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lundi 6 mars 2017
mardi 6 décembre 2016
Italie : c'est l'histoire d'un domino qui tremble
Par Lenny Benbara
Angoisse à Bruxelles.
Notre ami Jean-Claude Junker, qui ne cache plus son rejet des
référendum, a du trembler. Après le Royaume-Uni, l’Espagne et la
Grèce, voilà de nouveau un pays qui vit un « moment
populiste ». Et avec quelle manière ! Le « NO »
massif italien de dimanche soir - 59,7% contre 40,3% pour le « SI »
- avec plus de 65% de participation, fait ressurgir les fantômes du
« OXI » grec qui avait provoqué une hystérie anti-démocratique. C’est une humiliation pour tous ceux qui
portaient le « SI ». Saura-t-on étouffer celui-ci avec
la même audace que le référendum grec ? Rien n’est moins
sûr.
C’est assurément
une victoire pour les opposants à ce référendum, et notamment les
opposants eurosceptiques du M5S, dont on avait expliqué la complexité du positionnement politique dans un précédent article. Ceux-ci ont fait la campagne la plus aboutie et ont
fourni les gros bataillons du « NO ». Le mouvement est
aujourd’hui en tête des intentions de vote avec plus de 33% et se
positionne donc clairement pour une prise du pouvoir. Mais il y a
d’autres vainqueurs, le mouvement d’extrême-droite qu’est la
Ligue du Nord, les berlusconistes, la minorité interne du Parti
Démocrate, et notamment Stefano Fassina, ancien vice-ministre des
finances qui a fait une campagne très appuyée et qui appelle
ouvertement à sortir de l’euro.
On pourrait rétorquer
que ce référendum n'avait aucun lien avec l’Union Européenne.
C’est néanmoins s’aveugler sur la signification politique du
vote de dimanche. Car le vote a déjà fait une victime, le
tonitruant Matteo Renzi qui a rendu sa démission (même s'il va
demeurer en poste le temps du vote du budget). Ce qu'incarne
celui-ci, arrivé avec fracas après avoir écarté Enrico Letta, est très lié à l’Union Européenne.
Ce qu’incarne Matteo Renzi et ce que les italiens ont rejeté
Renzi, c'est l’homme
devait « réformer le pays en 100 jours », puis en 1000
jours, pour restaurer la prospérité italienne après 5 années de
crise qui ont été dévastatrices. Sa méthode ? Une politique
de réforme du marché du travail et de flexibilisation des
« rigidités » agressive, couplée à une communication
et un positionnement « moderne », « novateur »,
« anti-élites » et « progressiste ». Renzi,
c’est un mélange à la sauce italienne entre Emmanuel Macron et
Manuel Valls. Le discours bougiste du premier, l’habileté
communicationnelle et l’ambition du second. Renzi, c’est l’homme
qui a réussi à avaler une partie du centre droit dans une « union
des centres » qui incarne le consensus européiste -malgré des
coups de menton de façade.
Problème, les
italiens n’ont pas vu les résultats de cette politique qui s’est
avérée catastrophique. Le chômage est toujours à plus de 11,5% et
l’Italie s’appauvrit structurellement
en termes de revenu par habitant depuis son entrée dans l’euro. Pis encore, la dégringolade continue,
la croissance italienne a été revue à
la baisse pour les prochaines années. A cela, s’ajoutent des
inégalités en forte hausse et une crise bancaire chronique qui ne
peut qu’empirer avec la dégradation de la conjoncture économique
italienne.
Cette réforme
constitutionnelle, dont les tenants et les aboutissants ont été
analysés par Coralie Delaume ici,
devait permettre à Renzi de se libérer les coudes et de pouvoir
« réformer » pour enfin trouver les « résultats »
de sa politique. C’est donc à la fois, l’homme, ce qu’il
symbolise, c’est-à-dire la modernité européiste, et son bilan,
qui ont été balayés d’un revers de la main par les italiens.
Bien entendu, les arguments rhétoriques de la campagne, et notamment
la peur de la dérive autoritaire par le renforcement du pouvoir
exécutif en cas de passage de la réforme, ont influé sur le
résultat, mais ils ne remettent absolument pas en cause ce qui s’est
joué sur le fond. Matteo Renzi incarnait à sa façon, la dernière
carte du « système », rafraîchi et rajeuni. A travers
l’homme, c’est tout ce qu’il représente qui a subi hier soir
un cinglant désaveu. Sa défaite fait peser un certain nombre de
risques sur le futur de l’économie italienne.
La
menace d’une faillite bancaire
On sait le bilan des banques italiennes plombé par plus de 360 milliards de créances pourries (près de 20% du PIB italien !). Ce montant provient à
la fois des suites de la crise financière, mais aussi de la
paralysie continue de l’économie de la péninsule pendant les cinq
dernières années. Cela impose un besoin de recapitalisation qui est
bloqué par l’Union bancaire, mécanisme selon lequel il faut
d’abord recourir à un bail-in, c’est-à-dire au fait de
faire payer les actionnaires avant de recourir à un bail-out,
soit une aide de l’État. Le problème réside dans le fait que
nombre de ces banques sont possédées par de petits actionnaires. Le
bail-in aurait donc un coût social très élevé, qu’aucun
gouvernement italien ne peut se permettre à cette heure. C’est
pourquoi la situation est aujourd’hui bloquée, malgré des
petites recapitalisations privées (la dernière en date ayant eu
lieu à l’été 2016).
La recapitalisation en
cours est aujourd’hui menacée par l’instabilité politique. Ce
« NO », à travers l’instabilité politique qu’il
induit, a donc pour effet d’amplifier le risque d’échec du
sauvetage bancaire en cours.
Problème : avec
la politique annoncée par Donald Trump au États-Unis, un vaste
mouvement de remontée des taux s’est enclenché, y compris en
Europe. La zone euro, du fait de son intégration financière avec la
zone dollar, suit ce mouvement. Cette remontée des taux fait peser
un gros risque sur l’État et le secteur bancaire italien. En
effet, l’inflation italienne est une des plus basse du continent.
Cela conduira donc à un accroissement de la charge de la dette des
particuliers, de l’État -même si la BCE atténue ce risque-, et
des entreprises, multipliant le nombre de défauts potentiels et de
créances pourries. On le voit, la situation est vouée à empirer.
Le seul « avantage »
de l’Italie, est que les banques françaises et allemandes sont
exposées à une faillite bancaire en cascade. Le cas de la Deutsche
Bank est particulièrement inquiétant, d’autant plus qu’elle
est profondément engagée sur les marchés de dérivés, dont on ne
connaît ni le montant, ni la composition exacte. Il y a donc une
incertitude forte sur ce qui pourrait se passer. Mais voilà, il
serait très difficile de faire accepter un plan de recapitalisation
bancaire des banques italiennes, faisant voler en éclat l’Union
Bancaire, à une Angela Merkel qui va entrer en campagne et a promis
l’arrêt des aides aux pays périphériques à ses électeurs. On
est là face à des contradictions potentiellement explosives.
Dans ce contexte
d’incertitude forte, on risque donc de voir s’opérer un retrait
des investisseurs d’Italie et un gel des embauches, plombant un peu
plus une conjoncture morose. A cette situation délétère, s’ajoute
un risque politique substantiel.
Le M5S en embuscade
Le référendum de
dimanche a permis au M5S de faire oublier ses errements dans la
gestion de Rome, où l’embauche d’un chef de cabinet à 200 000
euros par an par Virginia Raggi a fait scandale. Ce qui n’a
toutefois pas handicapé la progression du mouvement, qui a le vent
dans le dos. En effet, l’opinion publique italienne est de plus en
plus eurosceptique. Les italiens se sentent particulièrement lâché
dans la gestion de la crise migratoire. Il ne faut pas oublier que
depuis l’accord UE-Turquie, les arrivées ont explosé en Italie,
ce qui, dans un contexte d’appauvrissement du Sud, fait peser un
risque de crise humanitaire. La situation est clairement devenue
explosive de ce point de vue.
Le M5S joue sur cet
aspect, mais aussi sur la crise de la zone euro et de l’UE. Malgré
un revirement en juillet sur la question de l’UE (que le mouvement
n’entend plus quitter mais améliorer de l’intérieur), on peut
se demander s’il ne s’agit pas d’une stratégie laissant planer
l’incertitude sur ses intentions. A la différence d’Alexis
Tsipras en Grèce, les dirigeants du M5S ne sont pas des europhiles,
ce sont avant tout des opportunistes, qui n’ont pas de rapport
fétiche à l’euro. En effet, il est très difficile d’arriver au
pouvoir avec un programme de sortie de l’euro sans déclencher une
panique bancaire. Alimenter l’incertitude pourrait, de ce point de
vue, être particulièrement utile pour prendre de surprise les
marchés.
Mais voilà, avec
l’échec de la réforme constitutionnelle, le M5S a vu ses chances
d’accéder au pouvoir réduites. Comme l’explique très bien Romaric Godin, le passage de cette réforme était la condition qui
aurait permis au M5S de gouverner car le parti n’est pas en mesure
d’être majoritaire au Sénat - qui dispose en Italie des mêmes
prérogatives que la Chambre - à moins de s’allier avec les
néo-fascistes de Fratelli d’Italia et la Ligue du Nord, ce qui
semble plus qu'improbable.
On se dirige donc tout
droit vers une situations de blocage politique, avec un M5S très
fort qui pourrait bénéficier d’élections anticipées pour
devenir majoritaire à la Chambre. En attendant, le plus probable est
qu’on ait un gouvernement technique chargé de produire une loi
électorale, qui, selon les conditions de sa rédaction,
conditionnera une arrivée au pouvoir potentielle du M5S - mais il
est fort probable que ce gouvernement technique impose des garde-fous
pour éviter cette situation.
La situation italienne
est inextricable. Dimanche, nous avons assisté à une secousse de
grande ampleur qui vient enfoncer un clou dans le cercueil de l’euro.
Reste, qu’une sortie de l’euro de l’Italie, si elle semble
inéluctable, ne se produira probablement pas à court terme, à
moins qu’une faillite bancaire généralisée ne vienne provoquer
l’explosion des contradictions économiques et politiques de la
zone euro.
Le problème italien
ne pourra pas être ajourné indéfiniment. Le « moment
populiste » que nous vivons vient mettre un coup dans la
fourmilière européenne, qui, chaque année, voit se multiplier les
crises sans jamais sembler en mesure de les dépasser. Il souffle un
vent puissant en Europe. Après, Cameron, Hollande, Sarkozy, Juppé
et maintenant Renzi, ces six derniers mois, les peuples ont montré
qu’ils avaient visiblement envie de couper des têtes. 2017
s’annonce être un grand cru. Angela Merkel ferait bien de
s’inquiéter.
Texte initialement publier sur Le vent se lève
lundi 5 décembre 2016
Banques et dette italiennes : après le "non" au référendum, que va-t-il se passer ? - entretien avec Steve Ohana
Steve
Ohana est économiste et professeur de finances à l'ESCP Europe. Il
est l'auteur de Désobéir
pour sauver l'Europe,
un ouvrage très pédagogique sur l'Union européenne et sur la zone
euro.
***
Hier
s'est tenu un référendum décisif en Italie, relatif
à la réforme constitutionnelle portée par Matteo Renzi. Le « non »
l'emporté très largement et Renzi a immédiatement annoncé sa
démission. Un tel scénario, anticipé avec anxiété par tous les
acteurs et observateurs des marchés, avait fait pronostiqué
l’apocalypse au Financial Times
, qui
est allé jusqu'à prévoir la faillite de huit banques. Pourquoi
un tel alarmisme ? Quelle est la situation exacte des banques
transalpines et à quoi est-elle due ?
Comme
aux États-Unis,
en Espagne ou
en Irlande, les banques italiennes ont octroyé des prêts en grande
quantité avant la crise de 2008, à des ménages et à
des
entreprises qui, aujourd’hui, n’ont pas les moyens de les
rembourser.
Trois
caractéristiques de l’Italie rendent la situation particulièrement
critique aujourd’hui. D'abord
l’exécutif
italien s’est refusé à assainir le système bancaire de façon
systématique et globale, comme l’ont fait par exemple l’Espagne
et l’Irlande. Au lieu de procéder à une restructuration
systématique de l’ensemble des banques, Matteo Renzi a opéré par
recapitalisations successives des plus petites banques (certaines au
cours de l’année 2015, d’autres à l’été 2016 via le fonds
privé Atlante). Il a sans doute parié sur une sortie de crise dans
la zone euro, qui aurait pu permettre à la plupart des crédits à
risque d’être finalement remboursés, et aux grosses banques
d’absorber les petites banques plus fragiles.
Ce
pari a été perdu. Le résultat est un système bancaire italien
composé de banques « zombie », avec des actifs à la
valeur incertaine et des fonds propres très insuffisants pour leur
permettre de se financer et de prêter normalement. Or, l’économie
italienne étant très dépendante de son système bancaire, la
fragilité des banques italiennes perpétue la crise de demande, ce
qui, en retour, nuit à la solvabilité des emprunteurs et donc à la
santé des banques. C'est
un cercle vicieux.
La
reprise constatée en zone euro depuis deux ans est aussi
très timide
dans la Péninsule, les prix de l’immobilier continuent de chuter à
l’inverse du reste de la zone euro et en particulier de l’Espagne
et le taux de prêts non performants dans les banques italiennes est
aujourd’hui le plus élevé de toute la zone (environ 18% du total
des prêts). On estime aujourd’hui les prêts non performants à
360 milliards d’euros et les besoins en capitaux propres des
banques italiennes à environ 40 milliards d’euros.
Et
l'Union bancaire, alors ? Elle ne sert à rien dans le cas
italien ?
Disons
que depuis
2015, les nouvelles règles de résolution bancaire instaurées par
« l’Union Bancaire » interdisent à un État
de l’UE de recapitaliser ses banques sans faire prendre des pertes
aux « créanciers non protégés » (détenteurs de
« dette subordonnée », déposants au-dessus de 100 000
euros…). Et
le
retard pris par l’exécutif italien dans l’assainissement du
système bancaire prend une tournure presque tragique dans ce
contexte.
En
effet, une grande partie des créanciers non protégés des banques
italiennes se trouvent
être des particuliers. Ainsi, 2 milliards des 5 milliards de dette
subordonnée de la banque Monte Paschi di Siena, aujourd’hui au
centre de tous les regards (35% de prêts non performants), sont
détenus par des particuliers. L’été dernier, un retraité qui
avait perdu 100 000 €
suite à la mise en faillite par l’Etat de la Banca Popolare dell’ Etruria e del Lazio s’était suicidé, provoquant
un émoi important en Italie.
Ce
dernier point souligne la faillite de gouvernance patente au sein
des banques italiennes. Les liens de connivence entre managers et
milieux politiques ont permis de mettre le couvercle sur des
politiques de gestion de risque plus que laxistes et des pratiques
frauduleuses dont l’ampleur commence tout juste à être
découverte. Ainsi, de nombreuses banques du Nord de l’Italie ont
proposé aux particuliers des produits appelés « azioni
baciate» (« kissing shares »), c’est-à-dire des
« prêts adossés à des actions », par lesquels les
banques prêteuses proposaient aux emprunteurs d’utiliser une
partie du prêt octroyé pour acheter des actions…émises par les
banques prêteuses !
Ces
pratiques ont débouché sur une crise sociale dans la région de
Venise où les banques locales- mises en faillite puis rachetées à
l’été 2016 via le fonds Atlante- jouaient un rôle fondamental
dans le financement de l’économie et jouissaient de la confiance
quasi aveugle des petits épargnants. Ensuite, la crise est devenue
politique quand ont été découvertes la longue omerta de la classe
politique et des régulateurs bancaires sur ce type de pratiques et
l’incapacité des leaders politiques italiens à compenser
correctement les épargnants floués.
Dans
ce contexte politiquement chargé, on comprend bien pourquoi Matteo
Renzi insiste tellement auprès des leaders européens pour
recapitaliser directement les banques italiennes sans faire prendre
de pertes aux créanciers non protégés… Mais Angela Merkel s’y
refuse obstinément depuis plusieurs mois, de peur de miner la
crédibilité de l’Union Bancaire.
Mais
en quoi la victoire du « non », ici, est-elle un problème
européen ? La question soumise aux électeurs était une question
institutionnelle interne à l'Italie, et n'avait pas grand chose à
voir avec les difficultés bancaires en zone euro....
Disons
que ce « non » peut ouvrir
une période d’incertitude politique qui pourrait décourager les
investisseurs pressentis pour participer aux plans de
recapitalisation privés actuellement mis en place pour venir au
secours des banques italiennes les plus fragiles, en particulier la
banque Monte Paschi. Dans ce cas, la seule issue serait la
nationalisation de la banque par l’État
italien (qui pourrait emprunter directement sur les marchés ou
auprès du Mécanisme Européen de Stabilité si la situation
devenait trop tendue sur les marchés).
Là,
si
Angela Merkel reste aussi inflexible sur le respect des règles de
l’Union Bancaire, ceci déboucherait sur de nouvelles ponctions de
petits épargnants particuliers et l’aggravation de la crise
politique dans la Péninsule.
Justement,
s'agissant d'Angela Merkel : a-t-elle vraiment intérêt à
rester inflexible ? On
sait le système bancaire européen interdépendant et fragile.
N'existe-t-il
pas un risque
de contagion à d'autres pays de la zone euro ? Le géant
allemand Deutche Bank, par exemple, qui s'est trouvé dans la
tourmente l'été dernier, peut-il être touché ?
Pour
l’instant, force est de constater que les effets de contagions du
problème bancaire italien restent assez limités, malgré le fait
que la victoire du « non » au référendum était
largement anticipée par les marchés depuis quelques semaines. C'est
dû,
à mon avis, à trois phénomènes.
D'abord,
le
système bancaire européen est perçu comme mieux capitalisé
aujourd’hui qu’il ne l’était au début de la crise. Les
capitaux propres des banques européennes sont visiblement
considérés comme suffisants pour absorber des pertes sur leurs
expositions aux banques italiennes (les banques françaises sont les
plus exposées à ce risque, à hauteur d’environ 50 milliards
d’euros).
Ensuite,
les
banques italiennes aujourd’hui au centre de toutes les attentions
sont des banques de dépôt traditionnelles qui participent peu à
la liquidité sur les marchés financiers continentaux et mondiaux.
Enfin,
l'un
des
canaux
de contagion les
plus
importants
est le
marché
des
dettes
souveraines.
Or, même s’il y a un stress perceptible sur la dette italienne,
celui-ci est contenu par la présence de la BCE sur les marchés de
dette souveraine et par sa promesse implicite d’acheter davantage de dette sur les marchés en cas d’aggravation du stress.
De
ces trois points, seul le premier est, à mon avis, susceptible
d’évoluer défavorablement par la suite. Ainsi, des estimations
indépendantes effectuées par des chercheurs de la New York
University, dressent un tableau assez alarmant du système bancaire
européen, chiffrant les besoins de fonds propres des banques
européennes à 250 milliards d’euros (dix fois plus que
l’estimation fournie par l’Autorité Bancaire Européenne lors
des stress tests bancaires de 2014), dont 170 milliards pour les cinq
plus grandes banques françaises.
Quant
au problème de Deutsche Bank, il est pour le moment repassé en
second plan mais susceptible de resurgir à tout moment, la banque
étant notoirement sous-capitalisée et n’ayant jusqu’à présent
pas réussi à trouver une solution pour se recapitaliser de façon
privée.
Mais
comme le vous le soulignez, on n'imagine pas la BCE rester les bras
croisés en cas de gros pépin. De quels outils dispose-t-elle ?
La
BCE rachète aujourd’hui pour
80
milliards de dette souveraine des pays de la zone euro chaque mois,
selon une clé correspondant à la part de chaque pays dans son
capital. Elle pourrait modifier à la marge cette clé d’une
manière favorable à l’Italie, mais cela serait vu évidemment
chez les conservateurs allemands comme une « largesse »
injustifiée aux nations dépensières. Elle
n’aurait cependant pas trop de mal à justifier cette politique si
la panique s’empare des créanciers de l’Italie et si l’enjeu
devient, comme en 2012 avec l’OMT, la survie même de l’euro.
Et
ça pourrait arriver ? On
a assisté ces derniers jours à une remontée des taux (au dessus de
2%) sur les titres de dette italiens, mais
on est quand même loin de la situation de 2012, où ces taux étaient
montés autour de 7 %...
Oui,
je
crois que la nature de la crise actuelle est fondamentalement
différente de celle que nous nous
avons connue.
Jusqu’en
2012,
qui a vu l’annonce par Mario Draghi de l’OMT, la zone euro était
confrontée au risque d’effondrement à court terme du système
bancaire via la dépréciation des titres de dette souveraine sur les
marchés. Ce risque, de nature financière et bancaire, est
aujourd’hui écarté grâce à l’assurance fournie par l’OMT
que les titres de dette souveraine italiens et espagnols ne seront
pas autorisés à se déprécier au-delà d’une certaine limite sur
les marchés.
La
zone euro est aujourd’hui confrontée à un risque plus sournois et
plus existentiel : celui du rejet politique du statu quo de la
zone euro dans un nombre de plus en plus grands de pays et, à terme,
dans les urnes. Certes, le vote négatif au référendum grec sur le
nouveau mémorandum de la Troïka de l’été 2015 n’a pas conduit
à une dislocation de la zone euro car Alexis Tsipras a finalement
fait le choix de capituler devant les exigences des créanciers de la
Grèce. Mais, il n’est pas certain qu’il en soit de même à
l’avenir.
Le
doute omniprésent quant à la survie politique de la zone euro à
moyen terme est destructeur et auto-réalisateur. Les investisseurs
imposent aux pays périphériques une prime de risque sur leurs taux
d’emprunt, due au risque de défaut ou de redénomination de leur
dette en devise locale. Les déposants participent également à une
fuite des capitaux de la périphérie vers les pays cœur, de peur de
voir leur épargne convertie en devise locale.
Le
résultat de ces comportements est le suivant : des
investissements en berne, des taux d’intérêt trop élevés au
regard de la croissance et de l’inflation, une dette publique et
privée qui s’accroît continûment en pourcentage
du PIB, un besoin d’épargne privé et des efforts d’austérité
supplémentaires de la part des ménages et des gouvernements. Tout
cela
mine
la croissance, aggrave le sentiment de colère des classes moyennes,
et renforce finalement le risque d’un vote pour un parti favorable
à la sortie de l’UE ou de l’euro dans tous les pays, y compris
les pays créditeurs…
C’est
un cercle vicieux infernal dont il est impossible de sortir dans le
cadre du statu quo actuel de la zone euro. C’est ce cercle vicieux
qui pose aujourd’hui un risque existentiel à la zone euro à moyen
terme, plutôt que le risque de marché sur les dettes souveraines à
court terme, que la BCE parvient à contenir.
Du
coup,
vous
ne partagez pas
l'analyse de Joseph Stiglitz pour lequel l'Italie sera le premier pays à quitter, à moyen terme, la zone euro ?
Paradoxalement,
la victoire du « non » au référendum réduit le risque
d’une ascension au pouvoir du Mouvement Cinq Étoiles
dans l’année qui vient (rappelons que les prochaines élections
doivent avoir lieu au plus tard en 2018). La victoire du « oui »
aurait été beaucoup plus explosive.
En
effet, la réforme constitutionnelle proposée au vote, combinée à
celle déjà passée à l’été 2016, aurait eu pour effet de
donner au M5S
les
moyens de gouverner le pays sans avoir besoin de former une coalition
majoritaire avec d’autres partis (ce que ce mouvement est incapable
de faire à l’heure actuelle). Il aurait donc pu, en particulier,
proposer au peuple italien un référendum sur l’appartenance à
l’UE ou engager un bras de fer avec la Commission Européenne et
l’Allemagne sur la gouvernance de la zone euro, dont l’issue
aurait pu être cette fois l’implosion désordonnée de la zone,
étant donné le rôle central de l’Italie dans le marché
obligataire européen (rappelons que le marché de dette souveraine
italien est le plus important de la zone euro et le troisième plus
important au monde).
Avec
la victoire du non, le risque, plus « conventionnel »,
est celui d’une nouvelle période de paralysie politique de la
Péninsule, pouvant mener finalement, après une période de blocage
plus ou moins longue, à la formation d’un nouveau gouvernement de
coalition favorable au statu quo, celle-ci contribuant à prolonger
et aggraver le pourrissement de la situation économique, sociale et
politique de la Péninsule, selon le processus décrit précédemment.
Ce
qui n'est guère réjouissant !
Non.
Mais à mon avis, il
faut plus
s’inquiéter
à court terme de la situation néerlandaise, où le parti anti-euro
PVV, emmené par Geert Wilders, est donné largement en tête des
sondages aux
élections de mars 2017.
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samedi 3 décembre 2016
Référendum en Italie : pourquoi l'Europe va trembler.
«En Italie, les gens sont de plus en plus déçus par l'euro. Les Italiens commencent à réaliser que l'Italie ne fonctionne pas bien dans l'euro», expliquait Joseph Stiglitz au journal allemand Die Welt début octobre. Le prix Nobel d'économie pronostiquait donc un «Italexit» (une sortie italienne) dans un proche avenir.
Le référendum à haut risque qui se tient dans la Péninsule ce dimanche peut-il aboutir à ce résultat? Les deux éléments paraissent a priori sans lien puisque la consultation portera sur l'équilibre des institutions italiennes. Toutefois, la crise politique susceptible d'en résulter dans ce pays à l'économie en berne pourrait secouer l'Europe durement. Après la crise grecque de 2015 et le «Brexit» de juin 2016, ce pourrait être un nouvel acte de l'effondrement européen qui se joue sous nos yeux.
Sur quoi le référendum porte-t-il?
On pourrait croire qu'il ne concerne que les Italiens puisque le scrutin du 4 décembre porte sur un projet de réforme constitutionnelle. Ce projet est soumis au peuple faute d'avoir obtenu la majorité des deux tiers nécessaire à une simple adoption parlementaire.
Le texte prévoit de transformer la chambre haute du Parlement pour en faire un «Sénat des régions» au périmètre réduit, en diminuant des deux tiers le nombre de ses membres et en lui conférant un rôle essentiellement consultatif. Il s'agit d'abaisser les pouvoirs de ce Sénat et de mettre fin au «bicaméralisme parfait» qui donne exactement les mêmes prérogatives aux deux chambres, que ce soit pour le vote des lois ou pour celui de la confiance au gouvernement. En effet, le fonctionnement actuel des institutions est jugé source de lenteurs et d'instabilité politique (Rome a connu 63 gouvernements en 60 ans....). En tout état de cause et comme expliqué sur le site Telos, «il s'agirait d'une rupture symbolique très forte [car] le bicaméralisme parfait [...] caractérise la vie politique italienne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale […]. Pour les constituants de 1946, il s'agissait alors de consolider autant que possible la digue démocratique, au sortir de vingt ans de fascisme».
Mais si le résultat du référendum est décisif pour l'Europe, c'est parce que le Premier ministre Matteo Renzi y a lié son avenir. Certes, quelques expériences récentes nous enseignent qu'il faut rester prudent face aux sondages. Pourtant, force est d'admettre que dans le présent cas, ils vont tous dans le même sens. Tous mettaient le «oui» en tête au début de l'année 2016. La tendance a commencé à s'inverser au printemps, puis s'est complètement retournée. Le «non» est aujourd'hui donné vainqueur par tous les instituts. Il faut dire que dans les faits, le scrutin s'est transformé en vote pour ou contre Renzi. Plébiscité lors de son arrivée au pouvoir, le Chef du gouvernement a énormément déçu depuis.
Que se passera-t-il si Renzi perd?
Quelques excentriques espèrent qu'il démissionnera au profit d'un «gouvernement technique» susceptible de vaincre la «résistance au changement» des Italiens et de les convertir pour de bon à l'austérité. C'est par exemple le cas de The Economist. Dans un éditorial intitulé «Pourquoi l'Italie devrait voter non à son référendum», l'hebdomadaire britannique explique: «La démission de M. Renzi peut ne pas être la catastrophe que beaucoup craignent en Europe. L'Italie pourrait se doter d'un gouvernement technocratique de transition comme elle l'a souvent fait par le passé. Si, toutefois, un référendum perdu devait suffire à déclencher l'effondrement de l'euro, ce serait le signe que ce dernier était très fragile, et que sa disparition n'était qu'une question de temps».
Une telle option n'est pas celle privilégiée par les économistes de chez Natixis. Ces derniers ont étudié le sujet, et ont tout intérêt à l'avoir fait soigneusement tant le système bancaire européen serait secoué en cas de crise politique italienne. Dans une étude publiée cet été, la banque française n'estimait qu'à 15% la probabilité de remplacement de l'exécutif actuel par des technocrates. Elle penchait plutôt (probabilité = 25%) pour plusieurs mois d'impasse politique suivis de l'organisation d'élections législatives anticipées.
Problème: la loi électorale a changé elle aussi. «L'Italicum», voté à l'arraché au printemps 2015 après que Renzi a du engager la responsabilité de son gouvernement sur le texte, est entré en vigueur le 1er juillet dernier. Elle forme un «package» avec la réforme constitutionnelle proposée aux suffrages dimanche, l'Italicum instaurant un système majoritaire à deux tours avec une grosse prime pour le parti arrivé en tête au second tour, ou le cas échéant, pour celui ayant obtenu plus de 40% des voix au premier. Le but est là aussi de renforcer la stabilité politique, en assurant à la Chambre - dont les pouvoirs relatifs croîtront si les Italiens votent «oui» au référendum - une majorité absolue.
Mais il se trouve que la loi électorale Italicum est actuellement... en cours d'examen par la Cour constitutionnelle. Comme l'explique La Tribune dans une analyse faisant saillir l'invraisemblable complexité de la situation, «il existe une possibilité que cette loi soit invalidée en partie avant le scrutin et que donc la loi électorale ne s'applique qu'en partie». Et encore, pour la seule Chambre des députés puisque l'Italicum ne concerne pas le Sénat.
En somme, c'est le chaos assuré, avec des parlementaires élus on ne sait encore comment, et deux Assemblées de coloration peut-être différente.... mais conservant des pouvoirs identiques si le «non» l'emporte dimanche. L'une d'elles pourrait en effet être arrachée par le Mouvement 5 Étoiles (M5S), ce dernier poursuivant sa montée en puissance après avoir brillé aux dernières élections municipales.
Voilà donc de quoi faire paniquer «les marchés» et toute l'Europe à leur suite. D'autant que le vote intervient dans un contexte économique passablement dégradé.
Un contexte économique propice à la tempête
La situation économique de l'Italie est mauvaise. Le PIB croît mollement, et n'a même pas retrouvé son niveau d'avant la crise de 2007-2009. Le «Jobs act», l'une des grandes réformes de Renzi (et prédécesseur de la «loi travail» française), a eu beau «flexibiliser le marché de l'emploi», le taux de chômage continue d'évoluer autour de 11,5%. Les entreprises et l'État investissent peu.
Surtout, la dette italienne dépasse les 2000 milliards d'euros (six fois plus que le montant de la dette grecque...). Elle est la plus élevée de la zone euro, et une instabilité politique durable ne manquerait pas de hâter le mouvement de remontée des taux sur cette dette. Cette remontée a déjà commencé en Europe à la faveur de l'élection de Donald Trump aux États-Unis et de ce que les marchés anticipent de sa future politique économique. L'économiste Olivier Passet va jusqu'à commenter le phénomène en ces termes: «Les Trumponomics, c'est le coup fatal pour la zone euro».
On n'en est pas là. Et l'on est loin des années 2011-2012 où les taux sur les dettes italiennes et espagnoles étaient montés à des niveaux tels (jusqu'à 7% pour l'Italie), que la Banque centrale européenne avait dû prendre des mesures exceptionnelles et promettre à la face du monde de faire «tout ce qui est nécessaire pour sauver l'euro».
Pour autant, les taux auxquels emprunte Rome sont déjà repassés au-dessus des 2% (contre 1,5% pour l'Espagne ou 0,7% pour la France), alors même que le pays - comme les autres membres de l'eurozone à l'exception de la Grèce - est soutenu par a BCE. Dans le cadre de son Quantitative easing (QE), l'Institution de Francfort rachète pour l'heure un total de 14 milliards d'euros dette italienne tous les mois. Sentant que cela ne suffirait bientôt plus, la Banque centrale a laissé entendre qu'elle était prête à voler au secours de l'Italie après le référendum. Sans doute augmentera-t-elle pour ce faire le montant de ses rachats mensuels.
Reste enfin la question des banques de la Péninsule. On les sait très fragiles, elles qui ploient sous le montant ahurissant de 360 milliards d'euros de créances douteuses ( plus de 20% du PIB du pays!). De plus, la manière dont (dys)fonctionne de l'Union bancaire interdit à l'État italien de les recapitaliser sur fonds publics. Une telle situation conduit ainsi le Financial Times à prédire rien moins que la faillite possible de huit banques italiennes en cas de «non» au référendum, notamment celle du géant Monte dei Paschi di Siena. Cet établissement vole de sauvetages en sauvetages (sur fonds privés) et a tout de même perdu plus de 85% de sa valeur en bourse en un an...
Apocalypse now?
Certains autres titres de la presse européenne n'y vont pas non plus de main morte. Pour le quotidien britannique The Independant, «le résultat du référendum italien pourrait être le début de la fin de la zone euro». Une opinion que semblent partager les Allemands de l'hebdomadaire Focus, qui pointent un risque «d'Italexit». En France enfin, Le Point titre: «Italie: un référendum plus dangereux que le Brexit».
Alarmisme exagéré? Difficile à dire. En tout cas, pendant que l'on s'inquiète (avec raison) de l'Italie, on tend à oublier que le 4 décembre se tient aussi le «deuxième-second-tour» de la présidentielle autrichienne. Après que la Cour constitutionnelle du pays a annulé l'élection de l'écologiste Alexander Van der Bellen en mai, celui-ci est à nouveau contraint de mener campagne contre le candidat du Parti libéral d'Autriche (FPÖ) Norbert Hofer. Lequel pourrait devenir, s'il gagne cette fois-ci, le premier président européen issu d'un parti d'extrême-droite.
Nous ne sommes certes qu'au début de décembre mais en Union européenne, de toute évidence, c'est déjà Noël !
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