Angela
Merkel ne nous avait pas
habitués à ça. A "l'incroyable Mme Merkel", on
prêtait la capacité d'absorber tous les chocs et
de protéger son peuple de leurs répliques, grâce à un
« pragmatisme » hors normes, à la mesure de
l'excellence
supposée du
« modèle allemand ». Dans
un livre intitulé
Angela Merkel et nous etparu en 2013, le journaliste Ralph Bollmann expliquait en ces termes
l'imperméabilité de Mutti
au phénomène classique
de
l'usure du pouvoir : « tant
que la crise durera, les Allemands plébisciteront Angela Merkel (…)
sa côte de popularité est liée au fait qu'elle [les]
préserve
de l'effort ».
Pourtant,
la
chancelière semble
aujourd'hui en difficulté. Un sondage paru en fin de semaine
dernière dans l'hebdomadaire Focus
indique que près de 40 % des Allemands sont favorables à son départ.
C'est beaucoup, même si un tel
départ est
très
improbable
à
ce stade.
Ça
tombe en tout cas
fort
mal
alors que
des scrutins
régionaux s’apprêtent
à ponctuer toute l'année 2016, tels
ceux
de Rhénanie-Palatinat,
du
Bade-Wurtemberg et
de Saxe-Anhalt qui
auront
lieu dès
le 13 mars.
Or
les enquêtes d'opinion font d'ores et déjà apparaître un fait
saillant : le parti de droite radicale Alternative
für Deutschland
(AfD), un
temps affaibli pour cause de règlements de comptes entre représentants de l'aile « libérale » et tenants de l'aile « conservatrice »,
a
à nouveau le vent en poupe.
Une
enquête d'opinion le donne à 13%.
Et
la toute dernière sortie de Frauke
Petry,
sa
patronne,
semble
indiquer que
l'aile anti-immigration du
parti s'est
imposée face à l'aile anti-euro. Elle montre
d'ailleurs
peu
de
goût
les
précautions oratoires. Petry a en effet suggéré,
pour lutter contre l'afflux de migrants à la frontière
germano-autrichienne, que
les
policiers allemands pourraient
éventuellement.... tirer sur les réfugiés ! En
décembre, un autre élu du parti, Björn Höcke, s'était
déjà illustré en affirmant
que
« le comportement reproductif des Africains » était
une menace pour l'Allemagne.
Le
rebond de
l'AfD et
l'orientation prise par celui-ci ne
sont
évidemment
pas
sans causes. C'est bien la politique migratoire d'Angela Merkel qui
les
a
provoqués,
tout
comme
elle a provoqué la colère de la CSU bavaroise, et une fronde au
sein
même du parti de la chancelière, la CDU.
Cette
politique
parfaitement erratique
a
d'abord
consisté
à annoncer l'accueil
sans limite
des réfugiés, avant,
quinze jours plus tard, d'opérer
un virage au frein à main et
de
rétablir
précipitamment
le
contrôle aux frontières. A l'immense déception, sans doute, de ces
commentateurs hexagonaux qui aiment à se prosterner devant la
supériorité supposée de l'Allemagne pour mieux déprécier la
France. Que d'eau
apportée
à leur moulin par l'initiale générosité merkelienne, et par les
images -
certes touchantes - de
ces volontaires allemands se portant au devant des réfugiés la
bouche pleine de mots de bienvenue ! On semblait découvrir que
la précellence
germanique, loin d'être limitée
aux performances
économiques,
était également
morale. Le pays confirmait son statut « puissance de paix » et
se révélait ouvert, bienveillant, assuré, et définitivement à
l'aise, désormais, avec son identité.
Quelques indices, toutefois, signalaient à qui
voulait bien les apercevoir que le tableau était moins rose. Assez
rapidement, les structures d'accueil se sont trouvé débordées, par exemple à
Munich, une ville ayant connu, à l'automne 2015, des pics d'arrivées
à plus de
10 000
personnes par jour. Même s'ils sont
imputables à des groupuscules d'hyper-excités,
les actes racistes augmentent à vive
allure. Selon la BBC, la police fédérale allemande aurait
annoncé une multiplication par cinq en
un an des attaques contre les foyers de
réfugiés. Celles-ci
seraient passées
de 199
en 2014 à 1005 en 2015. La
semaine dernière, un centre
d’accueil a même été attaqué... à la grenade.
Et
puis,
il y a désormais
le
souvenir Cologne.
De
Cologne
et des
700 plaintes pour
agressions sexuelles déposées
depuis cette fameuse nuit de la Saint-Sylvestre, dont on sent bien
qu'elle marque un tournant dans
le
rapport
du pays
au
phénomène migratoire.
Comment la société allemande encaissera-t-elle le choc à long
terme ? Difficile
à
prédire. Dans un article paru dans Le Débat et traitant des relations entre la France et l'Allemagne, Luuk van Middelaar souligne la manière
très différente,
dans chacun des deux pays, d'appréhender
chocs
exogènes
et imprévus. « En France, un événement, même un événement
dramatique, reste un signe de vie, de renouvellement, un appel à
l'action (…) la presse transforme dûment la chose en un moment
collectif, une nouvelle page dans le roman de la nation. (…) En
Allemagne, en revanche, un événement sape l'ordre. La classe
politique peine à la lire ; une crise y produit un non-sens, de
la panique. Cela donne parfois des revirements brusques, mal
contrôlés, telle la sortie du nucléaire en 2011 à la suite du
tsunami japonais, ou les zigzags entre charité et fermeture face aux
vagues migratoires de l'été 2015 », explique le philosophe
néerlandais. Dans
ces conditions, quel genre de
« revirements
brusques »
et
autres « zigzags » l’événement
de Cologne nous promet-il ?
Le
problème, par
ailleurs,
est qu'il n'arrive pas seul. Sans
doute l'assurance allemande, due à la place prépondérante que
le pays occupe
en Europe, risque-t-elle d'être aussi
entamée
par la
dégradation
des relations avec ses voisins de l'Est.
Les
pays d'Europe centrale ont toujours été considérés comme
appartenant à la sphère d'influence naturelle de l'Allemagne
-
comme son Hinterland
-
raison
pour laquelle Berlin a beaucoup œuvré en faveur des élargissements
de l'Union dans
les années 2000.
« Pour l'Allemagne, l'élargissement à l'Est est autant un
devoir historique et moral qu'une nécessité politique. C'est de
Pologne, de Hongrie et de Tchécoslovaquie qu'est partie, à des
titres divers, la révolution pacifique qui a ouvert la voie à
l'unification allemande. En
outre, cet élargissement à l'Est plonge ses racines dans la célèbre
Ostpolitik
initiée
dans les années 1970 par Willy Brandt », expliquait il y a
quelques années le spécialiste Jacques-Pierre Gougeon. Une
longue histoire donc, que la question migratoire vient compliquer,
depuis que ces pays, Hongrie
en tête, ont
décidé de fermer leurs frontières aux réfugiés. Sans parler de
la Pologne, partenaire
majeur de
la
République fédérale.
On
s'en souvient,
Angela
Merkel
avait toutfait pour imposer l'ancien premier ministre de ce pays, Donald Tusk,
à
la tête
du
Conseil européen. Aujourd'hui,
le
nouveau gouvernement de Varsovie va parfois jusqu'à convoquer l’ambassadeur allemand,
une
pratique
pour
le moins
inhabituelle entre
deux membres de l'UE !
Bref,
la Mitteleuropa
a du plomb dans l'aile.
Pendant
ce temps-là, l'Europe
du Sud non
plus n'est
pas immobile. Les
gauches y
grignotent
du terrain jour
après jour,
ce qui ne manquera pas, à
terme, de
faire resurgir le volet économique d'une crise européenne désormais
globale. Bien sûr,
l'acharnement, entre janvier et juillet 2015, de la Banque centrale européenne et
d'un Eurogroupe largement dominé par le
ministre
allemand
des
Finances
Wolfgang
Schäuble,
ont réussi à briser Syriza en Grèce. D'ailleurs,
la
situation désespérée d'Athènes permet à
Berlin
de se livrer à
présent à
un marchandage indigne,
en
proposant à la Grèce plus
de
souplesse dans la
mise en œuvre du
troisième mémorandum contre davantage d'efforts dans le contrôle
des frontières extérieures de Schengen.
Mais
au delà de la Grèce,
c'est toute l'Europe méditerranéenne qui est travaillée par une
poussée anti-austéritaire. C'est le
cas du Portugal, où le gouvernement
socialiste soutenu par la gauche radicale tient
actuellement tête à Bruxelles dans le cadre de la mise en œuvre du
« semestre européen ».
C'est
aussi la
cas de
l'Espagne, où l'on sent bien que, malgré les actuelles difficultés
à former un gouvernement, il faudra désormais compter avec
l'atypique parti Podemos. De
fait,
si
ni le Portugal ni l'Espagne ne semblent sur le point de renverser la
table dans l'immédiat, si aucun des deux pays,
par exemple, n'envisage de quitter la zone euro et si l'expérience
Syriza a quelque peu dégrisé les gauches alternatives,
il n'en reste pas moins que les
évolutions anti-austéritaires
conjuguées au Sud contribuent à mettre la pression sur les pays
créanciers d'Europe du Nord.
Enfin,
un dernier élément de contexte à ne pas négliger réside
dans
la
menace
du Brexit, la sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne.
Celle-ci
reconfigurerait
en profondeur les
équilibres au sein de l'UE. Bien que n'étant
pas
membre de l'euro, Londres demeure un allié pour Berlin lorsqu'il
s'agit de faire évoluer l'ensemble européen vers davantage
d'austérité et de déréglementation.
Un allié dont la perte potentielle est jugée suffisamment
dommageable pour que l'Allemagne ait choisi
de mettre sur
pied
un groupe de travail
anti-Brexit
installé à Berlin, et chargé
de
trouver des « arrangements créatifs » pour
de répondre
aux exigences
de David Cameron.
***
Des
alliances que l'on croyait indéfectibles et qui s'effritent, des
équilibres qui changent lentement mais sûrement, la trajectoire sur
laquelle se trouve engagée l'Union européenne a de quoi inquiéter
son
maillon
dominant,
l'Allemagne. D'autant que le pays se trouve désormais tourmenté par
une crise migratoire mal abordée, qui tend à prendre une place
croissante dans la vie politique du pays. Pour
autant, ceci
n'empêchera pas
la crise de l'euro de refaire violemment surface à
la première occasion,
réactivée
par le
retentissement de l'économie mondiale ou par
quelque nouvelle crise financière survenant
inopinément
. Aussi
peut-on sérieusement s'interroger : l'Allemagne est-elle en
train de perdre la main en Europe ? Ira-t-elle jusqu'à perdre
pied ?
Article initalement paru sur FigaroVox.
Il faut bien distinguer la perte d’influence de Merkel et la perte d’influence de l’Allemagne, ce n’est pas le même sujet.
RépondreSupprimerConcernant Merkel, c’est l’usure du pouvoir et ses erreurs dans la gestion de la crise des réfugiés. Il fallait bien que ça arrive un jour. Est-ce que la fin du « merkelisme » va modifier la politique allemande en Europe ? Je ne crois pas.
Il faut se méfier des emballements médiatiques qui poussent, un jour à glorifier l’Allemagne et à la présenter comme la puissance qui domine et asservit l’Europe, et le lendemain à dire qu’elle perd la main. Les deux positions sont exagérées et manquent de recul.
Mais il y a une double crise de l’Europe : crise du modèle économique et de l’Euro, et crise des accords de Schengen. Ces crises minent toute l’Europe et ont forcément des incidences en Allemagne. Et ne sont pas prêts d’être résolues puisque la seule solution par le haut : le fédéralisme, semble impossible. Il reste la solution par le bas : la dislocation. Mais nous n’en sommes pas encore arrivés là.
Bonjour
RépondreSupprimerje vous écris concernant votre article du figaro sur le franxit.
Quel dommage que vous n'ayez pas saisi l'occasion pour proposer une francisation du mot... fransortie par exemple n'est pas si mal?