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dimanche 12 avril 2015

Filikí Etería n°4 – La Grèce vue de Grèce : revue de presse


- Billet invité -
Cristobalacci El Massaliote

 
Comme les semaines précédentes, Cristobalacci El Massaliote a épluché la presse grecque et fait le point pour L'Arène nue. Au programme, les négociations avec l'Union européenne, les réparations allemandes, la visite, évidemment, de Tsipras en Russie, et.... les festivités !
 
 
 
- L'ingrat !
- Il n'a pas respecté l'argent que les contribuables romains ont donné pour sa crucifixion !
 
 
 
Loin des journalistes passionnés par « pulsions d’inceste et pulsion de mort chez les crypto-pétainistes » et enivrés par le poids de la motion de Karine Berger au congrès du PS, il existe une presse capable de préparer les fêtes de Pâques tout en regardant vers Moscou, Bruxelles ou Pékin : il s’agit de la presse grecque.

1/ les relations avec l'UE. Poursuite des réformes, menaces migratoires et peur de la sortie de la zone euro.

a/ Poursuite des réformes et négociation de la dette

La réunion de l’Euro Working Group du 8 et 9 avril a particulièrement inquiété la presse grecque. Les déclarations du porte-parole de la Commission européenne, Alexander Winterstein qui venait d’affirmer « c’est maintenant à la Grèce de faire un pas puisque les partenaires européens ont fait suffisamment de concessions », avait un peu tendu les esprits. Avghi, journal proche de Syriza parlait même « d’optimisme réservé », alors qu’Ethnos prévoyait une réunion extraordinaire de l’Eurogroupe avant la réunion prévue le 24 avril à Riga. Selon Ta Néa du 9 avril, les créanciers continueraient à faire pression sur Athènes pour que son gouvernement adopte des réformes sur la sécurité sociale, le marché du travail, les licenciements et les privatisations.

b/ Menaces migratoires

Le 8 avril, plusieurs journaux (Ethnos, Ta Nea, Kathimerini, Avghi, Eleftheros Typos) commentaient le tollé provoqué par les déclarations faites la veille par le ministre grec de la défense, M. Kammenos, au cours d’une interview accordée au Times (« Si l’Europe continue à intimider la Grèce, le pays ne sera pas en mesure de contrôler ses frontières et ne pourra empêcher les djihadistes d’entrer en Europe »). Les partis de l’opposition (Nouvelle Démocratie, le PASOK et ces 3%, La Rivière) ont d’ailleurs unanimement condamné ces déclarations en les qualifiant de « dangereuses » et d’«irresponsables». De son côté, le Premier ministre grec lors de son entretien avec le commissaire européen aux migrations et affaires intérieures, M. Avramopoulos, a évoqué la nécessité de réviser le règlement européen encadrant le droit d’asile (règlement Dublin II).

c/ craintes sur la sortie de la zone euro

L’éditorialiste Georges Kapopoulos, dans l’Ethnos du 6 avril avançait que le problème de Berlin (donc de l’Europe) n’était pas tellement lié à la question de son positionnement face à des gouvernements « qui s’écartent de la politique d’austérité rigoureuse » (aujourd’hui la Grèce et certainement demain l’Espagne) mais dépendait davantage du cas français, touché par une déstabilisation sociale et politique risquant de s’aggraver en cas de «  conflit frontal non seulement avec l’austérité budgétaire et l’Europe allemande, mais également avec la dynamique même de l’intégration européenne ».

En même temps le président de la République hellénique, M. Pavlopoulos, recevait le chef de la délégation de l’UE en Grèce, M. Panos Karvounis. pour lui réaffirmer la volonté de maintien de la Grèce dans l’eurozone (« l’avenir de la Grèce se trouve dans l’UE et la zone euro »).

d/ Allemagne : la question des réparations fait son chemin

Dans son édition du 8 avril Ta Néa titrait « La Gauche et les Verts ouvrent une fenêtre aux réparations allemandes », et notait que, malgré l’impossibilité d’un débat officiellement clos avec le gouvernement allemand la question des réparations allemandes continuait de cheminer. Alors que les partis de la coalition gouvernementale allemande (chrétiens-démocrates et socio-démocrates) continuent de refuser toute discussion sur cette question, Manuel Sarrazin, spécialiste des questions européennes chez Die Grünen, et Annette Groth, députée Die Linke et présidente du groupe parlementaire d’amitié Grèce-Allemagne, trouvent recevable l'idée d'un remboursement du prêt forcé que la banque de Grèce a dû octroyer sous la contrainte à l'Allemagne nazie en 1942.

2/ La « sécurité énergétique » au cœur des relations avec les pays voisins

Les journaux Kathimérini et To Vima relèvent que le ministre des Affaires étrangères, M. Kotzias, s’est rendu à Budapest pour participer à une réunion à cinq avec ses homologues hongrois, serbe, turc et celui de l’ARYM (Ancienne République Yougoslave de Macédoine), axée sur le thème de la «sécurité énergétique» et du tracé du gazoduc « Turkish Stream ».

3/ La Russie

a/ La question du gaz russe

Pour Ethnos, la Grèce ambitionne de devenir la nouvelle porte d’entrée du gaz naturel russe à destination de l’U.E. Le ministre grec de l’énergie Panagiotis Lafazanis s’est d’ailleurs entretenu avec son homologue russe Alexandre Novak ainsi qu’avec le DG de Gazprom, Alexei Miller. Le ministre grec s’est prononcé en faveur du gazoduc « Turkish Stream », projet qui vise à remplacer celui du « South Stream », abandonné par la Russie en réponse aux sanctions de l'Union européenne contre elle.

Les questions posées par la partie grecque à l’occasion du voyage de M. Lafazanis à Moscou ont porté sur plusieurs sujets : réduction du prix d’achat de gaz naturel acheminé en Grèce, ouverture de négociations pour un nouveau contrat 2016-2019, participations des entreprises russes à l’appel d’offres international sur des recherches sismiques et l’exploitation des gisements d’hydrocarbures dans les secteurs maritimes de la mer Ionienne et au Sud de la Crète.

Après sa rencontre du 8 avril avec Vladimir Poutine, Alexis Tsipras a déclaré que les discussions avaient porté sur la création d’un « gazoduc grec » sur le territoire grec, car il est favorable au projet mais refuse l’appellation « Turkish Stream » pour la partie grecque de pipeline. Il a également rappelé que la Grèce continuerait à respecter les règles de l’UE, avant d’ajouter qu’un tel projet pourrait également améliorer les relations entre la Grèce et la Turquie.

b/ la possibilité d’une aide financière russe ?

Alors que le 8 avril Ta Nea avançait que la Grèce n’envisageait pas de demander d'aide financière à la Russie, Ethnos reprenait des informations publiées dans la presse russe selon lesquelles la Russie était en train d’examiner l’octroi d’un prêt à la Grèce. Celui-ci pourrait être lié à la réduction du prix du gaz, au rachat des chemins de fer grecs TRAINOSE par des intérêts russes ou à une opération autour du port de Thessalonique.

Lors de son déplacement à Moscou, A. Tsipras a déclaré qu’il ne se trouvait pas en Russie pour demander une aide financière en soulignant : « la Grèce n'est pas une mendiante qui va de pays en pays pour leur demander de régler ses problèmes économiques et une crise économique qui ne concerne pas seulement la Grèce mais l’ensemble de l’Europe et qui doit être résolue dans le cadre de l’UE ».

c/ La rencontre Tripras-Poutine et ses conséquences

Au cours de la conférence de presse qui a suivi l’entretien du 8 avril, V. Poutine et A. Tsipras ont affiché leur volonté de renforcer la coopération dans les domaines de l’énergie, du commerce, du tourisme et de la culture. Alors que le président russe semblait s’intéresser particulièrement aux programmes de privatisations grecs dans les secteurs des transports et des infrastructures, Alexis Tsipras s’est prononcé pour la construction d’une nouvelle architecture de sécurité en Europe intégrant la Russie. Le premier ministre grec a ainsi déclaré : « la Grèce est un pays souverain et a le droit d’exercer une politique étrangère multidimensionnelle et de mettre en valeur sa position géopolitique » avant de préciser : « nous respectons nos engagements auprès des organismes internationaux auxquels nous participons, mais nous entendons utiliser toutes les opportunités au niveau international » (Kathimerini, Le Journal des Rédacteurs et Eleftheros Typos, le 09 avril).

Alexis Tsipras a défendu la souveraineté de la Grèce lorsqu’elle souhaite coopérer avec des pays hors UE comme le font les autres membres de l’UE, avant d’ajouter que ces coopérations seraient également bénéfiques pour l’ensemble de l’Europe (Kathimerini, Ethnos, Ta Nea, Avghi).

Le Journal des Rédacteurs du 9 avril résumait en parlant à sa Une de « réchauffement des relations gréco-russes» avant d’énumérer les trois importants accords concernant, l’énergie (gazoduc), les investissements (intérêt russe à investir en Grèce) et les produits agricoles grecs (création d’entreprises communes gréco-russes).

d/ L’Europe de Lisbonne à Vladivostok ?

Lors de sa visite à Moscou, Alexis Tsipras a déclaré : « l'objectif de cette visite est de prendre un nouveau départ dans les relations entre nos deux pays, dans la recherche de la paix et de la sécurité en Europe ». Lorsqu’un journaliste lui a demandé si son pays se tournerait vers la Russie dans le cas où les partenaires européens décideraient de «faire sortir la Grèce du navire», le premier ministre grec a répondu que dans ce navire tous les membres étaient passagers et que la Grèce ne devait pas être considérée comme un passager clandestin ni comme une «colonie de la dette». Alexis Tsipras a précisé : «si on commence à faire sortir un passager du navire, alors le navire risque de se renverser» (Kathimerini, Ethnos, Ta Nea, Avghi, Eleftheros Typos).

4/ La Chine

En reprenant des sources officielles chinoises, Kathimerini du 7 avril révélait qu’au cours de la récente visite en Chine du vice-premier ministre grec, M. Dragassakis, avait permis d’élaborer un plan d’action de coopération bilatérale dans plusieurs domaines : ports, construction navale, transport et logistique. Selon les mêmes sources Pékin aurait réitéré sa volonté de soutenir la Grèce pour faire face à la crise de la dette et souligné que la Chine continuerait à suivre l'évolution du marché des obligations grecques.

5/ Affaires intérieures

a/ Le gouvernement Syriza-ANEL toujours aussi populaire

Selon un Sondage Public Issue (26 mars au 2 avril, 1004 personnes), le pourcentage des citoyens qui approuvent l’action gouvernementale dans la négociation avec les créanciers a atteint 63%, soit cinq points de plus par rapport à mars 2015. M. Tsipras est considéré comme le plus apte pour le poste de Premier Ministre, avec 62% d’avis positifs, contre M. Samaras qui réunit 20%.

La côte de confiance du ministre des finances, M. Varoufakis (55%), est légèrement en baisse par rapport au mois dernier (59%).

La cote de popularité des hommes politiques s’établit ainsi : M. Tsipras obtient 78% (contre 79% en mars), M. Kammenos 46% (contre 51%), M. Théodorakis 45% (contre 47%), M. Koutsoumbas 35% (contre 40%), M. Samaras 28% (sans changement), M. Vénizélos 19% (contre 21%) et M. Michaloliakos 9% (contre 10%).

b/ On a rattrapé Vicky !!

Plusieurs journaux (Ta Nea, Ethnos, Avghi) ont commenté la livraison à la police de Vicky Stamati, qui s’était échappée la semaine dernière de l'hôpital psychiatrique où elle était détenue (on en a parlé la semaine dernière ici). Mme Stamati qui est l’épouse de l’ancien ministre de la défense Akis Tsohatzopoulos et condamnée en même temps que son époux à la prison ferme pour corruption, a fait savoir par le biais de son avocat qu’elle était prête à déposer devant la justice. Elle aurait affirmé vouloir révéler tout ce qu’elle savait sur l’affaire de blanchiment d’argent dans laquelle elle serait impliquée.

c/ Ce sont les Pâques Orthodoxes.

Actuellement la Grèce est arrêtée pour les fêtes de Pâques (une semaine après les Pâques catholiques). Après avoir partagé tsourekia (brioche), koulouria (pâtisserie) et maghiritsa (soupe d’abats d’agneau), les familles grecques se rassemblent autour de l’agneau grillé. Lors de cette fête, la plus importante dans le calendrier orthodoxe, les grecs peuvent sentir comment la joie printanière vient à bout de la nuit de la souffrance… O Laos anesti : le peuple est debout !


samedi 4 avril 2015

Filikí Etería n°3 – La Grèce vue de Grèce : revue de presse





- Billet invité -
Cristobalacci El Massaliote


Comme les semaines précédentes, Cristobalacci El Massaliote a épluché la presse grecque et fait le point pour L'Arène nue. Au programme, les négociations avec l'Union européenne, la visite de Tsipras en Russie, et une singulière affaire de.... psychiatrie ! 

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Loin des éditorialistes spécialistes de tout et surtout de rien, des débats sur l’après guerinisme et des scissions écolo-écologistes, il existe une presse traitant de sujets aussi profonds qu’ensoleillés : il s’agit de la presse grecque !

1/ Négociations avec l’UE

La presse grecque entre crainte de rupture, confiance en l’avenir…

Plusieurs journaux (Kathiremini, To Vima) dans leurs éditions du week-end du 29 mars se sont inquiétés en évoquant à la fois un risque de rupture entre la Grèce et l’UE et un danger éventuel de manque de liquidités.
Plus neutre, Ta Néa (30/03) se contentait de voir une simple insatisfaction de l’UE face aux propositions que devait apporter le gouvernement Syriza-ANEL.
A l’inverse, les journaux Ethnos et Avghi affichaient un optimisme certain et prévoyaient que les négociations déboucheraient sur un résultat positif malgré la « pression asphyxiante des créanciers » (Ethnos).

et interrogation sur la fuite du temps.

Kathimerini, Ta Nea et Eleftheros Typos se sont intéressés à la conférence de presse franco-allemande du 31 mars où le président Hollande et la chancelière Merkel ont souligné la nécessité de ne pas perdre de temps dans les négociations avec la Grèce. Poursuivant les propos de la chancelière allemande qui déclarait « plus vite la Grèce déposera des propositions, plus vite un accord pourra être conclu », le président Hollande a déclaré que « si la Grèce souhaite rester dans la zone euro, elle devra suivre la procédure prévue » avant de préciser qu’« il n’y a pas d’autre solution pour la Grèce qu’être partie prenante de l’UE».
Un accord pour la Pâque orthodoxe ou pour la Saint Glinglin?
Le 1er avril, Ta Nea et Kathimerini s’interrogeaient sur les différences d’interprétation entre le gouvernement grec et les partenaires européens à propos de l’état d’avancement des négociations. Alors qu’Athènes prévoit toujours une solution avant Pâques (les Pâques orthodoxes auront lieu le 12 avril), il semble que Bruxelles estime qu’un accord ne sera possible qu’à la fin du mois d’avril. De son côté, le Journal des Rédacteurs estimait que les négociations entre le gouvernement grec et les institutions allaient déboucher sur un accord au début avril.
Au bout de ce tunnel se situe le bout du tunnel 
De nouveaux crédits pour rembourser ou pour payer les salaires?
Alors que le 1er avril, la BCE a relevé le plafond de la ligne de crédit d'urgence (dite ELA) pour la Grèce de 700 millions d’euros (le total passant à 71,7 milliards d’€), le journal Kathimérini affirmait que la BCE n’entendait pas autoriser les banques à prêter de l’argent à l’Etat grec avant la signature de l’accord avec les créanciers. Le même jour, le ministre de l’intérieur grec, Nikos Voutsis indiquait au magazine allemand Der Spiegel qu’Athènes pourrait demander le report du remboursement d’environ 450 M€ au FMI initialement prévu le 9 avril, en cas d’absence de financement par les créanciers européens. Selon Nikos Voutsis ce report devrait permettre au gouvernement Tsipras de payer les salaires et les retraites.
Une ou deux listes de réformes présentées par Athènes?

Dans le cadre des négociations avec les créanciers européens, le gouvernement Tsipras devait présenter une liste de réformes.

Le texte qui a été finalement présenté est constitué de 18 propositions de réformes organisées en plusieurs volets. Essentiellement, un volet de lutte contre l’évasion fiscale (favoriser le retour des capitaux en Grèce, établir une connexion électronique entre l’administration fiscale et les entreprises, contrôler les comptes bancaires à l’étranger, notamment par rapport à la liste Lagarde) et un volet d’augmentation des recettes fiscales (taxes sur les jeux en ligne, réforme partielle de la TVA, lutte contre la contrebande) également complétés par d’autres aspects (privatisations, simplifications administratives, création d’un fond d’aide aux PME).

Des réformes avec ou sans chiffres?

Les discussions se poursuivaient le 31 mars notamment sur la question du chiffrage des 18 réformes proposées. En attendant la téléconférence du 1er avril et, surtout la réunion critique du 08 avril où l’Eurogroupe pourrait éventuellement débloquer le financement à la Grèce, la presse grecque évoquait l’existence d’une seconde liste de réformes accompagnée de chiffrages précis.
Selon plusieurs journaux (Ethnos, Ta Néa, Avghi), cette seconde liste prévoirait 3,7 milliards de recettes (725 M€ avec le contrôle des dépots à l’étranger, 1 500 M€ grâce aux différentes privatisations prévues : port du Pirée, aéroports régionaux, paris hippiques, etc. ) tout en augmentant certaines dépenses (600 M€ pour les retraites, 326 M€ pour les pensions).

Le bout du tunnel approcherait-il ?
Dans son édition du 3 avril, Ethnos affirmait que la réunion de l’Euro Working Group prévue les 8 et 9 avril devrait aboutir à un accord sur la liste des réformes présentées. Alors qu’Athènes se montrait optimiste sur les chances de parvenir à un accord et donc sur le réglement du problème de liquidités, les responsables européens prennaient des positions plus ambigües. Ainsi, le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem estimait le 2 avril qu’ il y avait « encore du chemin à parcourir » dans les négociations avec la Grèce tout en se montrant optimiste sur la possibilité d’un accord concernant l’essentiel. De même, le ministre français des finances, Michel Sapin aurait déclaré, selon Kathimerini que « les propositions de la Grèce se sont améliorées » avant d’ajouter qu’« il fallait encore progresser ».
2/ Relations internationales
Grèce/Russie : arrivée du printemps pour deux pays frères ?...
L'ours russe débarque à Athènes !!
Pour préparer sa visite à Moscou le 8 avril, Alexis Tsipras a accordé fin mars une interview à l’agence de presse russe TASS dans laquelle il rappelle les liens historiques, culturels et religieux qui unissent les deux pays avant d’appeler au renforcement de la coopération entre la Grèce et la Russie dans tous les domaines. Selon le premier ministre grec, sa visite à Moscou « posera de nouvelles bases dans les relations gréco-russes » et soutiendra le « nouveau printemps que nous connaissons aujourd’hui entre nos deux pays ».
Évoquant la prochaine commémoration du 9 mai 1945 (date de la victoire sur l’Allemagne nazie en Russie), le premier ministre grec a affirmé : « nos peuples ont forgé des relations fraternelles parce qu’ils ont mené un combat commun dans des moments historiques d’une importance critique » (sources : Avghi, Ta Nea, Kathimerini, Ethnos, Le Journal des Rédacteurs).



.ou alignement stratégique ?...
Dans la même interview, A. Tsipras déclare que « la Grèce, en tant que pays-membre de l’UE, peut être un maillon, un pont entre l’Occident et la Russie » avant d’affirmer son opposition aux sanctions contre la Russie ( « Je considère que c’est une voie qui ne mène nulle part. Il faut s’asseoir à la table des négociations et trouver des solutions pour les problèmes importants »).
voire véritable « flirt énergétique » ?...(titre de Kathimerini du 01/04/2015)
Avghi souligne sur sa Une que le gouvernement grec oeuvre à la revalorisation du rôle énergétique de la Grèce, qui deviendrait ainsi un pont entre l’Occident et l’Orient. Selon le journal, le gouvernement se trouverait près d’un accord sur la participation de la Grèce au gazoduc russe « Turkish Stream ». Cet accord pourrait d’ailleurs être ratifié lors de la visite de M. Tsipras en Russie qui a déjà déclaré que « l'extension de ce gazoduc vers la Grèce aurait des bénéfices multiples pour le pays, qui ne se limitent pas aux ‘‘droits de péage’’». L’accord pourrait également conduire à la réduction du prix de gaz vendu par Gazprom à la société grecque de gaz naturel (DEPA).
ou tout cela à la fois !
Kathimerini parle d’un « accord global » entre le Grèce et la Russie prévoyant la participation de la Grèce au gazoduc Turkish Stream, la participation des sociétés russes à la prospection et à l’exploitation des gisements de gaz et de pétrole en Grèce, la réduction du prix du gaz par Gazprom et la levée de l’embargo russe sur les produits agricoles grecs.
Chine : privatisation
Ethnos du 30 mars relève que le gouvernement grec se prépare à la vente de la majorité du capital du port du Pirée (provoquant des réactions de la Plateforme de gauche au sein de Syriza). Selon Kathimerini, le vice Premier ministre, M. Dragassakis aurait même déclaré à l’agence de presse chinoise « Xinhua » que le gouvernement procédera à la vente de la majorité du capital de l’organisme du port du Pirée dans les prochaines semaines, avant d’ajouter que le géant chinois du fret maritime (l’entreprise Cosco) qui participe déjà à l’appel d’offres pourrait déposer une offre très compétitive. Sous le titre « La Grèce, un pont entre la Chine et l’Europe », Avghi fait état de la satisfaction du gouvernement grec après la visite en Chine de deux ministres grecs tout en évoquant la future visite officielle d’Alexis Tsipras à Pekin prévue en mai.
3/ Politique intérieure
Une interview de Tsipras
Lors de son interview à Real news, Alexis Tsipras a affirmé que son nouveau gouvernement ne prendrait « pas de nouvelles mesures récessives » et qu’un troisième mémorandum ne serait jamais mis en place. Il s’est également montré rassurant sur les privatisations (garantie d’Etat, respect des droits des travailleurs et de l’environnement).
Et la défense de ses ministres contre les scoops Bi(l)dons
Prenant la défense de ses ministres attaqués (M. Varoufakis pour les Finances et Katrougalos pour la réforme de l’Etat), le premier ministre grec a insisté sur la position collective prise par l’ensemble des membres du gouvernement Syriza-ANEL avant d’affirmer qu’« il existe des forces à l’intérieur et à l’extérieur du pays qui aimeraient voir un changement dans la stratégie de négociation du gouvernement, mais ce scénario relève de la science-fiction ».
Des tensions avec l’opposition
Lors du débat à la Vouli sur la politique d’austérité, A. Tsipras a vivement critiqué les gouvernements précédents en ciblant particulièrement la Nouvelle Démocratie d’Antonis Samaras (ancien premier ministre). Pour Tsipras, le gouvernement Syriza a le courage d’utiliser la langue de la vérité , en ouvrant, par exemple des questions comme celles des réparations allemandes et de l’affaire Siemens (Kathimerini, Ethnos). Ta Néa décrit la vive confrontation entre Tsipras et Samaras, qui s’est particulièrement tendue lorsque l’actuel Premier ministre a évoqué l’affaire Stavros Papastravos (un proche collaborateur de M. Samaras qui figurerait selon le journal italien La Stampa sur la liste des exilés fiscaux, dite liste Lagarde).
La corruption mène à la folie (ὕϐρις, chez les grecs anciens)
Selon Kathimerini et Eleftheros Typos, madame Vicky Stamati, épouse d’Akis Tsohatzopoulos, ancien ministre socialiste grec de la Défense, qui fût condamnée, en même temps que son époux, à la prison ferme pour corruption, s'est échappée de l'hôpital psychiatrique où elle était détenue. La justice avait récemment rejeté une demande de remise en liberté de Vicky Stamati, condamnée en 2013 à 12 ans de prison. La police grecque a ouvert une enquête afin d’examiner les circonstances précises de sa fuite.
A ce sujet, il est amusant de se rappeler que la folie chez les grecs anciens se disait Hybris (ὕϐρις), où elle signifiait plus précisément la démesure. Son châtiment était, selon la mythologie, appliqué par Némésis, la loi morale, dont l’objectif était de punir les excès et la prospérité trop éclatante de mortels osant se comparer aux dieux. 2000 ans plus tard, les grecs regardent toujours les arrogants d’aujourd’hui se faire frapper avec la même force par le destin…
Afin de préparer l’avenir, on devrait relire la mythologie grecque à Bruxelles ou à Berlin, plutôt que de s’enfermer dans d’horribles logiciels de gestion. Cela serait l'occasion de méditer cette phrase d’Hérodote sur l’Hybris : « regarde les maisons les plus hautes, et les arbres aussi : sur eux descend la foudre, car le ciel rabaisse toujours ce qui dépasse la mesure ».


mardi 10 mars 2015

Quand l'Allemagne se tourne vers l'Est - vers une Allemagne post-occidentale ?

 
 
 
Ce texte est la traduction d'un article de Hans Kundnani, paru dans la revue Foreign affairs de janvier-février 2015. Hans Kundnani est un spécialiste de la politique étrangère allemande et officie notamment au sein d'un Think Tank, le Conseil européen pour les relations internationales. Ses analyses sont souvent remarquables, mais il me semble hélas qu'elles sont assez peu relayées en France. C'est pourquoi j'ai traduit ce papier. Il dresse le portrait d'une Allemagne telle que nous ne la connaissons absolument pas, mais telle qu'elle est assez souvent décrite - pour ce que j'en ai lu - dans la presse anglo-saxone, bien moins "coincée" que la notre sur sujet-là, et qui se refuse à en faire un tabou. Attention, ça décoiffe !
 
***
 
L'annexion de la Crimée par la Russie en mars 2014 a été un choc stratégique pour l'Allemagne. Soudain, l'agression russe mettait en cause l'ordre sécuritaire européen que la République fédérale tenait pour acquis depuis la fin de la Guerre froide. Berlin venait de passer deux décennies à tenter de renforcer ses liens politiques et économiques avec Moscou, mais l'action de la Russie en Ukraine suggérait que le Kremlin n'était plus guère intéressé par un partenariat avec l'Europe. En dépit de la dépendance de l'Allemagne au gaz russe et de l'importance de la Russie pour les exportateurs allemands, la chancelière Angela Merkel a fini par accepter de sanctionner la Russie. Elle a même contribué à persuader d'autres États membres de l'Union européenne à faire de même.
 
Mais la crise en Ukraine a rouvert de vieilles questions relatives à la relation de l'Allemagne au reste de l'Occident. En avril 2014, lorsque la radio allemande ARD demande à ses auditeurs quel rôle leur semble devoir jouer leur pays dans la crise, seuls 45% se prononcent pour une Allemagne au diapason de ses alliés de l'UE et de l'OTAN. En revanche, 49% souhaitent que l'Allemagne joue un rôle de médiateur entre la Russie et l'Ouest. Des résultats qui ont inspiré à l'hebdomadaire Der Spiegel un édito daté de mai où il met en garde l'Allemagne contre la tentation de détourner de l'Occident.

 
La réponse germanique à la crise ukrainienne doit être replacée dans le contexte d'un affaiblissement de long terme de ce qu'on nomme la Westbindung, c'est à dire l'arrimage du pays à l'Ouest, en vigueur depuis l'après-guerre. La chute du mur de Berlin et l'élargissement de l'Union européenne ont libéré le pays de la dépendance à l'égard des États-Unis que lui imposait l'impératif de se protéger contre l'Union soviétique. Dans le même temps, l'économie allemande, très dépendante aux exportations, est devenue plus tributaire de la demande des marchés émergents, notamment du marché chinois.
 
Le pays a beau rester attaché à l'intégration européenne, ces facteurs permettent tout à fait d'imaginer une politique étrangère allemande post-occidentale. Un tel changement a des enjeux de taille. Étant donnée la montée en puissance de l'Allemagne au sein de l'UE, les relations du pays avec le reste du monde détermineront dans une large mesure celles de tout l'Europe.
 
Le paradoxe allemand
 
L'Allemagne a toujours eu une relation compliquée avec l'Occident. D'un côté, bon nombre des idées politiques et philosophiques qui comptent à l'Ouest proviennent d'Allemagne, avec des penseurs aussi majeurs qu'Emmanuel Kant. Mais d'un autre côté, l'histoire intellectuelle allemande est mêlée d'éléments plus sombres, qui ont parfois menacé les valeurs occidentales, comme le courant du nationaliste du début du XIXe siècle. À partir de la seconde moitié du XIXème, les nationalistes allemands ont cherché à définir l'identité allemande par opposition avec les principes rationalistes et libéraux de la Révolution française et les Lumières. Le phénomène a culminé dans le nazisme, que l'historien Heinrich August Winkler a défini comme « l'apogée du rejet germanique du monde occidental ». Dès lors, l'Allemagne était un cas paradoxal. Elle était partie intégrante de l'Occident tout en le défiant radicalement de l'intérieur.
 
Après la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne de l'Ouest participe à l'intégration européenne, et, en 1955, elle rejoint l'OTAN. Pour une bonne quarantaine d'années, la Westbindung, conduit l'Allemagne à prendre des initiatives de sécurité conjointes avec ses alliés occidentaux, ce qui représente pour elle une nécessité existentielle l'emportant sur tout les autres objectifs de politique étrangère. Le pays continue de se définir comme une puissance occidentale tout au long des années 1990. Sous le chancelier Kohl, l'Allemagne réunifiée décide d'adopter l'euro. À la fin de la décennie, elle semble même se réconcilier avec l'utilisation de la force militaire pour s'acquitter de ses obligations de membre de l'OTAN. Après le 11 septembre 2001, Gerhard Schröder promet aux États-Unis une « solidarité inconditionnelle » et engage des troupes en Afghanistan.

 
Toutefois, au cours de la dernière décennie l'attitude de l'Allemagne envers le reste du monde occidental change. Dans le débat sur l'intervention en Irak en 2003, Schröder évoque l'existence d'une « voie allemande », qui se distingue de la « voie américaine ». Et depuis lors, la République fédérale n'a cessé d'affermir son opposition à l'usage de la force armée. Après son expérience en Afghanistan, elle semble avoir décidé que la meilleure leçon à tirer de son passé nazi n'était pas « plus jamais Auschwitz » - l'argument précisément invoqué pour justifier la participation à l'intervention l'OTAN au Kosovo en 1999 - mais « plus jamais la guerre ». D'un bout à l'autre de l’échiquier politique, les responsables allemands définissent désormais leur pays comme une Friedensmacht , une « puissance de paix ».
 
L'attachement de l'Allemagne à la paix a fini par conduire l'Union européenne et les États-Unis à l'accuser de jouer au cavalier solitaire au sein de l'alliance occidentale. S'exprimant à Bruxelles en 2011, le secrétaire américain à la Défense Robert Gates avertissait ainsi que l'OTAN était en voie de devenir une « alliance à deux vitesses », avec d'un côté les membres prêts à contribuer aux engagements de l'alliance, et de l'autre ceux qui appréciaient les avantages de l'adhésion, qu'ils s'agisse de garanties en termes de sécurité ou des places en État-major, mais refusaient de partager les risques et les coûts. Il pointait en particulier ces membres de l'OTAN qui refusent de consacrer à la défense le montant convenu de 2 % de leur PIB. Or l'Allemagne est à peine à 1,3 %. Récemment, la France également critiqué son voisin pour son inaptitude à fournir une contribution digne de ce nom à l'occasion des interventions au Mali ou en République centrafricaine.

 
Mais l'une des raisons pour lesquelles l'Allemagne a négligé ses obligations envers l'OTAN est que la Westbindung n'apparaît plus comme une nécessité stratégique absolue. Après la fin de la guerre froide, l'Union européenne et l'OTAN se sont élargies aux pays d'Europe centrale et orientale, ce qui fait que l'Allemagne est désormais « entourée d'amis» et non plus d'agresseurs potentiels, comme l'a dit un jour l'ancien ministre de la Défense Volker Rühe. Elle est donc bien moins dépendante des États-Unis pour sa sécurité.
 
Dans le même temps, son économie est devenue plus dépendante des exportations, notamment en direction de pays non-occidentaux. Durant la première décennie de ce siècle, alors que la demande intérieure restait faible et que les entreprises gagnaient en compétitivité, l'Allemagne devenait de plus en plus accro aux débouchés extérieurs. Selon la Banque mondiale, la part des exportations dans le PIB du pays a bondi de 33% 2000 à 48% en 2010. Ainsi, à partir de l'ère Schröder, l'Allemagne commence orienter sa politique étrangère en fonction de ses intérêts économiques et plus particulièrement en fonction des besoins de son commerce extérieur.
 
Un autre facteur a également contribué à cette réorientation. Il s'agit de la montée d'un sentiment anti-américain dans l'opinion publique. Si la guerre en Irak a rendu les Allemands confiants dans leur capacité à se montrer autonomes vis à vis des États-Unis sur les questions militaires, la crise financière de 2008 a fait naître l'idée qu'ils pouvaient également s'autonomiser dans le domaine économique. Pour beaucoup d'Allemands, la crise a mis en évidence les lacunes du capitalisme anglo-saxon et validé le bien fondé d'une économie sociale de marché comme la leur. En 2013, les révélations relatives aux écoutes de la NSA y compris sur le téléphone portable de Merkel, ont encore renforcé ce sentiment anti-américain. Désormais, beaucoup d'Allemands disent qu'ils ne partagent plus les mêmes valeurs que le États-Unis. Certains avouent même qu'ils ne les ont jamais partagées.
 
Pour sûr, la culture politique libérale de l'Allemagne, fruit de son intégration à l'Ouest, perdurera. Mais il reste à voir si le pays continuera à suivre systématiquement ses partenaires et à défendre coûte que coûte les valeurs occidentales, alors que sa croissance est devenue tributaire de pays non-occidentaux. Pour avoir une idée de l'évolution possible d'une politique étrangère allemande post-occidentale, il suffit de se rappeler 2011, qui vit la République fédérale s'abstenir au Conseil de sécurité de l'ONU sur l'intervention en Libye, tout comme la Russie et la Chine, et à l'opposé de la France, de la Grande-Bretagne et des États-Unis. Certains responsables allemands assurent que cette décision ne reflète pas une tendance de long terme. Mais un sondage réalisé par la revue de géopolitique Politik peu après le vote au Conseil de sécurité a montré que les Allemands se répartissent en trois groupes. Ceux qui pensent qu'il faut continuer à coopérer principalement avec les partenaires occidentaux, ceux pour qui il faut privilégier d'autres pays, comme la Chine, l'Inde ou la Russie, et ceux qui souhaitent combiner les deux approches.
 
La nouvelle Ostpolotik
 
La politique russe de l'Allemagne a longtemps été basée sur l'échange politique et sur l'interdépendance économique. Lorsque Willy Brandt devient chancelier de la RFA en 1969, il essaie de contrebalancer la Westbindung en recherchant une relation plus ouverte avec l'Union soviétique. Il inaugure une nouvelle approche devenue célèbre sous le nom d'Ostpolitik (ou « politique orientale »). Brandt pensait que l'approfondissement des entre les deux puissances pourraient éventuellement conduire à la réunification allemande, une conception que son conseiller Egon Bahr baptisa Wandel durch Annäherung: le « changement par le rapprochement ».
 
Depuis la fin de la guerre froide, les liens économiques entre Allemagne et Russie se sont encore renforcés. Invoquant le souvenir de l'Ostpolitik, Schröder entreprit lui-même une politique de Wandel durch Handel , ou « changement par le commerce ». Les responsables politiques allemands, en particulier les sociaux-démocrates, se sont faits les hérauts d'un « partenariat pour la modernisation », au titre duquel l'Allemagne fournirait à la Russie la technologie pour moderniser son économie - puis, idéalement, ses pratiques politiques.
 
L'existence de ces liens aident à comprendre la réticence initiale de l'Allemagne à l'idée d'imposer des sanctions après l'incursion russe en Ukraine en 2014. Avant de décider si elle emboîterait ou non le pas aux États-Unis, Mme Merkel a subi les pressions de puissants lobbyistes de l'industrie, emmenés par le Comité pour les relations économiques en Europe de l'Est. Celui-ci a fait valoir que les sanctions pénaliseraient durement l'économie allemande. Afin de témoigner de soutien au président russe Vladimir Poutine, Joe Kaeser, le PDG de Siemens, lui a rendu visite dans sa résidence des environs de Moscou juste après l'annexion de la Crimée. Kaeser avait alors garanti à Poutine que sa firme, qui faisait des affaires en Russie depuis près de 160 ans, ne laisserait pas quelques « turbulences de court terme » - sa manière de désigner de la crise - affecter sa relation avec le pays. Dans un éditorial publié dans le Financial Times en mai 2014, le directeur général de la Fédération des industries allemandes, Markus Kerber, écrivait que les entreprises allemandes soutiendrait les sanctions, mais le feraient « le cœur lourd ».
 
La forte dépendance allemande à l'énergie russe a également conduit Berlin à redouter les sanctions. Après la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011, la République fédérale a en effet décidé de sortir du nucléaire plus tôt que prévu, ce qui a rendu le pays plus dépendant encore au gaz russe. En 2013, la Russie fournissait environ 38% de son pétrole à l'Allemagne et 36% de son gaz. L'Allemagne pourrait certes diversifier ses sources d'approvisionnement, mais un tel processus prendrait des décennies. Dans l'immédiat, elle se montre donc réticente à toute perspective de contrarier Moscou.
 
Quant aux sanctions, Angela Merkel ne s'est pas seulement heurtée à l'opposition des industriels, mais également à celle de son opinion publique. Certains, aux États-Unis ou en Europe, ont eu beau accuser le gouvernement allemand d'être trop conciliant avec la Russie, beaucoup en Allemagne, l'on trouvé au contraire trop agressif. Illustration: lorsque le journaliste Bernd Ulrich a appelé de ses vœux des mesures sévères contre Poutine, il s'est fait littéralement inonder de courriers haineux l'accusant de visées bellicistes. Même Frank-Walter Steinmeier, ministre des Affaires étrangères et perçu de longue date comme un ami de la Russie, a dû faire face à des accusations similaires. Les révélations quant à l'espionnage pratiqué par la NSA ont par ailleurs accru la sympathie pour la Russie. Comme Bernd Ulrich le notait en avril 2014, «  quand le Président russe dit se sentir oppressé par l'Occident, beaucoup ici pensent « nous aussi »».
 
Cette identification à la Russie a des racines historiques profondes. En 1918, Thomas Mann publiait un livre, Considérations d'un homme étranger à la politique, dans lequel il affirmait que la culture allemande était distincte - supérieure - à celle des autres pays occidentaux comme la France ou le Royaume-Uni. La culture germanique, soutenait-il, se trouve quelque part entre la culture russe et les cultures du reste de l'Europe. Cette idée a connu un regain de vitalité spectaculaire ces derniers mois. L'historien Winkler critiquait vertement, dans le Spiegel, en avril 2014, la démarche de ces Allemands qui expriment un vif soutien pour à la Russie, et tentent de repopulariser « le mythe d'une connexion entre les âmes russe et allemande ».
 
L'élaboration par Merkel d'une réponse à l'annexion de la Crimée a donc relevé du funambulisme. La chancelière a d'abord cherché à maintenir ouverte la possibilité d'une solution politique, au prix d'heures passées au téléphone avec Poutine, et en envoyant Steinmeier jouer l'intermédiaire entre Moscou et Kiev. Ce n'est qu'après que le vol de la Malaysia Airlines eût été abattu le 17 Juillet 2014, a priori par les séparatistes pro-russes, que les responsables allemands se sentirent à l'aise pour adopter une position plus ferme. Même alors, le soutien de l'opinion aux sanctions demeura tiède. Un sondage réalisé en août par l'ARD révélait par exemple que 70 % des Allemands soutenaient la seconde salve des sanctions européennes contre la Russie, qui comprenait l'interdiction de visas et le gel des avoirs d'une liste d'hommes d'affaires russes. En revanche, seuls 49 % se disaient prêts à continuer de soutenir les sanctions si elles devaient nuire à l'économie domestique, comme ce serait probablement le cas la troisième série de sanctions. Et cela pourrait être plus marqué encore si l'Allemagne entrait en récession, ainsi que de nombreux analystes l'annoncent. Les industriels allemands ont eu beau accepter les sanctions, ils n'en ont pas moins continué à faire pression sur Merkel pour les assouplir. En outre, l'Allemagne a clairement fait savoir qu'aucune option militaire n'était sur la table. Au moment du sommet de l'OTAN au Pays de Galles en septembre, Merkel s'est opposée au projet d'établir une présence permanente de l'Alliance en Europe orientale, et a fait valoir qu'une telle initiative constituerait un viol de l'acte fondateur OTAN-Russie 1997. Pour le dire autrement, la République fédérale n'a aucune volonté de mener une politique de containment de la Russie.

 
Le pivot vers la Chine
 
L'Allemagne s'est également rapprochée de la Chine, un indice encore plus probant de l'amorce d'une politique étrangère post-occidentale. Comme avec la Russie, les liens sont de plus en plus étroits. Durant la décennie écoulée, les exportations vers la Chine ont augmenté de façon exponentielle. En 2013, elles sont montées jusqu'à 84 milliards de dollars, presque le double du montant vers la Russie. L'Empire du Milieu est devenu le deuxième plus grand marché pour les exportations allemandes hors de l'UE, et pourrait bientôt dépasser les États-Unis pour devenir le premier. Il est d'ores et déjà le principal marché pour Volkswagen et pour la Classe S de Mercedes-Benz.

 
Les relations entre l'Allemagne et la Chine se sont intensifiées après la crise financière de 2008, alors que les deux pays se trouvaient dans le même camp dans les débats sur l'économie mondiale. Tous deux avaient tendance à exercer une pression déflationniste sur leurs partenaires commerciaux, critiquaient la politique d'assouplissement quantitatif conduite par la Fed américaine et ignoraient les appels des États-Unis à prendre des mesures pour corriger les déséquilibres macroéconomiques mondiaux. Dans le même temps, tous deux se rapprochaient politiquement. En 2011, ils ont même commencé à tenir annuellement une consultation intergouvernementale. C'était la première fois que la Chine se lançait dans une négociation aussi étroite avec un autre pays.
 Pour l'Allemagne, la relation est essentiellement économique, mais pour la Chine, qui souhaite une Europe forte pour contrebalancer la puissance américaine, elle est également stratégique. Pékin voit l'Allemagne comme une clé pour obtenir le type d'Europe qu'elle désire, d'abord parce que la République fédérale semble être de plus en plus puissante au sein de l'Union européenne, mais peut-être aussi parce que les tropismes allemands semblent plus proches des siens que ne le sont ceux, par exemple, de la France ou du Royaume-Uni.
 
Le rapprochement Berlin-Pékin intervient cependant que les États-Unis adoptent une approche plus dure envers la Chine dans le cadre de ce qu'on appelle leur pivot vers l'Asie. Ceci pourrait poser un problème majeur à l'Occident. Si Washington venait à se trouver en conflit avec la Chine sur des questions économiques ou de sécurité, s'il venait à y avoir une « Crimée asiatique » par exemple, il y a une possibilité réelle que l'Allemagne demeure neutre. Certains diplomates allemands en Chine ont déjà commencé à prendre leurs distances avec l'Ouest. En 2012 par exemple, l'ambassadeur d'Allemagne à Pékin, Michael Schaefer, déclarait dans une interview: « je ne pense pas qu'il y existe encore une chose telle que l'Occident ». Compte tenu de leur dépendance croissante au marché chinois, les entreprises allemandes seraient encore plus opposées à l'idée de sanctions qu'elles ne le furent contre la Russie. Le gouvernement allemand serait d'ailleurs plus réticent à en prendre, ce qui creuserait encore les divisions au sein de l'Europe, puis entre l'Europe et les États-Unis.

 
Une Europe allemande
 
La peur de la neutralité allemande n'est pas chose nouvelle. Au début des années 1970, Henry Kissinger, conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, avertissait que l'Ostpolitik à l’œuvre en RFA pourrait être une carte dans les mains de l'Union soviétique et menacer l'unité transatlantique. Il prévenait que des liens économiques plus étroits avec l'URSS ne pourraient qu'accroître la dépendance de l'Europe vis à vis de l'Est, ce qui compromettrait les solidarités à l'Ouest.
 
Le danger que pressentait Kissinger n'était pas tant un départ de la RFA de l'OTAN, mais, comme il le dit dans ses mémoires, le fait qu'elle puisse « se tenir à l'écart des tensions hors d'Europe, même quand seraient menacés les intérêts fondamentaux et la sécurité ». Heureusement pour Washington, la guerre froide a tenu ces tentations en échec, cependant que l'Allemagne de l'Ouest s'appuyait sur Washington pour assurer sa sécurité.
 
Cependant, l'Allemagne se trouve à présent dans une position plus centrale et plus forte en Europe. Pendant la guerre froide, la RFA était un État faible et quasi marginal de ce qui est devenu l'Union européenne. A l'inverse, l'Allemagne réunifiée est aujourd'hui l'une des plus fortes, si ce n'est la plus forte puissance d'Europe. Ceci étant donné, une Allemagne post-occidentale pourrait emporter à sa suite nombre d'autres pays, en particulier les pays d'Europe centrale et orientale dont les économies sont profondément imbriquées avec la. Si le Royaume-Uni quitte l'UE, comme il est en train de l'envisager, l'ensemble sera encore plus susceptible de s'aligner sur les préférences germaniques, en particulier pour tout ce qui concerne les relations avec la Russie et la Chine. Dans ce cas, l'Europe pourrait se trouver en opposition avec les États-Unis – et une faille pourrait s'ouvrir au sein du monde occidental, pour ne jamais se refermer.