Un officier et un officier-marinier en décembre. Un soldat début janvier. S’il se trouve toujours quelques archéo-réacs pour nourrir dans leur petto, une secrète admiration pour l’armée française et sa capacité désuète à promouvoir par le mérite, il est moins habituel de rencontrer des laudateurs du théâtre d’opérations afghan, et de son étonnante aptitude à réaliser « l’égalité réelle » : en fauchant large, il en donne à chacun pour son grade.
L’affaire afghane était pourtant bien partie : lancée après les attentats du 11-Septembre, l’opération américaine « Enduring Freedom » s’engageait sous les auspices de la légitime défense, à la plus grande satisfaction de la « Communauté internationale », qui gratifiait les Etats-Unis de démonstrations unanimes de solidarité outragée, et de la résolution 1368 du Conseil de Sécurité de Nations Unies. A la première escarmouche, Al-Qaida et ses alliés talibans se débandaient et fuyaient sans gloire vers des cieux plus cléments, qui en catimini, qui en cyclomoteur.
Ainsi, peut-être l’objectif initial d’éradication définitive de l’hydre jihadiste eut-il peut-être pu être atteint, si l’effort avait été constant et dirigé vers ce seul but. Les troupes de l’ISAF[1] seraient déjà rentrées chez elles, et nos soldats auraient regagné leurs foyers, non sans nous avoir gratifiés d’une Mili Pride au pas cadencé sur l’avenue des Champs-Elysées.
Mais la guerre est une chose trop sérieuse pour être confiée à des militaires qui pourraient la gagner. Le choix fut donc fait, en 2003, d’ouvrir un second front en Irak. Dès lors, une partie de l’effort de guerre de la coalition se trouvait inexorablement distraite du théâtre afghan, rendant impossible la consolidation des premiers succès. La société irakienne, déjà mise à genoux par un embargo sans fin, implosait et devenait poreuse au prosélytisme rageur de l’internationale jihadiste. Al-Qaida, qui se voyait offrir là une seconde jeunesse, trouvait matière à accréditer la très huntingtonienne idée d’un acharnement des « judéo-croisés » contre le dar al-islam. Ben Laden adoubait Abou Moussab al-Zarquaoui comme « imam d’Al-Qaida en Mésopotamie » et lui donnait carte blanche pour mener quelques décapitations et autres ratonnades anti-chiites, cependant que lui-même se concentrait sur le recrutement de candidats à l’auto-meurtre pour perpétrer les attentats de Madrid (11 mars 2004) et de Londres (5 juillet 2005).
En ce début d’année, Nicolas Sarkozy estimait dans ses vœux aux Armées que « la construction de la paix (en Afghanistan) résulte d’une action dans la durée. Elle exige de la patience ». A l’inverse, le ministre fédéral des Affaires étrangères Guido Westerwelle en visite à Kaboul vient de confirmer la volonté allemande de « transférer la responsabilité de la sécurité à l’échelle régionale » dans le courant 2011. A ce rythme, on peut se demander si la Coalition du Bien ne se résumera pas bientôt aux Etats-Unis, à la Grande-Bretagne, à la Pologne et à la France.
Pour quelles raisons nos dirigeants s’obstinent-il dans une chimère contre-insurectionnelle dont les souvenirs conjoints de la cuvette de Dien-Bien-Phu et des maquis algériens devraient pourtant les avoir guéri ? Pour mettre enfin la main sur Ben Laden et son chargé de communication Zawahiri ? Tout porte à croire que le siège d’Al-Qaida se situe désormais au Wasiristan pakistanais. Pour éviter la reconstitution putative d’un sanctuaire jihadiste en cas de reconquête du pouvoir par les Talibans ? Utilisons nos moyens de surveillance et nos barbouzes pour prévenir la réalisation de ce fâcheux oracle. Pour exporter la démocratie ? Marchons sur la Birmanie. Pour les droits de l’homme ? Usons de notre devoir kouchnérien d’ingérence humanitaire et ruons-nous tout à la fois sur la Corée du Nord et sur le Zimbabwe. Pour ceux de la femme ? Libérer les femmes afghanes de leur masque intégral n’est pas forcément plus urgent que de garantir le respect de l’ordre public chez nous. Au moins les afghans ne s’embarrassent-ils pas avec des affaires de burqa au volant : entre voir et conduire, ils ont su choisir.
« La solution doit être régionale et non militaire » disait le ministre iranien des Affaires étrangères Manouchehr Mottaki, avant de se faire démissionner par Ahmadinejad en décembre. Il n’avait pas forcément tort si l’on admet que le charbonnier est maître chez soi, et aussi un peu chez son étranger proche. A cette aune, il apparaît urgent de passer d’une stratégie de contre-guérilla dont on a perdu de vue les véritables objectifs à une politique de sécurité régionale autonome. Il faut inviter les pays frontaliers de l’Afghanistan à prendre en main leur destinée commune. En particulier le Pakistan, auquel le chouchou de nos instituts de sondages Dominique Strauss-Kahn serait bien inspiré de verser enfin la totalité du prêt qu’a bien voulu lui consentir le FMI en 2008. Peut-être ce pays se résoudrait-il alors à cesser d’externaliser une partie de sa sécurité à ses « bons talibans ». L’Inde, également, car une détente au Cachemire est un préalable indispensable à la réaffectation exclusive des moyens militaires pakistanais à la lutte contre le terrorisme. Et même l’Iran qui soutint longtemps l’alliance du Nord du commandant Massoud, quand bien même l’inénarrable revue « la Règle du Jeu » nous informe du haut de ses vingt printemps que Sakineh n’a toujours pas été libérée[2].
Quant à la France, qu’elle amorce son retrait, car nous ne pouvons gagner cette guerre. Loin de conquérir « les cœurs et les esprits »[3] notre présence sur place contribue à faire éclore des moissons de vocations talibanes. Croire qu’il est possible de vaincre là où les Lions du Panchir ont perdu relève d’une immodestie coupable.
Cinquante-trois soldats français ont été tués en Afghanistan, dans un combat ingagnable. Comme aurait dit Brassens, on les a envoyés « mourir plus haut qu’leur cul ».
[1] Ou FIAS (force internationale d’assistance à la sécurité). Aux ordres du général David Petraeus, elle fut d’abord commandée par le général Stanley McChrystal. Celui-ci fut démissionné par le président Obama pour avoir lésé la majesté d’icelui dans un entretien indélicat au magasine Rolling Stone.
[2] En revanche, « la Règle du Jeu » propose à ses lecteurs d’envoyer une lettre à Sakineh. Cette offre n’est valable que pour les gens qui écrivent parfaitement le farsi.
[3] C’est beau comme du Daniel Pennac, mais en fait c’est du général McChrystal plagiant McNamara.
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