« La critique est aisée mais l’art est difficile »…surtout en période électorale. Les policiers du RAID, qui auraient pourtant bien mérité un peu de repos, sont en train d’en faire l’amère expérience.
Ils n’ont pas pris Mohamed Merah vivant : l’homme, qui avait annoncé vouloir mourir « les armes à la main » est mort… les armes à la main : quelle considérable surprise !
Un jeune homme fanatisé, désireux de recevoir la mort, et justement cerné par une unité de police lourdement armée, est parvenu à se faire tirer dessus : quel épilogue inattendu !
Depuis, le groupe Recherche assistance intervention dissuasion de la Police nationale subit quelques mises en cause. Certaines, fort maladroites, sont le fait de politiques en campagne ne bénéficiant pas forcément de la même aptitude au sang froid que les policiers du RAID, et que l’usage intempestif du réseau social Twitter conduit parfois à écrire plus rapidement qu’ils ne pensent :
Depuis lors, Jean-Jacques Urvoas s’est heureusement excusé. Malgré tout, on aurait préféré qu’il s’abstienne, lui et tous ceux qui se sont brutalement découvert, au cours des dernières 72 heures, une aptitude nouvelle pour l’interpellation de suspects surarmés et atteints de troubles graves de la personnalité.
Par chance, François Hollande n’est pas tombé dans le piège de la critique facile. A bon escient et avec la dignité qui convient, il a salué « le courage et la détermination du RAID » et exprimé sa « solidarité avec les policiers blessés ». C’est bien le moins….
Viennent ensuite les critiques des « experts », ces maîtres à penser de notre époque, qui sont légitimes parce qu’ils sont « des spécialistes ». Ainsi relaie-t-on tant et plus les propos tenus par Christian Prouteau, fondateur du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), pour lequel l’opération du RAID aurait été « menée sans schéma tactique précis ». « Comment se fait-il que la meilleure unité de la police ne réussisse pas à arrêter un homme tout seul ? » chipote-t-il, avant d’ajouter : « cela peut paraître présomptueux, mais, en soixante-quatre opérations menées par le GIGN sous mon commandement, il n'y a pas eu un mort ».
Oui, cela peut paraître présomptueux, mais pas seulement : cela est également inutile, gratuit, et mesquin. Surtout, cela n’exprime rien d’autre que la rancœur d’un gendarme face au choix qui a été fait par l’exécutif de privilégier une intervention policière et non militaire – ce qui était somme toute logique : Toulouse est située en zone Police.
La guéguerre des polices n’est pas chose nouvelle, et on préfèrerait qu’elle ait lieu loin de nos yeux et de nos oreilles, car les considérations d’ordre technique ont davantage leur place entre les quatre murs d’un bureau de la place Beauvau que dans les colonnes de nos journaux : fallait-il utiliser des gaz lacrymogène pour invalider Mohamed Merah ? Fallait-il lui tendre un piège et le capturer lorsqu’il sortirait de chez lui ? Cela se discute sans doute, mais entre professionnels. Que monsieur Prouteau aille donc présenter ses doléances à Claude Guéant, patron de la Police mais également de la Gendarmerie, puisque celle-ci a été rattachée au Ministère de l’Intérieur en 2009.
En attendant, le « tueur présumé » est mort, et c’est regrettable, parce qu’on ne pourra pas l’interroger. Mais il a, avant cela, blessé plusieurs hommes du RAID. Fallait-il que ces derniers, non contents d’avoir jonglé pendant plus de 30 heures entre des donneurs d’ordres en campagne électorale et un fou dangereux, se fassent tuer ? Est-ce là tout ce que la Patrie reconnaissante a à leur offrir désormais : le reproche de n’avoir pas encore pris assez de risques pour satisfaire l’inextinguible goût du sang que réveille immanquablement les faits divers les plus sordides ?
Las, notre époque n’a décidément pas le goût de l’épopée. Notre modernité « techno » et avide de « transparence » est la pleine et entière réalisation de ce que le philosophe Nietzsche annonçait. Nous voilà rendus dans la ville de la « Vache multicolore », cette contrée où règne le grand n’importe quoi, où chacun est spécialiste en tout, où tout individu est qualifié pour juger les autres, et où, bien sûr, tout le monde estime avoir « le droit de savoir ».
Mauvais temps pour ceux qui osent risquer leur vie: ils auront toujours un « expert » sur le dos. Ou un « citoyen conscientisé ». Ou un juge, un censeur, une bonne âme volontaire pour faire « toute la lumière », une fois que les armes se sont tues, sur « l’échec de l’opération ».
Nous est-il si dur, à nous, simples spectateurs, de reconnaître que, très vraisemblablement, nous n’aurions pas osé pénétrer dans l’appartement où était retranché Mohamed Merah ? Est-il si compliqué d’admettre que trente heures d’une attente pleine d’angoisse eussent été, pour la plupart d’entre nous, tout simplement insupportables ?
Est-il si difficile d’admettre que les policiers du RAID ont tout simplement été, à Toulouse, ce que la plupart d’entre nous n’auront jamais - et c’est tant mieux - l’occasion d’être : des héros ?
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