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jeudi 30 avril 2015

Après le « Grexit » et le « Grexident », voici venir le « Grimbo »....






Chouette : le champ lexical du désastre européen vient de s'enrichir d'un nouveau mot ! Une pierre dans le jardin des déclinistes, qui ne pourront plus dire que la langue s’appauvrit.  Quant aux amoureux des lettres classiques, qu'ils soient rassurés : la Grèce demeure l'inspiratrice des inventeurs de concepts. 

On connaissait le « Grexident », une formule belle comme l'antique que l'on doit à l'imaginatif ministre des Finances allemand Wolfgang Schäuble. Au mois de mars, ce dernier considérait en effet qu'en cas d'échec des négociations entre la Grèce et ses « partenaires », on ne pourrait exclure longtemps un « Grexident », c'est à dire une sortie d'Athènes de la monnaie unique par accident. Ceci, force est d'en convenir, est bien plus diplomatiquement correct que « Grexpulsion ». 

Bien sûr, on connaît également le Grexit, qui signifie simplement « sortie de la Grèce de l'euro », sans plus de précision. Ce qui rend infini le champ des possibles : sortie par mégarde, par erreur, par inadvertance, sur un malentendu, pour aller prendre l'air, pour faire une  blague trop rigolote, etc. L'avenir, de toute façon, livrera bientôt son verdict. 

Mais comme il prend tout son temps pour éclore, l'avenir, certains ont décidé de faire dans l'inventivité, afin de patienter en s'amusant. 

C'est ainsi qu'un économiste de Citigroup, Ebrahim Rahbari, à l'origine, déjà, de la contraction « Grexit », vient d'inventer le « Grimbo ». Il s'agit d'une contraction de « Grèce » et de « limbo ». Elle signifie qu'aucune solution ne serait trouvée prochainement, ni aucune option radicale décidée. Du coup, Athènes resterait « dans les limbes » pour un bon moment encore. 

Rahbari détermine ainsi plusieurs « scénarios gris » possibles, dont on peut trouver le détail sur Zero Hedge : 

1/ Un nouvel accord est trouvé, mais seulement après mise en œuvre d'un contrôle des capitaux ou après un défaut partiel. Cela se produirait après un choc du type suivant : décision de la BCE de limiter l'accès des banques grecques à la liquidité d'urgence (ELA), qui est désormais la seule manière pour ces banques de se refinancer, décision de Tsipras de convoquer un référendum ou, enfin, incapacité d'Athènes à honorer l'une de ses échéances.

2/ Incapacité des deux partis à aboutir à un accord. La Grèce est alors contrainte de faire partiellement défaut. Un contrôle des capitaux est instauré mais on ne se résout pas encore au Grexit. 

3/ Pas d'accord entre Athènes est ses créanciers. La Grèce se trouve à court de liquidités et se voit contrainte de mettre en circulation des IOU (I owe you), autrement dit une véritable double monnaie, à usage strictement interne et qui lui servirait à payer se fonctionnaires. Un scénario déjà évoqué ici, et qui ne suppose pas lui non plus - en tout cas pas immédiatement – une sortie de l'eurozone. 

Au bout du compte, le Grimbo se décline en plusieurs « non-solutions » provisoires, chacune permettant de faire traîner les choses indéfiniment, et pouvant aboutir aussi bien à un Grexit qu'à.... un « Grexin », si un accord est finalement trouvé sur le plus long terme (donc si les poules se mettent à avoir des dents).  

Il paraît que chacun peut ainsi jouer à enrichir le vocabulaire. Ici par exemple, un lecteur du Financial Times, probablement né bien avant l'avènement de Najat Vallaud-Belkacem, propose « Grexodus », au motif que « le mot exit est d'origine latine, alors que le mot exode est d'origine grecque ». 

En attendant, l'opinion hellène se prépare lentement mais sûrement. Comme expliqué , une étude d'opinion montre que près de 69 % des Grecs interrogés pensent désormais possible une sortie de la monnaie unique et que 20 % la souhaitent. Ils étaient moins de 10% avant les élections de janvier, et n'étaient encore que 16 % il y a une dizaine de jours.... 


Pour finir et même si ça n'a strictement rien à voir, voici une photo de François Grexamen.  




lundi 20 avril 2015

«Un défaut partiel de la Grèce est possible» - entretien avec Thanos Contargyris





Thanos Contargyris est économiste et vit à Athènes. Sans être adhérent à Syriza, il est proche de ce parti. Il est membre fondateur d'Attac Grèce. Il a accepté de répondre à quelques questions de L'arène nue. 

***

Alors que les négociations avec l'Union européenne ne semblent aboutir sur rien de décisif, Alexis Tsipras et son gouvernement sont toujours très populaires en Grèce. Comment expliquez-vous une telle confiance, y compris chez les gens qui n'ont pas voté pour Syriza ?

Les négociations semblent effectivement ne pas aboutir. Rien de concret ne filtre quant aux mesures précises sur lesquelles un accord est impossible. Il semble que d'un côté on nomme « réformes » de nouvelles mesures d'austérité et que, de l'autre, on emploie le même mot pour désigner des mesures contre la corruption, la bureaucratie, la fraude et une réforme fiscale. 

Ce qui ressort est que la négociation est dure. C'est ce qui vaut au gouvernement actuel un fort soutien, au delà de son électorat : c'est la première fois qu'on voit un gouvernement grec faire des contre-propositions aux mesures décidées par les créanciers. Les Grecs ont l'impression d'avoir retrouvé leur honneur en voyant que leur gouvernement résiste à de fortes pressions. 

Ce qui explique ce soutien c'est aussi le fait que le gouvernement semble tenir ses promesses sur des dossiers qui font consensus, et donnent une bouffée d'oxygène à la population éprouvée par la crise : lutte contre la pauvreté, protection de l'habitation principale contre des saisies par les banques, étalement des règlements de retard de paiement sur des charges sociales ou des impôts, etc.

Enfin le fait que le gouvernement comprenne des personnalités compétentes comme Varoufakis ou Kotzias (le ministre des affaires étrangères) qui proviennent de plusieurs familles politiques (des socialistes, des écologistes, des personnalités du parti de droite ANEL) et non seulement du Syriza, permet à des électeurs d'autres partis de se reconnaître dans ce gouvernement.

Certains commentateurs semblent espérer secrètement une scission de Syriza, son aile gauche anti-euro quittant le parti, et Tsipras s'alliant, au centre, avec To Potami et le nouveau parti créé par Papandréou. Cela vous semble-t-il possible ? 

Pour conserver sa crédibilité, Tsipras doit obtenir un compromis honorable et donc difficile avec l'Union européenne. To Potami parle aussi de « compromis honorable », mais considère qu'il faut accepter tout ce qui est demandé par les créanciers. Son soutien ne serait pas un gage que le compromis trouvé est « honorable ». ! 

Le cas de Papandréou est différent; il semble soutenir l'effort du gouvernement de trouver un compromis honorable qui soit autre chose qu'une capitulation. Mais il n'a pas de députés pour pouvoir remplacer les éventuelles défections qu'une alliance avec lui pourrait provoquer sur l'aile gauche de Syriza.

Donc tant que les négociations se poursuivent et que l'esquisse d'un « accord honorable » n'est pas connue, tout changement d'alliance est exclu. Ce n'est qu'après, si l'aile gauche se montre trop intransigeante et qu'il apparaît que sa position est excessive, qu'un changement d'alliance est possible. Si l'accord offert semble une réplique de celui qu'aurait signé le gouvernement précédent, sans concession visible, aucun changement d'alliance n'est envisageable...

Alexis Tsipras a rencontré Poutine en Russie, Yanis Varoufakis a rencontré Obama aux États-Unis. Le gouvernement cherche-t-il a faire pression sur l'Europe via des alliés alternatifs ? Quelle vous semble être sa stratégie sur le plan des relations internationales ? 

Le gouvernement grec n'ayant pas trouvé d'alliés au sein de l'UE sur lesquels s'appuyer, il est naturel qu'il essaie de faire pression en cultivant de bonnes relations avec d'autres pays qui comptent, comme les États-unis, la Russie, mais aussi la Chine. C'est ce qui explique son revirement sur la privatisation du port du Pirée, qui n'est finalement pas remise en cause. Ceci a été un signal fort, bien reçu en Chine.

La Grèce est à bout de liquidités. Un défaut partiel sur la dette est-il pour bientôt

Oui un défaut partiel est possible, si la ligne dure persiste du côté européen au delà de la fin de ce mois. Néanmoins vu les montants en jeu en mai (1) il est difficile d'imaginer qu'aucune solution ne soit trouvée. Elle pourrait d'ailleurs être trouvée sans l'UE. Par exemple, par l'introduction d'une monnaie interne (IOU – I owe you), permettant de diminuer les montant globaux dus en euros, et de procéder à certains paiements internes (salaires, pensions, fournisseurs). Les euros ainsi dégagés pourraient alors permettre de faire face aux échéances externes.

Qu'en est-il d'une éventuelle sortie de l'euro ? Yanis Varoufakis a assuré n'y être pas du tout prêt. Par ailleurs, les sondages montrent que la population est très attachée à la monnaie unique. Est-ce toujours le cas ou cela a-t-il évolué ? 

Nul ne peut envisager une sortie désordonnée de l'euro qui serait provoquée par un défaut de paiement portant sur un ou deux milliards d'euros. Ses conséquences seraient trop désastreuses par rapport au fait qui l'aurait généré. Donc elle n'est évoquée, ces jours-ci, que comme un moyen de pression. C'est une arme de dissuasion dans les négociations en cours. 

En revanche, une sortie de l'euro programmée, négociée et provisoire après l'actuelle période de négociations (qui se termine en juin) (2) , est une hypothèse qui ne peut être complètement écartée si aucun refinancement et aucune restructuration de la dette grecque (promise par les partenaires européens à la Grèce et au FMI en Décembre 2012) ne s'avère possible tout en restant dans l'eurozone.

(1)  En mai, la Grèce doit trouver environ 800 millions pour rembourser le FMI, environ 400 millions pour les intérêts de sa dette, et environ 2,5 milliards pour des bons du Trésor arrivant à échéance. 
(2)  Le 30 juin prend fin le second plan d'aide à la Grèce, d'un montant de 130 milliards, qui court depuis mars 2012. Et après ?....


jeudi 16 avril 2015

La Grèce va-t-elle faire défaut le 24 avril ?




La Grèce va-t-elle finir par faire défaut ? C'est bien possible. Car le silence coupable de la France sur ce dossier et l'interlude marqué à l'occasion des fêtes de Pâques n'empêchent pas les choses de suivre leur cours et d'aller tranquillement.... dans le mur. 

Prochaine étape : l'Eurogroupe qui doit se tenir le 24 avril à Riga. Évidemment, les « partenaires » de la Grèce vont l'y sommer une fois de plus de franchir ce que son gouvernement considère comme des « lignes rouges » : baisse des retraites et nouvelles encoches dans le droit du travail essentiellement. Tsipras ne semble pas prêt à céder là-dessus. Et l'Allemagne ne paraît pas disposée à lui faire quelque cadeau sur le sujet. Du coup, la situation pourrait demeurer bloquée. Le très souple et très conciliant ministre allemand des Finances Wolfgang Schauble a d'ailleurs eu ces mots récents : « personne ne dispose du moindre indice laissant espérer que nous parviendrons à un accord sur un programme ambitieux ». Bref, la Grèce ne semble pas prête de recevoir la tranche d'aide de 7 milliards d'euros qu'elle espère...

En attendant : 

- Après la visite très commentée de Tsipras à Moscou, c'est au tour de Yanis Varoufakis de se rendre aux États-Unis. Il se dit qu'il y rencontrerait Barack Obama. Dans l'espoir que celui-ci mette un coup de pression amicale à son allié allemand ? On sait le Président américain est attentif à l'évolution de la situation depuis le début. « On ne peut pas continuer à pressurer des pays qui sont en pleine dépression » avait-il affirmé dès le début du mois de février, faisant allusion à la Grèce. 

- Hier, Standard and Poor's a dégradé la Grèce. La note de sa dette a été abaissée d'un cran,  à CCC+ assortie d'une perspective négative.

- L'idée de mettre en circulation une « double monnaie » (voir explications ici) pour payer les traitements des fonctionnaires et les retraites, est de plus en plus souvent évoquée, que ce soit dans la presse grecque ou dans la presse britannique. 

- Celle qu'un défaut partiel de la Grèce pourrait intervenir immédiatement après l'échec - prévisible - des négociations de Riga, fait elle aussi son chemin, tant le pays commence à être à sec. Ce défaut, d'ailleurs, n’entraînerait pas forcément une expulsion de la zone euro. Et pour cause : rien, dans les traités, ne rend cette exclusion possible. Les créanciers du pays - essentiellement des acteurs publics depuis que l'UE, en 2010, a généreusement aidé les banques françaises et allemandes à se dégager du bourbier et que le risque a été transféré vers les États-membres, le MES et la BCE - en seraient alors pour leurs frais. Et une crise politique majeure s'ouvrirait en Europe. 

Bref, le calendrier est chargé. On attendant les prochaines péripéties, je mets à disposition ci-dessous la traduction d'un article de l'excellent Paul Mason, qui suit tout cela attentivement sur son blog de Channel 4. 

Dans cet article, le journaliste anglais développe deux idées particulièrement intéressantes : celle d'un éventuel défaut, donc. Mais aussi celle d'une possible scission de Syriza et d'un recentrage de Tsipras, qui s'allierait alors avec To Potami et le nouveau parti fondé par Papandréou sur les ruines du PASOK. Évidemment, ce ne sont-là qu'hypothèses et supputations. Mais c'est dense et informé ! 

***


Ce texte est la traduction d'un article initialement paru ici

J'ai reçu un mail cette semaine, où on me prédit que la Grèce va faire face à une « rapture » (à un enlèvement, en fait. C'est un jeu de mots en anglais) avec la BCE dès le 24 Avril. En fait, mon informateur voulait dire «rupture», mais plus nous approchons de l'événement, plus je pense que le mot « rapture » décrit mieux ce qui peut désormais se produire. 

Si le gouvernement de gauche radicale se retrouve effectivement dans une impasse avec ses créanciers à la fin du mois et que cela conduit à un défaut puis à une éjection éventuelle de la zone euro, alors la « rapture » telle que prévue par les fondamentalistes chrétiens - une journée apocalyptique durant laquelle la moitié du genre humain est brutalement propulsée vers les cieux - pourrait être une métaphore appropriée. 

Pour une partie de Syriza, cela apparaîtrait comme une validation. Pour les autres, comme une damnation. Pour le peuple grec, dont 80 % veut rester dans l'euro à tout prix, cela pourrait ressembler à quelque chose comme la fin du monde tel qu'ils le connaissent.

Mais après trois semaines d'intenses négociations, le 24 avril commence à ressembler à une date limite. Nikos Theocharakis, responsable de la politique fiscale au ministère des Finances grec, aurait dit aux négociateurs de l'Eurogroupe que la Grèce se trouverait à court de liquidités après cette date. 

Commençons par examiner les chiffres. La Grèce ne peut pas emprunter beaucoup d'argent sur les marchés, parce que sa dette de 320 M€ est considérée - à juste titre, je pense – comme insoutenable. Aucune politique d'austérité supportable par la société grecque ne suffirait à rembourser cette dette.

Donc, la Grèce essaie actuellement de survivre en dégageant un léger excédent budgétaire. Chaque année, le gouvernement tente d'être en excédent à hauteur de 1,5 % du PIB en dépensant moins qu'il ne perçoit en taxes. 

Le principal problème est que ce résultat a été obtenu juste avant les élections. Or les chiffres affiché par le gouvernement conservateur précédent se sont avérés être inexacts. 

Problème numéro deux : avec la fuite des capitaux générée par la fermeture de l'accès aux liquidités décidée par la BCE, l'activité économique est à l'arrêt, et le commerce extérieur s'effondre. Les recettes fiscales ont baissé en janvier-février, et bien qu'elles semblent être remontées en mars, cela tient principalement à un compromis : paiement rapide de traites sur les arriérés d'impôts et instauration d'une taxe forfaitaire par les banques. Mais semaine après semaine, l’État grec doit faire face au paiement des salaires et des pensions à partir d'un minuscule excédent de trésorerie. Il est contraint de faire main basse sur les réserves de trésorerie de divers organismes publics afin de se maintenir à flots.

Problème numéro trois : même s'il dégage un petit excédent chaque mois, l’État grec doit « faire rouler » près de 15 milliards de dette cette année, en grande partie sous la forme de bons à court terme que les banques du pays devraient en principe acheter. Mais leur capacité à le faire est plafonnée par la BCE . 

Un terrain d'entente ?

Depuis le début, le temps a travaille en faveur des créanciers de la Grèce et des adversaires de Syriza. 

Lorsque la BCE, en février, a fermé à la Grèce l'accès aux liquidités normales et plafonné celui aux liquidités d'urgence, il était évident que cela allait accélérer le bank run amorcé durant le dernier mois de règne du gouvernement précédent. Cela a en partie - mais en partie seulement - contraint le ministre des Finances Yanis Varoufakis à une reculade à l'occasion de l'Eurogroupe du 20 février. 

Depuis lors, le principal objectif de Varoufakis est d'essayer de prouver qu'il existe une version de gauche et anti-austéritaire des « réformes structurelles » qui soit acceptable par les créanciers, et les convaincrait d'accorder les 7 Mds d'aide qu'ils bloquent actuellement. Mais même un déblocage de cette aide ne constituerait qu'une prémisse à d'autres négociations, portant  sur la manière dont pourrait être rééchelonnée une dette de 320 milliards. La dernière mouture des propositions grecques - un document de 26 pages en anglais - a été considérée comme passible d'un tel accord. Mais la question va bien au-delà de la crédibilité budgétaire d'Athènes. 

La majorité pro-euro au sein de Syriza a, semble-t-il, mal calculé la force de l'opposition à laquelle elle serait confrontée au sein de la zone euro. Certes, elle a l'appui des États-Unis. Et la France et l'Italie émettent de petits gazouillis sympathiques. Mais tout cela est contrebalancé par une coalition de pays pro-austérité rangés derrière l'Allemagne, qui bloquent toute tentative de la Commission européenne de négocier un compromis. Dès lors, chaque fois qu'un accord semble se dessiner, l'Allemagne et un groupe d'alliés qui lui sont proches depuis la seconde guerre mondiale, bloquent toute avancée, que ce soit au sein de la BCE ou de l'Eurogroupe.

Impasse

La profondeur de l'attachement de Syriza à l'euro a été démontrée lorsque l'économiste-gourou du parti, Euclid Tsakalotos, s'est adressé aux députés à Westminster le mois dernier. Face aux encouragements à quitter l'euro venus de députés travaillistes de l'aile gauche, Tsakalotos est revenu sur les expériences tentées par les gauches britannique et française dans les années 1980, soldées par ce qu'il appelle « l'impasse » de solutions économiques nationales. 

Ainsi, la direction de Syriza est marié à la zone euro, mais la zone euro est actuellement formatée pour écraser Syriza. Avec le ralentissement de la croissance et des recettes fiscales artificiellement soutenues par des taxes exceptionnelles, cela ne peut durer éternellement.

Les grandes entreprises, en Grèce, sont loin d'être aussi hostiles à Syriza qu'on pourrait le penser. Beaucoup d'hommes d'affaire voient ce parti aux « mains propres » comme le seul capable de s'attaquer au népotisme et à la corruption qui ont ruiné l'économie grecque pendant des décennies. Ajouté à cela, il y existe une frange de conservateurs grecs réunis autour de la dynastie Karamanlis qui serait, m'a assuré un ex-député proche d'eux, « prête à aider » Syriza.

Si vous ajoutez à cela le petit parti de centre-gauche Potami  et le nouveau parti formé par l'ancien Premier ministre George Papandreou, il y existe incontestablement une base pour un « gouvernement de centre-gauche » dirigé par Syriza, qui agirait comme un « gouvernement d'unité nationale », appliquerait un programme essentiellement dictée par Berlin, mais avec certains aménagements pour apaiser les membres et les électeurs de Syriza. 

Ceci, en tout cas, constitue la nouvelle stratégie des milieux d'affaires vaguement de centre gauche - et leur souhait de la voir mettre en œuvre a été aiguisé par le fait que Syriza semble poussé vers une collaboration économique avec la Russie, l'Iran, l'Azerbaïdjan et la Chine.

Encourager une scission 

Mais la gauche de Syriza est forte. La Plateforme de gauche, dirigée par le ministre de l'énergie Lafazanis, est fortement anti-euro et se sent légitimée par les événements. Elle se compose essentiellement d'anciens du communisme traditionnel et constitue l'extrême-gauche à l'intérieur de Syriza. Mais elle a été rejointe lors du dernier vote interne au parti par une franche plus moderniste et par les tenants d'une gauche plus « horizontale », jusqu'à atteindre 41% des voix contre l'accord conclu par Varoufakis le 20 février.

Il existe donc une pression croissante, exercée de l'intérieur et de l'extérieur du parti, qui pousse vers une scission au sein Syriza et un départ de la Plateforme de gauche du groupe parlementaire. Tsipras serait alors contraint de s'appuyer sur de le centre-gauche et sur les conservateurs de l'aile Karamanlis au sein du Parlement grec. Toutefois, il y existe une troisième force que les éditorialistes des journaux financiers ont tendance à oublier cependant qu'ils contemplent une Grèce ballottée entre Berlin et Moscou : le peuple grec lui-même.

Jusqu'à présent, il a été très calme. Les « mouvements sociaux » - les syndicats, les groupes anti-fascistes, les banques alimentaires, les assemblées locales et autres - étaient, ainsi qu'un vieux militant me l'a expliqué, « épuisés » au moment où Syriza est arrivée au pouvoir. Ensuite, ils ont été comme fascinés par l'apparition soudaine d'une nouvelle pratique de la politique au sein du Parlement : la mise au jour de plus de 100 cas de corruption, la mise en place d'un comité chargé d'apprécier la légalité du plan de sauvetage de 2011, la disparition soudaine des gaz lacrymogènes de la panoplie de la police anti-émeutes, la libération progressive de migrants qui étaient retenus dans des camps de l'armée.

Frustration croissante

Les personnes auxquelles j'ai parlé ce mois-ci évoquent une frustration croissante des militants et sympathisants de Syriza face au le drame feutré qui se joue à Bruxelles. Pendant ce temps-là, dans les différents ministères, les dirigeants de Syriza ont encore du mal à asseoir leur autorité et même obtenir des informations précises. 

Dans ces moments historiques, le choses se cristallisent parfois sur des individus. Varoufakis – orienté US, formés à l'ouest et même pas membre de Syriza - sera, comme son bras-droit me l'a dit en février, le « dernier à quitter l'euro ». Si arrive le moment où il doit passer de la conciliation à la simple survie, vous pouvez être sûrs que tous les moyens auront été épuisés. Cependant, ainsi qu'il me l'a dit juste avant les élections, il considère qu'un euro non réformé ne peut que s'effondrer dans les deux ans.

Publiquement, vis-à-vis de la zone euro, Varoufakis a adopté le ton non seulement de la conciliation, mais aussi de la reconstruction. En privé toutefois, ses conseillers - ce sont pourtant quelques-unes des personnes les plus centristes dans l'entourage de Syriza – se disent choqués par le niveau d'hostilité auquel ils se sont trouvés confrontés au sein de la zone euro. 

Cette aile de Syriza, qui est essentiellement social-démocrate, était pourtant très fortement attachée à l'euro. Du coup, leur foi dans l'euro est ébranlée. Et le danger, pour la zone euro est évidemment qu'une telle évolution des mentalités puisse gagner le peuple entier si la preuve est administrée qu'on ne peut rien faire à l'intérieur de l'euro. 

Poussé au bord du précipice - soit par l'échec d'un placement de dette à court terme soit par une simple pénurie recettes - Varoufakis n'aura aucun mal à justifier la mise en place d'un contrôle des capitaux, d'une fiscalité d'urgence sur les grandes entreprises, et l'inauguration d'une double monnaie.

Une économie dans la tourmente

À ce stade, il ne tient qu'à la zone euro de réagir. Mais si elle fait monter les enchères, il reste des armes puissantes dans l'arsenal de la Grèce : les 80 milliards qu'elle doit la zone euro via le système Target 2 qui, comme le souligne Ambrose Evans-Pritchard, ne sont pas protégés. Ensuite, les sommes qu'elle doit la BCE.

La Grèce tenterait, au début, de faire défaut sur sa dette sans avoir à quitter la zone euro. Mais le défaut plongerait l'Europe dans le chaos, politiquement et économiquement. La zone euro, déjà semi-stagnante, ferait face à une période de 12 à 18 mois  d'arrêt complet de son économie jusqu'à ce que son système bancaire ait absorbé le défaut grec. 

Ainsi, au cours des deux prochaines semaines il y a un risque accru de « Grexident » - de défaut partiel causé non par calcul de la part de Syriza, mais par une mauvaise estimation, par la BCE du débit du filet d'oxygène financière indispensable aux banques grecques pour survivre, ou par une semaine de recettes trop faibles. 

Les Grecs, ce week-end, ont afflué vers leurs églises pour célébrer la Pâques orthodoxe. Alexis Tsipras, dont la côte de popularité est toujours de 71 %, a saisi l'occasion pour parler de renaissance et de renouveau. Certains, en réponse à l'exclamation traditionnelle « le Christ est ressuscité », ont alors plaisanté : « Envoyez-le à Bruxelles pour négocier ! ». 

Après la pause pour les fêtes de Pâques, pourtant, les négociations s'approchent d'un moment critique. Si la Grèce est contrainte à un défaut accidentel, le dommage causé au projet de l'euro et à l'image de l'UE sera profond. Surprise à contribuer à la faillite des banques qu'elle est censée superviser, suspecte de travailler à briser une union monétaire supposée être sa raison d'être, la BCE verrait sa réputation ternie pour une décennie.