Jacques Sapir est économiste, et directeur d'études à l'EHESS Il est notamment l'auteur de - La démondialisation, Seuil, avril 2011 (click) - Faut-il sortir de l'euro ? Seuil, janvier 2012 |
Dans la première partie de cet entretien, à lire ICI, Jacques Sapir exprimait ses doutes quant aux chances de réussite du "plan Draghi" annoncé jeudi. La suite ci-dessous :
Comme vous l'êtes
de longue date, vous demeurez donc très pessimiste quand à la pérennité même de
l'euro ?
Tout
à fait. Mais il faut bien savoir qu'aujourd'hui, il n'y a plus que les
politiques et les journalistes pour penser que la monnaie unique ait un avenir.
Pas un banquier français, anglais, allemand ou suisse ne croit encore à sa
survie ! Cette conversion des banquiers s'est pour ainsi dire jouée entre
décembre 2011 et mai 2012. Auparavant, les banques mettaient pas mal d'espoirdans les LTRO (long term refinancing operations), qui ont consisté, pour la
BCE, à refinancer les banques privées au taux de 1 %. Mais ce plan a échoué.
Comment pourrait se
passer fin de l'euro ?
J'envisage
deux scénarios possibles. Première hypothèse : la Grèce sort, suivie dans
un délai de un à deux ans par un, deux ou trois autres pays, et la zone euro se
délite. Seconde hypothèse : nous prenons la décision commune de dissoudre
la zone. Cette dernière solution aurait de nombreux avantages. Elle permettrait
de maintenir un système de coordination entre les monnaies, rendu impossible en
cas de sorties au compte-goutte.
En
revanche, je ne vois pas de troisième solution. Certes, on parle beaucoup de
faire un « saut fédéral ». Mais il faut se rendre compte de ce que
cela implique. Ça contraindrait les régions riches à payer pour les régions
pauvres. Autrement dit, il faudrait que l'Allemagne paye pour la Grèce, pour
l'Espagne, pour le Portugal, puis pour l'Italie et pour la France. Une telle
option nécessiterait que l'Allemagne y consacre chaque année entre 8 et
12 % de son PIB ! Je n'imagine pas une minute que cela soit
crédible !
Payer pour la France...pour
l'heure, il nous arrive d'emprunter à des taux négatifs. Il semble que la
France soit encore en partie préservée.
Pas
du tout. D'une part, il ne s'agit là que des taux à très courts termes (trois
mois). Ensuite, il s'agit de liquidités que des entreprises, qui font du
commerce avec la zone euro, sont obligées de placer en euros. Pour autant, il
n'est plus question pour elles d'acquérir des bons du Trésor espagnol ou
italiens, qui ne sont plus sûrs. Ces entreprises se rabattent donc sur des bons
allemands et français. Cela témoigne bien plus d'un dysfonctionnement global de
l'eurozone que de d'une bonne santé de l'économie française.
Finalement, que
peut encore faire le gouvernement français ?
Le
problème du gouvernement, c'est qu'il va être confronté à une monté explosive
du chômage. Ce printemps, nous étions sur un rythme moyen de 20 000 chômeurs de
plus par mois. A partir de cet été, nous sommes passés à un rythme de 40 000
chômeurs par mois. D'ici juin prochain, nous devrions donc avoir 500 000
chômeurs supplémentaires si le rythme se maintient.
En
réalité, le chômage va augmenter beaucoup plus vite que cela. En effet,
l'économie française va se trouver en récession à partir de la fin de cette
année, de même que l'an prochain. Aujourd'hui, le consensus des économistes
situe le repli du PIB entre – 0,2 et – 0,3 % pour 2013. Je considère quant
à moi qu'on descendra jusqu'à – 0,5 %. Ce qui devrait nous amener à 700
000 chômeurs supplémentaires d'ici juin 2013.
Le
gouvernement devrait commencer à agir...en n'agissant pas. Il peut ainsi
laisser le déficit public repartir à la hausse, et annoncer qu'en raison de la
réalité économique, il renonce au retour à l'équilibre en 2017. Il peut aussi
décider, à un moment donné du mandat, de procéder à un ajustement budgétaire
brutal et sévère. Là, on ignore ce qui pourrait advenir du chômage. Certaines
estimations – par exemple celles de Patrick Artus (Natixis) – le placent
jusqu'à 20 % en 2014.
Cependant,
la situation politique pourrait rapidement devenir très différente de ce
qu'elle est actuellement, avec le durcissement des oppositions qui apparaissent
d'ores et déjà au sein même de la gauche. Une solution raisonnable, pour le
gouvernement, pourrait consister alors à demander, purement et simplement la
dissolution de l'euro...
Peu crédible si
l'on considère que toute la construction européenne s'est construite autour de
la monnaie unique...
Pourquoi
donc ? Les choses changent. Le tabou a déjà sauté. Il existe déjà un pays,
la Finlande, qui a admis qu'il se porterait sans doute beaucoup mieux sans
l'euro. Quand aux pays d'Europe hors zone, notamment ceux de l'Est, ils ne
désirent plus adopter cette monnaie. Nous sommes donc à un moment de bascule.
Reste à savoir quand les dirigeants français intégreront cela à leur
raisonnement. Vont-ils attendre le dernier moment ou accepter de le
planifier ? Tout est possible...
Évidemment,
si l'euro doit disparaître, il vaut mieux que cela soit décidé par les
européens de manière coordonnée. On pourrait alors créer un nouveau SME, au
sein duquel on fixerait d'un commun accord les parités et les marges de
fluctuation des nouvelles monnaies nationales.
On
sait d'ores et déjà dans quelles proportions les pays devraient dévaluer ou
réévaluer leur monnaie nationale pour retrouver les niveaux de compétitivités
relatifs qui prévalaient en 1999-2000. La France, notamment, devrait dévaluer
de 20 à 22 % par rapport à l'Allemagne.
Là, on se heurte à
ce problème sans cesse soulevé par nos politiques : si notre monnaie, le
« nouveau franc », est dévaluée, notre dette, qui est libellée en
euros, explosera.
Ca,
c'est une blague ! C'est l'argument qu'on agite pour effrayer les
gens ! Si l'euro est dissout, toutes les dettes, publiques, mais aussi
privées, seront immédiatement relibellées dans les nouvelles monnaies
nationales. La dette ne peut pas croître puisqu'elle est strictement
proportionnelle à notre richesse à un moment donné. Un retour au franc ne
changerait rien au rapport dette / PIB. Les seuls perdants éventuels ne seraient
les créanciers étrangers de la France !
On serait donc
gagnants ?
Oui,
bien sûr. Cela se passe toujours ainsi : tout excès d'endettement finit
toujours par se défaire au détriment des créanciers. Et c'est sans compter les
effets bénéfiques qu'aurait, sur le commerce extérieur et sur l'activité
économique interne, une dévaluation par rapport à l'Allemagne. Quand bien même
nous subirions une réévaluation par rapport à la Grèce, à l'Espagne et à
l'Italie.
Il y a aussi le
problème du dollar...
Oui :
le « nouveau franc » devrait logiquement perdre 10 % par rapport
au dollar. Nos importations libellées en dollar seraient donc renchéries de
10 %. De même pour nos importations en marks, si l'Allemagne réévalue de
20 %.
Sachant
que les importations, en France, représentent environ la moitié du PIB et que,
sur cette moitié se trouvent 10 % du PIB pour l'énergie (libellé en
dollar) et 10 % en provenance d'Allemagne, nous aurions respectivement
2 % de hausse liée au renchérissement des produits allemands, et 1 à
2 % lié à nos achats énergétiques. Si l'on ajoute cela à notre taux
d'inflation actuel, on peut compter que le choc d'inflation post-dévaluation se
situerait autour de 6 à 7 %. Uniquement, bien sûr, pour la première année,
puisque le scénario de la dévaluation ne se joue qu'une fois. C'est loin d'être
dramatique.
Ça peut l'être pour
les ménages. Notamment pour les personnes à petits revenus qui verront leurs
dépenses, par exemple d’essence, croître brutalement.
Je
ne dis pas qu'il ne se posera aucun problème. Mais ce que fait actuellement le
gouvernement sur les prix de l'essence peut tout à fait être revu. D'ailleurs,
la petite baisse des prix récemment décidée n'est pas du tout équitable. Elle
subventionne au même niveau le possesseur d'une Porsche et celui d'une
Logan...C'est le chèque-essence, tenant compte des niveaux de revenus mais
aussi de la distance entre le domicile et l’emploi, qui devrait être préféré.
Pour
le reste, il y aura évidemment un choix à faire : veut-on des produits bon
marché, ou veut-on de l'emploi ? Il sera difficile d'avoir les deux. Dans
ce cadre, la dévaluation monétaire se révélerait une politique efficace de
redistribution de la richesse. Car elle sera surtout coûteuse pour ceux qui
voyagent beaucoup à l'étranger et qui désirent acheter une Mercédès ou une
Audi !
En
conséquence, je pense qu'un processus de dissolution concerté de l'euro ne
devrait pas être traumatique.
En
revanche, si l'on est dans une logique d’effilochement progressif de
l'eurozone, le choc sera bien plus grand, économiquement et politiquement. On
ignore alors quel pourrait être la dureté des conflits entre les différents
pays, et même entre régions d'un même pays, de l'Espagne à la Belgique.
Poursuivre
dans la voie actuelle, c'est prendre le risque d'un délitement qui ne s'attaque
pas seulement à la devise, mais à l'existence même de l'Union européenne comme
construction politique.
Relire la première partie de l'entretien : CLICK
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Très intéressant, merci pour cet entretien.
RépondreSupprimerLa suite des événements semble difficile à prévoir. Jacques Sapir aura peut-être tort, mais son analyse a le mérite d'être cohérente et argumentée. C'est quelqu'un qui devrait davantage être écouté.
Merci, on ne sait qui est le plus pertinent, de l'interviewé ou de l'intervieweuse. En tous cas je rejoins l'analyse macro (austérité/chômage/déficit/austérité).
RépondreSupprimerLa lecture de la décision de la BCE comme victoire de l'Allemagne est spécialement intéressante, car la presse allemande fait une lecture inverse (allant jusqu'à parler de disparition de la Bundesbank).
Et alors ? Qui veut de l'Union Européenne ? Pourquoi faire, sauf pour détruire la France et garantir son plat de morue quotidien ( bacalao ) à Monsieur Barroso, maoïste de profession ? Pour savoir ce qu'est vraiment l'Union Européenne, son arrogance, son mépris plus qu'affiché de la démocratie, des peuples et même de l'humanité toute entière, lisez-donc les posts de Monsieur Jean Quatremer sur son blog exaltant "Nouvelles de Bruxelles". J'oubliais : l'Union Européenne sert également à préserver le salaire de Monsieur Jean Quatremer et de quelques autres.
RépondreSupprimerSancelrien
Avec une monnaie commune on risque les mêmes problèmes, si certaines de ses monnaies internes dévaluent trop par rapport aux autres, la monnaie commune dévaluera, ce qui ne sera pas du goût des pays qui préfèrent une monnaie forte. Donc aussi dans ce cas, il faudra prévoir une clause de sortie des pays à taux devenus trop faibles.
RépondreSupprimerSapir prône une sortie de l'Euro par un nouveau SME
RépondreSupprimerLordon explique les limites d'un nouveau SME et propose une monnaie commune et non unique
http://blog.mondediplo.net/2013-05-25-Pour-une-monnaie-commune-sans-l-Allemagne-ou-avec
http://www.monde-diplomatique.fr/2013/08/LORDON/49561
L'excellent Sapir s'est trompé sur les délais de la sortie de la Grèce et sur l'augmentation du chomage.