Entretien avec Didier Motchane
Didier Motchane a co-fondé le CERES avec JP Chevènement, P. Guidoni et A. Gomez. Il est notamment l'auteur de : - Voyage imaginaire à traver les mots du siècle, Fayard, 2010 - Les années Mitterrand, Bruno Leprince , 2011 |
Quelle est votre
appréciation des 100 premiers jours de François Hollande et du
gouvernement Ayrault ?
Par
la force des choses, dans les premières semaines de l'entrée en
fonction d'un nouveau gouvernement, le jeu se situe essentiellement
sur le domaine du symbolique. C'est essentiellement à partir de
maintenant que la plupart des décisions annoncées sont susceptibles
d'être prises. A quelques exceptions près, comme notamment le
relèvement du plafond du Livret A - décision significative qui
affecte une masse importante de l'épargne au logement social - les
actions ont été surtout d'affichage. Mais on sait combien les
symboles sont importants en politique.
Quant
à la suite, il me semble que le jeu est encore très ouvert,
d'autant plus que le président de la République s'est
essentiellement cantonné, pour l'heure, à des déclarations de
principe. De plus, lorsqu'on observe les gens qui constituent son
entourage, on constate une assez grande diversité des profils.
Pour
ma part, je crois que ne pourront être considérées comme
significatives que les mesures qui porteront atteinte aux inégalités.
Je pense en particulier à la mesure la plus facile et rapide à
mettre en œuvre : la réforme de la fiscalité. Si la réforme
fiscale promise est importante, si elle marque un virage net, elle
aura un caractère décisif. Elle donnera véritablement sa couleur
au quinquennat.
Vous ne rejoignez donc pas les
critiques virulentes du Front de gauche ?
Je
me retrouve dans un certain nombre des thèmes chers au Front de
gauche. Pour autant, je ne partage pas la tendance à l'imprécation
– parfois précipitée – de Jean-Luc Mélenchon. La manière tonitruante dont il exprime son désaccord a sans doute de bonnes
raisons rhétoriques, mais je préfère être attentif à ce qu'il
propose plus qu'à ce qu'il dénonce. Il est plus utile et plus
efficace de dire, de répéter, d'expliquer ce que l'on se
proposerait de faire que de demeurer dans la « critique
vertueuse ».
Mais il arrive à
Mélenchon de proposer...il propose notamment que le gouvernement
organise un référendum sur le Pacte budgétaire européen...
Il
pourrait en effet sortir beaucoup de choses d'un tel
référendum...Tout dépend des conditions dans lesquelles il serait
organisé : il faudrait que ce soit là l'occasion d'un débat
préalable, et d'un débat de qualité. Ce pourrait être l'occasion
de poser un certain nombre de questions dans le débat public. A
condition bien sûr de s'en donner le temps, et de ne pas organiser
une telle consultation à la va-vite...et de ne pas flouer, comme
cela fut le cas une première fois lors du référendum de 2005, le
verdict populaire.
N'est-il pas trop tard
pour une telle consultation ?
Non...la
décision de voter ce traité ne me fait pas plaisir, et je pense
qu'il aurait été très encourageant et très manifeste d'un
changement politique si on ne s'y était pas résigné.
Evidemment,
on peut dire – et on ne s'en prive pas- que le traité a été
signé et que la parole de la France est engagée. Toutefois, on sent
bien qu'en France, comme dans les pays alentours, le « fond de
l'air », autrement dit l'idéologie dominante, commence à
changer. Lentement, mais nettement. Regardez comme on se croit
obligé, désormais, pour faire passer la ratification du traité, de
le flanquer d'un « Pacte de croissance ». De pur
affichage, certes, mais qui montre qu'on est désormais contraint de
tenir compte, au moins dans les apparences, des doutes nouveaux et
nombreux qui s'expriment ça et là. A cet égard, il sera très
intéressant de voir quel sera le nombre des parlementaires de gauche
qui ne le voteront pas.
François Hollande
vous semble-t-il avoir la possibilité d'infléchir significativement
les positions allemandes ?
Ça,
c'est une bonne question....A mon sens, il en a la possibilité. Mais
ça dépendra beaucoup de l'évolution du climat en Allemagne et du
jeu des rapports de force au sein de ce pays.
D'autre
part, ça dépendra de la détermination française et de la volonté
personnelle d'Hollande. Il faut dire que l'idée de calquer la
politique française sur l'allemande fonctionne de plus en plus comme
une sorte de garde-fou, de garantie de la poursuite de cette
politique inaugurée dans les années 1990 avec le « franc fort », reposant sur l'idée que la parité entre le franc et
le mark étaient immuable. L’Allemagne apparaît à beaucoup comme
un rempart, une garantie de survie du social-libéralisme.
Social-libéralisme...que
vous définissez comment ?
Disons
que ça consiste à ne pas chercher de véritable mise en cause des
inégalités, à ouvrir chaque jour davantage les voies « aux
marchés » et à donner une priorité absolue à la réduction
des déficits budgétaires. Autrement dit, on considère qu'il faut
absolument diminuer la dépense publique quelle qu'elle soit, sans
jamais considérer qu'une proportion importante de la dépense
publique devrait au contraire augmenter : celle qui est
consacrée à l'investissement. Je pense en particulier à l'éducation, à l'école, à la recherche, à la santé, à la
culture.
Sans doute une
modification des rapports de forces en Europe peut-elle aider ?
Plusieurs pays auront des élections dans les deux ans à venir...
Oui,
cela peut permettre d'aider à la lente modification du « fond
de l'air ». De petites secousses de ce type ne semblent pas
encore de nature à déplacer beaucoup de convictions ni de
détermination. Mais à ces petites secousses peuvent s'ajouter
prochainement de plus grandes. D'autant plus que l'on va probablement
vers un certain nombre de crises sociales importantes. Le chômage
croissant en est le signe annonciateur.
Imaginez-vous que
certains pays du Sud, sous l'effet de cette crise, justement,
puissent quitter la zone euro ?
Ce
n'est pas impossible si s’accroît l'intolérance sociale aux
mesures d'austérités que subissent les populations pour maintenir
leur pays dans l'eurozone.
C'est
d'autant plus plausible que dans les pays du Nord de l'Europe,
l'opinion est de plus en plus défavorable à cette solidarité qu'on
leur impose avec le Sud, et qui leur semble désormais trop coûteuse.
Finalement,
ce que la crise montre, c'est que l'idée d'imposer l'uniformité
d'une monnaie unique à des sociétés profondément différentes par
la culture, par les habitudes, par l'économie était une grande
erreur. Et cette erreur est de plus en plus remise en cause, comme en
témoignent les nombreux craquement auxquels nous assistons, non
seulement en Grèce, en Italie, en Espagne, mais également en
Allemagne.
Alors
bien sûr, l'euro n'éclatera pas du jour au lendemain. Mais rien
n'interdit d'envisager qu'il finisse par se scinder. Soit que
certains pays s'en détachent purement et simplement, soient que le
Nord et le Sud de la zone décident de se séparer.
Un tel partage en deux
vous semble jouable ?..
La
question est de savoir si le contraire – c'est à dire le maintien
en l'état de la zone euro – restera, lui, indéfiniment jouable !
Mario Draghi semble
se montrer offensif et pragmatique. Que peut véritablement la Banque
centrale européenne ?
C'est
difficile car on tend à attendre de la Banque centrale qu'elle prenne des décisions qui devraient en fait relever d'un Etat fédéral. Lequel n'existe pas.
L'euro,
en principe, supposerait un fédéralisme autorisant les transferts
budgétaires, seule solution pour pallier l'impossibilité de jouer
de l'outil monétaire. Or ce fédéralisme est politiquement
impossible, tant il est peu souhaité par la majorité des européens.
Comme vous le savez, le budget de l'Union européenne est aujourd'hui
négligeable
Revenons-en
un instant au Traité sur la
stabilité, la coordination et la gouvernance
(TCSG). Imaginons que les députés de gauche à ne pas le voter
soient
nombreux. Quelles en seraient les conséquences ?
Cela nous rapprocherait du moment, dont je crois que la survenue est
possible et même probable, où l'on se rendra compte que l'idéologie
européiste est condamnée à mort. Ce qui ne veut pas dire du tout
que l'Europe l'est également. C'est l'européisme qui est dépassé,
et ce que l'on fait actuellement de l'Europe.
D'ailleurs,
ce que l'on fait de cette Europe est très vague. Si
on demandait aux gens de définir en deux phrases ce qu'est, pour
eux, l'Europe, beaucoup
seraient incapables de
répondre. On nous dit que
l'Europe, c'est « l'avenir ». Autrement dit, c'est une
idée qui remplace ce que fut jadis la « divine providence ».
Il y a quelque chose de religieux dans l'idéalisme européiste.
Tout
de même, pour faire face à la montée des grands pays émergents,
il nous faut bien acquérir, en nous associant, une certaine taille.
Et ça ce n'est pas religieux...
Voilà qui est fort vague ! Pour faire face à quoi exactement ?
Pourquoi voulez-vous « faire face » ? La dimension,
évidemment, est un élément qui compte. Mais il est loin d'être le
seul. La cohérence politique n'est nullement proportionnelle à la
dimension d'un pays. Concernant l'Europe, elle est même plus
difficile que dans un cadre national, car l'Europe est un conglomérat
de sociétés dont les habitudes, les représentations, la mémoire
et, pour une part, l'horizon, sont différents les uns des autres.
En France, il a fallu un temps très long, plusieurs siècles, pour
constituer une nation, autrement dit un espace pleinement civique.
Alors, peut-être que dans plusieurs siècles, l'espace civique ne
sera plus national mais supranational. Mais pour l'instant et pour
encore longtemps, ce n'est pas le cas. Une association ponctuelle et
transnationale de la volonté des citoyens ne suffit pas encore à
constituer cet espace pleinement civique, autrement dit un espace
dans lequel la solidarité est quasiment sans limite, au point qu'on
peut aller jusqu’à donner sa vie pour cela.
En tout état de cause, pour l'heure, l'européisme n'est rien
d'autre qu'une idéologie de rechange utilisée par des socialistes
qui ont entrepris de se muer en libéraux. Le socialisme qu'ils
appelaient de leur vœux étant mort à leurs yeux depuis
l'expérience soviétique, ils l'ont tout bonnement troqué.
Peut-on
encore être socialiste ?
Bien sûr. Mais en gardant les pieds sur terre. Il est vrai que les
expérience de socialisme déclaré, et qui ont défiguré le
socialisme, ont échoué. Il faut désormais réfléchir aux
conditions qui permettraient de faire renaître des convictions de
type socialiste aujourd'hui. Cela me semble passer avant tout par par
la correction -notamment via la fiscalité - de ces inégalités
devenues bien trop grandes et trop nombreuses dans notre pays.
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Analyse très intéressante qui rejoint me semble t-il sur pas mal de points celle de Philippe Murer par exemple, notamment sur l'Allemagne, la position de Hollande, l'évolution de la BCE ou le TSCG. Beaucoup de gens partagent maintenant le même constat, l'analyse des causes est convaincante, des alternatives se dégagent, mais je me demande quand même comment faire bouger le parti socialiste sur l'Europe d'une part, et comment créer un pont entre Dupont Aignan et Mélenchon, qui pour l'instant s'y refuse...et semble plutôt vouloir créer un pont avec le FN...
RépondreSupprimerEn attendant je signale le lien de l'interview récente de Murer que je mentionnais : http://blogdenico.fr/?p=1909
Mélenchon semble vouloir créer un pont avec le FN ? Wow ! Quelque chose me dit que comme bâtisseur de pont il repassera, et que vous repasserez avec lui.
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