un pays de 80 millions d’âmes, ayant construit son succès sur la qualité du made in Germany ?

Les similitudes sont nombreuses, si l’on en croit Jean-Michel Quatrepoint, qui publie un indispensable Mourir pour le yuan [1]. Elles découlent d’un même modèle de développement : un mercantilisme agressif, autorisé par la pratique d’un protectionnisme plus ou moins avoué.

« Protectionnisme » : revoilà ce concept qui divise. Si ses adeptes se font de plus en plus loquaces, ses détracteurs le sont davantage. Comme l’expliquait ici Daoud Boughezala, on ne compte plus les procès en « extrême-droitisation » adressés aux tenants de la démondialisation. Le plus notoirement imbécile fut celui intenté par Raphaël Enthoven, qui grandiloquait récemment en ces termes : « la démondialisation est un symptôme qui se prend pour une solution, c’est une formule magique ». La Chine, comme l’Allemagne, ont dû tomber dans la potion il y a bien longtemps…

Il faut dire que l’un et l’autre pays traînent derrière eux un lourd passé, qu’ils semblent avoir décidé de solder. Plus encore que l’Allemagne d’après la seconde guerre mondiale, la Chine fut durablement affaiblie par la guerre de l’Opium, dont l’auteur nous remémore les détails avec un vrai talent d’historien. Mais depuis Mao, la « renaissance de la nation chinoise » est en marche. Avançant sur deux jambes, le communisme au plan politique et le capitalisme dans le domaine économique, ce grand pays n’aspire qu’à une chose : retrouver son rang mondial. Pour ce faire, il n’hésite pas à utiliser les règles de la mondialisation sans jamais en jouer vraiment le jeu, comme l’explique Jacques Sapir dans La démondialisation [2].

Quatrepoint semble partager l’avis de son confrère. Il considère que les Chinois pipèrent les dés en 2001, en adhérant à l’Organisation mondiale du commerce. Il voit d’ailleurs cette entrée dans l’OMC comme « un évènement éclipsé par les attentats du 11 septembre (…) et qui sera pourtant, lui aussi, ô combien, lourd de conséquences ». Car depuis lors, la Chine « accumule pour acheter le monde ». Elle détient d’ores et déjà des réserves dépassant les 3 000 milliards de dollars.

Tout comme notre cousin germain, dont l’économie est entièrement dédiée à l’exportation, la Chine a développé une économie de type mercantiliste. Le « Vampire du Milieu » [3], n’hésite pas à pratiquer toutes sortes de dumping. Dumping environnemental, bien sûr, mais aussi dumping social, avec le maintien de salaires extrêmement bas en dépit d’une croissance forte, et l’exploitation de nombreux  mingong , ce lumpenprolétariat composé de travailleurs migrants. Pékin pratique enfin un dumping monétaire sauvage. Elle a arrimé sa monnaie au dollar, empêchant ainsi la hausse naturelle que devrait générer  le dynamisme économique. D’ailleurs, la réévaluation du yuan et un sujet tabou pour les autorités chinoises.

Quelles convergences, ici, avec l’Allemagne ? Selon Quatrepoint, ces deux pays possèdent ce qui fait défaut à nombre de Nations occidentales : une véritable stratégie économique. Ils ont en partage une démographie atone, qui les contraint à accumuler d’impressionnantes quantités de réserves, en prévision d’un très prochain « papy boom ». Et si le géant asiatique s’enrichit surtout au détriment des Etats-Unis, notre voisin d’outre-rhin le fait quant à lui sur le dos…de ses partenaires européens.

Du dumping social, en Allemagne ? Certainement. Son modèle « holiste », typique de ce que Michel Albert appelait le « capitalisme rhénan », lui a permis de pratiquer sans heurts sociaux une politique systématique de gel des salaires. Dumping monétaire ? Pas à proprement parler, puisque l’euro interdit toute manipulation des taux de change. Mais l’Allemagne n’en a nul besoin. En effet, si la devise européenne est très surévaluée pour la plupart des économies de l’eurozone, elle demeure sous-côtée par rapport à ce que serait le mark aujourd’hui. Pour Laurent Pinsolle, c’est d’ailleurs l’une des raisons de l’attachement allemand à la monnaie unique : sa désintégration « serait une catastrophe pour Berlin car l’appréciation du mark réduirait les exportations allemandes dans l’ancienne zone euro ».

A Mourir pour le yuan, Jean-Michel Quatrepoint a donné un sous-titre : « comment éviter une guerre mondiale ». Outrancier, sans doute. Mais peut-être l’auteur tenait-il à répondre par avance à ceux qui scandent à l’envi, de manière tout aussi excessive: « le marché libre ou bien la guerre ! ».

Au demeurant, à l’échelle de cette Europe qui nous fut vendue comme la garantie d’une Paix perpétuelle, les efforts récents de l’Allemagne face au drame grec peinent à réparer les dégâts de sa trop longue politique de « cavalier solitaire ». Les forces centrifugent croissent chaque jour, les uns vilipendant « l’égoïsme allemand », les autres le « laxisme grec ». Dès lors, avant de mourir pour le yuan, accepterons-nous, nous, peuples d’Europe, de mourir…de l’euro ?


[1] Jean-Michel Quatrepoint, Mourir pour le yuan, François Bourin Editeur, septembre 2011.
[2] Jacques Sapir, La démondialisation, Seuil, avril 2011.
[3] Philippe Cohen et Luc Richard, Le Vampire du Milieu, Mille et une nuits, mai 2010.

Lire ou relire :
Trois présidentiables au chevet de l'euro   CLICK
Lorsque Jacques Sapir propose la démondialisation   CLACK
Euro : par ici la sortie   CLOCK

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3 commentaires:

  1. L'Etat chinois a choisi l'antique mercantilisme, réfuté depuis le 17e siècle. Acheter moins à l'étranger enrichirait le pays! Depuis deux siècles, les économistes ont montré que cette théorie est fausse. Elle appauvrit les habitants du pays.

    Toute exportation correspond nécessairement à une importation immédiate ou future. Et réciproquement. Craindre l'un ou l'autre est absurde. Les Etats ignorent souvent la science économique. Ils ignorent les acquis de la science économique. Pire, ils dénigrent l'arithmétique.

    L'Etat chinois interdit ainsi aux chinois d’acheter en dollars. Il accumule ainsi des bons du Trésor. Les chinois sont contraint d’acheter et d'investir principalement en Chine. Il en résulte des bulles de "mauvais investissement" en Chine.

    A cause du monopole étatiques des monnaies, les équilibres économiques dépensent de la qualité des experts, au lieu de dépendre de la concurrence.

    L'appétit de l'Etat chinois pour acheter des bons du Trésor US, donc des titres AAA, avait contribué à accentuer la demande de titres AAA. Cette augmentation de la demande de titres AAA a influé, dans une certaine mesure, à augmenter les achats de créances subprimes, notées elles-aussi AAA.

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  2. gidmoz commentaire noté AAA

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  3. Très bon résumé. Ce libre de 4point tente d'établir des parallèles superficiels au motif, principalement, que la Chine et l'Allemagne semblent tirer leur épingle du jeu de la mondialisation. C'eût une très grande valeur, s'il avait écrit ce livre il y a 10 ans, sur le mode de la projection. Mais il s'agit ici de rétrospection. Ce faisant, il tombe dans le piège du «storytelling».

    «Quatrepoint semble partager l’avis de son confrère. Il considère que les Chinois pipèrent les dés en 2001, en adhérant à l’Organisation mondiale du commerce.»

    Je ne vois pas en quoi cela implique que les dés sont pipés. Mais pour le résultat, il ne croit pas si bien dire (Cf mes deux derniers billets).

    «Quelles convergences, ici, avec l’Allemagne ? Selon Quatrepoint, ces deux pays possèdent ce qui fait défaut à nombre de Nations occidentales : une véritable stratégie économique.»

    J'ai consulté une base de donnée des exportations par pays. La deuxième industrie exportatrice, pour l'Allemagne, ce sont les voitures. Sommes nous moins capables que l'Allemagne, dans ce domaine? Non, mais à performance identique, le cachet d'une voiture française haut de gamme sera toujours inférieur à celui d'une voiture allemande. C'est l'inverse pour le luxe. Cependant, la part annuelle du budget du chinois nouveau riche est probablement inférieure pour le luxe qu'elle ne l'est pour l'achat d'automobile haut de gamme. 4point s'est-il donné la peine d'explorer ces explications alternatives?

    «Du dumping social, en Allemagne ? Certainement. Son modèle « holiste », typique de ce que Michel Albert appelait le « capitalisme rhénan »,»

    On parle de la première sociale démocratie au monde… Dumping social ça paraît exagéré. Ici encore, il y aurait des raisonnements alternatifs à explorer.

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