Photo / Margot L'Hermite |
Gaël Brustier et chercheur en sciences sociales.
Il est notamment l'auteur - avec JP Huelin - de Voyage au bout de la droite, Mille et une nuits, 2011
Dans votre ouvrage Voyage au bout de la droite, vous pointez du doit un phénomène de « droitisation » générale des sociétés européennes. La récente victoire de la gauche à la présidentielle puis celle, très nette, remportée aux législatives ne contredisent-elle pas en partie votre analyse ?
Pour nous, et nous le disons dans notre livre, le processus de droitisation n’est ni unilinéaire ni uniforme. Il a ses contradictions et ses périodes de reflux. En Italie, Berlusconi a perdu plusieurs fois les élections mais, sur la durée, il a dominé la vie politique italienne depuis 1994.
Personnellement, j’essaye de me déprendre d’une tendance lourde de notre vie médiatique et politique qui consiste à focaliser sur le court terme. Nous n'avons jamais jugé, au contraire d’autres, que la droitisation se résumait à Nicolas Sarkozy, aux élucubrations de Claude Guéant, aux incongruités de Frédéric Lefebvre et aux twitts de Nadine Morano. Pour tout dire, ils sont absents de Voyage au bout de la droite. Le nom de Nicolas Sarkozy n’est même pas cité. Pas par mépris mais parce que nous avons voulu ainsi signifier que le processus de droitisation dépassait largement l’actualité et la tyrannie de l’instantané.
Les évolutions de l’imaginaire collectif, des «blocs historiques», de l'idéologie dominante me semblent personnellement plus déterminants pour l’avenir de notre pays que la drague grossière de l’électorat FN par Brigitte Barège (Droite populaire) ou que d'autres phénomènes du même type. S’ils ont leur importance, ils n'expliquent pas, puisqu'ils en sont la conséquence, l'évolution de fond des mouvements culturels de nos sociétés.
En ce sens, les élections de 2012 ne me surprennent pas. Leur résultat est davantage la conséquence du grave problème d’incarnation de Nicolas Sarkozy, que d’une inversion d’une tendance qui touche tout l’Occident... Il faut s'attacher à penser les évolutions économiques à venir consubstantiellement aux évolutions idéologiques et politiques : cela permettra de pouvoir anticiper la prochaine phase de la droitisation.
Si ces personnages ne vous semblent pas suffisant à illustrer un processus de fond de droitisation, l’échec aux législatives d’un Claude Guéant ou de nombreux membres de la Droite populaire ne marquent-il pas, au moins, un échec de la fameuse « stratégie Buisson »?
Pour les législatives, il s’agit d’élections avec 45% d’abstention. La «stratégie Buisson», elle, ne concerne pas les législatives. Elle concerne une élection bien particulière: la présidentielle.
D’une certaine manière, en France, aujourd’hui, deux élections sont déterminantes: l’élection présidentielle et les élections municipales. Ce sont les deux élections qui permettent de comprendre comment l’imaginaire du pays évolue et ce sont d’ailleurs les élections qui attirent le plus. Les autres élections ont évidemment de l’importance mais les taux d’abstention élevés révèlent aussi que les Français sont davantage attachés à la figure du Maire et du Président de la République qu’à celle – aussi respectable soit-elle - d’un Président de Conseil Général.
Claude Guéant est battu dans un contexte très particulier, par un élu sarkozyste très implanté. La Droite populaire, collectif baroque d’élus en proie à la montée du FN, n’a jamais été un "intellectuel collectif" mais un canot de sauvetage de députés confrontés à des électorats droitisés dans des circonscriptions difficiles. Ses élus ont couru après le FN et légitimé le discours de celui-ci sans stratégie ni travail politique véritable, en demeurant fixés sur le court terme et le sauvetage de leur mandat. Les déclarations, plus extravagantes les unes que les autres, de ces députés (sur la double nationalité, les homosexuels, les immigrés à remettre dans des bateaux etc.) s’apparentaient plus à une drague lourde de l’électorat FN qu'à une stratégie politique véritable.
Justement, la porosité constatée entre la droite et le FN durant cette longue séquence électorale a fait couler beaucoup d’encre. Est-elle vraiment un phénomène si nouveau ? On se souvient des municipales de Dreux en 1983, ou d’alliances aux régionales de 1998….
La droite a profondément évolué. Le RPR et l’UDF ont fusionné au sein de l’UMP. Le Front National était, en 1983, le parti d’une droite radicalisée, de petits commerçants, d’une petite bourgeoisie et de quelques ouvriers de droite. Son émergence correspond à l'usage de l'immigration et de thématiques propres aux segments les plus droitiers de la droite traditionnelle. D'ailleurs, en 1986; la moitié des députés FN sont des transfuges du RPR ou de l'UDF.
En 1998, la droite a tenu bon au niveau national. Philippe Séguin avait en horreur le Front national et Charles Pasqua estimait, me semble-t-il, que la droite était trop faible pour négocier quoi que ce soit avec le FN qui, à l'époque, était davantage structuré et organisé qu'aujourd’hui. Il avait le sens du rapport de forces. Quant à Bruno Mégret ou Jean-Yves Le Gallou, ils avaient en tête, depuis les années 1980, d'inoculer à la droite parlementaire les germes de leur idéologie. La "préférence nationale" était la grande innovation conceptuelle censée droitiser la droite.
Finalement, jusqu'aux années 2000, entre FN et RPR (surtout), il y avait le souvenir de l'Occupation et de la Guerre d'Algérie : les possibles excès de langage étaient contrebalancés, dans la droite républicaine, par quelques solides repères historiques. Cela créait un blocage majeur dans les relations des néo-gaullistes avec les frontistes. Cette frontière là a disparu.
L’entrée de deux députés du Front national à l’Assemblée marque-t-il vraiment un tournant pour ce parti ? Ses succès très localisés au législatives (Gard, Vaucluse), et l’échec de Marine Le Pen dans le Pas-de-Calais ne témoignent-t-il pas au contraire d’une « droitisation » très circonscrite au Sud de la France ?
Il est vrai que le Sud de la France est en pointe du phénomène de droitisation. C’est là que les électorats ont fusionné. C’est là que, demain, la fusion peut se concrétiser dans des alliances locales. Un nombre important de triangulaires ont eu lieu dans le Sud.
Dans les Bouches-du-Rhône, Olivier Ferrand a par exemple été élu à la faveur d’une triangulaire avec l’UMP et le FN, où il a du affronter le majordome de Jean-Marie Le Pen... Mais c’est vrai pour d’autres circonscriptions dans le Vaucluse ou dans l’Hérault. Il faut aussi regarder le score impressionnant du FN (48,8%) face à Michel Vauzelle (51,2%). Il faut enfin constater les scores importants du FN dans le Var ou les Alpes Maritimes, qui ne permettent pas de mettre en difficulté électorale l'UMP. Je renvoie aux excellents travaux de Joël Gombin et Pierre Mayance sur la situation en Provence-Alpes-Côte-d’Azur...
Défaite à Hénin-Beaumont, Marine Le Pen peut-elle encore espérer faire « exploser la droite » au profit du FN ainsi qu’elle le prévoyait ?
Faire exploser l’UMP est très difficile. Nous avons pointé l’hypothèse d’une fusion culturelle, et d’une interpénétration des bases militantes. Cette hypothèse se précise.
La prochaine étape déterminante sera celle des élections régionales et des élections municipales. Dans ce deuxième cas, il sera intéressant d’observer les campagnes des candidats de droite. Prendront-ils sur leurs listes des militants FN ou même Identitaires dans le Sud de la France ? Adopteront-ils la "priorité nationale" (et européenne) comme Mégret le fit en son temps à Vitrolles.
Le FN est privé de cadres dans un grand nombre de régions. Jean-Marie Le Pen a successivement liquidé les amis de Bruno Mégret, puis ceux de Carl Lang. Tous étaient des cadres plutôt implantés qui ont fini par payer leur autonomie par rapport au Président du FN. Cette faiblesse de l'encadrement est un incontestable élément retardateur sur la fusion des appareils mais par de la base culturelle.
Ce sur quoi il faut travailler c’est sur l’imaginaire, sur la domination culturelle des droites. Cela suppose de prendre un peu de recul par rapport à la politique électorale et d'être en mesure de décoder la domination culturelle dextriste. Gardons en ligne de mire les futures municipales et la prochaine présidentielle. C'est là que se jouent les prochaines étapes.
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Entretien avec Eric Dupin sur les législatives 2012 CLICK
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Cela suppose de prendre un peu de recul par rapport à la politique électorale et d'être en mesure de décoder la domination culturelle dextriste.
RépondreSupprimerQuel verbiage pour dire que le pays réel refuse de mourir....
Les "pays réel" ?
RépondreSupprimerDepuis que Maurras est mort, il n'y a plus que Libération, pour parler comme ça !
Z'allez virer à gauche, fedi m. !!
Pas besoin d'aller chercher si loin!
SupprimerPhilippe De Villiers, du temps où il faisait encore de la politique,affectionnait cette expression.
Fredi m. n'a pas tort.
RépondreSupprimerMais il y a plus grave:
"Ce sur quoi il faut travailler c’est sur l’imaginaire, sur la domination culturelle des droites".Ceci contient(outre un appel au combat) une contre-vérité flagrante:Il n'y apas de domination culturelle des droites en France.Au contraire!
Mais peut-être conviendrait-il de "rafraichir" le vocabulaire:
RépondreSupprimerQu'appelle-t-on droite ou gauche aujourd'hui?
Dans le rapprochement des électorats FN et UMP, le critère sera l'Europe. Une droite identitaire pro-allemande nous mènera assez loin. La société française devrait pouvoir maintenir une droite identitaire nationale dans des limites acceptables. Si l'UMP a totalement abandonné la France, alors c'est au FN qu'auront lieu les règlements de compte les plus durs entre les racistes et les patriotes.
RépondreSupprimerSi la gauche n'existe pas, c'est sa responsabilité.
Jard
Je vais essayer dee répondre à ma question.
RépondreSupprimerDroite ou gauche,ceci n' a plus guère de sens aujourd'hui,même si la majo. des français s'y réfèrent encore-ce qui n'est pas étonnant vu la perte de sens et de repères généralisée dans ce pays.
La vraie césure est entre ceux qui raisonnent en termes de Nation et République et ceux pour qui la Nation est mère de tous les maux(à gauche)ou simplement dépassée(à droite).Ceux-ci ont également- mais insidieusement- abandonné une bonne part du principe républicain,ce qui n'est pas illogique puisque Nation et République vont naturellement de pair.
Yep, mais allons-nous vers la vraie césure, un vrai César ou une fausse division (de Panzers, ach ach ach)?
SupprimerJard
Poursuivons:
RépondreSupprimerL'adhésion (majoritaire) de la gauche à la mondialisation néolibérale(toujours motivée notamment par le rejet du concept même de Nation)et le ralliement de la droite aux valeurs du libertarisme (en sus du néolibéralisme) montrent bien l'interpénétration "moderne" entre gauche et droite,et l'anéantisation de cette fausse opposition.
Mélenchon prophétise,à terme,un face-à-face entre les seuls FN et FG -opinion peut-être schématique mais non dépourvue de fondements-montre bien qu'en définitive le sentiment national(ou son rejet) est la dernière vraie ligne de front de la politique en France.Je ne "juge" pas,je constate.
Je suis parfaitement d'accord avec "anonyme" mais je ne sais plus lequel.
RépondreSupprimerIl n'y a jamais eu droitisation de l'UMP. Jamais.
Des paroliers habiles ont mis des mots dans la bouche d'un candidat et, avec les drapeaux bleu-blanc-rouge, celà a donner de très beaux spectacles sur les estrades.
C'est tout.
C'est tout et c'était trop peu car, l'electeur qui n'est pas toujours un demeuré, n'a vu aucun signal durant les cinq années écoulées de ce candidat qui aurait signifié "je vous ai compris".
La droitisation de l'UMP n'a pas eu lieu car, tout simplement, le medef n'en voulait pas. Laurence aurait hurlé:
-Quoi !! Et mes travailleurs sans droit ! Et mon chomage à 15% qui fait tant peur aux insiders !!
Pourtant, la préférence nationale par exemple, aurait été un joli thème pour l'UMP. Après tout n'est-il pas vrai que nous sommes encore chez nous* ?
Les électeurs ont jugé que le spectacle sonnait creux.
Tout comme celui de Mélanchon, idiot utile de Laurence.
La seule droitisation réelle est dans le coeur et les esprits des français, et il faudra bien songer un jour à en tenir compte.
En attendant ce faux débat permet à l'aile centriste de l'UMP (commment une aile peut-elle être centriste, je me perds en conjectures..) de reprendre du poil de la bête, inconsciente du sort à la Bayrou qui l'attend.
*Il faut que je cultive ma beaufitude sans laquelle fredi n'est plus fredi.