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mardi 14 juin 2016

Emmanuel Maurel : « des millions d'emplois industriels sont menacés à court terme par la Chine ».







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Emmanuel Maurel est député européen depuis mai 2014. Il est membre du groupe S&D (Alliance progressiste des socialistes et démocrates) et siège au sein de la Commission commerce international (INTA) du Parlement européen. Le texte ci-dessous est la seconde partie d'un entretien qui traite de de quatre questions principales : le Traité transatlantique (TAFTA), l'accord de libre-échange avec le Canada (CETA), le TISA (accord de libre-échange concernant le domaine des services), et le statut d'économie de marché qui sera probablement accordé à la Chine fin 2016. 

La première partie, qui traite essentiellement du TAFTA, est disponible ici. Sa lecture peut être utile pour comprendre ce qui suit. 
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Les États seront donc consultés au sujet du TAFTA ? Les Parlements nationaux voteront-ils ?
Oui car le TAFTA est en principe conçu pour être un accord mixte, qui devra faire l'objet d'une double ratification. Ce n'est pas le cas de tous les accords, et les traités sont sur ce point quelque peu ambigus. Le Traité sur le fonctionnement de l'Union (TFUE) indique que c'est au Parlement européen de ratifier les accords de libre-échange. C'est d'ailleurs un progrès considérable introduit par le traité de Lisbonne. Le Parlement a désormais le droit de vie ou de mort sur ce type d'accords. Avant, c'est le Conseil qui les validait à la suite de débats a minima.
Le traité précise ensuite que certains domaines peuvent être de la compétence exclusive de l'Union, cependant que d'autres relèvent d'une compétence partagée avec les États. Dans le second cas, le niveau de ratification est double. Ce sera très vraisemblablement le cas pour le TAFTA.
  
N'est-ce pas également le cas pour le petit frère du TAFTA, l'accord de libre-échange avec le Canada appelé CETA ?
Première chose : il n'est pas sûr que le CETA soit le petit frère du TAFTA. Certains - le gouvernement français notamment - considèrent au contraire que c'est l'anti-TAFTA. Pour plusieurs raisons. Les Canadiens sont allés assez loin dans l'ouverture de leurs marchés publics. Ils reconnaissent une partie des indications géographiques européennes (AOP, AOC). Au titre du règlement des différends, ils ont accepté un mécanisme qui n'est pas l'ISDS mais l'ICS (Investment Court System). Il s'agit de cette autre forme de juridiction que j'évoquais tout à l'heure, qui se compose de véritables juges et non plus d'avocats d'affaire, et qui prévoit des possibilités de faire appel.  
Cela dit, la logique de l’ICS demeure semblable à celle de l’ISDS : les investisseurs étrangers - contrairement aux investisseurs nationaux - sont en mesure de chercher réparation auprès d’un Tribunal ad hoc pour des décisions prises démocratiquement par des États souverains, dont les systèmes juridiques sont parfaitement fonctionnels. Il ne faut donc pas surestimer la rupture introduite par le nouveau système ICS. Une étude menée par une coalition d’ONG aboutit d’ailleurs à la conclusion qu’aucune de ces nouvelles dispositions n’aurait empêché Philip Morris de poursuivre l’Australie ou l’Uruguay pour leur politique de santé publique.
En somme, c'est loin d'être parfait et des zones d'ombre existent. Pour autant, il y a bien moins de débats et de mobilisation contre le CETA que contre le TAFTA. On peut d'ailleurs le regretter dans la mesure où la ratification du CETA par le Parlement européen doit intervenir dès la fin de l'année 2016....

Oui mais il n'est pas certain que les États-membres le ratifient. Il semble par exemple que la Belgique, notamment parce que la Wallonie s'y oppose, aura du mal à procéder à la ratification....
Oui, mais se pose alors une question. Y aura-t-il une mise application provisoire du traité avant la ratification par les Parlement nationaux ? Il faut savoir que les textes autorisent cela. Un accord ratifié par le Parlement et par le Conseil européens peut être appliqué provisoirement jusqu'à ce que tous les tous États aient achevé de se prononcer.
C'est d'ailleurs ce qui s'est produit avec l'accord UE-Ukraine. Les Pays-Bas ont organisé un référendum d'initiative populaire le 6 avril dernier. Le « non » l'a emporté à 60 %. Mais l'accord était déjà en application. On recherche donc à présent une manière juridiquement acceptable de montrer que la plupart des domaines couverts par l'accord relèvent de la compétence exclusive de l'Union, afin de pouvoir continuer à l'appliquer. Tout en essayant de prendre en compte...dans une certaine mesure le résultat du vote Hollandais....

Qui peut décider d'une éventuelle mise en application provisoire ?
La Commission émet une proposition, qui doit être validée par les États membres. Parmi les autres acteurs qui peuvent être amenés à trancher ce type de questions figure notamment la Cour de justice de l'Union (CJUE) qui, quoiqu'on en entende très peu parler, a toujours eu un rôle décisif dans la construction européenne, notamment dans l'élaboration de l'arsenal idéologique. Au cours des dix dernières années, c'est la Cour qui a donné l'impulsion essentielle quand aux évolutions de l'UE, en particulier sur les questions économiques et sociales.

Et au niveau du Parlement européen, comment cela se passe-t-il ?
Le CETA, c'est évident, n'y fait pas l'objet de la même émotion que le TAFTA. Pour de nombreuses raisons. C'est un accord de moindre envergure. Le Canada n'est pas un partenaire de la même importance que les États-Unis. Et dans le cas français, il existe, ce n'est un secret pour personne, une sympathie particulière pour le Canada. Enfin, les entreprises canadiennes sont moins impressionnantes que les mastodontes étasuniennes. Bref, en termes de taille critique, les deux projets d'accord n'ont rien à voir.
On gagnerait toutefois à être un peu prudent. Je suis en train de lire le CETA, qui représente tout de même 2000 pages rédigées en anglais. A titre personnel, je considère qu'il demeure des problèmes liés à cet accord. Selon moi, les clauses « cliquet » ou « statu quo » ne sont pas acceptables en l'état. Et je ne suis pas sûr du tout de voter ce texte.

Qui d'autre peut refuser de le voter ? Plus généralement, qui défend quoi au sein du Parlement européen ? Les clivages sont-il davantage saillants entre les différentes familles politiques ? Entre les différents pays ?
C'est très variable. Il existe en effet des clivages politiques et des clivages nationaux. Pour faire vite, la gauche non social-démocrate est généralement hostile aux traités de libre-échange. Pareil pour l'extrême-droite. Ceux-là voteront contre le CETA et, plus tard, contre le TAFTA. La gauche social-démocrate, elle, est traversée par un clivage. Dans certains pays - et là, on en revient aux grilles de lecture nationales - les sociaux-démocrates sont très favorables au livre-échange. C'est le cas notamment des Scandinaves ou des Néerlandais et, dans une certaine mesure, des Italiens ou des Anglais. A l'inverse, les Français ou les Belges, les Portugais ou les Grecs, par exemple, sont plus réticents.
Concernant les droites, elles sont également divisées. Une partie de la droite française est par exemple franchement hostile au TAFTA. L'ancien ministre Jean Arthuis est l'un des principaux opposants de droite à l'accord. Mais ça aussi, c'est une singularité nationale : la France a un rapport de défiance vis-à-vis du libre-échange.

Et l'Allemagne, que défend-elle ? Elle a un poids prépondérant au sein du Parlement européen...
Oui, incontestablement elle domine. Quant à ses prises de position, elles dépendent beaucoup des sujets. Sur le TAFTA, des manifestations monstre se sont tenues : 300 000 personnes à Berlin, 90 000 personnes à Hanovre il y a encore un mois. La société civile est très mobilisée. Quant au gouvernement allemand, il est ambigu, ne serait-ce que parce qu'il s'agit d'une grande coalition. Angela Merkel est plutôt favorable au TAFTA. Le SPD est divisé. Il est en tout cas hostile aux ISDS dont nous parlions tout à l'heure.
En tout état de cause, si l'on veut résumer de manière globale l'attitude du Parlement européen, je dirais qu'il penche globalement en faveur du CETA et en défaveur du TAFTA.

Outre le TAFTA et le CETA, une autre projet d'accord est en préparation, qui touche cette fois le commerce des services. Il s'agit du TISA (Trade in Services Agreement), en vue duquel les négociations ont débuté en 2013, mais dont on entend jamais parler. De quoi s'agit-il exactement ?
Auparavant, il existait des négociations qui se tenaient dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce. C'était le « cycle de Doha », débuté en 2001. Mais depuis lors, l'OMC est complètement bloquée, d'abord parce qu'elle compte tous les pays du monde, ensuite parce qu'un certains nombre de grands pays comme l'Inde, par exemple, se montrent très protectionnistes. Ils refusent d'entrer dans le cadre d'une approche multilatérale.
Face à ce blocage complet, une cinquantenaire de pays, les 28 de l'Union européenne et d'autres (États-Unis, Canada, Australie, Colombie, Mexique, Chili, Japon etc.), ont décidé d'avancer de leur côté sur la question des services. Ils ont expliqué leur démarche en affirmant qu'il n'existait plus d'accord sur les services depuis les années 1990, et que les choses avaient considérablement évolué depuis suite à la révolution numérique, l'explosion du e-commerce, etc.
Ces cinquante pays se sont autodésignés comme « les amis des services », et ont débuté des négociations sur la libéralisation de commerce des services.... dans une indifférence générale et une opacité complète. Au départ, ils se rencontraient en Suisse, dans les locaux de l'ambassade d'Australie, puis dans ceux de l'OMC. Le 26 mai a débuté le dix-huitième round de négociations.

Que recouvre exactement le domaine des services ?
C'est très vaste. Ce peut être les services à la personne, les services financiers, et même ceux apparentés à des services publics comme la santé ou l'éducation.
Chose préoccupante avec le TISA : nous, parlementaires européens, n'avons accès qu'à très peu de documents de négociation. On peut consulter des résumés de ce qui s'est dit pendant les réunions, et éventuellement l'ordre du jour. On sait donc que les choses avancent. Par ailleurs, grâce aux fuites WikiLeaks, on a pu connaître les positions des différentes parties, savoir ce sur quoi chaque État est prêt à négocier. On sait par exemple que la Turquie a proposé une vaste libéralisation du domaine des services hospitaliers. Ou que le Canada souhaite libéraliser certains services liés à l'environnement : égouts, assainissement, traitement des ordures ménagères.

Concrètement... ça signifie qu'une entreprise étrangère pourrait venir entretenir les égouts en France ?
Si ce domaine de négociation est retenu comme devant être effectivement discuté et s'il y a un accord à la fin, c'est en effet possible.
Mais en réalité, le véritable point dur avec le TISA réside dans les clauses « statu quo » et « cliquet », qui posent quant à elle des problèmes démocratiques considérables. S'il y a un enjeu à appréhender, c'est bien celui-ci. Ces clauses conduisent à affirmer ceci : si, au terme des négociations, on aboutit à la libéralisation d'un secteur, si un gouvernement arrive après dans l'un des gouvernements signataires et qu'il décide de revenir sur la libéralisation intervenue avant son arrivée au pouvoir, et bien.... il ne le peut pas ! Les négociations TISA prévoient une irréversibilité du processus de libéralisation. Cette demande provenant au départ de multinationales voulant s'assurer une sécurité de leurs investissements, est totalement contraire à l'esprit de la démocratie. 

Mais comment peut-on empêcher, dans les faits, un gouvernement démocratiquement élu de dénoncer un traité signé par ses prédécesseurs ?
On le peut en prévoyant que si l'accord est dénoncé, les parties auront droit à réparation. En tout état de cause, le Parlement européen a voté une résolution il y a quelques semaines pour exprimer son refus de ces clauses, et sa volonté de protéger les services publics.
Mais la Commission européenne, dans un document qui n'est pas public mais qui est parvenu aux parlementaires, nous a expliqué qu'il était impossible de revenir sur le principe des clauses en question puisque toutes les parties qui négocient se sont engagées à les promouvoir.
C'est pourquoi je considère pour ma part que le TISA est une question explosive. En réalité, il est plus dangereux que le TAFTA, même si bien moins connu.

Je suppose que c'est la Commission européenne qui négocie au nom des 28. Comment les eurodéputés sont ils informés ?
C'est un problème que certains d'entre nous ont soulevé en 2014, immédiatement après les élections européennes. On s'est rendu compte assez vite, concernant le TAFTA à l'époque, qu'on n'avait accès à aucun document de négociation. On a littéralement dû harceler la Commission pour obtenir de la transparence au sujet d'un texte qu'on va pourtant nous demander de ratifier !
La première victoire que nous avons obtenue - avec l'aide de certaines ONG - a consisté à pouvoir consulter un certain nombre de documents dans des pièces sécurisées. Mais dans des conditions assez étranges, comme on peut le voir sur la vidéo ci-dessous, et avec interdiction de divulguer quoique ce soit. Le ministre Matthias Fekl lui-même, lorsqu'il voulait consulter certains documents, devait se rendre à l'ambassade américaine dans une sale sécurisée...




Depuis, à force de protestations et de reportages, nous, membres de la commission « commerce international » du Parlement européen, avons obtenu de pouvoir accéder à la plupart des documents via un système Intranet sécurisé. On ne peut pas les révéler mais on peut les lire. Ceci dit, une grande difficulté demeure. Je vous disais tout à l'heure que le CETA, l'accord avec le Canada, fait environ 2000 pages. Mais le TAFTA.... ce sont des milliers de pages rédigées dans un anglais ultra technique. Et sur des sujets dont certains nécessiteraient une expertise très poussée. Exemple parmi mille autres : à titre personnel, je ne connais strictement rien à la question des graisses industrielles. La vérité c'est que pour pouvoir travailler correctement, il faudrait que chaque eurodéputé dispose d'une batterie d'experts. L'accès aux documents, c'est déjà pas mal. Mais il faudrait un travail de fond colossal pour pouvoir se prononcer sérieusement sur ce traité.

On parle donc là d'une transparence accrue sur le TAFTA. Qu'en est-il du TISA ?
La transparence est bien moindre. Je sais au moins que les négociations avancent lentement, et qu'on aboutira sans doute à un accord a minima. Pour autant, il est regrettable que personne n'en parle. Cela tient au fait que tout le monde s'est focalisé sur le TAFTA et que le temps médiatique ne permet pas de courir plusieurs lièvres à la fois.... Je ne désespère pas que l'opinion s'y intéresse davantage au fur et à mesure que les négociations vont avancer.
De toute façon, au delà du TISA, au delà même du TAFTA, il existe un sujet plus urgent encore : le statut d'économie de la marché qui pourrait être octroyé à la Chine.

Encore un sujet mal connu. Quels sont les enjeux ?
C'est simple. En 2001, la Chine a adhéré à l'Organisation mondiale du commerce. Or son Protocole d’adhésion accorde à la Chine un statut dérogatoire qui lui donne 15 ans - si elle se réforme suffisamment - pour accéder au statut d'économie de marché. Pour y parvenir, il faut tout de même remplir cinq critères. Et si c'est le cas, on ne peut plus se voir opposer un certain nombre de mesures antidumping.
Depuis 15 ans, l’Europe n’a élaboré aucune stratégie. Alors que la Chine passe son temps à faire du dumping, à contrôler ses prix, à subventionner ses entreprises, à bloquer l'accès des entreprises étrangères à ses marchés.

Ce sont en sommes les protectionnistes les plus performants du monde...
Ils le sont, oui. Et comme très peu de pays se protègent autant, ils n'hésitent pas à inonder les marchés étrangers de leurs produits. Or si l'on ne fait rien, d'ici la fin de l'année, plus aucune barrière antidumping ne pourra leur être opposée. Là, ce sont des millions d'emplois industriels qui sont menacés en Europe à court terme. J'insiste : des millions d'emplois.
On parlait tout à l'heure des panneaux photovoltaïques mais on peut évoquer aussi l'exemple de l'acier. La Chine possède dans ce domaine des excédents considérables. Elle vend donc son acier deux fois moins cher que l'acier européen. Évidemment, sans réaction de notre part, l'acier européen est condamné d'ici la fin de l'année. Les États-Unis ou le Canada sont très fermes par rapport à la Chine. L'Union européenne, comme à son habitude, tergiverse et agit peu. La Commission n'a pris à ce jour aucune position sur la question. Certains - Juncker, Moscovici - ont vu le danger. En revanche les commissaires d'Europe du Nord sont furieusement libre-échangistes et ne veulent pas lever le petit doigt. Certains usent de cet argument étourdissant : « accorder le statut d'économie de marché à la Chine, c'est la meilleure garantie pour qu'elle se réforme ».....
Au Conseil, beaucoup de pays sont conscients qu'on est là face à un vrai risque mais d'après mes informations, aucun pays ne veut prendre position publiquement par crainte des représailles commerciales chinoises. Silence radio, donc. Mais au prix de la mort programmée de pans entiers de l'industrie européenne.
Il faudrait donc une mobilisation européenne de très grande ampleur. Pour l'instant, c'est le cas seulement en Italie. Pas du tout en France en revanche. A Parlement européen, Édouard Martin et moi-même sommes parvenus à faire voter une résolution très ferme, mais qui ne fait pas spécialement réagir les États membres.

Quid des Allemands ? On a vu que leur société civile était très mobilisée contre le TAFTA....
Ce n'est pas le cas sur la Chine. L’Allemagne est très prudente en ce domaine car elle échange beaucoup avec ce pays. Elle considère qu'elle peut sans doute y gagner encore des parts de marché pour ses industries de pointe.
Un dernier point que je souhaite évoquer et qui n'est pas sans lien avec la question chinoise : se tient actuellement au Conseil une réflexion sur « la modernisation des instruments de défense commerciale ». Il s'agit de réfléchir à la manière dont on pourrait, à l'instar des américains, raccourcir le délai des enquêtes sur les pratiques de dumping ou durcir les sanctions. Là, on est parvenu - et le gouvernement français y est pour beaucoup - à un texte commun France-Allemagne. On se heurte toutefois à une opposition très ferme du Royaume-Uni, des Pays-Bas ou des pays de l'Est. Une bataille essentielle se joue là, et on en verra le résultat dans six mois.

Au bout du compte, toutes ces questions de commerce international sont très révélatrices de ce qu'est l'Europe, des rapports de force qui y règnent, de la manière dont elle se construit...
Absolument. La question posée par ces dossiers est celle de savoir si l'Europe est en capacité de se défendre, et surtout... si elle le veut. Et si elle veut se doter d'une véritable politique commerciale, qui permette l'échange mais également la protection de savoir-faire, d'industries, de travailleurs ou de consommateurs.
Si elle renonce à cela, elle demeurera une vaste zone de libre échange complètement dépolitisée, et deviendra assez vite l'idiote du village planétaire. Pour l'heure, alors tous les autres pays se protègent et font preuve de pragmatisme, seule l'UE demeure aveuglée par l'idéologie. Cela tient à la prévalence des vues de certains pays historiquement libre-échangistes, mais aussi au défaut de volonté politique des pays qui ont encore une industrie à protéger : Italie, France, Allemagne. 
Les réponses apportées à la problématique commerciale induisent toute une conception de l'Europe, et je pense qu'il est temps que les grands États se décident enfin à indiquer une direction : celle d'une politique commerciale volontariste. D'ailleurs, la mobilisation de l'opinion y aiderait.


[ Lire ou relire la première partie de l'entretien ICI ]



jeudi 14 avril 2016

Avant de devenir maraîcher bio, il propose d'interdire les référendums en Europe






Avec cette histoire de « référendum Brexit », on en était presque venus à croire que les Britanniques étaient tous démocrates. 

C'était oublier un peu vite : 
** que si l'attachement très fort au principe de « souveraineté parlementaire » prédispose les Anglais à un souverainisme ombrageux, il invite moins évidemment à une passion pour la pratique référendaire. Comme le dit la spécialiste Pauline Schnapper, « à l'origine, l'idée même de consultation populaire était totalement étrangère à l'esprit de la Constitution britannique, fondée sur la démocratie représentative et la souveraineté parlementaire, et non sur la démocratie directe »,
** qu'il existe des andouilles polydécérébrées dans tous les pays. En général, leur cas ne s'arrange pas lorsqu'un trop long passage par les instances communautaires vient adjoindre à leur tare originelle un bon vieux syndrome de Stockholm.

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Parmi ces derniers, il semble que l'on en tienne un bon. « Fraser Cameron est Britannique et réside à Bruxelles. Il a été diplomate au service de Sa Majesté pendant quinze ans, puis a travaillé à la Commission européenne de 1990 à 2002 », indique sa biographie publiée ici

Douze ans de Commission européenne : voilà de quoi détruire un homme, fût-il solide. De fait, la quasi simultanéité de ces deux événements que sont le « non » au référendum d'initiative populaire du 6 avril aux Pays-Bas et la tenue prochaine, dans son propre pays, de la consultation sur le Brexit (dont les sondages commencent à indiquer une avance des partisans de la sortie), plonge Monsieur Cameron dans une angoisse à l'extrême limite du stress post-traumatique. 

Aussi l'ex-eurocrate éprouve-t-il le besoin de prendre la plume pour essayer tout à la fois de colmater son ulcère et de trouver des solutions « pragmatiques », comme on dit. 

Il écrit : « Les référendums deviennent un énorme problème pour l'Europe. Le dernier qui s'est tenu aux Pays-Bas au sujet de l'accord d'association avec l'Ukraine a sans doute donné le pire des résultats possibles. Si le taux de participation avait été inférieur à 30%, le gouvernement néerlandais aurait pu ignorer le vote en toute sérénité. Mais avec un peu plus de 30% de participation et la victoire du non à 64 %, le gouvernement devra consulter le Parlement sur les suites à donner ». 

« Consulter le Parlement » ? Quelle funeste perspective ! « Ignorer le vote en  toute sérénité » : voilà qui eût été bien plus adéquat. En plus, le gouvernement hollandais est désormais contraint de « réfléchir », ce qui n'est qui n'est pas le moindre des inconvénients. « Ce qui apparaît clairement, c'est que le résultat négatif constitue un grand embarras pour le gouvernement, d'autant qu'il assure actuellement la présidence tournante de l'UE. Le Premier ministre néerlandais Rutte doit maintenant réfléchir à ce qu'il faut faire », explicite notre client. La tuile, quoi.... 

Dès lors, comment procéder ? Comment œuvrer de manière à ce que les gouvernements n'aient plus à « réfléchir », ni les Parlements à être « consultés » ? La question se pose avec d'autant plus d'acuité qu'on en a désormais la preuve : « les référendums n'atteignent jamais leur but » car « les politiciens anti-UE utilisent le référendum pour soulever des questions tout autres que la question véritablement posée ». Si l'on ajoute à cela que les électeurs, méchants comme des teignes, jouent  le jeu des « politiciens anti-UE » et votent en réalité "non" à l'Union européenne, il faut quand même avouer qu'on l'a un peu dans l'os. 

Par chance, pour se le sortir de l'os, Fraser Cameron a une solution, simple et de bon goût. Et il la pose là, sans faire de manières. « Peut-être est-il temps que l'Union européenne bannisse les référendums ? » suggère-t-il. 

Diable, en voilà, une riche idée ! D'abord, ça permettrait de confirmer que, comme l'avait affirmé le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker dans une formule qui passera à la postérité, « il ne peut y avoir de vote démocratique contre les traités européens ». Ensuite, ça dispenserait le même Juncker d'être « triste », le pauvre, comme il a avoué l'être après le scrutin néerlandais du 6 avril. 

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Sinon - mais curieusement cela n'est pas évoqué dans la tribune de Fraser Cameron - une autre solution, très simple, très « pragmatique », consisterait à supprimer la Commission européenne, et à envoyer tous ceux qui y ont travaillé pendant plus de dix ans cultiver des potagers éco-responsables dans des villages à repeupler

Le tout dernier référendum de l'histoire de l'UE devrait d'ailleurs porter là-dessus. Dans ce cas, c'est sûr, il ne risquerait pas d'y avoir méprise sur le sens de la question posée. Et l'on n'aurait guère à « réfléchir » sur le sens de la réponse obtenue. 


Pour lire la tribune entière de Monsieur Cameron, c'est ici. 


vendredi 8 avril 2016

Référendum : les Pays-Bas disent (encore !) non à l'Europe.






En Union européenne, il y les « grands référendums », et les « petits référendums ». La différence entre les deux, c'est que les « grands référendums » défrayent la chronique, et que tous européens professionnels (Jean-Claude Juncker, Donald Tusk, Martin Schultz – rayez les trois mentions inutiles) sont unanimes à les condamner. Exemple : le référendum grec de juillet 2015, dont l'annonce même de la tenue avait généré un vent de panique continental.

Des « petites référendums », on parle moins. Ils se tiennent dans un silence feutré, et l'on évite d'en trop commenter les résultats. Exemple : le référendum danois de décembre 2015, qui avait permis aux électeurs du pays de se prononcer à 53 % en défaveur d'un surcroît d'intégration européenne. 

L'année 2015 a donc eu son grand et son petit référendum, tous deux négatifs quelles qu'en en aient été les suites. En 2016, il en sera de même. Le « grand référendum », celui sur le Brexit, affole déjà le commentariat de toute l'Union, bien qu'il ne soit prévu que pour le 24 juin. Le « petit référendum », lui, vient d'avoir lieu aux Pays-Bas. S'il n'a pas mobilisé les foules, son résultat est évidemment négatif, avec 61 % des voix pour « non ».

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Si le référendum de 2015 au Danemark portait sur une question considérée comme « technique », relative à la coopération policière au sein de l'UE, celui de 2016 aux Pays-Bas portait quant à lui sur un sujet dit « anecdotique ». Il s'agissait pour les Bataves de se prononcer sur l'accord d'association entre l'Union européenne et l'Ukraine. Celui-ci - ou plutôt son abandon - avait certes déclenché la révolte ukrainienne du Maïdan en 2013. Mais le départ du président pro-Russe Viktor Ianoukovitch et son remplacement par le délicieusement europhile Petro Porochenko avaient finalement abouti à la signature de l'accord en 2014. Comme pour tout accord de libre-échange, réputé naturellement bon dans cette Europe de la libre circulation de tout et de toute chose, la mise en application semblait ne devoir être que pure formalité.

A l'exception des Pays-Bas, dont le parlement l'a pourtant voté, l'accord UE-Ukraine a été ratifié par tous les pays de l'Union. Il est d'ailleurs en vigueur depuis le 1er janvier 2015. Toutefois, une récente spécificité de la loi néerlandaise fait que dans ce pays, l'approbation parlementaire n'est plus définitive. En effet, depuis juillet 2015, les citoyens ont le droit d'initier des référendums consultatifs a posteriori sur des textes déjà votés. Pour y parvenir, il faut réunir 300 000 signatures, chose que sont largement parvenu à faire le collectif eurosceptique GeenPeil et le site populaire GeenStijl en récoltant près de 428 000 en six semaines à peine. Pour être valide, la consultation doit ensuite donner lieu à une participation supérieure à 30 %. Cette fois-ci, ça passe mais c'est juste (32%). Pas si mal pourtant, pour une première.

Quant à la victoire du « non », elle était largement prévisible. En effet, il était évident que ce référendum se transformerait assez vite en vote symbolique sur la légitimité de l'intégration communautaire. Au demeurant, les principaux initiateurs ne s'en sont pas cachés. « Ce traité avec l'Ukraine ne m’intéresse pas tellement », expliquait par exemple le rédacteur en chef de GeenStijl, Bart Nijman, dans une interview. Pour lui, ce qui comptait avant tout, c'était de remettre en route la démocratie dans le pays. Jean-Claude Juncker quant à lui, jamais avare de coups de panique ni de déclarations intempestives, avait affirmé en janvier dernier qu'un « non » hollandais ouvrirait la voie à une « crise à l'échelle continentale ». Il confirmait par même qu'il s'agissait bien d'un votre sur l'Europe.

Dans ce cadre, les partisans du « oui » ont beaucoup misé sur l'abstention, et on peut dire qu'ils n'y ont pas trop mal réussi. Autrement, ils n'avait aucune chance. En effet, les pays du Benelux (dont les Pays-Bas), sont parmi les plus eurosceptiques de l'Union européenne, plus encore que la France et l'Italie, comme l'indique un récent sondage Elabe/Atlantico. Seuls 25 % d'entre eux disent considérer l'appartenance à l'UE comme ayant plus d'avantages que d'inconvénients. C'est assez singulier d'ailleurs, tant ces petits pays extravertis et commerçants ont été, à l'origine, en pointe dans la mise sur pieds de l'Europe telle qu'elle est : une Europe du marché. Parmi ceux que la mythologie communautaire surnomme les « Pères fondateurs », on trouve quatre représentants du Benelux dont deux Néerlandais, l'homme d'affaires Johan Willem Beyen et l'ancien président de la Commission Sicco Mansholt.

Mais le temps a passé, et tout le monde a oublié ces Romulus et Remus du Marché commun. Ce que personne n'a oublié en revanche, c'est le référendum sur le Traité constitutionnel européen de 2005. A la question « êtes-vous pour contre l'approbation par les Pays-Bas du traité établissant une Constitution pour l'Europe ? », plus de 61 % des électeurs avaient répondu par la négative. On peut difficilement faire plus clair. Par la suite, tout comme en France, les parlementaires du pays avaient décidé de s’asseoir sur le résultat et de ratifier le traité de Lisbonne. On ne peut pas faire plus clair non plus, en termes de mépris de la souveraineté populaire.

Depuis, les difficultés sont allées en s'amoncelant. Les difficultés économiques d'abord, dont la crise grecque a été un moment crucial. Plusieurs pays d'Europe du Nord s'étaient prononcés, à l'été 2015, pour un « Grexit », une sortie de la Grèce de la zone euro. Les Pays-Bas en faisaient partie, aux côtés de la Finlande, des Baltes et de l'Allemagne. Ils ne voulaient à aucun prix d'une restructuration de la dette grecque. Or cette question, si elle a été mise sous le tapis depuis lors, ne tardera pas à refaire surface. Le Fonds monétaire international demeure attaché à cette restructuration. Il est même prêt, pour forcer la main à ceux qui n'en veulent pas et si l'on en croit les récentes révélations de Wikileaks, à conduire volontairement la Grèce au bord du défaut de paiement en juillet prochain. Le problème est donc très loin d'être réglé. La Grèce étant insolvable, il reviendra même très bientôt sur le devant de la scène.

Il y a également la question migratoire, qui crispe tout l'Europe, et les Pays-Bas pas moins que les autres. C'est justement le premier ministre néerlandais Mark Rutte, parce qu'il assure la présidence tournante de l'UE, qui est à l'origine, avec Angela Merkel, de l'accord UE-Turquie du 18 mars dernier. Un accord dont il est plus que douteux qu'il permette de régler la question, en plus des problèmes juridiques qu'il pose.


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Bref, le « oui » ne pouvait que perdre. Au mois de juin, les Britanniques auront la charge de suivre cette règle ou d'être l'exception qui la confirme, mais il en va désormais des « petits référendums » européens comme des « grands » : c'est non, c'est vraiment non, c'est encore et toujours non. Cela prouve d'ailleurs que l'Union est un projet internationaliste assez bien abouti. Simplement, c'est une Internationale du « non ».

En attendant, il est bien difficile de prévoir ce que les pouvoirs publics néerlandais feront d'un tel résultat, mélange d'abstention importante et de refus. Le gouvernement du pays a assuré que si le référendum était valide, il serait « tenu compte » du résultat. Voilà qui est tout à fait précis !
Le plus probable, l'accord d'association UE-Ukraine sur lequel portait le scrutin étant déjà en vigueur et le vote n'étant que consultatif, est que l'on arguera de la forte abstention pour s’asseoir sur le résultat, au prix de minuscules aménagements négociés avec Bruxelles, et en assurant la main sur le cœur que « le message des électeurs a bien été entendu ».

Jusqu'à la prochaine fois. Après tout, 300 000 signatures sont bien vites obtenues....


Article initialement publié sur Figarovox