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mardi 6 décembre 2016

Italie : c'est l'histoire d'un domino qui tremble





Par Lenny Benbara

Angoisse à Bruxelles. Notre ami Jean-Claude Junker, qui ne cache plus son rejet des référendum, a du trembler. Après le Royaume-Uni, l’Espagne et la Grèce, voilà de nouveau un pays qui vit un « moment populiste ». Et avec quelle manière ! Le « NO » massif italien de dimanche soir - 59,7% contre 40,3% pour le « SI » - avec plus de 65% de participation, fait ressurgir les fantômes du « OXI » grec qui avait provoqué une hystérie anti-démocratique. C’est une humiliation pour tous ceux qui portaient le « SI ». Saura-t-on étouffer celui-ci avec la même audace que le référendum grec ? Rien n’est moins sûr.
C’est assurément une victoire pour les opposants à ce référendum, et notamment les opposants eurosceptiques du M5S, dont on avait expliqué la complexité du positionnement politique dans un précédent article. Ceux-ci ont fait la campagne la plus aboutie et ont fourni les gros bataillons du « NO ». Le mouvement est aujourd’hui en tête des intentions de vote avec plus de 33% et se positionne donc clairement pour une prise du pouvoir. Mais il y a d’autres vainqueurs, le mouvement d’extrême-droite qu’est la Ligue du Nord, les berlusconistes, la minorité interne du Parti Démocrate, et notamment Stefano Fassina, ancien vice-ministre des finances qui a fait une campagne très appuyée et qui appelle ouvertement à sortir de l’euro.
On pourrait rétorquer que ce référendum n'avait aucun lien avec l’Union Européenne. C’est néanmoins s’aveugler sur la signification politique du vote de dimanche. Car le vote a déjà fait une victime, le tonitruant Matteo Renzi qui a rendu sa démission (même s'il va demeurer en poste le temps du vote du budget). Ce qu'incarne celui-ci, arrivé avec fracas après avoir écarté Enrico Letta, est très lié à l’Union Européenne.

Ce qu’incarne Matteo Renzi et ce que les italiens ont rejeté
Renzi, c'est l’homme devait « réformer le pays en 100 jours », puis en 1000 jours, pour restaurer la prospérité italienne après 5 années de crise qui ont été dévastatrices. Sa méthode ? Une politique de réforme du marché du travail et de flexibilisation des « rigidités » agressive, couplée à une communication et un positionnement « moderne », « novateur », « anti-élites » et « progressiste ». Renzi, c’est un mélange à la sauce italienne entre Emmanuel Macron et Manuel Valls. Le discours bougiste du premier, l’habileté communicationnelle et l’ambition du second. Renzi, c’est l’homme qui a réussi à avaler une partie du centre droit dans une « union des centres » qui incarne le consensus européiste -malgré des coups de menton de façade.
Problème, les italiens n’ont pas vu les résultats de cette politique qui s’est avérée catastrophique. Le chômage est toujours à plus de 11,5% et l’Italie s’appauvrit structurellement en termes de revenu par habitant depuis son entrée dans l’euro. Pis encore, la dégringolade continue, la croissance italienne a été revue à la baisse pour les prochaines années. A cela, s’ajoutent des inégalités en forte hausse et une crise bancaire chronique qui ne peut qu’empirer avec la dégradation de la conjoncture économique italienne.
Cette réforme constitutionnelle, dont les tenants et les aboutissants ont été analysés par Coralie Delaume ici, devait permettre à Renzi de se libérer les coudes et de pouvoir « réformer » pour enfin trouver les « résultats » de sa politique. C’est donc à la fois, l’homme, ce qu’il symbolise, c’est-à-dire la modernité européiste, et son bilan, qui ont été balayés d’un revers de la main par les italiens. Bien entendu, les arguments rhétoriques de la campagne, et notamment la peur de la dérive autoritaire par le renforcement du pouvoir exécutif en cas de passage de la réforme, ont influé sur le résultat, mais ils ne remettent absolument pas en cause ce qui s’est joué sur le fond. Matteo Renzi incarnait à sa façon, la dernière carte du « système », rafraîchi et rajeuni. A travers l’homme, c’est tout ce qu’il représente qui a subi hier soir un cinglant désaveu. Sa défaite fait peser un certain nombre de risques sur le futur de l’économie italienne.
La menace d’une faillite bancaire
On sait le bilan des banques italiennes plombé par plus de 360 milliards de créances pourries (près de 20% du PIB italien !). Ce montant provient à la fois des suites de la crise financière, mais aussi de la paralysie continue de l’économie de la péninsule pendant les cinq dernières années. Cela impose un besoin de recapitalisation qui est bloqué par l’Union bancaire, mécanisme selon lequel il faut d’abord recourir à un bail-in, c’est-à-dire au fait de faire payer les actionnaires avant de recourir à un bail-out, soit une aide de l’État. Le problème réside dans le fait que nombre de ces banques sont possédées par de petits actionnaires. Le bail-in aurait donc un coût social très élevé, qu’aucun gouvernement italien ne peut se permettre à cette heure. C’est pourquoi la situation est aujourd’hui bloquée, malgré des petites recapitalisations privées (la dernière en date ayant eu lieu à l’été 2016).
La recapitalisation en cours est aujourd’hui menacée par l’instabilité politique. Ce « NO », à travers l’instabilité politique qu’il induit, a donc pour effet d’amplifier le risque d’échec du sauvetage bancaire en cours.
Problème : avec la politique annoncée par Donald Trump au États-Unis, un vaste mouvement de remontée des taux s’est enclenché, y compris en Europe. La zone euro, du fait de son intégration financière avec la zone dollar, suit ce mouvement. Cette remontée des taux fait peser un gros risque sur l’État et le secteur bancaire italien. En effet, l’inflation italienne est une des plus basse du continent. Cela conduira donc à un accroissement de la charge de la dette des particuliers, de l’État -même si la BCE atténue ce risque-, et des entreprises, multipliant le nombre de défauts potentiels et de créances pourries. On le voit, la situation est vouée à empirer.
Le seul « avantage » de l’Italie, est que les banques françaises et allemandes sont exposées à une faillite bancaire en cascade. Le cas de la Deutsche Bank est particulièrement inquiétant, d’autant plus qu’elle est profondément engagée sur les marchés de dérivés, dont on ne connaît ni le montant, ni la composition exacte. Il y a donc une incertitude forte sur ce qui pourrait se passer. Mais voilà, il serait très difficile de faire accepter un plan de recapitalisation bancaire des banques italiennes, faisant voler en éclat l’Union Bancaire, à une Angela Merkel qui va entrer en campagne et a promis l’arrêt des aides aux pays périphériques à ses électeurs. On est là face à des contradictions potentiellement explosives.
Dans ce contexte d’incertitude forte, on risque donc de voir s’opérer un retrait des investisseurs d’Italie et un gel des embauches, plombant un peu plus une conjoncture morose. A cette situation délétère, s’ajoute un risque politique substantiel.

Le M5S en embuscade
Le référendum de dimanche a permis au M5S de faire oublier ses errements dans la gestion de Rome, où l’embauche d’un chef de cabinet à 200 000 euros par an par Virginia Raggi a fait scandale. Ce qui n’a toutefois pas handicapé la progression du mouvement, qui a le vent dans le dos. En effet, l’opinion publique italienne est de plus en plus eurosceptique. Les italiens se sentent particulièrement lâché dans la gestion de la crise migratoire. Il ne faut pas oublier que depuis l’accord UE-Turquie, les arrivées ont explosé en Italie, ce qui, dans un contexte d’appauvrissement du Sud, fait peser un risque de crise humanitaire. La situation est clairement devenue explosive de ce point de vue.
Le M5S joue sur cet aspect, mais aussi sur la crise de la zone euro et de l’UE. Malgré un revirement en juillet sur la question de l’UE (que le mouvement n’entend plus quitter mais améliorer de l’intérieur), on peut se demander s’il ne s’agit pas d’une stratégie laissant planer l’incertitude sur ses intentions. A la différence d’Alexis Tsipras en Grèce, les dirigeants du M5S ne sont pas des europhiles, ce sont avant tout des opportunistes, qui n’ont pas de rapport fétiche à l’euro. En effet, il est très difficile d’arriver au pouvoir avec un programme de sortie de l’euro sans déclencher une panique bancaire. Alimenter l’incertitude pourrait, de ce point de vue, être particulièrement utile pour prendre de surprise les marchés.
Mais voilà, avec l’échec de la réforme constitutionnelle, le M5S a vu ses chances d’accéder au pouvoir réduites. Comme l’explique très bien Romaric Godin, le passage de cette réforme était la condition qui aurait permis au M5S de gouverner car le parti n’est pas en mesure d’être majoritaire au Sénat - qui dispose en Italie des mêmes prérogatives que la Chambre - à moins de s’allier avec les néo-fascistes de Fratelli d’Italia et la Ligue du Nord, ce qui semble plus qu'improbable.
On se dirige donc tout droit vers une situations de blocage politique, avec un M5S très fort qui pourrait bénéficier d’élections anticipées pour devenir majoritaire à la Chambre. En attendant, le plus probable est qu’on ait un gouvernement technique chargé de produire une loi électorale, qui, selon les conditions de sa rédaction, conditionnera une arrivée au pouvoir potentielle du M5S - mais il est fort probable que ce gouvernement technique impose des garde-fous pour éviter cette situation.
La situation italienne est inextricable. Dimanche, nous avons assisté à une secousse de grande ampleur qui vient enfoncer un clou dans le cercueil de l’euro. Reste, qu’une sortie de l’euro de l’Italie, si elle semble inéluctable, ne se produira probablement pas à court terme, à moins qu’une faillite bancaire généralisée ne vienne provoquer l’explosion des contradictions économiques et politiques de la zone euro.

Le problème italien ne pourra pas être ajourné indéfiniment. Le « moment populiste » que nous vivons vient mettre un coup dans la fourmilière européenne, qui, chaque année, voit se multiplier les crises sans jamais sembler en mesure de les dépasser. Il souffle un vent puissant en Europe. Après, Cameron, Hollande, Sarkozy, Juppé et maintenant Renzi, ces six derniers mois, les peuples ont montré qu’ils avaient visiblement envie de couper des têtes. 2017 s’annonce être un grand cru. Angela Merkel ferait bien de s’inquiéter.

Texte initialement publier sur Le vent se lève


mercredi 26 août 2015

Euro : que dit « l'autre gauche » ?







Il n'a échappé à personne que sur la question de l'Union européenne - et singulièrement sur celle de l'euro - une « autre gauche » est en train de pointer le museau un peu partout en Europe. Il s'agit souvent, d'ailleurs, d'une ancienne gauche, mais qui fait sa rentrée avec un discours rénové. Il faut dire que le « moment grec » est en train de faire sensiblement bouger les lignes, ainsi que le prédisait avec justesse David Desgouilles dès le mois de juillet. 

Parmi les récents mouvements sur le sujet on peu notamment citer : 

- La tribune de Stefano Fassina, ancien membre du Parti démocrate (PD) italien, ancien vice-ministre dans le gouvernement Letta et provenant donc d'une gauche très modérée. Dans cette tribune consultable sur le blog de Yanis Varoufakis, Fassina constate que « l’euro était une erreur de perspective politique » et que « les corrections nécessaires pour rendre l’euro durable semblent être impossibles pour des raisons culturelles, historiques et politiques ». Il ajoute fort lucidement que « les principes démocratiques s’appliquent à l’intérieur de la seule dimension politique pertinente : l’état-nation ». Et il plaide pour une « désintégration gérée de la monnaie unique », pas moins. 

- Les récentes déclarations de Sahra Wagenknecht, vice-présidente de Die Linke en allemagne. On peut notamment lire ici que pour elle « l’euro ne fonctionne tout simplement pas, il produit au contraire des déséquilibres de plus en plus grands, ce qui apparaît de manière dramatique en Grèce ». Ce n'est pas la première fois qu'on évoque le problème à Die Linke. Oskar Lafontaine l'avait déjà fait en avril 2013. Disons que c'est la première fois qu'on en re-parle. Et cette fois, c'est à l'unisson de ce qu'on entend dans toute la « gauche européenne non-asthénique ».

- La naissance, bien sûr, d'Unité populaire, une scission de Syriza, en Grèce. Son leader, Paganiotis Lafazanis, assume clairement l'idée d'un Grexit. « Le pays ne tolère pas d’autres mesures d’austérité. S’il le faut nous allons procéder à la sortie de la zone euro, ce qui n’est pas un désastre. D’autres pays en Europe sont hors de la zone euro, il ne faut pas avoir peur ou diaboliser ».  Alexis Tsipras n'a bien sûr jamais rien dit de tel. D'ailleurs,Yanis Varoufakis non plus. Ainsi qu'il le redit ici, le « plan B » qu'il avait élaboré en tant que ministre des Finances n'avait pas cet objectif.

Quid de la France ? 

En France comme ailleurs, on tâtonne et on réfléchit. Parmi les bonnes résolutions de rentrée on peut noter celles de Montebourg et celles de Mélenchon. Mais les discours semblent à ce stade assez différents. Tous deux peuvent avoir des mots très durs à l'endroit du fonctionnement de l'eurozone. Mais ils n'en déduisent pas forcément les mêmes choses. Seul l'un, Mélenchon, a clairement évoqué à ce jour l'idée d'un démontage de l'euro. Mais seul Montebourg a formulé, dimanche à Frangy, ce que l'on appelle des « propositions concrètes ». 

De ces « propositions concrètes », on peut dire qu'elles visent essentiellement à « démocratiser la zone euro ».  Pour Montebourg, il s'agit certes de créer le fameux « gouvernement économique » dont tout le monde parle, mais aussi de le faire qui contrôler par un « Parlement de la zone euro ». Ce Parlement nommerait et contrôlerait également le Président de l'eurogroupe. La Banque centrale européenne verrait enfin son mandat évoluer, afin de n'être plus uniquement focalisée sur la lutte contre la seule inflation, mais de s'occuper également de la croissance et du chômage. 

De Mélenchon, on retient surtout cette phrase : « s’il faut choisir entre l’indépendance de la France et l’euro, je choisis l’indépendance. S’il faut choisir entre l’euro et la souveraineté nationale, je choisis la souveraineté nationale ». Des modalités concrètes qu'il prévoit pour mener à bien une éventuelle sortie, on ne sait pour l'heure pas grand chose. En début de semaine, il a toutefois repris sur son blog un article d'Oskar Lafontaire (coucou, le revoilou !) initialement paru dans le journal allemand Die Welt et prônant un retour au au SME. « La gauche doit décider si elle continue de défendre le maintien de l’euro malgré le développement social catastrophique, ou si elle s’engage pour une transformation progressive vers un système monétaire européen flexible. Je plaide quant à moi pour un retour à un Système monétaire européen, prenant en compte les expériences qui ont été faites avec ce système monétaire et améliorant sa construction dans l’intérêt de tous les pays participants (…). En dépit de tensions inévitables, il permettait sans cesse des compromis qui servaient à rétablir l’équilibre entre les différents développements économiques ». En postant ce texte, Mélenchon fait-il sienne la proposition ? On ne sait pas vraiment. Après tout, Varoufakis héberge bien le texte de Fassina sur son site sans y adhérer pleinement. En tout état de cause, l'idée est sur la table. 

Les deux discours s'équivalent-ils ? Certains militants de longue date du démontage de l'euro, sans doute pressés d'en finir, affirment que c'est le cas. Ils prétendent que l'on n'a, dans un cas comme dans l'autre, que des demi-mesures et de la frilosité.  

C'est tout à fait faux. Les deux modus operandi décrits ci-dessus sont assez radicalement différents.   Bien sûr, dans aucun des deux cas on ne rompt avec les autres pays de la zone euro. Toutefois :
- dans un cas, celui de la « démocratisation de la zone euro », on s'achemine vers davantage d'intégration. En effet, dès lors qu'on envisage de doter l'eurozone d'un gouvernement contrôlé par un Parlement, c'est qu'on souhaite aller plus loin dans la transformation de l'Union européenne en quasi-Etat.
- dans l'autre cas, celui de la mise en place d'un nouvel SME, on fait précisément le chemin inverse. Ce n'est certes pas une rupture à la hussarde (pourquoi d'ailleurs fraudait-il nécessairement du fracas ?) mais c'est bien un processus de dés-intégration. Puisqu'il induit un rétablissement des monnaies nationales, le retour au SME s'accompagne d'un regain de souveraineté pour chaque pays membre. La coordination, ensuite, des politiques monétaires nationales au sein du système monétaire relève de la coopération librement consentie entre pays voisins. Elle permet au passage de minorer les risques de dumping monétaire. 

Bref, dans un cas on demeure sur la voie fédérale. On l'approfondit même. Dans l'autre cas, on est au contraire sur celle de la coopération intergouvernementale entre pays souverains.  Ça n'a donc pas grand chose à voir, et il va de soi qu'ici, on a déjà choisi !