« Nous ne voulons pas payer pour les Grecs ! ». Après la brillante victoire remportée par Alexis Tsipras hier soir, les obsédés du porte-monnaie sont de retour, et ils sont bien décidés à se faire entendre.
Au lieu de saluer le courage, l'aplomb, le talent de cet homme de 40 ans que l'on disait pourtant inexpérimenté, au lieu de se réjouir du retour de la démocratie et de l'espérance qui se présentent à nouveau, main dans la main, sur le seuil de la vieille Europe et qu'ils ne savent pas reconnaître tant il y a longtemps qu'on ne les avait vues, au lieu de remercier les Grecs d'avoir parcouru seuls, depuis six longs moins, un chemin de ronces qu'ils ont défriché pour nous tous, les « près-de-leurs-sous » préfèrent se demander si et quand ils paieront. Et surtout, combien : 650 € par Français ? 780 € ? 1128 € ? Qui dit mieux ? Et pourquoi pas 1128,76 € ? Après tout, plus il y a de chiffres après la virgule, plus ça fait sérieux....
Comment ne réalisent-ils pas, tous ces forts en calcul, que s'ils paient un jour, ce ne sera pas pour les Grecs mais pour une poignée de grandes banques, vers les poches desquelles la Grèce a surtout servi d’entonnoir, notamment en 2010 ? Comment ne voient-ils pas que, plus que la Grèce, ce sont des politiques européennes stupides qui nous coûtent cher, en nous condamnant pour des lustres à une croissance nulle ? Comment ne s'aperçoivent-ils pas que cette panade économique est nuisible à tout le monde : aux Français, aux Grecs, aux Espagnols, aux Italiens …. aux Allemands !
Pourquoi n'ont-ils rien dit, enfin, quand nous payions pour l'Allemagne ? Peut-être n'ont-ils rien vu alors ? Peut-être ont-ils oublié ? Il faut dire que ça date d'il y a 25 ans. On va donc leur rappeler.
Nous sommes au début des années 1990 et l'Allemagne se réunifie. Elle fait pour cela de gros efforts. De très lourds transferts budgétaires (environ 1300 milliards d'euros) sont effectués, un impôt spécial est mis en place, le Soli. Le processus de réunification, cependant, n'a pas que des inconvénients. Il a quelques retombées économiques positives en l’Allemagne, cependant que les pays riverains n’héritent quant à eux que des effets négatifs. La chute du mur, par exemple, génère une hausse de la demande intérieure du pays. De celle, d’abord, des consommateurs est-Allemands, favorisée par le taux de conversion de « un pour un » (un Ostmark pour un Deutschemark) choisi par le chancelier Kohl. De la demande, ensuite, liée aux investissements publics indispensables pour remettre à niveau l’ancienne RDA.
Problème : ce processus de hausse de la consommation est inflationniste, le comble de l’horreur pour un pays qui en a la phobie. Immédiatement, la Bundesbank prend des mesures pour enrayer le phénomène. Elle fait grimper ses taux pour éviter la surchauffe de l'économie.
C'est là que les choses se compliquent pour le reste de l’Europe. Celle-ci, pour sa part, se trouve dans une situation exactement inverse : son activité ralentit, l'inflation y est faible. La dernière chose dont elle ait besoin est une hausse des taux. Hélas, la marche à l’euro a déjà débuté, et nécessite que les monnaies restent soudées les unes aux autres, ou, plutôt, que toutes restent arrimées au Deutschemark. Qu’à cela ne tienne : les Européens, France en tête, s’alignent sur l’Allemagne. Leurs taux d’intérêt grimpent, provocant un résultat sans appel. Le continent s’enfonce dans la crise. Au dernier trimestre 1992 et au premier trimestre 1993, en France, la récession fait son retour pour la première fois depuis 1975. C'est là la rançon, pour les partenaires de l’Allemagne, de l’unification de celle-ci.
Pour finir, une fois n'est pas coutume, laissons le mot de la fin à.... Jacques Attali. Sur son blog, il écrivait en 2009 :
« Il faut dire à l'Allemagne quelques vérités, au nom de l'avenir de l'Europe (…) La réunification a été payée non par les Allemands, mais par leurs partenaires, en raison de la parité choisie entre les deux marks, qui a conduit à un énorme transfert de richesses des autres pays européens vers la nouvelle Allemagne. Enfin, l'euro n'est pas le produit de la réunification ; il est le dernier héritage de la dynamique européenne précédente. Tout ce qui a suivi peut se lire comme le résultat d'une stratégie allemande entêtée de dissolution de l'union dans un ensemble flou, avec un nombre de pays membres de plus en plus élevé et des institutions de plus en plus faibles, autour d'un mark renommé euro et avec des relations internationales de plus en plus tournées vers l'Est. Une Allemagne de moins en moins bavaroise et de plus en plus prussienne. Une Allemagne qu'une crise économique devenant plus sévère pourrait conduire au protectionnisme, au nationalisme ».
Précisément, nous en sommes là.