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lundi 2 avril 2012

Plongée au coeur du "nouveau" FN : Sylvain Crépon enquête.




Sylvain Crépon l’admet lui-même : à force d’ouvrages et d’enquêtes visant à « dévoiler », à « démasquer » ou simplement à exposer, « tout aurait été dit sur la nouvelle présidente du Front national. Sa trajectoire, ses ambitions, ses idées, son programme (…) ses réseaux, sa famille, ses liens avec son père ».

C’est pourquoi son Enquête au cœur du nouveau Front national (Nouveau monde, mars 2011) n’est pas une énième biographie de Marine Le Pen. Celle-ci n’est d’ailleurs présente qu’en filigrane dans ce livre qui fait une large place aux seconds couteaux, de Louis Aliot à Steeve Briois, de Bruno Bilde à Nicolas Bay. Car ces quarantenaires, qu’ils soient lepénistes de toujours ou mégrétistes repentis, constituent désormais l’armature du FN « nouvelle formule ».

Non content de donner la parole à la jeune garde frontiste, Crépon nous permet également de découvrir le parcours de nombre de militants, pour la plupart adhérents de fraîche date. La quarantaine d’entretiens réalisés par le sociologue permet ainsi d’appréhender les motivations, les déceptions passées et les nouveaux espoirs de récents frontistes, notamment au sein du « laboratoire du nouveau lepénisme » : Hénin-Beaumont. On y découvre la capacité d’attraction de ce FN rénové au discours savamment républicanisé, la séduction d’une présidente jeune et policée, bref le succès de la stratégie « mariniste » de dédiabolisation.

Nombre de néo-adhérents se sont en effet engagés dans l’aventure pour soutenir « Marine » face à Bruno Gollnisch au moment du retrait de Jean-Marie Le Pen, fin 2011. Ceux-ci adhèrent à l’image que renvoie cette femme jeune, moderne, « quasi féministe » comme elle le dit elle-même dans sont autobiographie[1].

La leader frontiste possède en effet beaucoup de ces caractéristiques qui étonnent chez nombre des jeunes leaders des droites radicales européennes, du Hollandais Geert Wilders au Suisse Oskar Freysinger. Parfaitement en adéquation avec leur temps, ils prônent l’égalité homme/femme et se montrent volontiers gay friendly. C’est d’ailleurs au nom même de la défense des mœurs occidentales et « libérales » qu’ils vilipendent l’islam, supposé par nature obscurantiste, rétrograde et machiste. Le témoignage recueilli par Sylvain Crépon de plusieurs jeunes militants ou homosexuels ayant rejoint le FN en témoigne : ce parti attire certains de ses « hédonistes sécuritaires », ainsi désignés par Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin[2], et qui ont troqué le vieux discours raciste de l’extrême droite contre une doxa plus volontiers anti-islam, propre au nouveau « national-populisme ».

C’est également cela qui les attache au discours désormais laïc du Front national, et, plus largement, à la rhétorique soigneusement républicanisée de sa nouvelle présidente. Questionné par Crépon, un jeune frontiste de 20 ans l’exprime en ces termes : « pour moi, la laïcité est quelque chose qu’il faut conserver, qui fait partie des valeurs républicaines » Puis, gratifiant le lecteur d’un lapsus : « la laïcité, je vais vous dire que c’est bien pratique pour lutter contre l’islam euh…l’islamisme ».

Marine Le Pen prend soin, en effet, de toujours distinguer la religion musulmane d’une part et les dérives fondamentalistes d’autre part. Manifestement, la nuance est moins évidente pour certains de ses affidés. La laïcité est-elle véritablement, pour eux, une valeur ? Ou n’est-elle qu’un outil visant à troquer le discours anti-immigrés contre une phraséologie anti-islamiste forcément incontestable ? Sa défense à toute force exprime-t-elle une véritable conversion à l’universalisme républicain ? Ou n’est-ce là qu’un outil pour endiguer la progression d’un islam jugé envahissant et pour mieux préserver « les racines chrétiennes de la France » ?

Les témoignages recueillis par l’auteur permettent d’envisager une réponse possible à ces questions. Et, tout en ne tombant pas dans la facilité de soupçonner derrière chaque prise de parole un « double discours » ou une volonté de mystification, on s’aperçoit de la difficulté, pour nombre de militants frontistes, à opérer une synthèse raisonnable entre un attachement manifestement sincère à ces « valeurs républicaines » qu’ils promeuvent, un certain nombre de « paniques morales »[3] qu’ils éprouvent et une formation politique qui puise dans la tradition de l’extrême droite.

Enfin, le principal enseignement de cette « enquête au cœur du nouveau Front national » demeure sans doute l’analyse de la conversion de nombre d’anciens partisans de la gauche aux idées du FN. Plusieurs entretiens avec des recrues d’Hénin-Baumont en témoignent : sur cette terre ayant si violemment pâti de la désindustrialisation, un souci très ancré de la condition ouvrière, du social en général, une défiance incoercible vis-à-vis du « mondialisme » ou de l’Europe et le sentiment, enfin, que les partis socialiste et communiste les ont abandonnés, ont achevé de convaincre nombre d’anciens proches de ces partis que le FN était désormais leur seul recours. Dès lors, cette enquête accrédite de manière implacable l’hypothèse de Laurent Bouvet : en perdant peu à peu « le sens du peuple », la gauche a non seulement abandonné une part substantielle de son électorat « naturel » à un parti rival, mais également tourné le dos à sa raison d’être.

Comme d’autres livres avant lui, mais en donnant cette fois la parole à des militants ou sympathisants du FN, l’ouvrage de Sylvain Crépon en atteste : il existe chez nombre de Français des peurs qui sont pour une bonne part économiques et sociales, mais qui sont également culturelles et « identitaires » [4]. Qu’elles soient justifiées ou fantasmées n’est d’ailleurs plus la question, pas plus que les anathèmes et la reductio ad hitlerum ne constituent une solution. Dès lors qu’elles existent, ce sont des réponses politiques qu’il faut donner à ces interrogations.

A quelques semaines du scrutin présidentiel, on aimerait croire que les partis dits « de gouvernement », et ceux de gauche en particulier, se le tiendront enfin pour dit.


[1] Marine Le Pen, à contre-flots, Granger, 2006.
[2] G. Brustier et J.P. Huelin, Voyage au bout de la droite, Mille et une nuits, 2011.
[3] Ibid.
[4] Voir sur ce point Alain Mergier et Jérôme Fourquet, Le point de rupture : enquête sur les ressorts du vote FN en milieux populaires, Fondation Jean-Jaurès, 2011.

Lire et relire :
Pour Stéphane, un seul choix possible : Marine Le pen  CLICK
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Populisme : est-ce que Mélenchon = Le Pen ?   CLOCK
Pierre-André Taguieff revisite le populisme   CLOUCK

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2 commentaires:

  1. … malheureusement non. Ils sont encore convaincus que Hollande est leur sauveur, ils n'ont aucune vision de l'histoire (depuis 1983) et/ou n'en tire aucune conséquence.
    Il va leur falloir que le pire nous arrive à tous ?

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  2. "Dès lors qu’elles existent, ce sont des réponses politiques qu’il faut donner à ces interrogations." OK, mais comment faire simple (simpliste)et expliquer quand il suffit au F.N d'une phrase pour opposé l'Islam ...euh l'islamisme à la laicité, le chomage à l'immigré,le quartier abandonné à l'insécurité ?

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