Le Monde a-t-il décidé de sous-traiter ses éditoriaux à Pascal Lamy ? On le dirait, tant celui du 12 novembre, portant sur les limites du « made in France » semble avoir été écrit par, pour, en l’honneur et à la gloire du directeur général de l’Organisation mondialedu commerce (OMC).
Critiquant Arnaud Montebourg et son appétence pour les marinières et autres robots ménagers de
conception tricolore, le quotidien relayait ainsi les inquiétudes du responsable
mondial de la concurrence pure et parfaite. Car Pascal Lamy ne s’en cache pas :
il est soucieux. Visant l’ancien chantre de la démondialisation désormais ministre du redressement
productif, il l’expliquait dimanche dernier sur TV5 : il n’aimerait pas qu’on glisse du « patriotisme économique » – concept déjà tout crasseux – au
« protectionnisme économique » et au cortège d’idées
puantes qui l’accompagnent, tel de l’abominable « repli sur
soi ».
L’ami Lamy
s’inquiète et il a bien raison car c’est effroyable ce qui se passe ma pauv’
Lucette. Pensez-donc : l’opinion publique est favorable au protectionnisme. Pas
qu’en France d’ailleurs : dans plusieurs pays d’Europe. Surtout, le « protectionnisme économique », tout réactionnaire que puisse le trouver Lamy, est utilisé à
peu près partout dans le monde, des pays qui mettent en œuvre des barrières
douanières à ceux qui usent des paramètres constitutifs de leur structure
économique.
L’opinion publique
made in France est favorable au protectionnisme. Ça, on le sait depuis que
l’association Manifeste pour un débat sur le libre-échange a
commandé un sondage sur ce thème à l’Ifop, en mai 2011. Il en
ressortait ceci : 65 % des personnes interrogées se montrent favorables à
l’augmentation des taxes douanières, et 80 % souhaitent que ces taxes soient
mises en œuvre aux frontières de l’Europe.
Du coup, trois mois
plus tard, l’association s’offrait un second sondage, étendu cette fois à d’autres pays du
continent. Conclusion : 61 % des Allemands, 60 % des Italiens, et 67 % des
Espagnols s’avouaient désireux de voir se réaliser les pires cauchemars de
Pascal Lamy. Ça en fait, des frileux, des moisis, des pleutres et des « repliés sur soi ». Heureusement pour lui, le big boss de l’OMC possède une forte capacité à s’émanciper du
réel et à s’autopersuader. Toujours sur TV5, il déclarait sans ciller : « les positions d’Arnaud Montebourg sont extrêmement minoritaires au
niveau de l’Union européenne ». La phrase est imbécile mais on applaudira
l’aplomb.
Quoiqu’il en soit, être contre le protectionnisme, c’est un
peu comme être défavorable au vent qui souffle et à la pluie qui mouille. Car
celui-ci est utilisé partout. Notamment par ces pays que l’on dit émergents,
mais qui commencent à être bigrement émergés.
Le protectionnisme,
ce n’est plus seulement le Buy American
act existant aux States. Ce sont les mesures
d’autoprotection prises par l’Argentine, grande championne du domaine, comme le
montre un rapport du Global Trade Alert (GTA) de novembre 2011. Ce
sont les taxes appliquées par le Brésil sur les véhicules importés et fabriqués
hors Mercosur. Ce sont les mesures à une époque par l’Inde pour protéger son industrie textile. C’est le panel des
trucs et astuces imaginés par la Russie, par l’Indonésie, par l’Afrique du Sud
ou par la Chine, comme expliqué dans un pensum attristé de la Commission européenne.
On comprend le
dépit de monsieur Lamy. Pourtant, il y a pire. Il y a toutes ces petites
iniquités qui tiennent à la divergence des structures économiques nationales, et
qui, biaisant la concurrence, équivalent à un protectionnisme de fait et garanti
100% sans taxes douanières. Ce qui revient à dire avec Frédéric Lordon que « pour que le
non-protectionnisme ait un sens, il faudrait ajouter aux règles du libre-échange
l’hypothèse de parfaite identité structurelle des systèmes socioproductifs mis
en concurrence ». En d’autre termes, il faudrait que tout s’équivaille : le
coût du travail, les régimes de protection sociale, les normes
environnementales, les régimes fiscaux, les longitudes, les latitudes, le niveau
de la mer et l’âge du capitaine.
Lorsqu’un pays
pratique un dumping environnemental sauvage, c’est donc du protectionnisme.
Lorsque la Chine arrime artificiellement sa monnaie au dollar pour l’empêcher de
s’évaluer, c’est du dumping monétaire donc protectionnisme. Lorsque
l’Allemagne, forte d’une tradition de concertation propre au capitalisme rhénan, parvient à geler longuement ses salaires
sans heurts, c’est du dumping salarial donc du protectionnisme. Si bien que,
paradoxalement, pour pallier ces divergences et pour établir le caractère
« libre et non faussé » de la concurrence, il faudrait mettre en œuvre…des
droits de douane. Il existe « toutes sortes d’hétérogénéités,
de différences et d’inégalités entre lesquelles il faudra nécessairement passer
des compromis – en d’autres termes envisager de corriger des distorsions par des
distorsions contraires et compensatrices », indique Lordon.
De tout cela, Lamy
n’a cure. Les divergences et distorsions, qu’elles concernent les niveaux de
salaires ou la variété des modèles sociaux, ne sont pas de son ressort. Il le
dit et le répète : c’est à l’Organisation mondiale du travail (OIT) de s’y coller.
Ah bon ? Gendarmer le commerce
planétaire, ce n’est plus le travail de Pascal Lamy ? Voilà donc qui va lui
laisser du temps pour planter des choux, prendre des leçons de poney, jouer aux
dés, ou pour rédiger des éditos vigilants et conscientisés dans Le Monde. Agrémentés de tous les qualificatifs qui
conviennent lorsqu’on parle de régulation économique et qui raviront les
amateurs d’allitérations : « ringard », « rétrograde », « régressif » et, bien
sûr, « réactionnaire ».
Cet article a été publié initialement dans Ragemag
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Coralie,
RépondreSupprimervotre portrait de ce triste sire est ravageur! Quelle verve!
Toutefois, je voudrais y ajouter mon grain de sel, histoire de relever un peu plus un plat déjà corsé: il faut le dire et le redire, Pascal Lamy est membre du Parti Socialiste!!!! Je ne sais même pas s'il faut encore s'en étonner...