Christophe
Barret est historien et spécialiste de l'Espagne. Il est
l'auteur de
Podemos,
pour une autre Europe aux
éditions du Cerf. En
novembre dernier, il avait accordé une interview à L'arène nue à
ce sujet. On peut la découvrir ici. Il revient ici brièvement sur les points communs et les différences entre le mouvement Nuit debout et celui des Indignés espagnols de 2011. Il en profite aussi pour évoquer la création de Podemos.
***
Vous
êtes
l'auteur d'un livre sur le parti espagnol Podemos, dont on sait qu'il
est né pour partie des aspirations exprimées par le mouvement des
Indignés. Le
mouvement « Nuit debout », qui
s'installe à son tour en France ressemble-t-il à celui des Indignés ?
Oui,
à
plusieurs points de vue.
L'indignation qui
s'exprime
place de la République est du
même type que
celle qui a jeté les Espagnols dans la rue il y aura tout juste
cinq ans d'ici quelques semaines. Nous assistons à une révolte des
classes moyennes menacées par la précarisation - qui
se cristallise
aujourd'hui autour
du
projet de loi El Khomri. Il s'agit d'un mouvement social, qui cherche
à s'exprimer en dehors des cadres politiques et militants
traditionnels. Sans être autant inspiré par les mouvements
altermondialistes qu'il y a
cinq ans cinq
ans en Espagne,
dans le sillage des printemps arabes. On y voit
surtout
se distinguer un intellectuel
comme Frédéric Lordon par exemple... Avec
peut-être une ébauche de logique
européenne, avec
l'ouverture d'un espace politique authentiquement continental, animé
par des
gens veulent se réapproprier la démocratie.
Vous
parlez de classes moyennes menacées de précarisation. Ne s'agit-il
pas aussi - et surtout - de personnes très jeunes ayant l'impression
de manquer de perspectives ?
On
y voit ces jeunes-là, mais aussi des
personne plus âgées - qui certes sont
souvent
leurs proches. Elles viennent « faire un tour », comme on
dit, après le travail. Beaucoup d'entre elles, effectivement,
s'inquiètent pour le sort de leurs enfants, jeunes adultes à qui il
faut désormais payer des études très chères ou aider à trouver
du travail.
Le
mouvement est en train de se propager dans de nombreuses villes de
France. Cela ne reste-t-il pas, à ce stade, un phénomène très
urbain ?
Tout
à fait. Mais les
Indignés étaient aussi
un phénomène
urbain ! La différence, peut-être, avec la
France,
c'est qu'un
Pablo Iglesias, par
exemple, ne
prend
pas cela pour un handicap. Car, dans l'histoire de l'Espagne, les
grands changements politiques se sont
toujours imposés
en commençant
par les villes. Il suffit, par exemple, de penser au renversement de
la monarchie survenu en 1931 suite à des élections municipales.
La
situation sociale de la France n'est pas encore, heureusement,
celle de l'Espagne. N'y a-t-il pas dans « Nuit
debout », avant des revendications sociales stricto
sensu,
l'expression d'un ras le bol, d'une souffrance civique
dans un pays très politique comme la France ?
Effectivement.
La
souffrance - si on peut utiliser ce terme - est politique. La
France n'a pas, contrairement à
l'Espagne,
plus
de
50% de ses jeunes
actifs au chômage. Mais il ne faut pas oublier que Podemos doit
aussi son succès à une revendication très politique, celui de
l'instauration d'une
démocratie réelle.
Avec
bien sûr, l'un n'empêche pas l'autre, un discours très social.
Mais...
l'horizontalité
politique
peut-elle séduire autant en France qu'en Espagne, un pays beaucoup
plus décentralisé ?
Je
ne suis pas sûr que l'horizontalité ait tant inspiré que cela
Pablo Iglesias et les autres fondateurs du mouvement Podemos. On
le sait peu
mais Podemos n'est pas une extraction brute du
mouvement des Indignés. C'est un mouvement patiemment construit,
dont les bases ont été jetées avant même 2011. A l'époque,
il s'agissait avant
tout de
redonner des couleurs à la gauche radicale. La fabrication puis
l'émergence de la figure du
leader
y
ont été fondamentales. Aujourd'hui, les deux cultures, verticalité
et horizontalité,
cohabitent toujours, au sein du mouvement.
Je
ne suis pas sûre de comprendre : à quel point Podemos est-il
issu du mouvement des Indignés ? Cela ne se recoupe pas tout à
fait....
Non
justement.
De
nombreux Indignés ont
rejoint Podemos. Mais l'idée de créer un parti - le futur Podemos -
n'a pas été arrêtée sur les places espagnoles.
Elle
a été élaborée au
sein du groupe d'universitaires
et de militants de la gauche radicale. Pablo Iglesias a créé son
émission de
télé,
La Tuerka,
dès
2010. Il
en a fait une sorte
d'école
des cadres du
nouveau parti qu'il appelait de ses vœux.
A
vous entendre, il semble que pour trouver un éventuel débouché
politique, « Nuit debout »
ait
besoin de rencontrer
son leader
?
Je
le crois, au risque de déplaire. Il
ne s'agit pas d'avoir un chef parce
qu'on aime l'autorité. Simplement, il faut quelqu'un pour
« agréger », et pour servir de porte-parole.
Juste
une anecdote pour illustrer cela : un
petit parti politique, le Parti X, né lui aussi
du
mouvement des Indignés, a été
incapable de
s'imposer aux élections européennes de 2014, contrairement
à Podemos.
Son
leader, Hervé
Falcini, était
peu connu
des Espagnols, et
il n'a
pas réussi à faire émerger une nouvelle force. Iglésias,
lui, était connu grâce à ses émissions de télé. Ça
lui a permis de se faire inviter ensuite sur les plateaux de plus
grandes chaînes. Il a aussi pris des cours de théâtre !
Imaginons
que la « Nuit debout » souhaite avoir un véritable
destin politique. Elle devra alors faire un choix. Soit celui qu'a
fait Podemos de d'inscrire dans jeu des
institutions représentatives et
de s'y faire une place. Soit celui d'entamer un « processus
constituant »,
de
bien
plus
longue haleine.
Oui, oui, oui la démocratie c'est lent. Si le critère en politique c'est la vitesse alors la dictature est la plus efficace. Nous voulons un processus constituant, c'est long mais ce sera plus juste et plus solide sur le long terme. La démocratie ce n'est pas les élections et la liberté de la presse. La démocratie c'est tout autre chose, nous sommes actuellement en aristocratie élective sans "roi" mais encore en démocratie... Voir le livre de Francis Dupuy-Déri Démocratie : histoire politique d'un mot ou même Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif.
RépondreSupprimerVendredi 12 décembre 2014 :
RépondreSupprimerFrédéric Oudéa, patron de la banque Société Générale, nous le jure, la main sur le cœur :
« Nous ne sommes dans aucun soi-disant paradis fiscal. »
http://www.franceinter.fr/video-f-oudea-nous-ne-sommes-dans-aucun-soi-disant-paradis-fiscal
Les banquiers sont des menteurs.
Les banquiers nous prennent pour des cons.
Devant les caméras de télévision, les banquiers jurent, font des serments, font des promesses, alors qu'ils savent qu'ils mentent effrontément.
Les banquiers sont les plus grands menteurs de la planète.
Merci pour cet entretien très intéressant. Il me semble montrer à la fois :
RépondreSupprimer- le désir et le besoin de politique qui agitent de plus en plus les citoyens ;
- les difficultés à construire une cohérence idéologique pour mener la bataille culturelle : en dehors de l'opposition à la loi "El Khomri" et le "ras-le-bol" soulignés, quel corpus idéologique commun, quel projet collectif ? ;
- la nécessité d'une cristallisation autour d'une figure capable de rassembler ces voix.
Cincinnatus
https://cincivox.wordpress.com/