Depuis la victoire de François Hollande, le 6 mai, à l’élection présidentielle, on rencontre, à gauche, divers types de réactions. Parmi les électeurs d’Hollande, deux « familles » s’opposent tout particulièrement.
Les membres du « club des joies simples », dans un premier temps, se pâment de bonheur en continu, et ne cessent d’exprimer à grand bruit un enthousiasme surprenant.
Face à eux, les « on ne nous la fait pas » semblent déterminés à bouder leur plaisir. Ils ont voté Hollande par défaut, pour se débarrasser de Nicolas Sarkozy, mais sans y croire tout à fait, un peu comme on opte pour la peste plutôt que pour le choléra. Mais ils conservent la certitude que le nouveau président va « se planter », notamment dans la réorientation de l’Europe qu’il a promise. Voire qu’il va « encore nous duper ». Ils se souviennent – avec raison – de la "trahison" de François Mitterrand au nom de la construction européenne. Ils se rappellent le virage de 1983, et la fameuse « parenthèse libérale » qui, il est vrai, ne s’est toujours pas refermée.
Le problème des « on ne nous la fait pas », c’est qu’ils ne semblent guère connaître qu’une seule et unique période de notre Histoire, la période 1981-83, et qu’ils pensent pouvoir tout anticiper à cette aune. Sans avoir totalement tort, ils considèrent François Hollande comme un « social libéral » davantage que comme un socialiste authentique. Ils ne voient en lui qu’un rejeton de Jacques Delors, dont ils ont tôt fait de considérer qu’il se couchera devant l’Allemagne.
Nous considérons pour notre part qu’il s’agit là d’une analyse sinon erronée, en tout cas largement tronquée.
Que le président élu soit un « bébé Delors », admettons. Qu’il ait été (ou qu'il demeure) un adorateur de l’Europe de Jean Monnet et de Robert Schuman, c’est probable. En revanche, ce qui est mois judicieux, c’est de penser que seule l’idéologie guide l’action d’un homme, et que celui-ci peut s’affranchir à la fois d’autrui, du réel, et du sens de l’Histoire.
François Hollande n’agira pas forcément comme il l’aurait souhaité s’il eut été seul au milieu d’un désert. Il fera ce qu’il peut – et, espérons, ce qu’il doit – dans le contexte dont il vient d’hériter et dans l’Europe telle qu’elle va. Dès lors, on peut tout à fait concevoir, avec Emmanuel Todd que « la crise va obliger à des réponses inédites (…) ce qui orientera l'action d'Hollande, c'est moins son opinion personnelle que celle des classes moyennes et supérieures ; or elles sont en train de se détourner du libre-échange et peut-être même de l'euro ».
S’il n’y avait que les classes moyennes et supérieures ! Todd écrivait cela dans le Nouvel Observateur un mois avant le premier tour du scrutin présidentiel. Depuis, nous avons vu le Front national, obtenir 18% au premier tour sur des idées éminemment eurosceptiques, sur l’apologie d’un protectionnisme « national » au bien-fondé douteux, et sur la thématique plus générale d’une fermeture étanche des frontières.
Nous avons vu Jean-Luc Mélenchon dépasser 11% des suffrages. Certes, le leader du Front de Gauche n’a jamais fait sienne, à proprement parler, l’idée de « démondialisation », qui avait pourtant valu à Arnaud Montebourg un score inespéré lors de la primaire socialiste. Toutefois, Mélenchon n’a eu de cesse de crier haro sur l’ultralibéralisme tout au long de sa campagne. De plus, il a souvent excipé de son vote défavorable au traité de Lisbonne, et a même concédé que sur Maastricht, « c’est Chevènement qui avait raison ».
Enfin, nous avons vu un Nicolas Sarkozy se muer brutalement en thuriféraire de la « France du non », piller et détourner un ouvrage de Régis Debray pour se lancer dans un Eloge des frontières d’une mauvaise foi à rester coi, et proposer de « revoir les statuts de la Banque centrale européenne », comme s’il s’apercevait, au bout de cinq ans de cécité, qu’il serait judicieux d’autoriser celle-ci à prêter aux Etats et non plus aux seules banques.
Au cours de la campagne, faire la cour aux « nonistes » de 1992 (Maastricht) et de 2005 (TCE) sera donc devenu un sport national. Si les « petits » candidats eurosceptiques ne sont pas parvenus à percer, leurs idées se sont peu à peu diffusées partout. Et si le désir de sortir de l’euro n’est pas au rendez-vous, si les Français semblent peu tentés par un isolationnisme total, force est d’admettre que le souhait d’une « réorientation de la construction européenne » est quant à lui bien présent. François Hollande l’a compris. Mieux : il l’a promis.
Certes, les « on ne nous la fait pas » pourront toujours objecter, avec toute l’originalité que révèle cette assertion, que « les promesses n’engagent que ceux qui les croient ». Pour autant, il est une chose qui engage quant à elle infiniment plus que les promesses : le réel.
Or le réel, au sein de l’Union européenne, est en train de prendre une bien étrange tournure. En Grèce, une crise économique dévastatrice vient de conduire à un blocage politique complet. A la suite des élections législatives, qui ont vu le bipartisme voler en éclat et plusieurs formations euro-contestataires entrer en masse au Parlement, la formation d’un nouveau gouvernement est impossible. Le leader du parti de droite Nouvelle Démocratie n’y est pas parvenu, non plus que le chef du parti de la gauche radicale Syriza. Or, si aucun exécutif n’est mis sur pied, de nouvelles élections législatives pourraient avoir lieu en juin.
En attendant, il est fort peu probable que les Grecs s’attèlent à une mise en œuvre des injonctions de la diabolique « Troïka », laquelle devrait alors décider, en toute logique, de bloquer la prochaine tranche d’aide prévue pour le pays. Elle priverait alors ce dernier de quelques 31 milliards d’euros. Quant à la suite, on l’anticipe aisément. Aujourd’hui même, Le Monde, qu’on ne peut guère soupçonner d’euroscepticisme, n’hésite pas à titrer : « La Grèce hors de l’euro : l’hypothèse revient en force ».
Comme si cela ne suffisait pas, l’Espagne suffoque. Nicolas Sarkozy nous l’a assez dit pendant la campagne, brandissant l’anti-modèle espagnol comme un épouvantail, au mépris de la plus élémentaire des délicatesses. En récession, le pays ne cesse de multiplier les mesures d’austérité qui ne font que fragiliser davantage le malade au lieu de le soigner. De plus, ne doutons pas que si la Grèce venait à quitter l’eurozone, les marchés auraient tôt fait d’aller appliquer les bienfaits de leur « nervosité » dans les autres pays d’Europe du Sud.
L’Espagne fiévreuse, la Grèce au tapis, bref, si François Hollande avait besoin d’arguments autres que le simple bon sens pour convaincre le partenaire Allemand de réorienter la construction européenne, voici le nouveau président copieusement servi.
D’autant que….l’Allemagne elle-même commence à pâtir des effets de la crise en Europe ! 19 000 chômeurs supplémentaires au mois d’avril, stagnation des exportations pourtant si indispensables à la croissance outre-Rhin, tel est le payer par le « modèle allemand » pour l’intransigeance et l’aveuglement des dirigeants de cette nation. C’était difficilement évitable, pour un pays qui réalise 60 % de ses exportations au sein d’une Union où la demande ne cesse de se contracter.
L’Allemagne conserve certes quelques marges de manœuvres. Elle peut, par exemple, lâcher du lest sur des salaires, gelés depuis longtemps et envisager de miser sur un surcroît de demande intérieure. Mais une telle solution est-elle viable à long terme, pour un pays isolé au centre d’un continent gangréné par la crise ?
Telle est la question que pourrait poser François Hollande à la chancelière allemande lorsque celle-ci le recevra « à bras ouverts » le 16 mai prochain. Cette question-là, et aussi celle-ci : qui continuera de payer pour la Grèce , puis qui paiera pour l’Espagne, pour l’Italie, pour la France , lorsqu’il il s’agira de voler au secours de tous ces pays-là ?
Non, sur l’Europe, François Hollande n’a pas encore échoué. N’en déplaise aux dubitatifs, aux scrogneugneux, aux « lucides » autoproclamés et autres membres de la guilde des « on ne nous la fait pas », il aura, s’il souhaite tenir sa promesse de « réorienter l’Europe », une source intarissable d’arguments à sa disposition.
Et s’il ne le souhaite pas, le réel l’y forcera. N’a-t-il pas forcé de Gaulle à restituer l’Algérie ? On croit que les hommes font l’Histoire, quand, bien souvent, c’est l’Histoire qui fait les hommes. Ceux qui savent prendre le train de l’Histoire en marche – et dans le bon sens – deviennent, a posteriori et souvent sans l’avoir cherché, de « grands hommes ».
Cela n’est évidemment pas gagné pour François Hollande, mais c’est très loin d’être perdu. Et c’est bien mal connaître le passé que de passer son temps à insulter l’avenir.
Lire et relire
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Pas trop d'accord avec toi. Son véritable combat est, déjà en supposant qu'il soit lucide, contre son propre camp. Pareil que pour l'Algérie française, il faudra du temps. Je ne sens pas aujourd'hui les classes moyennes dites de gauche être sorties de leur torpeur. Que disent les cadres et militants du PS? Rien. Il leur a fait une campagne électorale rassurante. Je n'ai pas l'impression qu'il ait posé des jalons, préparé l'opinion à l'échec de l'UE. Ces classes moyennes dites de gauche croient retrouver leut petit confort, leurs petites habitudes.
RépondreSupprimerOn sacrifiera stupidement et monstueusement une bonne partie de la population française avant d'accepter l'évidence. Il tuera probablement plus de gens qu'une Marine Le Pen au pouvoir. Bien sûr, comme il s'agit de pauvres, cela n'a aucune importance à leurs yeux.
Jard
d'accord avec ça.
SupprimerL'eurosceptiscisme ne gagne pas que la France (si on additionne le FN, le NPA, le FdG et large partie de l'UMP si on en croit la campagne trèèèès à droite de Sarkozy, DLR et une partie du PS la France est majoritairement contre l'europe fédérale) mais il gagne toute l'europe.
J'espère que le rêve (cauchemard ouai!) de Schuman ne verra jamais le jour!
Pour autant je souhaite bon courage à Hollande et ( j'ai voté Marine Lepen hein) j'espère qu'on va pouvoir être un peu moins sceptique sur l'avenir.
Mais pitier qu'il conserve la souveraineté de la France, qu'il ne la sacrifie pas sur l'autel européeen, car ce serait renier notre identité et pire n'avoir pas compris l'actualité politique Française récente!
PH
Tout à fait d'accord, et puis si les Allemands ne veulent pas entendre raison, Hollande a avec lui les chars soviétiques pilotés par des femmes en burqa qui auront le doit de vote aux élections locales.
RépondreSupprimer"les chars soviétiques pilotés par des femmes en burqa"
SupprimerLes femmes en burqa sont habituées à avoir un champ de vision réduit. Je ne sais pas comment sont les chars modernes, mais dans ceux qu'on voit dans les films en noir et blanc (et il parait que les Russes ont gardé tous leurs chars), on regarde dehors à travers un tout petit rectangle. Très bon pour l'usage du périscope aussi, l'habitude de la burqa.
Et puis, ça aurait de la gueule quand même, des chars soviétiques garés devant les bureaux de vote. Avec trente Clio, Xzara et scooters écrabouillés à côté du trottoir.
"et proposer de « revoir les statuts de la Banque centrale européenne », comme s’il s’apercevait, au bout de cinq ans de cécité, qu’il serait judicieux d’autoriser celle-ci à prêter aux Etats et non plus aux seules banques."
RépondreSupprimerSarkozy, en début de mandat, s'était accroché avec l'Allemagne sur la question des missions de la BCE, mais n'avait pas pu aboutir.
Sur un sujet précis, celui de la gestion du secteur électrique, voici des éléments plus détaillées des candidats :
http://www.cfe-energies.com/espace_presse/communiques_de_presse/election_presidentielle_2012___reponses_des_candidats_a_la_cfe-cgc_energies
On peut constater que la nocivité de l'ouverture à la concurrence est admise par tous les candidats (sauf les -bip- d'EELV, trop contents de fragiliser EDF).
Sarkozy affirme qu'il a limité les dégâts, ce qui est vrai, mais ne dit pas ce qu'il aurait fait par la suite.
Hollande dit qu'il reviendra sur le sujet, pour y mettre fin. Mais il est bon de se souvenir que c'est le PS (via Jospin) qui a lancé la machine infernale, comme pour l'euro.
Signé "PeutMieuxFaire"
RépondreSupprimer"... s’il ne le souhaite pas, le réel l’y forcera !"
Qui peut vous donner tort ?
Reste à savoir à quoi il sera contraint, à quoi nous serons contraints.
J'ai voté Hollande parce qu'il promet une répartition plus équitable, plus juste des prélèvements. Mais je sais aussi, que faute de retrouver une croissance qui ne se décrète pas, cette meilleure équité devant les impôts et taxes, nous prépare à accepter de meilleur gré de fortes augmentations de ceux-ci.
Que les dieux de la République vous entendent chère Coralie !
RépondreSupprimerSur le site du PS on pouvait voir une photographie toilettée (photoshopée) de la soirée électorale à la Bastille avec la colonne de Juillet libérée de ses drapeaux et porte-drapeau allogènes. Peut-on y voir le signe que François Hollande saura prendre le train de l’Histoire en marche, que le réel le forcera à restituer la France comme de Gaulle a restitué l’Algérie, et qu’il deviendra sans l’avoir cherché un grand homme ? J’ai longtemps pensé que seul un homme de gauche pouvait accomplir ce destin. Peut-être avais-je raison.
Je ne comprends pas toutes ces références aux "trains de l'Histoire", au "sens de l'Histoire", à l'exemplarité de l'Histoire"....
RépondreSupprimerIl me semble qu'écrire une "page" de l'Histoire reste une affaire de convictions fermes, de rapports de forces évalués sobrement et de soutiens têtus d'un entourage pugnace.
Rien n'est écrit! Tout est à construire et à détruire. Le "courage écrivait Alain Badiou, c'est de rester ferme sur ses convictions et de n'en démordre jamais". Le reste, poursuit-il, est affaire de pragmatisme, terme abominable en politique.
Je suis tout à fait d'accord avec votre analyse.
RépondreSupprimerEmmanuel B.