Traduire / Translate

Affichage des articles dont le libellé est discrimination positive. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est discrimination positive. Afficher tous les articles

mardi 4 septembre 2012

Si tu avances et tu cumules....

 
 
 
 

Gérard Collomb ne se sent « pas concerné » par le non-cumul des mandats. C’est le journal Le Monde qui nous l’apprenait jeudi soir, rapportant cette phrase du sénateur socialiste et maire de Lyon: « moi, je suis élu maintenant depuis neuf ans, et on n’a jamais rien signé ».

L’argument est de poids : si on a toujours fait comme ça, c’est que c’est bien. Il faut dire que c’est une loi tacite et universellement appliquée par ces âmes conservatrices qui peinent à envisager que l’on modifie ce qui a toujours fort bien marché…pour eux. Cette règle, qui consiste à n’approuver le changement que s’il s’applique aux autres, était d’ailleurs défendue la veille par un autre sénateur PS, le maire de Dijon François Rebsamen.

Il serait vivement souhaitable que la gauche au pouvoir ne cède pas à la pression de ces grands féodaux et qu’elle demeure ferme dans son intention de mettre fin au cumul. Non pas pour priver tel ou tel de quelque mandat acquis de haute lutte dans un « fief » cher à son cœur, ni pour couper nos élus nationaux de leurs précieuses « réalités locales », mais pour une toute autre raison. Le non-cumul, en effet, est un excellent antidote contre toutes les formes imaginables d’« affirmative action ». Voilà donc un contrepoison idéal pour une gauche dont une partie non négligeable se perd inlassablement en tristes considérations de type différentialiste ou diversitaire.

Cela permettrait, par exemple, de tordre le cou une bonne fois à l’antienne paritaire. En féministe raisonnable, Natacha Polony ne s’y est pas trompée en affirmant vendredi matin sur Europe1 : le non-cumul « sera plus efficace que la parité pour faire entrer les femmes en politique ». Certes, on peut se contenter jusqu’à la fin des temps d’imposer des « quotas ». Cela soulage à peu de frais la mauvaise conscience de ceux qui dénoncent à longueur de déclarations d’intention faussement généreuses la domination du « mâle blanc ». Ceux-là même qui, parce qu’ils se trouvent être eux-mêmes des « mâles blancs » et ne cèderaient leur propre place pour rien au monde, militent plus fort que les autres afin que l’on accorde aux femmes un nombre décent de…strapontins. Et qui s’accommodent fort bien, in fine, de la suspicion que cela fait peser pour leurs collègues du « deuxième sexe », lesquelles finissent toujours, tôt ou tard, par se voir reprocher d’avoir été choisies pour leur « genre » et non pour leurs compétences.

Car voyez-vous, pour autoriser les femmes à accéder à de véritables responsabilités sans être contraintes de subir l’insigne vexation d’avoir été imposées, mais simplement en le méritant, encore faut-il qu’il y ait des places. Et que ces places cessent donc d’être concentrées dans les mêmes mains. De même, libérer des places et réaliser un appel d’air conséquent, permettrait de liquider avant qu’elle ne se répande à l’excès, toute autre forme de ce délicieux pléonasme : la « discrimination positive ».
 
Force est de constater que cette vilénie en provenance d’Outre-atlantique tend de plus en plus à s’imposer chez nous avec cette force si particulière dont jouissent les phénomènes de mode. La parité en est un avatar. Elle découpe le peuple en deux : les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Mais, dès lorsque que l’on accepte de couper l’humanité en tranches, il n’y a pas de raison pour que d’autres groupes ne réclament, au nom de ce qui a été concédé aux femmes, leur propre part du gâteau. Le tout sous le regard bienveillant des « diversitaires » de gauche, des amoureux impénitents de la France « black blanc beur » et autres progressistes aux petits pieds qui s’accommodent fort bien de cette forme très particulière de charité, qui dispense à bon compte d’avoir à réaliser la justice.
 
Finalement, mettre en place une fois pour toutes le principe du non-cumul, outre qu’il autorisera chaque élu à se consacrer pleinement à son unique charge, permettra de renouveler sainement le personnel politique. Les femmes, les jeunes et autres « issus de la diversité », pourront espérer conquérir les mandats ainsi remis sur le marché grâce à leur seul et unique talent, à leur travail et à la qualité de leur action militante. Comme le dit Bassem Asseh, « se dégageront naturellement les meilleurs d’une génération sans qu’on leur colle une étiquette de genre, de couleur de peau ou d’origine des parents ou grands-parents. La diversité s’imposera naturellement par la distribution de probabilité ». Sans besoin de numerus clausus, donc. Et sans courir le risque insidieux de valider l’introduction de critères biologiques en politique.

La France qui, entre tous les pays, fit une large place de choix à cette idée que n’importe quel « citoyen abstrait », c’est-à-dire sans distinction de sexe ou de couleur, est susceptible de représenter tous les autres, aurait tout à gagner à préserver ce modèle. Quant à la gauche, elle se trouve ici face à une occasion inespérée d’abandonner ces vieille lunes que sont « parité » et « diversité » pour renouer enfin avec ce qui fut un temps sa raison d’être : la promotion de la seule et unique égalité.
 
 

lundi 25 juin 2012

Revendications identitaires : « la discrimination positive est une escroquerie »

- Entretien avec Jean-Loup Amselle -



Jean-Loup Amselle est anthropologue.
Il est Directeur d’études à l’école des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont l’Ethnicisation de la France, lignes, 2011.


Votre dernier livre s’intitule l’Ethnicisation de la France. Pensez vous qu’il existe, en France, un accroissement des revendications identitaires ?

Je crois qu’il se produit un phénomène double de revendication identitaire. Comme je le montre dans mon livre, des revendications symétriques se font jour.

D’une part, montent des revendications minoritaires, de la part de groupes qui s’estiment discriminés, opprimé, marginalisés : les « blacks », les « beurs », mais également toute la mouvance LGBT, et même, aujourd’hui, les handicapés.

Conjointement, nous assistons à un phénomène de captation de ces revendications par ce que j’appelle des « entrepreneurs d’ethnicité et de mémoire ». Ils parlent au nom de ces groupes qu’ils constituent eux-mêmes, et dont ils s’instituent en porte-parole, de façon à monopoliser à leur profit des revendications au départ peu formalisées et disséminées. En effet, qu’il s’agisse de catégories ethniques ou de phénomènes de « genre » les « membres » de ces groupes supposés ne se revendiquent pas en permanence comme leur appartenant. Un « black » ou un « beur » ne se définit pas constamment comme tel. L’identité est multiple, elle est fonction du contexte d’interlocution, de celui ou celle avec lequel vous dialoguez. A l’inverse, les revendications monopolisées par ces entrepreneurs d’ethnicité et de mémoire enferment les acteurs sociaux dans des mono-identités.

De l’autre côté du spectre, existe la revendication de ce qu’on appelle les « Français de souche », revendication formatée par le Front national et/ou la Droite populaire – voire de l’UMP dans son ensemble, étant donné l’actuel phénomène de radicalisation de la droite.

Là aussi on tâche d’enfermer les individus dans une mono-identité « de souche », mais qui est reprise en symétrique par la gauche multiculturelle et post-coloniale. Il n’est qu’à voir l’exemple paradigmatique des Indigènes de la République, qui utilisent de manière frappante le terme « souchien », soit l’exact pendant de « Français de souche ».

Finalement, entre ces deux tendances, on assiste à une sorte de backlash, d’effet en retour : à mesure que ces identités minoritaires se durcissent, de l’autre côté s’établit aussi un durcissement de l’identité blanche et catholique.

Un peu comme si les crispations identitaires de droite étaient nourries par une sorte de « racisme de gauche » ?

Non, je n’appellerais pas cela un racisme. C’est plutôt un différentialisme, un singularisme, une attitude anti-universaliste. Je ne crois pas, pour ma part, à l’existence du « racisme anti-blancs » que certains dénoncent. En revanche, le discours public est littéralement infesté par le culturalisme, avec une tendance à l’assignation identitaire qui me semble très dommageable.

Pourquoi ces revendications minoritaires se sont-elles multipliées ces derniers temps ?

C’est lié au déclin du social. Ce déclin – avec celui de l’universalisme – est continu depuis mai 1968. C’est un phénomène lent, qui procède également de la disqualification de la  grille d’analyse marxiste, le marxisme étant considéré comme lié au totalitarisme.

Ce discrédit du marxisme a permis, dans la conjoncture post-soixante-huitarde, post-moderne, post-coloniale, de substituer, à une analyse en termes horizontaux et de classes, une façon de découper la société en tranches fragmentaires, ce que j’appelle les « entailles verticales ». Cette thématique des « fragments », de la multitude, a été notamment formalisée par Toni Negri, mais aussi par tout le courant appelé « French Theory ».

Ces identités verticales (black, beur, LGBT) sont vécues comme plus « glamour » que les identités horizontales de classe. Il suffit de lire un journal comme Libération, qui est tout à fait emblématique. Ce quotidien a complètement déserté le social, pour se consacrer au sociétal. Il ne se passe pas un jour sans qu’il promeuve quelque « minorité ».

Au plan politique, ces thématiques sont essentiellement reprises par Terra Nova, qui prône un abandon des classes ouvrières, lesquelles auraient disparu ou seraient définitivement passées au FN. Cette gauche « ethno-éco-bobo » leur préfèrera donc les couche urbaines, les jeunes, les minorités, etc.

Malgré tout, ces « entrepreneurs d’ethnicité et de mémoire » que vous décrivez, n’ont-ils pas une utilité ? Les discriminations existent bel et bien…

Oui, c’est l’argument qu’on m’oppose généralement. Je ne le nie absolument pas. Evidemment que les discriminations existent ! Mais que doit-on mettre au premier plan ? Ces discriminations ou la question sociale ?

Pour ma part, je pense que la « discrimination positive », cette transcription française et incertaine de « l’affirmative action » américaine, est une escroquerie. Ce qui est fondamental à l’échelle mondiale et spécialement dans les pays développés, c’est l’accroissement des inégalités. Les riches sont de plus en plus riches, les pauvres de plus en plus pauvres, et la « classe moyenne » se rétrécit comme une peau de chagrin. C’est ce qu’Alain Lipietz appelait autrefois la « société en sablier », avec un phénomène de déclassement de la classe moyenne inférieure, notamment dans la France périurbaine.

Les discriminations sont loin d’être un phénomène négligeable, mais j’y vois pour ma part un phénomène second, que l’on se plait à mettre en avant pour masquer les inégalités de revenus croissantes au sein des pays développés. La discrimination positive, qui vise à contrebalancer les discriminations, est d’ailleurs parfaitement compatible avec l’économie libérale.

D’ailleurs, cela va de pair avec la montée des phénomènes de marketing ethnique. On le sait, le marché ne s’adresse pas à des individus atomisés mais à des catégories de clientèles. Les entreprises savent très bien qu’il faut segmenter le marché. Ainsi ont-elles créé un marché de cosmétiques en directions des blacks, un marché du hallal en direction des musulmans, un marché en direction des gays, etc.

Vous pensez vraiment qu’en lissant les inégalités économiques, on ferait disparaître les discriminations ?

Non, je ne dis pas cela. Encore une fois, le racisme et les discriminations existent. Le fait que des blacks ou des beurs se voient interdire l’entrée dans certaines boites de nuit, personne ne le nie…Simplement, c’est bien contre le racisme qu’il faut lutter, contre ceux qui discriminent. Et cela ne se fera pas en essayant de promouvoir l’identité supposée de « groupes » constitués.

Cette gauche que vous appelez « multiculturaliste et post-coloniale » n’est-elle pas en train de revenir, peu à peu, de ses errements sociétalistes ?

Ils finiront par y être obligés ! Le Front national, même s’il n’a que deux députés, a obtenu des scores significatifs aux législatives partout où il y a eu affrontement entre un candidat PS et un candidat FN. Pour lui faire barrage, il faudra bien que la gauche se mette à nouveau à s’occuper des « petits blancs », comme on dit.

La montée du FN exprime-t-elle, pour vous, une montée du racisme, ou peut-on y voir d’autres causes ?

Je pense qu’il faut réfléchir à l’échelle européenne. Il y une montée généralisée du populisme. Ce phénomène est lié au fait que l’Europe se ferme, notamment face aux migrations. Elle devient une forteresse, et se dote d’une identité que j’appellerais « civilisationnelle » : l’identité blanche et chrétienne. La peur face à la mondialisation fait que l’on se raccroche à ces racines supposées. Et cette Europe sécrète un rejet de tout ce qui n’est pas elle, en particulier de l’Islam. L’identité de l’Europe aujourd’hui est presque une identité négative, de rejet du monde musulman. On a beaucoup critiqué Huntington, mais il a largement anticipé le « choc des civilisations » qui se produit réellement.

Que répondez-vous à ceux qui considèrent que le racisme viendrait du haut, qu’il serait insufflé au peuple par les « élites » ?

Je ne suis pas du tout d’accord avec ça. De quelles élites parle-t-on ? Si on parle de l’élite politique, on peut en effet constater une radicalisation de la droite, notamment avec Nicolas Sarkozy. Mais cette droitisation a été rendue possible par plusieurs facteurs. D’abord par l’éloignement du souvenir de la Seconde guerre mondiale et le fait que le gaullisme n’existe plus. Ensuite parce que le discrédit jeté sur le communisme et le marxisme a privé la gauche de son rôle de véritable contre-modèle. Quant à la gauche multiculturelle et postcoloniale il faut bien dire qu’elle nourrit le phénomène.

Existe-t-il en France un authentique risque communautariste. En somme, le modèle américain est-il transposable ?

Je ne le pense pas. Il y a une grande différence entre la France et les Etats-Unis. Il existe en France une domination de la religion catholique, au contraire des Etats-Unis où c’est l’émiettement qui prévaut, y compris chez les protestants. La société américaine, composée de couches de migrants successives, est par essence communautariste. Surtout, aux Etats-Unis, le social a été éliminé depuis les années 1950, soit depuis beaucoup plus longtemps qu’en France.

Ce qui prouve bien, une fois de plus, l’urgence de se départir des pansements sociétaux et de revenir au social. Il convient d’adapter mais néanmoins de réhabiliter le marxisme d’une part, et de renouer d’autre part avec l’universalisme.

Lire et relire :
Droite identitaire et gauche "diversitaire" : même combat ?  CLICK

Retrouvez les entretiens de l'arène nue :
Entretien avec Catherine Kintzler sur la laïcité   CLACK
Entretien avec Jean-Paul Brighelli sur l'école, l'éduction   CLOCK
Entretien avec Hervé Juvin sur l'économie, l'Europe   CLOUCK
Entretien avec Laurent Bouvet sur "la gauche et le peuple" 1/2 puis 2/2
Entretien avec Sylvain Crépon sur le Front national   CLYCK
Entretien avec Eric Dupin sur les législatives 2012  CLICK
_______________________________