« Les dépenses de l’Etat seront gelées pendant trois ans ». Telle était l’annonce triomphale qu’on lisait hier dans nombre de journaux, souvent assortie de clichés de ministres souriants. En effet, quand on démontre que, bien qu’étant socialistes, on est avant tout « des gens sérieux », on ne peut qu’arborer une mine réjouie.
Et quand on dit « sérieux », c’est presque un euphémisme. Jugez plutôt : avec des dépenses gelées et un taux d’inflation aux alentour de 2%, les dépenses de l’Etat vont donc baisser chaque année pendant 3 ans. C’est Angela Merkel, qui va être contente !
Heureusement - ouf, sauvés ! - on nous annonce un « effort juste, équilibré, partagé ». Après « l’ordre juste » de Ségolène Royal, voici venir « l’austérité juste » du couple Hollande/Ayrault. Etre juste, répartir équitablement la pauvreté : c’est aussi cela, être de gauche.
D’ailleurs, le journal Libération - qui s’y connaît en matière de gauche - expliquait cela très clairement dans un édito daté du vendredi 21 juin : « une rigueur de gauche est-elle une rigueur de droite qui ne dit pas son nom ? Il faut le dire sans relâche, il n’y a aucune fatalité à ce que ces deux-là se ressemblent ».
C’est vrai, quoi ! Assénons-le, martelons-le, tonitruons-le « sans relâche » : l’austérité de droite et l’austérité de gauche, c’est différent. La preuve : l’une est de droite, ce qui est mal. L’autre est de gauche, ce qui est bien. Et Libé de préciser le fond de sa « pensée » : pour que la rigueur de gauche diffère de celle de droite, il faut qu’un certains nombre de conditions soient réunies. Il convient notamment que « cette rigueur soit assumée, discutée, explicitée et arbitrée à chaque instant dans un esprit de justice et d’effort partagé ».
Une rigueur bien « assumée » : voilà qui est de gauche ! Et « explicitée » aussi. La rigueur, finalement, c’est un peu comme la peste, le choléra, le vol à l’étalage et les coups de fouet. Au départ, on est plutôt tenté d’être contre, mais dès lors que c’est bien « discuté, explicité », on comprend immédiatement tout le bénéfice qu’il y a à en tirer.
En tout cas, quant à l’austérité de gauche et à celle de droite, il est un point sur lequel chacun des deux camps s’accorde volontiers : « il n’y a aucune fatalité à ce que ces deux-là se ressemblent ». D’ailleurs, la toute nouvelle opposition défend « sa » rigueur avec la dernière énergie. Récemment invitée de l’émission Mots croisés, Valérie Pécresse l’a martelé : « la rigueur de gauche sera beaucoup plus brutale que la rigueur de droite ».
En effet, selon l’ancienne ministre, la rigueur de droite, si elle était moins « explicité » avait au moins un avantage : elle était « tout entière tournée vers la compétitivité, le pouvoir d’achat et l’emploi », quand sa cousine de gauche « se caractérise par des mesures anticoissance et anti-emploi ». Là, on brûle de découvrir dans quels secteurs précis l’austérité de droite a généré de l’emploi, quel type d’emplois, et dans quelles proportions. Las, l’histoire ne le dit pas.
Résumons nous : pour la gauche, la rigueur de droite n’était pas suffisamment « assumée, discutée, explicitée ». A l’inverse, pour la droite, la rigueur de gauche sera « brutale » et « anticroissance ». On voit bien là toute la nuance qu’il y a entre les deux types d’austérité. Chacune est portée par des « gens sérieux », mais leur « nature profonde » diffère dans les grandes largeurs….
René Rémond, dans un ouvrage visant à actualiser ses analyses historiques et intitulée « Les droites aujourd’hui », s’interrogeait sur la pertinence, à l’aube des années 2000, de continuer distinguer la droite et la gauche. Il admettait que les anciennes lignes de fractures telles l’acceptation de la République, ou la question religieuse, étaient caduques pour départager les deux camps.
Il essayait donc de dégager de nouveaux sujets d’affrontement tels que la décentralisation, l’Union européenne, ou encore la laïcité, mais constatait avec regret que sur ces questions, les positionnements étaient largement trans-clivage : « sur trois des débats de l’heure portant sur des questions de fond et dont la solution façonnera l’avenir, la distinction droite-gauche n’est pas ou n’est plus pertinente ».
C’est vraiment bête que Rémond n’ait pas tenté d’appliquer sa grille d’analyse à « la rigueur ». Sur ce point, aurait été immédiatement convaincu du caractère irréfragable de la partition gauche/droite. Et il aurait pu s’écrier comme nous le fîmes de bonne foi au soir du 6 mai : « le changement, c’est maintenant ! »
_____________________________
Mine de crayon, il s'agit d'une nouvelle dramatique. Le continent sombre dans la folie. Nous sommes en vieillissement accéléré, une folie de vieux pourrait donner l'immobilisme le plus absolu et nos élites déchaînées pourraient aller très loin dans la politique d'appauvrissement. Certains pays trop vieux, trop inorganisés, divisés, risquent d'être détruits.
RépondreSupprimerBientôt, les départs massifs de jeunes hors UE, la forte progression des suicides, du nombre de gens à la rue, de la pauvreté, les assassinats d'immigrés et de Français de couleur. Probable qu'en 2017, nous soyons dans un autre univers mental.
Jard
J'adore. Quelle analyse fine et drôle.
RépondreSupprimerJE VOUS AIME !! (ne le dites pas à ma femme qui en prendrait ombrage).
Continuez ainsi à égayer mes sombres journées de fonctionnaire (heureusement que les contribuables financent mon accès à internet !)
Asitoma