Ceci est la version longue d'une tribune parue dans Le Figaro du 9 mai.
A la veille des élections
européennes, d'aucuns s'affairent à nous expliquer combien le
scrutin du sera important. Ils nous expliquent que la nouvelle
majorité au Parlement européen conditionnera, pour la première
fois, la désignation du président de la Commission, ce qui
constituerait une avancée substantielle de la démocratie. C'est
prendre ses rêves pour des réalités. Le président de la
Commission européenne sera soit Martin Schultz soit Jean-Claude
Junker, tous deux représentant le vieil européisme de papa. Entre
eux, il faut chercher les différences à la loupe, comme l'a montré
le débat télévisé d'un ennui poisseux qui les a « opposés »
le 9 avril dernier.
Si l'on surestime
l'élection à venir, c'est qu'on surestime également le rôle de
l'Assemblée de Strasbourg. Aussi faut-il le rappeler, celle-ci n'a
pas l'initiative directe des « lois européennes ». Elle
vote certes le budget de l'Union mais celui-ci est dérisoire :
à peine 1 % de la richesse de l'UE. Le Parlement européen de
peut pas non plus modifier les traités. Bref, il est bien plus une
chambre d'enregistrement qu'un organe décisionnel. Son élection au
suffrage universel direct sert essentiellement à tenter de légitimer
- sans grand succès - un édifice communautaire technocratique et
désincarné.
Il
ne pouvait en être autrement. Le Parlement européen ne peut-être
autre chose qu'un colifichet. Il ne peut être une véritable
assemblée représentative puisqu'il n'est pas l'émanation du peuple
européen. Et pour cause : un tel peuple n'existe pas. L’Europe
en agrège vingt-huit. Le simple fait que les élections européennes
se déroulent dans le cadre national des 28 États-membres en
témoigne sans ambiguïté. Aussi ne saurait-il y avoir d'authentique
démocratie européenne. C'est un pléonasme mais il faut le dire
malgré tout : « démocratie » signifie
littéralement « pouvoir du peuple ». Or à défaut de
peuple communautaire, il ne peut y avoir de démocratie
communautaire.
Bousculer l'ordre
juridique européen
Voilà pourquoi l'Europe
telle qu'elle a été conçue est un trou noir démocratique. Voilà
pourquoi la défiance des citoyens ne cesse de grandir et pourquoi il
faudra bien, un jour où l'autre, remédier à cette situation.
Il faudra sans doute pour
cela revoir l'édifice institutionnel, quitte à modifier en
profondeur le droit de l'Union européenne. Bien qu'on prétende
souvent le contraire, les traités européens priment de fait sur les
Constitutions nationales. La Constitution française, pour ne citer
qu'elle, a déjà été modifiée cinq fois depuis 1992 afin d'être
rendue eurocompatible. Quant au droit dit « secondaire »
(les directives et les règlement), il prime également sur les
droits nationaux depuis que la Cour de justice de Luxembourg en a
décidé ainsi dans son arrêt Costa contre ENEL de
1964. Une décision
jurisprudentielle de la Cour,
prise en dehors de tout contrôle
démocratique, jamais
débattue et jamais contestée depuis.
Ceci
ne saurait durer éternellement. L'ordre juridique européen doit
être revu de manière à ce que les règles de droit édictées au
nom des citoyens par de vrais parlementaires - autrement dit par des
parlementaires nationaux – ne puissent être coiffées par des
normes supranationales à la légitimité démocratique douteuse.
Quitte à l'admettre une foi pour toute : l'Europe ne pouvant
devenir à ce stade
un État fédéral, elle doit
demeurer pour l'heure une organisation
internationale, respectueuse
de la souveraineté de ses
membres.
Faire
de deuil de l'euro
Il
faudra également se défaire de l'euro.
On s'accorde aujourd'hui sur un certain nombre des tares de la
monnaie unique, en
particulier sur sa surévaluation. Mais si l'euro, à 1,38 dollar,
est effectivement très cher pour la France et pour les pays du Sud,
il ne l'est pas pour toute la zone. Étant
donné la structure de
l'économie
allemande
il ne l'est pas, par exemple,
pour la République fédérale.
Dès lors se pose le problème
suivant : des pays économiquement très divers peuvent-ils
avoir en partage une seule et même monnaie ? L'expérience des
crises récentes tend à indiquer
que la réponse est négative.
Mais
on peut aller plus loin. Car le problème de l'euro ne se pose pas
qu'en termes économiques. Au delà des agrégats,
des ratios et
autres arguments techniques,
la véritable question
est la suivante : est-il
raisonnable d'affubler d'une monnaie unique des peuples différents,
ayant des modalités de
formulation de leur contrat social
dissemblables ?
Car
la monnaie n'est pas qu'un
simple outil. Elle est aussi un
élément essentiel de la souveraineté et
accompagne l'histoire propre d'un pays. Dès lors, il est sans doute
illusoire de vouloir faire
cohabiter dans une monnaie unique
des pays dont les trajectoires à moyen terme divergent. Il
n'est qu'à voir le couple
franco-allemand - ou
ce qu'il en reste. L’Allemagne,
dont la démographie décline,
ne peut avoir qu'un objectif de long terme : parvenir à gérer
sa population âgée. Pour ce faire, notre
voisin a besoin d'engranger
aujourd'hui les excédents commerciaux qui
paieront les retraites de demain. Elle a également besoin d'une
inflation faible qui garantisse la valeur de son épargne.
Aussi est-elle attachée à une politique monétaire restrictive. La
France, elle, bénéficie
d'une démographie plus dynamique, qui rend nécessaire une
croissance, des créations d'emplois et une inflation supérieures.
Comment une politique monétaire unique conviendrait-elle à ces deux
pays ?
Encore
l'eurozone ne compte-t-elle pas deux membres mais dix-huit, dont fort
peu (sans doute aucun) ne semblent prêts à faire le saut budgétaire
fédéral susceptible de la rendre viable.
Parler
à nos partenaires
A
terme, la zone euro est
condamnée. Il
serait donc
plus raisonnable de la démanteler dès à présent que d'attendre
passivement qu'elle n'explose
dans le plus grand désordre. Encore
faut-il en convaincre nos partenaires. C'est la responsabilité de la
France que de s'y employer : en
tant que pays charnière entre l'Europe du Nord et celle su Sud, elle
est en effet la mieux placée pour dialoguer à la fois avec l'Europe
méditerranéenne et avec l'Allemagne.
Sans
doute les Allemands seront-ils difficiles à convaincre tant il est
vrai qu'un retour aux monnaies nationales entraînerait une
réévaluation de la leur, renchérirait leurs exportations et
contrarierait leur stratégie mercantiliste, donc leur intérêt à
court terme.
A
long terme toutefois,
la dernière chose dont l'Allemagne ait besoin est d'une
Europe qui bascule
dans le chaos. Située au
centre du continent, elle en
serait évidemment victime.
Exerçant le leadership
économique de fait, sans doute en serait-elle également tenue pour
responsable. Aussi ne peut-elle souhaiter qu'une spirale
déflationniste létale se s'empare de l'Europe du Sud.
Quand
à la mutualisation des dettes souveraines, dont l'Allemagne a
toujours assuré ne vouloir à aucun prix, elle a été réalisée
à bas bruit
au travers du Mécanisme européen de stabilité (MES), que la
République
fédérale garantit à hauteur de 190 milliards d'euros (et la France
à hauteur de 142 milliards tout de même !..). Une nouvelle crise
des dettes du Sud coûterait assurément fort cher à tout le monde,
y compris à ce contribuable allemand qu'Angela Merkel est pourtant
si soucieuse de préserver.