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vendredi 25 mars 2011

L'extrême droite n'existe plus ? Si ! Proposons mieux.





Le Front National a réalisé un score de 19,18%, là où il présentait des candidats au premier tour des élections cantonales. Ce score, plus qu’honorable semble accréditer l’idée qu’une « vague bleue Marine » est bel et bien en train de déferler sur le pays. Quant au parti de l’héritière le Pen, qu’il soit désormais le premier de France selon une récente paire de sondages parue dans Le Parisien, ou simplement le troisième, il semble en tout cas durablement inscrit dans le paysage politique français. Sa banalisation, fruit du travail de dédiabolisation mené par Marine le Pen, paraît en voie d’être acquise. Quant à la tradition du « front républicain » et autre « cordon sanitaire », les déclarations post-scrutin des caciques de la droite lui ont mis du plomb dans l’aile.

Il est possible que nous assistions aujourd’hui à  un phénomène d’accoutumance au Front national. La classification de ce parti à l’extrême droite est de plus en plus souvent disqualifiée. Pour certains observateurs en effet, Marine le Pen ne fait que réhabiliter le « discours gaulliste traditionnel » abandonné par la droite mainstream. Pour d’autres, le FN est résolument « passé à gauche », avec un discours anti-élites, anti-mondialisation, anti-Euro, que ne renierait pas la gauche radicale. Sans être dupe de la supercherie, Laurent Bouvet observe : « l’évolution qu’elle (Marine le Pen) poursuit, c’est celle qu’elle a elle-même entreprise il y a quelques années en faisant bouger le discours économique et social de son parti vers…la gauche ! ». Pour d’autres enfin, c’est la notion d’extrême droite elle-même qui est périmée. Daoud Boughezala considère par exemple que « l’extrême droite n’existe pas ». Inventé par les thuriféraires du buonisme, elle demeure pour lui « un objet politique non identifié voué aux gémonies éternelles (qui) répond à un besoin moral. Celui de se draper dans sa vertu antifasciste plutôt que de se frotter au réel ». Et de lister les lignes de fractures qui, traversant la droite radicale, induiraient selon lui qu’elle ne soit qu'un mirage.

Mais, des lignes de fractures, il y en a aussi à droite. Et à gauche. Les tensions tous azimuts qui parcourent la putative « gauche unie » comme elle traversèrent jadis « l’union de la gauche » doivent-elle nous amener à conclure que la gauche n’existe pas ? Ou simplement qu’il existe une « gauche plurielle » ? Et pourquoi pas, dans ce cas, une extrême droite plurielle ? Et puisqu’il exista une « deuxième gauche », pourquoi ne pas admettre que nous sommes aujourd’hui face à une « deuxième extrême droite » ?

C’est ce qui semble en effet se produire avec l’émergence d’une droite radicale ayant rompu avec les oripeaux du post-fascisme. En Italie, Berlusconi fut à un moment trait d’union entre ses alliés néofasciste du MSI et ceux, séparatistes et xénophobes de la Ligue du Nord, jusqu’à ce que les premiers ne se dissolvent dans la  respectabilité, sous l’impulsion de Gianfranco Fini. En France, au sein même du Front national cohabitent désormais les tenants ombrageux d’une extrême droite traditionnelle et austère à la Gollnish et ceux d’une droite radicale jeune, moderne et dynamique, qui s’autodésignent plus volontiers comme « marinistes » que comme militants frontistes.

Cette extrême droite festive et sexy dispose désormais de figures de prou dans toute l’Europe. On pense par exemple à Oskar Freysinger, le séduisant chevelu au look de guitariste folk de l’UDC Suisse. Mais comment ne pas évoquer également le néerlandais Geert Wilders, semblant tout droit sorti d’un spot publicitaire pour le Coca zéro ou la « fraîcheur de vivre », incarnation par excellence de ce que Gaël Brustier et jean-Philippe Huelin  ont appelé « l’hédonisme sécuritaire ». En France, tonique et décontractée, Marine Le Pen arbore un côté pin-up, qui émoustille volontiers les plumitifs vulgaires de la « gauche réenchantée ».

Outre sa plastique fashion, cette dextre new look revendique désormais sans complexe les acquis de la modernité en matière de moeurs, bien loin de la défense des valeurs familiales  d’une part, ou du culte des « hommes forts » d’autre part. Si Pim Fortuyn avant lui revendiquait son homosexualité, Wilders défend la cause des homosexuels. Marine Le Pen, affiche un féminisme assumé, et refuse désormais toute mise en cause de la loi Weil autorisant l’avortement. C’est d’ailleurs l’hyper-conservatisme sociétal et le caractère liberticide supposés intrinsèques à l’Islam que cette dernière prétend pourfendre en se faisait héraut d’une laïcité unilatérale, qui, essentiellement applicable aux musulmans, semble n’être que le cache-sexe d’un occidentalisme militant.

Au-delà de leurs points communs, ces jeunes extrêmes droites présentent toutefois bien des différences, évidemment liées aux spécificités des Etats dans lesquelles elles évoluent, et à l’histoire propre des différentes formations politiques dont elles sont issues. Celles-ci peuvent être d’authentiques créations ex-nihilo, comme le PVV de Wilders, ou de très vieux partis d’extrême droite en plein renouveau. Leurs propositions sont par ailleurs fort variées, notamment sur le plan économique, et vont de l’appropriation des valeurs de la gauche à l’ultralibéralisme habituel au sein de cette famille politique. Faut-il pour autant bannir la notion d’extrême droite, et lui préférer à l’instar de Jean-Yves Camus, celle de droite « radicale, xénophobe, et populiste » ou de « mouvance hybride » ? Peut-être. Mais s’il est vrai que « nommer, c’est déjà ordonner », le simple fait de chercher une terminologie qui permette de regrouper ces droites sans les réduire témoigne d’un souci de les « classer » dans une seule et même catégorie qui soit appréhendable en tant que telle.

Quelles sont donc les grandes constantes qui, traversant l’extrême droite « plurielle », conduisent à différer l’abandon du concept d’extrême droite en dépit de son apparente caducité ? Gageons qu’il en existe au moins trois.

La première caractéristique semble être la capacité à mêler une doxa « antisystème » à une défense méticuleuse d’un certain ordre établi, ou comme le disent Brustier et Huelin, l’aptitude à articuler contestation et conservation. En France, le Front national amorce une mue propre à le faire apparaître comme le parti insoumis par excellence, passablement aidé par la complicité coupable de la droite de gouvernement de la gauche d’accompagnement, dont l’alliance objective et contre-nature est désignée par Marine Le Pen par le sigle « UMPS ». Ainsi, alors que le FN de Le Pen père se caractérisait plutôt par un libéralisme cru et par l’hostilité au « fiscalisme », la fille opte plus volontiers pour une dénonciation de la mondialisation, de l’Europe dérégulée, du marché. Car, s’il pouvait être iconoclaste dans les années 1980, de vilipender l’Etat providence, il est bien plus audacieux, aujourd’hui que l’idéologie libérale est effectivement devenue dominante, de le défendre. Cependant que le débat public s’est globalement droitisé, le FN demeure une formation contestataire en faisant sienne des thématiques « de gauche », alors qu'il le fut jadis en développant un programme économique « de droite ».

La seconde tendance lourde est la focalisation sur les problématiques d’identité, et la capacité à se poser comme rempart non seulement contre les invasions barbares façon Camp des saints, mais également contre « l’américanisation du monde » ou contre « l’uniformisation européaniste ». Cette antienne identitaire semble structurelle, en dépit d’une adaptation très nette du discours, passé d’un racialisme éculé à un rejet de l’étranger d’ordre plus culturel et religieux. L’islamophobie en effet, semble la chose la mieux partagée au sein des droites radicales européennes, accentuant d’ailleurs le caractère antisystème des partis qui s’en réclament. Contre la bien-pensance et le politiquement correct, ils s’ingénient à apparaître comme les seuls à oser aborder sans tabou les problématiques de l’immigration et de « l’identité nationale ».

La troisième tendance est l’aptitude à manier en tous sens la thématique du bouc émissaire, y compris pour s’auto-désigner comme tel. Que n’a-t-on vu Marine le Pen récriminer contre l’ostracisme que lui feraient prétendument subir les médias, alors même qu’elle couvre régulièrement les « Unes » ! Que ne l’a-t-on entendu vitupérer contre « l’acharnement » dont elle serait victime ! Mais le bouc émissaire, c’est avant tout la solution hyper simple à des problèmes réellement compliqués. Désigner un bouc émissaire sur lequel iront se focaliser toutes les peurs, tel est le subterfuge favori des droites extrêmes, que ce bouc émissaire soit constitué des « élites », ou bien évidement des « immigrés » et autres « étrangers ».

Dimanche se tiendra le second tour des élections cantonales. Le Front national, qui a fait un bon score au premier tour, dispose probablement d’une réserve de voix parmi les abstentionnistes. Peut-être est-il temps, entre deux considérations sur l’opportunité ou non d’un front républicain et quelques « no pasaràn » surexcités, de s’interroger sur les véritables raisons qui font que son discours, pourtant si caractéristique, s’impose avec une telle aisance. Il ne suffit pas de dresser des listes de crypto-lepénistes d’une part, et de traiter les électeurs de « gros cons » d’autre part. Arrêtons les anathèmes et chiche, proposons mieux !



samedi 12 mars 2011

Journée de la Femme : Dies Irae




Mercredi 8 mars, c’était la journée de la femme, la « meuf Pride », la mascarade du mascara, ce « jour dédié » qui scelle l’entrée dans le printemps comme « la marche des fiertés » du mois de juin scellera l’avènement d’un été qui promet d’être chaud, avec son inévitable « fête de la musique » et son inénarrable « Paris plage ».  

Je ne m’en suis pas aperçue immédiatement, submergée que j’étais par le déferlement des images en provenance de Libye, et par le vent de panique ayant saisi notre classe politique suite à la parution des sondages Harris 1.0 et 2.0. Bref, tout ce larsen sur les ondes a bien failli me détourner de l’évènement majeur de la semaine : mardi dernier, c’était MA journée.

Heureusement qu’en cette occasion, on peut compter sur ses collègues de travail masculins. Depuis que j’ai fait mon entrée sur ce qu’il est convenu d’appeler le « marché du travail », il ne se passe en effet pas une année sans que la gent masculine peuplant mon milieu professionnel ne me souhaite « bonne fête » pour la « journée de la Femme ». Ils sont tellement prompts à s’exécuter dès huit heures du matin, que j’en soupçonne certains de s’être procurés des calendriers de l’Avent dédiés, qu’ils utilisent afin ne pas commettre cet impair impardonnable qui consisterait à omettre de se réjouir bruyamment et sur commande à l’occasion de la « fête des couettes ».

Mardi 8 mars, les hommes qui m’entourent se sont donc empressés de me rappeler à mon devoir de m’habiller sexy au bureau, d’user de mes charmes pour réussir, et de pleurer un peu quand il m’arrive d’échouer, non sans ajouter, là encore comme chaque année « vivement demain, que l’on reparte sur le cycle normal des 364 journées de l’Homme ». Je respire : le comique de répétition est lui aussi, comme tous les ans, de la partie.

Ce qu’ignorent ces collègues masculins, rencontrés sur le « marché du travail » et appartenant pour la plupart à des « CSP + » c’est que la journée de la Femme est pour moi un jour de colère. Il se trouve que je suis blanche, d’âge moyen, globalement « de souche », voire « gauloise », non-musulmane et non-juive. A ce titre je croyais avoir échappé à tous les motifs putatifs d’assignation à résidence identitaire et de discrimination positive. Hélas, la « journée de la Femme » est là pour le rappeler chaque année : la moitié de l’Humanité est une « minorité visible ». Et même si l’on s’est toujours efforcée de se distinguer avant tout par l’effort, par le travail et par l’esprit, le 8 mars, quoi que nous ayons pu FAIRE, nous SOMMES avant  tout des femmes. Plus de place pour la maxime nietzschéenne « deviens ce que tu es, fais ce que toi seul peut faire ». Le 8 mars, c’est plutôt « fais ce que tu veux, de toute façon, tu demeureras ce que tu fus », ou comme le disait Bergson « tout est donné, et tout est déterminé ». Ainsi, l’espace d’une « journée dédiée », la femme n’est plus un être en devenir, elle est une entité figée dans une féminité originelle qu’il demeure impossible de passer sous silence.

Il y a aussi ces choses qu’on entend et lit, à l’occasion de la « journée de la Femme », et qui nous font rougir de honte. Laurence Parisot, que l’on ne saurait pourtant soupçonner d’être arrivée à la tête du MEDEF en minaudant,  a ainsi proposé la création d’un ministère du Droit de la Femme. Quelle riche idée ! A sa tête, on pourrait nommer Rama Yade, que son expérience passée dans le domaine de spécialité « Droits de l’Homme » doit rentre particulièrement apte à occuper le poste. Il conviendra toutefois de s’interroger sur l’opportunité que la « Ministre du Droit » soit Femme ET Noire. N’y a-t-il pas là une conjonction de facteurs minoritaires qui, si on les pondère, risque de fausser les statistiques de la représentativité des minorités au sommet de l’Etat ?

Madame Parisot, hélas, n’est pas allée assez loin. Il est regrettable en effet qu’elle ait omis de proposer que l’on créée un Musée de la Femme. Le dimanche, les familles pourraient s’y rendre et s’y balader dans une enfilade de salles dédiées respectivement à « la grossesse : de la joie et des larmes », au «  loisir féminin » (couture, point de croix, mais aussi lecture de Jane Austen, pour les intellectuelles), ou encore à « la politique au féminin », avec une description par le menu de la carrière de Margaret Thatcher, ce parangon de  la douceur d’Etat. Des ateliers de sensibilisation pourraient également être envisagés. Par exemple, l’on pourrait dédier une salle à l’exposition d’une femme belle et opulente tenant dans ses bras un bébé qu’elle nourrirait au biberon. A côté d’elle, négligemment posé Le conflit, d’Elisabeth Badinter. En guise de légende un panneau explicatif indiquerait en grosses lettres rouges : « Cette femme ne veut pas abîmer son corps. Elle refuse d’allaiter son enfant, et le nourrit avec du lait maternel de synthèse, fabriqué de manière industrielle ».

Pour ma part, je serais assez tentée de proposer l’institutionnalisation d’une « journée de l’Homme », afin de rééquilibrer la balance, et de ne plus avoir à subir le comique de répétition de comptoir qui consiste à rappeler que 364 jours sur 365 sont dédiés au « sexe fort ». Par ailleurs, cette journée pourrait avoir une véritable utilité sociale, et permettre d’aider  l’Homme dans les nombreuse difficultés qu’il rencontre au quotidien, et dont on parle trop peu : interdiction morale de pleurer en public, obligation « d’assurer », dogme du physique athlétique, nécessité d’avoir Le premier sexe d’Eric Zemmour dans sa bibliothèque….

Quelques universalistes rétrogrades m’objecteront sans doute que les « Journées de » ne servent à rien. Il ne s’est absolument rien produit à l’occasion de la « Journée de la gentillesse », et l’organisation d’un « No Sarkozy Day » n’a pas suffit à redresser la France. J’invite tous ces esprits chagrins à se renseigner plus avant sur les innombrables conquêtes sociales (égalité salariale notamment) qu’a permis d’arracher la « journée de la Femme » depuis qu’elle a été créée.

On pourrait évidemment  envisager une autre option, qui consisterait à suspendre de manière définitive la « journée de la Femme ». Même si ce raisonnement semble a priori « un peu simpliste », on pourrait parier que les femmes préfèrent majoritairement être reconnues pour leurs compétences, pour leur talent, pour leur intelligence et pour leur travail plutôt que pour leur sexe. Messieurs qui nous gouvernez, vous êtes majoritaires aujourd’hui à exercer le pouvoir, et cela m’est totalement égal du moment que vous le fassiez bien. Veuillez noter, s’il vous plait, que « nous n’avons pas besoin de votre charité, nous voulons la justice ».  Faites en sorte que, pour une seule « journée de la Femme », je n’aie plus jamais à subir « 364 journées de l’Homme ». Le reste, je m’en charge.




jeudi 3 mars 2011

L’étrange débat de Nicolas Sarkozy

 



« C’est désormais le FN qui dicte l’ordre du jour politique et médiatique » entend-on déplorer de manière récurrente, qu’on laisse traîner ses oreilles à droite, ou qu’on les tende à gauche.
Ce constat est partiel. Car en réalité, le FN ne dicte l’ordre du jour que des égarements politiques et des erreurs médiatiques. En aucun cas il n’est parvenu à imposer un débat pourtant souhaitable sur l’abandon de l’électorat populaire par la gauche libérale-libertaire, sur celui de l’idée de Nation par la droite mainstream, sur l’orientation de la politique européenne de la France, et en particulier sur l’Euro. Personne, en réalité, ne cherche à comprendre les véritables raisons de la croissance ininterrompue de Marine Le Pen dans les sondages. Tout au plus essaie-t-on maladroitement de l’endiguer en tentant de lui chaparder ses thématiques fétiches. Ce qui autorise à formuler deux postulats : premièrement, le rôle d’exhausteur de mal-être et d’aiguillon d’un Front National qui « donnerait les mauvaises réponses » tout en « posant les bonnes questions » est largement contestable. Deuxièmement, nos gouvernants ont définitivement croqué le fruit de la lucidité à éclipse et du déni du réel.

Il est une question, cependant, qui, pour être devenue une antienne frontiste de premier choix, semble avoir trouvé des relais déterminés au sein de l’actuelle majorité : la question de la laïcité, dont Marine Le Pen se fait désormais le chantre le plus virulent. Peu importe qu’il s’agisse, pour le coup, d’une mauvaise question. Peu importe qu’elle ait été réglée en 1905, et que les derniers ajustements nécessaires aient été brillamment actés par la loi du 15 mars 2004 portant interdiction des signes religieux ostentatoires au sein de l’école publique. Bref, peu importe que ce sujet n’en soit plus un, puisqu’il s’agit, en réalité de débattre de l’Islam.

« Faux ! » a pourtant répondu le président de la République, dont le Figaro du mercredi 2 mars révélait « Nicolas Sarkozy a répété qu’il souhaitait un débat sur la laïcité, mais pas un débat centré sur l’Islam qui stigmatiserait les musulmans ». Et le quotidien d’ajouter « le chef de l'État est revenu sur trois sujets qu’il juge cruciaux : pas de prières dans la rue, la mixité à la piscine, et pas de repas halal dans les cantines scolaires ».

Étrange façon d’écarter tout idée de polémique sur l’Islam que de poser le problème en ces termes. Ici, seule l’absence d’une brève saillie burqa-phobique permet encore de douter que la réflexion confiée au sémillant Jean-François Copé soit autre chose que la version 2.0 du funeste débat sur l’identité nationale. Après la « laïcité positive » et la « laïcité réactive », voici venu le temps de la « laïcité sélective », celle qui ne s’applique qu’aux consommateurs de nourriture halal et aux thuriféraires de la ségrégation dans les gymnases.

Étrange façon également de déclarer sa flamme au beau principe de laïcité que de le confondre systématiquement avec des questions d’ordre public. On nous avait déjà fait le coup avec la mission d’information parlementaire sur le voile intégral, où le concept de laïcité était dégainé à tout bout de champ pour justifier l’interdiction port de la burqa dans la rue, quand ce n’était pas l’égalité homme-femme devenue brutalement le cheval de bataille des néo-féministes les plus inattendus.

Or contrairement à ce que l’on souhaite nous faire croire, la laïcité ne se réduit pas à une opposition public / privé, qui ne serait de surcroît applicable qu’aux seuls musulmans. Ce qui se passe dans la rue, dans les commerces, dans les transports en commun, n’a pas plus à voir avec l’exigence laïque que ce qui se passe dans l’espace feutré du domicile privé. En effet, comme le l’exprime de manière lumineuse Catherine Kintzler, «  il est nécessaire dissocier l’espace de constitution du droit et des libertés, c'est-à-dire le domaine de l’autorité publique, d’avec celui de leur exercice : espace ouvert au public et espace privé de l’intimité) ». Autrement dit, la laïcité ne s’applique pas dans la rue, qui est au contraire le lieu de la plus grande tolérance possible. Elle ne s’applique pas dans « l’espace public », ce concept labile qui conduit à toutes les confusions. Elle s’applique dans « les lieux où s’exerce l’autorité de l'État » : dans les administrations, au sein de l’école publique. Ce qui se passe dans « l’espace civil » ouvert au public, qu’il s’agisse de déambulations en niqab ou de prières sur le trottoir, relève du maintien de l’ordre, et fait appel au bon sens bien plus qu’à quelques grands principes qu’à force de brandir en arborant une mine grave, on finit inévitablement par vider de leur sens.

Le président de République a bel et bien décidé de lancer un débat sur l’Islam, il n’en faut point douter. Étrange façon de faire écho au vent de liberté qui souffle chez nos voisins d’outre-Méditerranée, et qui nous donne à voir le combat de peuples arabes avides de liberté, bien loin de l’image d’Épinal du barbu enturbanné.

Étrange débat à contre-emploi, qui pose quelques jalons supplémentaires dans la voie d’une Étrange défaite.