Un
économiste italien, Alberto Bagnai –
par ailleurs auteur d'un ouvrage sur l'euro - a récemment publié sur son blog une analyse en miroir de Maastricht et de Schengen résumée en un tableau assez clair.
Ce tableau
résume bien les intentions qui ont présidé aux deux projets, mais
également
le discours
rhétorique qui
les a entourés, ce qu'ils sont aujourd’hui et la succession des
événements qui a
permis de mettre à jour leurs
dysfonctionnements.
Pour
Bagnaï, dans
l'un et l'autre cas, il
faut distinguer plusieurs niveaux :
-
le
niveau des raisons véritables :
celles-ci n'ont
jamais été énoncées
clairement -
ou pas intégralement -
car
elles étaient
jugées
inaptes
à
recevoir l'assentiment du public. D'où la nécessité
d'élaborer
une rhétorique plus affriolante,
-
le
niveau rhétorique, donc,
qui
correspond
aux
mécanismes
de persuasion utilisés
pour recueillir l'assentiment
de l'opinion. En
somme, c'est
le storytelling
qui
a
permis
de vendre le projet aux citoyens,
-
le
niveau des moyens
mis en œuvre pour parvenir à atteindre les « raisons
véritables »,
-
le
niveau de l'asymétrie entre
les parties-prenantes. Toutes ne supportent pas les mêmes charges,
toutes
ne bénéficient pas équitablement des bienfaits promis par le
storytelling.
-
certaines seront même surtout victimes des méfaits qu'on n'avait
pas
anticipés,
ou
qu'on
s'était gardé d'annoncer. Les effets
réels
générés soit par Maastricht (autrement dit par la création de
l'euro) soit
par Schengen sont aujourd'hui connus.
-
ils ont été révélés par des chocs
externes,
essentiellement la crise américaine de 2008 et ses prolongements en
Europe pour l'euro, et la crise de migrants pour Schengen. On connaît
désormais les
dysfonctionnements
intrinsèques
aux deux espaces : eurozone et espace Schengen.
Je
me permets de reproduire ce tableau éloquent :
MAASTRICHT
|
SCHENGEN
|
|
Objectif
véritable
|
Intégration du marché du capital | Intégration du marché du travail |
Moyens
utilisés
|
Union monétaire – création de l'euro | Abolition des frontières internes |
Storytelling
|
Fin des dévaluations compétitives entre partenaires | Promotion de « la liberté », notamment celle de circuler |
Effet réel
|
Sous-évaluation de la monnaie du plus fort ( = euro trop faible pour l'Allemagne) | Le plus fort attire à lui le travail
(= migrations de travail intrazone) |
Problème posé
|
Qui contrôle la valeur de la monnaie ? | Qui contrôle les frontières extérieures de l'espace ? |
Asymétrie
|
Monnaie surévaluée pour les plus faibles (Grèce, Espagne, Italie, France). | La frontière la plus difficile à contrôlée est celle du Sud (Grèce, Italie). |
Dysfonctionnement
|
Déséquilibres dans les flux commerciaux intra-zone (excédents allemands / déficits grecs) | Déséquilibres dans les flux migratoires au sein de l'espace. |
Révélateur
du dysfonctionnement
|
Choc externe : crise américaine des subprimes | Choc externe : crise des migrants, guerre syrienne. |
Au
final, l'analyse en miroir de Bagnai permet de s'apercevoir - c'est
très visuel, avec le tableau - du caractère déséquilibré des
deux grandes réalisations européennes.
Toutes
deux comportaient des malfaçons originelles qui ont été masquées
par une rhétorique moralisatrice et pseudo-généreuse (la liberté
d'aller et venir, les échanges, l'enrichissement équitable de
tous), et qui, pour une large par via des chocs exogènes, sont en
train d'être révélées en même temps.
Lire et relire:"l'utilité de l'inutile" de Nuccio Ordine aux Belles Lettres ou chez Pluriel (Fayard poche). Je le considère comme le plus grand philosophe de notre époque. Joma
RépondreSupprimerLa frontière la plus difficile à contrôlée est celle du Sud (Grèce, Italie).
RépondreSupprimerLa frontière la plus difficile à contrôler est celle du Sud (Grèce, Italie).
c'est un peu simpliste. Pour juger des résultats il faut du temps compte tenu des déséquilibre des pays. Il faut plusieurs générations pour intégrer les allemands de l'Est alors pour toute l’Europe . . . Le fond du problème c'est la main-mise sur les richesses des pays, qu'ils soient riches ou pauvre, par les lobbys de type VVV (Vivendi, Vinci, Véolia). Ces groupes soudoient les députés et les technocrates pour qu'ils votent des subventions qu'ils sont les seuls à pouvoir capter à cause de cahiers des charges d'une extrême complexité. Ce sont des milliards d'euros qui disparaissent en échange de très peu de services. La conséquence est que les PME PMI sont écrasées sous l'impôt et ne recoivent presque rien en retour.Tout l'argent des pays va aux lobbys. Pour l'élargissement de l'Europe j'avais écrit la crise ? quelle crise ? C'était à propos de la mondialisation et j'écrivais il y a 30 ans déjà : " Il s'agit de rééquilibrages perpétuels". La notion de crise est fausse.Lorsqu'on cite les subprime, c'est un phénomène d’escroquerie banquière et on en revient aux lobbys et à leur toute puissance du fait de la corruption des politiques. Maastrich et Shengen n'ont rien à voir dans le fond du problème. C'est même plutôt un apport d'oxygène pour les PME-PMI qui auparavant n'avaient pas accès aux marchés internationaux. Par contre depuis ces ouvertures ceux qui se croyaient installés dans des prés-carrés ne le sont plus. Pour eux c'est la crise . . . du rééquilibrage. Plus le surcroît de taxes qui les empêche de se reprendre, de se restructurer, de se relancer. CQFD.
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RépondreSupprimerJe suis inquiet. Que vous trouviez ce tableau "éloquent" ! C'est du niveau d'un élève de troisième...
Merci bcp, c'est très "structurant" intellectuellement. Très parlant.
RépondreSupprimerJuste une petite coquille: "à contrôler" et pas "à contrôlée"