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dimanche 16 septembre 2012

Politique économique du gouvenement : les faits sont têtus.


Par Jacques Sapir

Cette note a été rédigée par l'économiste Jacques Sapir après l'intervention de télévisée de François Hollande dimanche 10 septembre. Merci à lui de l'avoir mise à disposition de l'arène nue.
 
***
 
Le Président de la République, François Hollande, a indiqué dans son entretien sur TF1 dimanche dernier qu’il entendait poursuivre diverses orientations qu’il avait déjà présentées lors de la campagne présidentielle. Il a aussi indiqué sa volonté d’accélérer le calendrier de certaines réformes. Ceci découpe, en creux, une stratégie pour le début du quinquennat, même s’il reste excessif à cet égard de parler à ce propos « d’agenda 2014 ».
 
Dans la présente note, on examinera certains des aspects de cette stratégie.

 
I- La « réforme du marché du travail »

François Hollande a indiqué sa volonté d’avancer rapidement vers une réforme importante du marché du travail en France. De fait, la persistance d’offres d’emploi non satisfaites, alors que nous connaissons un chômage élevé, montre bien la persistance d’un problème grave dans ce domaine. Mais, l’inspiration de cette réforme serait plus à chercher dans la « FlexiSécurité » telle qu’elle est appliquée au Danemark. Or, on constate que les résultats de ce pays, en période de forte chute de la croissance (2009 - 2011), sont loin d’être aussi bons que ce qu’ils étaient en période d’expansion.

 
Graphique 1


Source : Statistiques de l'OCDE sur l'emploi et le marché du travail (base de données).



Le rapport entre le taux de chômage au Danemark et celui de la France ou de l’Allemagne s’est fortement dégradé depuis 2008, et montre que le « modèle danois » ne s’est pas avéré plus résistant, ou résilient, par rapport à la crise.


Graphique 2
 
 Source : OCDE et CEMI-EHESS
 

Graphique 3

Source : Dépenses sociales: données agrégées,
Statistiques de l'OCDE sur les dépenses sociales (base de données)


En période de récession, la flexibilité se transforme en surcroît de licenciements et la « sécurité » disparaît. Par ailleurs, le coût du système danois apparaît comme très élevé, et largement supérieur au coût du système français ou allemand.

 La référence au Danemark semble plus être un effet de mode que le résultat d’une analyse sérieuse des données disponibles.

 
II - Les prévisions de croissance pour 2013.

 
Un deuxième point important dans l’intervention du Président a été constitué par le double rappel de la volonté de réduire les déficits (ce qui implique et conduit au traité européen qui doit être voté) et de limiter la hausse du chômage. Sur ce point en particulier, le Président a déclaré qu’il comptait inverser la courbe du chômage, qui monte aujourd’hui de manière rapide, à l’horizon de la rentrée 2013.
Ces deux points convergent sur la prévision de croissance pour l’année 2013. Le Président a donné le chiffre de 0,8% comme base de calcul du budget 2013, et il a précisé que ceci impliquerait de trouver 30 milliards d’euros, répartis par tiers entre des économies, des contributions des entreprises et des contributions des ménages.
 
1) La prévision de croissance affichée pour 2013 n’est absolument pas réaliste. Alors que dans les pays voisins (Espagne, Italie) on révise à la baisse les chiffres pour 2012, il est clair que cela aura des conséquences sur 2013 pour l’économie Française. Le service des recherches de NATIXIS a récemment ajusté ses prévisions à -0,2%. Compte tenu de la dégradation de l’environnement économique (Chine, Inde et États-Unis), il est clair que la fourchette d’estimation de la croissance française pour 2013 se situe entre 0% et -1%, avec une forte probabilité de concentration entre -0,2% et -0,5%. Ceci implique, si le Budget 2013 est bien calculé sur la base de 0,8% un écart entre les prévisions et la réalité qui sera compris entre 1 et 1,3 points de PIB.
 
2) Un écart de cette importance implique un écart dans les recettes futures qui est compris entre 9 et 12 milliards d’euros. Compte tenu de l’accroissement mécanique des dépenses de transferts, ce sont 15 milliards d’euros supplémentaires qu’il faudrait trouver si nous voulons respecter l’engagement de déficit budgétaire pour 2013 à 3% du PIB. C’est la raison pour laquelle il y a actuellement un consensus entre les économistes pour considérer que le déficit réel sera bien plus proche de 4,5% que de 3%.
 
3) Si le gouvernement veut, malgré tout, respecter ses engagements, il devra prélever 15 milliards de plus en 2013, soit, si on respecte la formule adoptée pour l’instant, 5 milliards de plus sur les ménages. Le choc sur la consommation sera fort, et cumulé avec le choc déjà prévu. La loi rectificative de finance qu’il faudra faire voter entre la fin du printemps et la rentrée 2013 aura pour effet d’accélérer la récession, et pourrait nous conduire autour d’une baisse du PIB de -1%, ce qui aura des conséquences tant sociales (forte hausse du chômage) que fiscales (forte hausse de la dette publique). Avec un taux d’inflation à 2% l’an, la dette exprimée en pourcentage du PIB augmentera de 2%.
 
4) Si le gouvernement se décidait à ne pas respecter ses engagements, et si la baisse de croissance n’était que de -0,2% pour 2013, un déficit de 4,5% n’impliquerait en réalité qu’une hausse mécanique de 2,4% de la dette, sous les mêmes hypothèses d’inflation. Mais alors, que deviendrait la crédibilité du gouvernement ?
 
 
Il faut savoir que c’est la croissance de la consommation privée française qui a largement contribué à ce que la crise dans la zone Euro soit relativement modérée. La croissance de la consommation allemande est très faible, celle de l’Italie (3ème économie) et de l’Espagne (4ème économie) est en réalité négative.


Graphique 4
 
Source : Base de données des Perspectives économiques de l'OCDE
 

On comprend bien qu’il est fort peu probable que le gouvernement français se lance dans une surenchère pour la politique fiscale et budgétaire. Mais, alors, pourquoi se mettre volontairement dans une situation ou nous serons amenés à renier nos engagements ? Quel sens à de faire voter le TSCG si c’est pour ne pas l’appliquer ?

Les opérateurs sur les marchés financiers ne sont pas idiots. Ils sanctionneront et une politique qui renoncerait à ses engagements, et une politique qui les respecterait, en nous faisant plonger dans une profonde récession.

 La raison et le bon sens conseillent de reporter ce vote au moins au début de l’année prochaine, quand nous serons en possession de plus d’éléments pour juger du déroulement économique de l’année 2013.

Sans même prendre position sur la gravité des engagements du TSCG, et sur la pression sociale qui monte en faveur d’un référendum (72% des Français y sont favorables), il est évident aujourd’hui que le vote de ce traité n’est pas la priorité. Toute tentative de la faire voter par des pressions politiques, des menaces de sanction pour les députés socialistes qui auraient l’intention de s’abstenir ou de voter contre, serait profondément contre-productive. Nul n’est obligé de se jeter dans l’erreur et qui le fait après avoir été dûment averti doit savoir qu’il en portera totalement la responsabilité.

 
III - La stratégie gouvernementale.
 

Arrivée à ce point, on peut se demander s’il y a bien une stratégie gouvernementale. Or, il y en a bien une, mais fondée sur un pari douteux et articulée à une croyance suivie avec la foi du charbonnier.

 Déroulons-en le raisonnement.

Le gouvernement s’attend à une forte montée du chômage (au minimum 500 000 chômeurs de plus d’ici juin 2013, et sans doute plus). Il en a pris son parti et n’espère plus que de pouvoir atténuer ce processus à la marge, avec la création de 100 000 à 120 000 emplois aidés pour l’année 2013, dont probablement 70 000 seront mis en œuvre d’ici juin. Mais, il escompte trois choses, et c’est là que réside le pari, qui modifieront la situation d’ici à la fin de 2013 :

  1. Que les anticipations des investisseurs, tant français qu’étrangers, s’amélioreront dans la mesure où l’on aura procédé à la « consolidation » de la zone Euro (entrée en action du MES, Union Bancaire, TSCG).
  2. Que la conjoncture internationale s’améliorera hors d’Europe et tirera la croissance européenne à partir de fin 2013.
  3. Que les conditions de compétitivité de l’économie française s’amélioreront suffisamment à la fois grâce à la réforme du marché du travail, à des modifications dans les prélèvements des charges sociales et à l’action de la future Banque Publique d’Investissement. Dès lors, l’économie française pourrait tirer son épingle du jeu dans une croissance revenue.

Examinons maintenant ces divers éléments.

Le premier relève, en réalité de la méthode Coué. Si les investissements sont en train de chuter, c’est pour deux raisons essentielles : la demande est en train de se contracter et la profitabilité des entreprises est en train de se dégrader. Il ne faut pas, à cet égard, confondre l’attitude des marchés financiers, prompts à s’emballer dans un sens ou un autre, et l’attitude des investisseurs « réels ». Le graphique 5 montre que l’investissement est en train de baisser dans les différents grands pays. Ce n’est donc pas une très hypothétique « consolidation » de la zone Euro qui provoquera sur ce point un changement.

Le second point implique que l’on s’attarde un petit peu sur les éléments de conjoncture internationale :

1) Les pays émergents, comme la Chine et l’Inde sont entrés ou vont entrer d’ici au prochain trimestre, en récession. Dans le cas de la Chine, il s’agit d’un ajustement de longue durée (de 24 à 30 mois) rendu impératif par la bulle immobilière. Il est illusoire de penser que ces pays auront un effet de traction sur l’économie mondiale avant au moins septembre 2014 et plus probablement le début de 2015. La tendance sera bien plus de chercher à exporter davantage vers l’Europe, ce qui exercera un effet dépressif sur l’économie européenne.

2) Les États-Unis connaissent une croissance « molle », du fait des multiples problèmes qui perdurent dans le secteur financier, qui n’a pas été durablement assaini depuis quatre ans. Quant à la Grande-Bretagne, si le secteur industriel donne des signes d’espoirs (résultat de l’importante dévaluation à laquelle ce pays a procédé) la partie financière de l’économie reste elle aussi profondément malade.

Il est donc parfaitement illusoire d’espérer dans une demande extérieure à la zone Euro les facteurs d’une hypothétique croissance d’ici un an, et en réalité d’ici deux ans au moins.


Graphique 5

Source : Base de données des Perspectives économiques de l'OCDE.


Sur le troisième point, la compétitivité française ne pourra, en mettant les choses au mieux, progresser que dans un délai de dix à quinze ans. Si l’on veut réaliser une « dévaluation interne » en transférant massivement les charges des entreprises vers les ménages, c’est à un choc supplémentaire sur la consommation que l’on arrivera, et qui pourrait, cette fois, nous faire passer de la récession à une véritable dépression. La Banque Publique d’Investissement même si elle mise sur pied d’ici à janvier 2013 ne verra le fruit de ses efforts qu’à l’horizon 2015 et plus probablement 2016. Notons aussi que pour que ses efforts puissent avoir un effet important sur l’économie, il faudrait que les engagements de cette banque soient très importants et, en réalité, très supérieurs aux 20 milliards d’euros de son possible capital. Quant à la réforme du marché du travail, on a vu dans la première partie de ce texte ce qu’il fallait en penser.
 
Aucun des trois éléments implicitement appelés à venir soutenir le pari du gouvernement ne sera au rendez-vous. C’est à un « pari pascalien » que nous sommes confrontés, au sens le plus religieux du terme.
 
Car, derrière ce pari, il y a la croyance dans les vertus de l’Euro, croyance qui aujourd’hui est poursuivie avec la foi du charbonnier. Non que l’on ignore certaines réalités. Les gouvernements se préparent à une tempête financière que pourrait déclencher un défaut de la Grèce d’ici cet hiver, défaut qui serait rapidement suivi d’une sortie de l’euro. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les mesures de la BCE annoncées jeudi dernier par Mario Draghi. Tout le monde comprend bien qu’elles ne sont, et ne peuvent être, une réponse à la crise. Mais, elles devraient néanmoins permettre à la zone Euro de traverser une grave crise spéculative, même si leurs conséquences négatives se feront sentir peu après (avec très certainement une aggravation de la récession globale liée à la généralisation des plans de rigueur et à la contraction des liquidités privées engendrée par la stérilisation de la création monétaire publique).
 
La question se pose alors des sources de cette foi, assez forte pour résister aux faits, comme on peut le voir sur les statistiques de croissance depuis l’entrée en action de l’Euro.


Graphique 6

Source : OCDE et CEMI-EHESS
 
À l’exception du Japon, passé par la fameuse « décennie perdue » tous les autres pays importants ont connu une croissance plus forte que la zone Euro, et encore n’avons-nous pas fait figurer sur le graphique 6 ni la Chine, ni l’Inde, ni la Russie : la comparaison eut été encore plus cruelle.

Derrière ces chiffres, on trouve le chômage de masse, mais aussi la misère qui s’accumule désormais de manière dramatique dans les pays de la zone Euro.

 Le pari sur lequel est fondée la stratégie du gouvernement actuel et du Président n’a aucune chance de se réaliser. Le chômage va continuer d’augmenter, atteignant les 3 millions et demi au printemps prochain et sans doute un peu moins de 4 millions à la fin de l’année prochaine. Non qu’il n’y ait aucune alternative. La crise actuelle n’est nullement une « calamité naturelle » mais bien une calamité qui est imposée aux Français par une combinaison redoutable d’ignorance, de manque de courage et de fanatisme que l’on retrouve, hélas, tant à gauche qu’à droite.


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3 commentaires:

  1. Bonjour Coralie,

    Cette contribution assez synthétique de Jacques Sapir me donne l'impression de comprendre quelque chose à l'économie. Elle me procure donc une grande joie intérieure que je voudrais vous faire partager. Si! Mais il faut que j'y renonce, malgré tout, car cela nous amènerait à des effusions incompatibles avec mon immarcescible sens du sérieux.

    Je me contenterai donc de quelque chose de plus simple.

    Selon lui, donc, les termes du pari stratégiques sont plombés d'avance et exclusifs de tout aléa: autant jouer à la roulette russe avec un automatique.

    Incompétent par nature dans ce domaine, je n'ai pas vraiment de billes pour discuter sa thèse sur un terrain académique.

    Mais j'ai quand même deux objections (nanère). La première est purement méthodologique: Sapir pense que le gouvernement fait un pari en se fondant sur trois éléments implicites. Mais ce n'est que son analyse et le gouvernement en a peut être une autre et fait un autre calcul, en s'appuyant sur d'autres éléments que ceux qu'ils liste et critique.

    Méthodologiquement parlant, Sapir "enferme" son contradicteur dans une logique qui n'est peut être pas la sienne. Pour prendre la mesure de ce que cette méthode a de négatif, mettons nous à la place du soldat US face au Taliban afghan: l'un veut faire la guerre d'une certaine façon, mais l'autre n'est pas d'accord. Pourtant, aucun des deux n'est idiot.

    L'autre objection est non scientifique à souhait: il est possible que le gouvernement - qu'il soit de gauche ou de droite d'ailleurs - ait une capacité insoupçonnée de casser la machine à produire de la dette publique.

    Le problème n'est pas tant de respecter tel taux arbitraire de déficit ou d'endettement, le problème, c'est casser la machine à produire de la dette incontrôlée et le montrer au reste du monde.

    Et ça, c'est un problème qui trouve sa solution sur un plan essentiellement politique.

    De mon point de vue - non scientifique, j'insiste - ce ne sont pas les indicateurs économiques qu'il faut regarder en tant que tels, c'est l'attitude du gouvernement.

    (Sapir serait parfaitement en droit d'être totalement contre cette approche intuitive réduisant l'économétrie à une donnée secondaire)

    Le gouvernement veut-il casser la machine, ou pas? Et là... je le sens un peu mou.

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  2. Merci pour ce texte. La perspective de un million de chômeurs supplémentaires en un an me rend incapable de commenter.
    Jard

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  3. "Foi du charbonnier", "croyance", "fanatisme" ... autant de références qui sont utilisées par Jacques Sapir sur un mode satirique. Est-il besoin d'en appeler à un soi-disant obscurantisme chrétien pour illustrer l'irrationalité de la conduite de l'État en matière économique ? La (re-)lecture de Simone Weil (à laquelle s'est opportunément livrée Coralie Delaume en intro de son article "Référendum sur l’Europe : et si on faisait comme Ayrault a dit ?" du mois d'août) aiderait peut-être Jacques Sapir à ne pas nécessairement associer foi et étroitesse d'esprit. Bien amicalement.

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