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jeudi 30 mai 2013

Au Portugal, un livre anti-euro fait un tabac


Ce n’est pas un polar scandinave, c’est un ouvrage d’économie lusitanien. Au Portugal, il fait un tabac. Porque devemos sair do Euro (Pourquoi nous devons quitter l’euro), de l’économiste João Ferreira do Amaral, est un best-seller dans le pays. En tête des ventes, il détrônerait certaines semaines « 50 Nuances de Grey », affirme le Wall Street journal
 

La thèse de l’essai est la suivante : les cures d’austérité imposées au Portugal sont sans fin. Le pays a beaucoup perdu en compétitivité, et n’a aucune chance de remonter la pente avec l’euro, une « monnaie trop forte pour l'industrie portugaise ».

C’est d’ailleurs vrai : à environ 1,3 dollars pour un euro, l’euro est une monnaie trop chère. Trop chère par rapport à la monnaie américaine, évidemment. Mais aussi par rapport au yuan – arrimé au dollar par la seule volonté des dirigeants chinois – et, depuis peu, au yen, car le Japon mène de récente date une politique monétaire très expansionniste.

D’où la solution préconisée par João Ferreira do Amaral : revenir à l’escudo pour pouvoir enfin dévaluer. Une idée classique, pour un résultat en librairie qui l’est moins : le livre est sorti début avril, mais a déjà été réimprimé… quatre fois.

***

Un tel évènement « littéraire » est le premier du genre au Portugal, mais n’est pas le premier en Europe.

En Allemagne, le très controversé Thilo Sarrazin, ancien membre de la Bundesbank dont il avait dû démissionner en septembre 2010 après avoir été accusé de racisme, publiait en mai 2012 un brulot anti-euro, l’Europe n’a pas besoin de l’euro.

Il s’y insurgeait tout à la fois contre l’entêtement d’Angela Merkel à sauver la monnaie unique, et contre la proposition française de mutualiser les dettes publiques sous la forme d’eurobonds. Il concluait en fustigeant le…« chantage à l’Holocauste » réalisé, selon lui, par les autres pays pour contraindre l’Allemagne à demeurer dans l’euro.

***

Rien de tout ça dans Faut-il sortir de l’euro, du Français Jacques Sapir. Publié en janvier 2012, cet ouvrage est en tout cas le tout premier du genre. 




Si l’auteur y fait valoir clairement sa préférence pour un abandon de la monnaie unique, le livre a l’avantage de présenter l’option d’un euro devenu « monnaie commune européenne ».

Cette devise - commune et non plus unique - serait utilisée pour les seules transactions financières extra-européennes, cependant qu’en interne, les États reviendraient à leurs monnaies nationales. Les parités de ces monnaies seraient fixées de manière concertée. Cette solution présenterait deux avantages : d’une part, l’euro protégerait les monnaies nationales des attaques spéculatives externes, seul l’euro-monnaie-commune ayant vocation à « voyager ». D’autre part, les différents pays retrouveraient la possibilité d’ajuster leurs taux de change réciproques en fonction de leurs différentiels de compétitivité.

Cette option est également défendue par Jean-Michel Quatrepoint et Jean-Luc Gréau.
Elle vient d’être reprise par Frédéric Lordon


Lire et relire sur L'arène nue :
"Les Français ont été les cocus de l'Europe", entretien avec JM Quatrepoint CLICK
Le plan B de Chevènement pour "sauver" l'euro   CLONCK
Europe : est-ce vraiment l'Allemagne qui paie ? CLACK
J'ai lu un édito eurosceptique dans Le Monde CLONCK
Faut-il en finir avec l'Europe ?  CLOUCK


mercredi 29 mai 2013

Europe : il y a 8 ans, nous étions les 54,87 %...


 
C'était il y a tout pile huit ans : les Français rejetaient le projet de traité constitutionnel européen (TCE) à une imposante majorité. Une majorité qui faisait la différence, très nettement, avec le « oui » récolté timidement en 1992 par le traité de Maastricht (51,04%).
 
 
 
 
 
Au soir du 29 mai 2005, Nicolas Sarkozy, alors patron de l'UMP, considérait ce vote comme un appel à « des remises en cause profondes, rapides, vigoureuses ». Il fallait selon lui « fonder un nouvel espoir ».
 
Deux ans après, devenu président de la République, il signait puis faisait ratifier par le Parlement le traité de Lisbonne, copie conforme du TCE. Il est vrai que pendant sa campagne, Sarkozy n'avait pas caché son intention de faire au peuple français le geste que font désormais les Grecs aux Allemands et les Allemands aux Grecs :
 
"Fraude dans la famille de l'Euro" :
une de l'hebdomadaire allemand Focus, février 2010

 
Sarkozy et ses proches expliquèrent à l'époque que le scrutin présidentiel français était une sorte de « revote », annulant le référendum du 29 mai 2005. De fait, il est devenu habituel que les peuples d'Europe « revotent ».

Parmi nos « cosociétaires », selon la charmante expression de Daniel Cohn Bendit (pauvre Cohn...), d'autres se sont parfois, hasardés à dire « non ». Comme les Néerlandais, par exemple, qui rejetèrent le projet de TCE à 61,54 % en 2005.
 
Enfin, il y a ceux qui ne se contentent pas de revoter, mais qui « rererevotent », parce qu'ils sont un peu bouchés et qu'ils ne comprennent pas trop ce qu'on attend d'eux. Ainsi, les Irlandais ont d'abord rejeté le traité de Nice à 54 % en 2001, pour l'approuver lors d'un second vote en 2002. Quant au traité de Lisbonne, ils le rejetèrent à 53,4 % en 2008 avant qu'un « rererevote » ne les conduise à l'approuver en 2009. A une large majorité cette fois (67%) : comme quoi, quand on leur explique longtemps...
 
La Commission européenne, elle, ne manque pas de sens de l'à propos. Elle célèbre à sa façon la victoire du « non » de mai 2005 en adressant à la France la liste des contreparties au délai de deux ans accordé pour ramener le déficit sous les barre des 3 %. La liste de courses de Bruxelles est consultable ici.
 
 

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mercredi 22 mai 2013

Faut-il « En finir avec l'Europe » ?




« La première tentative raisonnée de ce que l’on appelle la « gauche de la gauche » de s’attaquer au mythe européen ». C'est ainsi que l'économiste Jacques Sapir qualifie l'ouvrage collectif dirigé par Cédric Durand, En finir avec l'Europe (La Fabrique, mai 2013).

Il est vrai que souvent, les critiques radicales de la construction européenne proviennent des milieux dits « souverainistes ». Ceux-ci voient dans l’unification continentale un dessaisissement des États et une occasion de délitement des souverainetés nationales. Ces « souverainistes » se voient régulièrement objecter - injustement parfois - leur « nationalisme », ou leur tentation du « repli frileux ».

On est moins prompt, à la « gauche de la gauche », à critiquer l'idée européenne. La tradition internationaliste rend la chose difficile. La contestation, qui se révèle souvent vague et générale, se focalise sur le caractère « néolibéral » de l’Union européenne, et demeure en retrait quant aux les ruptures préconisées.

Pour s'en convaincre, il n'est qu'à voir la manière dont est traitée la question de l'euro par les différents partis de gauche radicale européens. En Grèce, Syriza dénonce « une Europe économique, de l’austérité » mais se garde bien de proposer une sortie de l’euro. En Allemagne, Oskar Lafontaine, fondateur de Die Linke, ne s'est prononcé que très récemment en faveur du retour « à un système qui rende possible les dévaluations et les réévaluations, comme c’était le cas avec le prédécesseur de la monnaie unique, le Système Monétaire Européen ». En France, Jean-Luc Mélenchon, quant à lui, n'a pas franchi le pas. L’anthropologue Emmanuel Todd, sentant bien là une contradiction, adresse d’ailleurs à la « gauche de la gauche » le reproche suivant : « elle veut dépasser le capitalisme mais pas l’euro, elle veut dépasser une économie marchande qui fonctionne en gardant une monnaie qui ne fonctionne pas ».

Cette « timidité de gauche » est étonnante. C’est donc l’un des points fort d'En finir avec l'Europe que d’y pallier en partie, en démontrant la légitimité d'une critique marxiste de l'Union européenne, notamment de son volet monétaire.

Le livre n’est pourtant pas un livre d'économie. C’est un ouvrage pluridisciplinaire. Il regroupe des textes d'universitaires européens de spécialités variées : anthropologie, philosophie politique, sociologie. Quoiqu'il en soit, l'analyse à caractère économique tient une place de choix dans ce recueil, et pour cause : si l’aventure européenne relève aussi d'un processus politico-institutionnel, elle est née avant tout d'un présupposé « économiste » typique du libéralisme, et de l'idée qu'une imbrication matérielle de fait finirait par générer de l’adhésion politique. C'est sur cette illusion que s'est bâtie la construction européenne dès l’origine, en application de la très simpliste « méthode Monnet ».

Une chimère fonctionnaliste, donc, telle est l’Europe que nous connaissons. Excipant pour la forme d’une vague ambition de Paix perpétuelle, on a multiplié les normes et les instruments, sans guère s’interroger sur le sens de l’action, bref, sur la nature du projet politique à bâtir. Enchevêtrement de règles et d’outils, l’UE est devenue, pour reprendre une formule de Castoriadis, « un marteau sans une main pour le guider, sa masse croissant toujours, son rythme toujours plus rapide ».

C’est ce que tentent de montrer Cédric Durand et Razmig Keucheyan dans l’un des chapitres les plus originaux du livre. En utilisant grille d’analyse des crises élaborée par Antonio Gramsci, ils mettent à jour un « césarisme bureaucratique » de l’Europe, soit la propension des structures technocratiques à s’autonomiser et à confisquer l’exercice du pouvoir. Une mise en congé de la démocratie facilitée par la crise, qui « pousse le pouvoir politique à se protéger de la pression populaire ».

L’affaire est en partie connue et une mise en image de ce « césarime » peut-être vue dans « Bruxelles, le vrai pouvoir », un documentaire récemment diffusé par France 5. Mais le film insiste, peut-être avec excès, sur le rôle joué par la Commission. C’est oublier combien la Banque centrale européenne s’est autonomisée elle aussi, profitant de l’indépendance que lui confèrent ses statuts. Durand et Keucheyan ne s’y trompent pas : c’est elle, désormais, qui semble prendre les décisions capitales. C’est sa voix qui est écoutée. Il n’est qu’à se rappeler la béatitude provoquée sur les marchés par cette déclaration de Mario Draghi l’été dernier : « la BCE fera tout pour sauver l’euro, qui est irréversible ». Quel chef d’État ou de gouvernement européen peut aujourd’hui prétendre rassurer les investisseurs par une simple phrase ?

L’autre point fort d’En finir avec l’Europe réside dans la charge contre la monnaie unique européenne, rare à gauche. Or les arguments développés par Wolfgang Streeck et, plus encore, par Costas Lapavistas, prouvent le bien-fondé d’une critique marxiste de l’euro, au-delà des traditionnelles vitupérations contre le « néolibéralisme européen ».

L’ouvrage le rappelle à plusieurs reprises : la mise en place de l’euro a signé le début d’un long processus de transfert de la plus-value du travail vers le capital. Pour deux raisons principales. D’abord, l’introduction de l’euro a rendu impossible toute correction des écarts de compétitivité entre pays par le biais de ces dévaluations qui, auparavant, étaient largement utilisées par les pays du Sud. Ensuite, les critères de « convergence budgétaire » n’ont cessé de s’ajouter les uns aux autres, de ceux de Maastricht en 1992, à l’introduction de la règle d’or par le Pacte budgétaire européen en 2012. Dès lors, sans même disposer des avantages que pourrait présenter un budget fédéral européen, les politiques budgétaires nationales se trouvent ficelées. Et comme l’écrit Lapavistas, « avec de telles contraintes, la compétitivité des pays membres de la zone ne repose plus que sur une seule variable : le travail ».  

Deuxième élément ayant fortement joué en défaveur du travail : la crise des écarts de compétitivité commuée en crise « de la dette ». Toutes les politiques économiques menées aujourd’hui par les pays de l’eurozone semblent ne viser qu’un seul objectif : réduire les déficits publics pour éponger les dettes. Ces dettes qui ne sont rien d’autre que les économies des prêteurs, c'est-à-dire, comme le signale Emmanuel Todd « l’argent des riches ».

Or c’est bien pour rembourser « l’argent des riches » - autrement dit pour rémunérer le capital - qu’une invraisemblable pression est exercée à la baisse sur la rémunération du travail. C’est surtout vrai au Sud, où les travailleurs se voient imposer la baisse des salaires et des retraites, les « réformes structurelles », ou, plus simplement encore, le chômage. Mais c’est également vrai – quoique moins connu – au Nord. Il faut lire Made in Germany, du journaliste économique Guillaume Duval, pour réaliser les sacrifices demandés aux travailleurs allemands, du détricotage méticuleux du droit du travail sous Gerhard Schröder, à la multiplication des « mini-jobs » aujourd’hui.

L’ouvrage dirigé par Cédric Durand a finalement le mérite d’ouvrir des pistes de réflexion plus audacieuses que celles habituellement énoncées à gauche, même si certaines analyses – la critique de l’euro en particulier – ne sont pas, à proprement parler, inédites.

Sans doute reste-t-il maintenant à envisager des solutions. Car s’il semble urgent d’en finir avec l’européisme fonctionnaliste, non seulement pour sortir de la crise, mais également par souci démocratique. Comme le disait Mendès France, « il y a deux façons pour une démocratie d'abdiquer : remettre ses pouvoirs à un homme ou à une commission qui les exercera au nom de la technique ».
En revanche, congédier une saine coopération des peuples d'Europe n’est guère envisageable, pas même souhaitable. Il semble au contraire que les européens soient condamnés à mettre en commun leurs talents pour tâcher de trouver une issue, ainsi qu’en témoigne d’ailleurs assez bien ce petit ouvrage pluridisciplinaire et plurinational.

Lire et relire sur l'arène nue :
"Les Français ont été les cocus de l'Europe", entretien avec JM Quatrepoint  CLICK
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lundi 20 mai 2013

« Les Français ont été les cocus de l’Europe ! » : entretien avec Jean-Michel Quatrepoint



Jean-Michel Quatrepoint est journaliste économique et essayiste

 
Dans votre livre Mourir pour le yuan (Bourin Editeur, 2011), ouvrage sur la Chine, vous consacrez un chapitre entier à l'Allemagne. Vous identifiez des similitudes entre ces deux pays. Quelles sont-elles ?
 
Tout d’abord, ce sont deux pays qui ont une revanche à prendre. C’est le cas de la Chine, qui, au XVIIIe siècle, était encore la première puissance économique, avec pas moins de 35% du PIB mondial. Puis vient le siècle de l’humiliation, qui débute avec sa défaite dans la guerre de l’opium, et ne s’achève que lorsqu’elle recouvre son indépendance avec Mao en 1949.
 
Depuis lors, via une stratégie mêlée de capitalisme dans le domaine économique, de communisme dans le domaine politique et, au final, de nationalisme, elle cherche à retrouver son premier rang mondial.
 
L’Allemagne, elle, a évidemment une revanche à prendre sur sa défaite de 1945. Elle n’a bien sûr aucune envie de nouvelles aventures militaires. Mais elle prend cette revanche sur les plans économique et politique. En effet, elle entend imposer sa façon de concevoir l’Europe en construction. D’ailleurs, le centre de gravité de l’Europe est désormais à Berlin.
 
Autre similitude entre la Chine et l’Allemagne : ce sont tous deux des pays mercantilistes, dont le modèle économique privilégie les exportations. Pour l’Allemagne, c’est une stratégie qui remonte à Bismarck. Elle s’explique notamment par le fait qu’historiquement, les Allemands ont beaucoup émigré. Bien plus que les Français, par exemple. Ils ont ainsi disposé rapidement de nombreuses diasporas servant de relais à leurs exportations.
 
Vous dites que l’Allemagne a une revanche à prendre. Pourtant, en œuvrant pour construire l’Europe, elle accepte un partage, même très partiel, de souveraineté…
 
On ne peut pas dire ça. Il faut raisonner en deux temps : avant et après la réunification de 1989. Premier temps : après 1945, le modèle allemand va se développer autour de trois piliers : la Bundesbank (Buba), pilier de la politique monétaire. Les Länder, puissants et possédant un système bancaire propre, les Landesbank. Enfin, les grands groupes industriels, patriotes et habitués à œuvrer dans l’intérêt général allemand.

S’appuyant sur ces acteurs, les Allemands vont s’attacher à faire exactement le contraire de ce qu’avaient fait la République de Weimar d’une part, Hitler d’autre part. En souvenir de l’hyperinflation qui avait régné sous Weimar, ils érigent l’inflation en mal absolu. Lutter contre cette dernière devient un horizon indépassable. Avec, pour mener cette politique, la Bundesbank indépendante.
 
L’orthodoxie libérale, c’est donc pour empêcher le retour de l’inflation qui a mis Hitler au pouvoir ?
 
Ce n’est justement pas l’inflation qui a causé Hitler. L’hyperinflation est antérieure. C’est pendant la République de Weimar que le mark a perdu 90% de sa valeur, jusqu’à ce que le banquier Hjalmar Schacht parvienne à mettre fin à cette hyperinflation en 1923, en créant une nouvelle monnaie, le rentenmark. Ça a ruiné au passage les épargnants allemands, mais en tout cas, à partir de cette date-là, le problème de l’inflation était réglé. En revanche, un autre problème est apparu immédiatement après : celui de la déflation.
 
Avant le krach de 1929, en effet, l’Allemagne remonte progressivement la pente. Mais le krach boursier se répercute sur elle. Elle subit une série de faillites bancaires. C’est alors que le chancelier Brüning décide de mener une politique qui ressemble à s’y méprendre à celle exigée par Angela Merkel aujourd’hui pour les pays du Sud de l’Europe, faite d’austérité à tout prix. Le chômage explose, Hitler gagne les élections de janvier 1933 et arrive au pouvoir. Puis il fait repartir l’économie en faisant tourner la planche à billets, grâce à une banque centrale aux mains du pouvoir politique et en refusant de payer la dette du pays.
 
L’attachement à une Buba indépendante, le refus de l’inflation, ce serait donc en partie pour prendre le contre-pied de la politique économique d’Hitler ?
 
Oui. Mais ça ne s’arrête pas là. Sur le plan de l’organisation politique également, on prend le contre-pied. Ça consiste notamment à casser l’État central. Sur le modèle de ce qu’étaient la Prusse et les principautés voisines au XIXe siècle, on décentralise. On fait de l’Allemagne un pays fédéral, avec des Länder autonomes et puissants. Et l’on implante la capitale à Bonn, ville tout à fait secondaire.
 
Forte de sa politique monétaire menée par la Buba, de ses Länder et des choix opérés par ses grands groupes, l’Allemagne connaît une croissance comparable à celle des Trente glorieuses en France, mais avec une inflation moindre. C’est d’ailleurs pour cela, pour maintenir sa compétitivité par rapport à l’Allemagne, que la France dévalue régulièrement sa monnaie par rapport au mark.
 
Malgré sa belle prospérité, l’Allemagne accepte l'intégration dans l'Europe Pourquoi ? N’a-t-elle pas à y perdre ?
 
Elle a trouvé des intérêts dans le marché commun. Par exemple, après la guerre, l’Allemagne n’avait plus le droit de posséder certaines industries. Je pense notamment à l’aéronautique. Or, très habilement, elle se glisse derrière les Français pour récupérer progressivement des pans d’industrie. De fait, l’Allemagne est parvenue à revenir dans le secteur aéronautique grâce à Airbus puis EADS, ou dans le secteur de l’espace à travers Arianespace. Des entreprises binationales de ce type leur ont permis de se respectabiliser.
 
Mais l’Europe telle qu’elle se construit avant la réunification allemande est différente de celle que nous connaissons aujourd’hui. À l’époque, aucun pays ne pèse réellement plus que les autres. Grosso modo, France, Allemagne et Italie pèsent le même poids. Mieux : si vous regardez une carte, vous vous apercevez que, jusqu’en 1989, le centre de gravité géographique de l’Europe… c’est la France.
 
À partir de 1989, ce centre de gravité bascule vers l’Allemagne. Pour deux raisons : d’abord parce qu’elle se réunifie, ensuite parce qu’elle impose l’élargissement à l’Est.
 
D’ailleurs, il faut se rappeler qu’en Grande-Bretagne, Margaret Thatcher était opposée à la réunification. En bonne nationaliste anglaise, elle a senti venir le basculement de l’Europe vers l’Est. C’est la raison pour laquelle les Anglais, en 1993, décident de sortir du SME (système monétaire européen). Aujourd’hui, vous le savez, ils ne sont pas dans la zone euro.
 
À vous écouter, on a l’impression que les Anglais ont joué leur partition, que les Allemands ont imposé leurs vues. Et les Français, dans tout ça ?
 
Les Français ont été les cocus de l’Europe ! Pourtant, c’est Mitterrand lui-même qui a imposé l’euro au chancelier Kohl, qui n’en voulait pas. Mais c’était une grave erreur. Il s’est fait avoir !
 
Mitterrand s’est fait avoir ?
 
Bien sûr ! Il s’est même fait avoir deux fois. La création de l’euro était une erreur historique, mais il en avait déjà commis une première, en mai 1981, en refusant absolument de dévaluer le franc. Pourtant, ils ont été nombreux à le lui conseiller : Michel Jobert, Michel Rocard, Jean-Pierre Chevènement… Mais Mitterrand avait un programme de largesses, de redistribution. Or, dans ces conditions, dévaluer n’a pas de sens. Cela n’en a que si la dévaluation s’accompagne d’une politique rigoriste.
 
Toujours est-il que, faute d’avoir dévalué dès le départ, il devra le faire par trois fois dans le cadre du SME, pour pallier l’écart de compétitivité avec l’Allemagne qui ne cesse de se creuser. En revanche, Mitterrand n’a jamais réellement menacé de sortir du SME. Il ne voulait pas menacer de rompre…
 
ustement : récemment, des socialistes français ont fait connaître leur désir de se confronter à Angela Merkel. Ont-ils raison ? Que peut-on espérer dans une négociation quand, de toute façon, on sait qu’on n’ira jamais jusqu’à la rupture ?
 
Je suis partisan depuis longtemps d’un dialogue avec l’Allemagne. On devrait se mettre face-à-face, toutes forces politiques confondues, et réfléchir à ce que l’on veut vraiment faire ensemble. Si l’on veut poursuivre sur la voie du rapprochement, cela implique des concessions de part et d’autre. Et que l’on invente un modèle nouveau. Pas que l’un des pays accepte de se laisser imposer le modèle de l’autre !
 
Malheureusement, jusqu’à la fin des années 1990, les élites françaises se sont imaginé qu’elles parviendraient à transposer le modèle français à toute l’Europe. Illusion ! Au lieu de ça, la France s’est retrouvée coincée entre Anglais et Allemands. Tout en ne parvenant pas à s’attacher le soutien des autres pays de l’Union. C’est comme ça que la France a peu à peu perdu son influence.
 
Il faut donc une confrontation avec l’Allemagne, comme le dit Claude Bartolone ?
 
Une confrontation, c’est avant tout un débat. Le mot confrontation n’est pas un gros mot. Ce qu’il faut, c’est se mettre autour d’une table et essayer de comprendre, chacun de son côté, ce que veut l’autre. La première question à se poser ensemble est la suivante : jusqu’où veut-on aller dans l’intégration ? Veut-on une Europe fédérale ? Si on veut cela, ça implique de gros sacrifices de part et d’autre. De plus, c’est sans doute plus évident pour les Allemands que pour nous. Comme l’explique Guillaume Duval dans Made in Germany, l’Allemagne a déjà une tradition fédérale. Ce qui n’est pas le cas de la France. Et on ne peut pas gommer un millénaire de notre histoire.
 
Sans aller jusqu’à la question du fédéralisme, on pourrait négocier avec les Allemands un sauvetage enfin définitif de cet euro perpétuellement crise. En envisageant notamment une modification des statuts de la Banque centrale européenne, pour que celle-ci mène une vraie politique monétaire, et ne se focalise pas sur la seule lutte contre l’inflation.
 
Pour quoi faire ? Même si la BCE monétisait massivement nos dettes, ça ne modifierait pas les différentiels de compétitivité entre les différents pays d’Europe.
 
Pourtant, tout le monde n’est-il pas d’accord sur le fait que « le problème, c’est la dette » ?
 
La dette n’est pas un problème dès lors qu’en face, il y a des actifs. Et en France, on a ces actifs. L’épargne privée abonde. Elle pourrait d’ailleurs financer largement la dette, pour peu qu’on accepte de re-nationaliser celle-ci, comme ça se fait au Japon.
 
Le vrai problème, ce n’est donc pas la dette. Ce sont les comptes extérieurs. Regardez les différentes balances des paiements dans le monde : les pays mercantilistes (la Chine, par exemple) ne cessent d’accumuler des excédents. Les autres accumulent des déficits. Les États-Unis les premiers, mais pour eux, c’est égal. Ils battent la monnaie librement, et leur monnaie se trouve être la monnaie des transactions internationales.

Quant à la zone euro, sa balance des transactions courantes est globalement équilibrée. Elle est même en léger excédent. L’Allemagne est excédentaire, tous les autres sont déficitaires. Mais l’équilibre global explique que l’euro soit une monnaie forte par rapport au dollar et au yuan. Et au yen, puisque les Japonais viennent de décider de laisser filer le cours du yen.
 
Voilà un argument à opposer à l’Allemagne : seule bénéficiaire de toute la zone euro, elle voit ses voisins — donc les futurs clients de ses exportations — s’appauvrir.
 
Elle le sait. D’ailleurs, la stratégie allemande consiste désormais à trouver des clients ailleurs. Ce n’est pas pour rien que la chancelière se rend tous les ans en Chine. Et quand elle y va, elle y reste une semaine.
 
Vous allez vous faire traiter de germanophobe
 
C’est absurde. Je dis juste que l’Allemagne joue, en toute logique, sa partition. Elle n’a pas fait les mêmes erreurs que la France. Chez nous, depuis vingt ans, on détruit des emplois dans le secteur privé, le seul qui rapporte de l’argent au pays. Et l’on compense cela par du chômage, ou par des emplois publics et parapublics, notamment dans les collectivités locales ou dans l’associatif.
 
Donc, lorsque Hollande mène une politique favorable aux entreprises, vous lui donnez raison ?
 
Il a raison. Ce qu’il ne fait pas, c’est distinguer les différents types d’entreprises. S’il y a bien un scandale, c’est la manière dont on a laissé les multinationales échapper à tout contrôle. On ne s’est jamais attaqué à elles, encore moins aux paradis fiscaux. De sorte qu’aujourd’hui — c’est un comble ! — ce sont les anglo-saxons qui mènent l’offensive contre les paradis fiscaux. Ne serait-ce que parce que Cameron et Obama rencontrent de gros problèmes de recettes budgétaires, et qu’ils cherchent de l’argent là où il se trouve !
 
L’erreur des socialistes français, c’est de n’avoir fait aucune nuance. Ils se sont trompés de cible. Ils ont visé des individus, les riches, mais ne se sont pas attaqués autrement qu’en paroles aux multinationales et à leur optimisation fiscale. Ils n’ont pas remis en cause le pouvoir de la finance et ne se sont pas attaqués à la citadelle de Bercy, cette machine à fabriquer de la complexité inutile lui permettant de justifier les emplois de ses fonctionnaires.
 
Le CICE (crédit impôt compétitivité emploi), décidé suite au rapport Gallois, c’est une bonne chose ?
 
Le principe est bon mais c’est une usine à gaz, typique des inventions de Bercy. En plus, on a plafonné les crédits d’impôt aux salaires inférieurs à 2,5 fois le SMIC. Ce sont donc La Poste et la grande distribution qui seront les principaux bénéficiaires. C’est-à-dire les entreprises qui, précisément, ont beaucoup de salariés peu formés et mal payés.
 
Ces choix de Hollande relèvent d’une politique de l’offre. N’y a-t-il pas plutôt un problème de demande, en France ?
 
On ne peut pas faire une politique de demande aujourd’hui. En économie ouverte, ça ne favorisera que les importations. Sauf si on installe des barrières douanières… mais il faudra qu’on m’explique où on est supposé les mettre, alors même que nous sommes intégrés dans le marché commun.
 
Finalement, quelle solution voyez-vous ?
 
Nous avons quelques vrais atouts. Je propose par exemple qu’on augmente le budget de la Défense, au lieu de le laisser s’éroder du montant de l’inflation, comme cela vient d’être décidé pour le budget 2014. Un jour ou l’autre, l’Europe va se réveiller et se souvenir qu’elle a besoin d’être défendue. La France est en bonne position pour pouvoir assumer ce rôle pour toute l’Union. Mais cela doit se faire à une condition : sortir le budget de la Défense du calcul du déficit budgétaire.
 
Autre proposition : se mettre d’accord avec les Allemands sur la question de l’énergie. Se répartir les tâches. L’Allemagne ne veut plus fabriquer d’énergie nucléaire, faisons-le. À nous le nucléaire, à eux la production d’énergie éolienne et solaire. Enfin, nous devons retrouver une diplomatie dynamique indépendante. Tisser des relations avec la Chine, avec la Russie, avec l’Algérie. Mais sans le clamer. De la même manière qu’Angela Merkel soigne, de manière feutrée et en toute autonomie, la relation germano-chinoise.
 
Pas de grande réforme fiscale ?
 
Quelle réforme fiscale voulez-vous faire ? L’impôt sur le revenu rapporte peu. Et 55% de personnes ne payent pas cet impôt. On ferait mieux d’aller chercher de l’argent du côté des multinationales. En taxant le chiffre d’affaires qu’elles réalisent en France, de sorte qu’elles soient assujetties à cet impôt sur le CA quand bien même elles parviendraient à ne pas payer d’impôt sur les sociétés en France. Là, je vous assure qu’il y a de l’argent à récupérer. Beaucoup d’argent.
 
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dimanche 12 mai 2013

Crise : l'Etat vend les bijoux de famille





Il n'y a pas de petits profits, surtout quand il s'agit d'atteindre de fort petits objectifs.
 
Ainsi, pour qui n'a pas d'autre dessein que de « résorber les déficits » et d' « arriver à l'équilibre », pour qui rêve de comparaître devant le tribunal de l’Histoire paré du titre glorieux de « bon gestionnaire », qui considère que la « bonne gouvernance » tient lieu de majesté, il n'y a pas d'hésitation à avoir. Il faut tout vendre.
 
On fourguera tout ce qui peut l'être. Tout ce qui a le mauvais goût d'avoir un intérêt dépassant sa stricte valeur d'usage. Ce qui est beau, ce qui est élégant, ce qui est délicat n'a désormais sa place qu'au Mont de Piété. C'est le « réalisme économique » qui l'exige.
 
C'est donc au « réalisme économique » que l'on doit cette belle idée : fin avril, on apprenait la mise en vente, par l’Élysée,d'une partie de sa cave à vins. Et l'AFP de nous indiquer : « quelque mille deux cent bouteilles seront mises aux enchères (...) des bouteilles de Petrus 1990 estimées à deux mille deux cents euros pièce, mais aussi des crus plus modestes à partir de 15 euros figureront dans le lot ».
 
Voilà donc la solution au rétablissement des comptes publics de l’État français : vendre des bouteilles à 15 euros pièce. On se demande bien, du coup, pourquoi la vente devrait se tenir « à l'hôtel Drouot à Paris ». Ça va prendre du temps, et faire bien du dérangement. Sans doute une mise en ligne sur Leboncoin.fr eût-elle suffit. C'eût été « plus efficient », comme disent les RGPPistes de service.
 
Mais ce n'est pas tout. N'écoutant que leur froide raison de « mandarins de la société bourgeoise » (Jacques Mandrin), les énarques de la Cour des comptes ont eu une idée meilleure encore : mettre au pain sec la Garde républicaine.
 
Pas de répit dans la chasse au gaspi ! Les membres de la vénérable institution ont décidé de s'attaquer enfin au nœud du problème Français : la protection des palais nationaux et les quelques 280 millions d'euros qu'elle représente. Waou, ça décoiffe ! Si l'on rapporte ça aux quelques 375 milliards d'euros que l’État prévoit de dépenser en 2013, on saisit tout de suite la portée historique de l'enjeu.
 
Et puis, la Garde républicaine, ça ne sert à rien. Ça répond seulement « à des objectifs de prestige ». C'est dire si c'est has been. D'ailleurs, sur cette judicieuse lancée, que n'en profite-t-on pas pour faire un prix de gros sur le Palais Bourbon et sur celui du Luxembourg, et pour envoyer nos élus anachroniques siéger dans un préfabriqué édifié à cette fin aux abords immédiats de la porte de Pantin ?
 
De façon prémonitoire, Régis Debray s'alarmait, il y a quelques temps déjà, du péril que courait la Garde républicaine, ce « nœud stratégique pour la sauvegarde de l'impalpable face à l'utilitaire », cette « ultime tranchée face aux logiques d'entreprises ». Puis il ajoutait : « l'argent n'a pas besoin de sabre au clair, le politique, oui. Une esthétique lui est indispensable ».
 
Le politique ? Quelle horreur ! Ça génère des passions, et parfois même, ça fait des morts.
 
Le politique : voilà donc ce qu'essaient, au fond, de congédier les petits télégraphistes zélés de la « bonne gouvernance ». En s’attaquant avec soin à tout ce qui contient un peu d'âme, à tout ce qui a un peu de saveur, à tout ce qui relève de l'élégance - jugé désuète - et du panache - cet anachaïsme. Car ils espèrent qu'advienne bientôt cette fin de l'Histoire où seront enfin reconnues à leur juste valeur leur rationalité comptable et leurs aptitudes boutiquières, ces deux facultés propres aux esprits étriqués, aux ventres mous et aux âmes sèches.
 
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dimanche 5 mai 2013

Marche pour la « VI° République » : Mélenchon a-t-il brouillé son message ?



Photo prise par le blogueur Politeeks ( politeeks.info)


Difficile de savoir combien ils étaient vraiment, entre les 180 000 manifestants annoncés par les organisateurs et les 30 000 décomptés par la préfecture de Police (qui, initialement, ne devait pas s'exprimer). Ils étaient en tout cas nombreux à la « marche citoyenne » initiée par Jean-Luc Mélenchon et à exiger « d’en finir avec ces institutions issues d’une époque révolue ». C'est donc un succès pour le leader du Front de gauche.

Ce qui peut surprendre, en revanche, c'est le mot d'ordre. Il était certes question, en ce 5 mai, de dénoncer la crise et de combattre  la finance. Mais il s'agissait plus encore  de congédier « ces institutions soi-disant stables qui permettent des circulations intolérables entre la finance et la haute administration », puis de mettre en place une  « sixième République ».

On peut certes interpréter cela comme une volonté de dénoncer de manière large et exhaustive la politique menée par François Hollande. Pourtant, on aurait mieux compris une manifestation dirigée contre la seule austérité. Un mot d’ordre à caractère exclusivement économique et social aurait davantage collé au contexte. Alors même que de nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui, jusqu’au sein de la commission européenne, pour mettre en doute la politique de rigueur menée jusque-là, on aurait compris que le Parti de gauche souhaite enfoncer le clou.

De plus, nombre de caciques du PS ont fait savoir, au sortir de la séquence sociétale du « mariage pour tous », qu’on entrait à présent dans une « deuxième phase du quinquennat », centrée sur l’emploi. Car il est évident que la priorité du moment est de redresser la situation économique. Ce n’est pas faire preuve d’un « économisme » marxisant que de dire cela. Au-delà de cinq millions de chômeurs, il ne faut pas moins d’économie, il en faut davantage.
 
Ce n’est donc pas le moment d’imaginer de nouvelles étapes dilatoires telles qu’un bouleversement institutionnel que pas grand monde, aujourd’hui, ne réclame.  Au contraire, même. Lorsque les Français se déclarent favorables, dans un sondage, à la « valeur d’autorité », ils ne se défient pas de « la construction pyramidale de la Vème République » vilipendée par Mélenchon. A l’inverse, ils la plébiscitent. Et lorsque 87% d’entre eux éprouvent le besoin de se doter d’« un vrai chef », ce n’est pas à un changement de régime qu’ils aspirent, mais au retour du fonctionnement normal de notre « monarchie élective ».
 
Le sentiment que la République dysfonctionne est certes partagé. Mais envisager en priorité des réponses institutionnelles n’est pas forcément la bonne approche. Evidemment, des erreurs ont été faites sur la question des institutions. Mélenchon dénonce avec raison, sur son blog « l’inversion des scrutins et le raccourcissement du temps des mandats (qui ont) produit des effets destructeurs de grande ampleur ». Mais c’est en 2000 que fut réduit le mandat présidentiel de cinq à sept ans, non en 1958. Et c’est à Lionel Jospin que l’on doit l’inversion du calendrier entre présidentielle et législatives, non au général de Gaulle.

Quant aux solutions que Mélenchon souhaite importer d’Amérique latine, on peut s’interroger sur leur efficacité potentielle. Si cette possibilité existait en France, quelles conséquences aurait un « référendum révocatoire », hormis le retour au pouvoir anticipé d’une UMP qui, en plus d’être plus radicalisée que jamais sur la question des valeurs, ne sait jouer d’autre partition économique que l’alignement sur la droite allemande ?

Or c’est bien cela - et non la question du régime - qui donne aujourd’hui le sentiment d’un blocage de la République : l’impression que l’offre politique s’est rétrécie et que l’alternance ne se réduit qu’à une succession du pareil et du même. Que, si le clivage droite/gauche demeure pertinent sur les questions de société, il a cessé de l’être sur celles de l’économie et du social, celles justement qui préoccupent le plus la population. Ou, pour l’exprimer comme René Rémond, que « la plupart des repères qui ont successivement dessiné les figures opposées de la droite et de la gauche et configuré leurs personnalités contraires ont singulièrement perdu de leur pertinence, pour ne pas dire entièrement ».

Davantage qu’une « sixième République, on s’attend donc à ce qu’un programme alternatif de gauche propose une rupture sur l’économie et le social, sur la lutte contre le chômage, mais aussi sur l’Europe. Sans doute Mélenchon en est-il conscient. Et il se prête volontiers à l’exercice, comme le montre sa récente interview par Jean-Jacques Bourdin. S’il y rappelle brièvement son attachement au démantèlement du « pouvoir monarchique », la majeure partie de ses propositions – quelqu’opinion qu’on en ait– vise bien à remplacer une politique de l’offre par une politique économique qui favorise la demande : titularisation des précaires de la fonction publique, interdiction des contrats précaires dans le privé, des licenciements boursiers, réorientation de l’Europe via une opposition à la politique de la CDU allemande. Ainsi, sur RMC, la question des institutions est-elle rapidement évacuée pour faire place à au déroulé d’un programme économique.
 
C’est qu’encore une fois, la « sixième République » ne présente aucun caractère d’urgence. Davantage que la rupture du cadre institutionnel, c’est le rétablissement de son fonctionnement normal qui est souhaitable, avec le retour à une véritable alternance gauche/droite. Dès lors, on est tenté d’acquiescer lorsque Bertrand Renouvin explique sur son blog : « si Jean-Luc Mélenchon avait appelé à manifester contre les oligarques, je me serais mêlé au cortège pour marcher avec des Français qui sont en colère pour de bonnes et simples raisons. L’appel à la « sixième République » m’en écarte. L’objectif est illusoire et la marche protestataire va se réduire à une opération de diversion ».

Une diversion, ou peut-être un mot d’ordre facile, que l’on retient, qui marque les esprits. Un slogan court et percutant que l’on scande aisément dans une manifestation. Presque une « une » de quotidien en soi. Mais qui présente un inconvénient essentiel : il brouille en partie le message.
 
 
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